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Cour fédérale

 

Federal Court

 

Date : 20081008

Dossier : IMM-1011-08

Référence : 2008 CF 1141

Ottawa (Ontario), le 8 octobre 2008

En présence de Monsieur le juge Orville Frenette

 

 

ENTRE :

SELVIJE KASTRATI, VANESSA KASTRATI, AIDA KASTRATI

et ARDIANA KASTRATI

demanderesses

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en application de l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), d’une décision rendue le 20 février 2008 par un commissaire de la Section de la protection des réfugiés (la Section), qui a conclu que les demanderesses s’étaient désistées de leur demande.

 

LE CONTEXTE

[2]               Les demanderesses sont une mère et ses trois filles, âgées de 7 à 11 ans. Elles sont des citoyennes serbes d’origine albanaise. Elles sont arrivées au Canada le 25 juillet 2007 avec un visa de visiteur et ont présenté une demande d’asile le 21 décembre 2007. 

[3]               L’agent d’immigration a donné à la demanderesse principale (la mère) des formulaires de renseignements personnels (FRP) et l’a avisée que ceux-ci devaient être remplis dans les 28 jours suivants (c’est‑à‑dire au plus tard le 18 janvier 2008). Les demanderesses ne parlent pas et ne comprennent pas l’anglais. Elles étaient accompagnées d’un neveu de la mère habitant au Canada, qui agissait comme interprète. Il se trouvait cependant à Vancouver jusqu’au 10 janvier 2008. 

 

[4]               Dès le retour du neveu de la demanderesse principale, celle-ci a tenté de retenir les services d’un avocat, mais a seulement réussi à son troisième essai. Elle a été en mesure de retenir les services de M. Robert Young, qui a rencontré les demanderesses le 22 janvier 2008. Par la suite, M. Young a rédigé une lettre à l’intention de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) le 25 janvier 2008 dans laquelle il demandait une prorogation du délai pour la présentation des FRP des demanderesses. Aucune réponse n’a été formulée.

 

[5]               La Commission a fixé deux audiences relatives au désistement dont l’une a été annulée parce qu’il n’y avait pas d’interprète. La Commission a procédé à l’audience du 20 février 2008, mais l’avocat des demanderesses n’était pas présent.

 

[6]               La demanderesse principale a expliqué qu’elle avait tardé à présenter les FRP parce qu’elle avait mis du temps à trouver un avocat et à le rencontrer. Elle a expliqué qu’elle vivait de l’aide sociale, mais qu’elle croyait toutefois avoir besoin de l’aide d’un avocat.

 

[7]               Les FRP des demanderesses ont été déposés le 13 février 2008 – la date limite était le 18 janvier 2008. Au cours de l’audience relative au désistement tenue le 20 février 2008, le commissaire de la Section a admis que la demanderesse principale lui avait dit qu’elle prévoyait poursuivre sa demande d’asile.

 

LA DÉCISION

[8]               Le commissaire de la Section a conclu que le temps pris par la demanderesse principale pour trouver un avocat et les difficultés connexes qu’elle avait rencontrées n’étaient pas une explication raisonnable du dépôt des FRP fait en retard le 13 février 2008. Elle aurait pu remplir les FRP elle-même. Il a conclu que la lettre de l’avocat en date du 25 janvier 2008 demandant une prorogation de délai avait été rédigée après la période prescrite de 28 jours et que, parce qu’il n’y avait aucune circonstance extraordinaire comme celles prévues par la directive no 5, la prorogation ne pouvait pas être accordée. Il a par la suite conclu que les demanderesses s’étaient désistées de leur demande parce que les FRP n’avaient pas été déposés dans le délai prévu.

 

LA QUESTION EN LITIGE

1.      Le commissaire de la Section a-t-il commis une erreur en concluant que les demanderesses s’étaient désistées de leur demande d’asile?

ANALYSE

Dispositions légales pertinentes

58. (1) La Section peut prononcer le désistement d'une demande d'asile sans donner au demandeur d'asile la possibilité d'expliquer pourquoi le désistement ne devrait pas être prononcé si, à la fois :

a) elle n'a reçu ni les coordonnées, ni le formulaire sur les renseignements personnels du demandeur d'asile dans les vingt-huit jours suivant la date à laquelle ce dernier a reçu le formulaire;

b) ni le ministre, ni le conseil du demandeur d'asile, le cas échéant, ne connaissent ces coordonnées.

 (2) Dans tout autre cas, la Section donne au demandeur d'asile la possibilité d'expliquer pourquoi le désistement ne devrait pas être prononcé. Elle lui donne cette possibilité :

a) sur-le-champ, dans le cas où il est présent à l'audience et où la Section juge qu'il est équitable de le faire;

b) dans le cas contraire, au cours d'une audience spéciale dont la Section l'a avisé par écrit.

 (3) Pour décider si elle prononce le désistement, la Section prend en considération les explications données par le demandeur d'asile à l'audience et tout autre élément pertinent, notamment le fait que le demandeur d'asile est prêt à commencer ou à poursuivre l'affaire.

 (4) Si la Section décide de ne pas prononcer le désistement, elle commence ou poursuit l'affaire sans délai.

 

58. (1) A claim may be declared abandoned, without giving the claimant an opportunity to explain why the claim should not be declared abandoned, if

(a) the Division has not received the claimant's contact information and their Personal Information Form within 28 days after the claimant received the form; and

(b) the Minister and the claimant's counsel, if any, do not have the claimant's contact information.

(2) In every other case, the Division must give the claimant an opportunity to explain why the claim should not be declared abandoned. The Division must give this opportunity

(a) immediately, if the claimant is present at the hearing and the Division considers that it is fair to do so; or

(b) in any other case, by way of a special hearing after notifying the claimant in writing.

 (3) The Division must consider, in deciding if the claim should be declared abandoned, the explanations given by the claimant at the hearing and any other relevant information, including the fact that the claimant is ready to start or continue the proceedings.

 (4) If the Division decides not to declare the claim abandoned, it must start or continue the proceedings without delay.

 

 

 

La norme de contrôle

[9]               Dans Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190, la Cour suprême du Canada a conclu qu’il n’y a maintenant que deux normes de contrôle : la décision correcte et la raisonnabilité (paragraphe 34). 

 

[10]           La décision correcte s’applique aux questions de droit, de justice naturelle ou d’équité procédurale, tandis que la raisonnabilité s’applique aux questions de fait ou aux questions mixtes de fait et de droit.

 

[11]           Un processus en deux étapes est nécessaire pour décider de la norme de contrôle qui s’applique. Premièrement, la Cour doit prendre en considération la jurisprudence afin de décider si une norme de contrôle appropriée a déjà été appliquée. Sinon, elle doit procéder à l’analyse des quatre facteurs permettant de déterminer la bonne norme de contrôle (Dunsmuir, précité, paragraphe 62).

 

[12]           Depuis Dunsmuir, la jurisprudence a établi que la norme de contrôle qui s’applique à l’appréciation des faits, de la crédibilité et de la vraisemblance est la raisonnabilité; voir Saleem c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 389, 166 A.C.W.S. (3d) 321; Malveda c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de Immigration), 2008 CF 447, 166 A.C.W.S. (3d) 337. La présente affaire porte sur l’appréciation de la crédibilité et l’interprétation des faits et, par conséquent, la norme de contrôle qui s’applique est la raisonnabilité.

La question du désistement

[13]           La demanderesse principale soutient que le paragraphe 58(3) des Règles de la Section oblige la Commission à vérifier si le demandeur est prêt à commencer l’affaire avant de prononcer le désistement de sa demande. Cela implique que le FRP a été déposé dans le délai prévu de 28 jours. 

 

[14]           En l’espèce, les FRP ont été déposés presque un mois en retard. Le commissaire a pris en compte les raisons données pour justifier ce retard (c’est‑à‑dire le temps pris pour trouver un avocat) et les a jugées déraisonnables. Il n’a pas tenu compte du problème de langue que la demanderesse principale soutient avoir eu ni du manque de fonds ou de la difficulté qu’elle a eu à trouver un avocat.

 

[15]           La demanderesse principale a affirmé que le commissaire a appliqué les règles de façon machinale et qu’il a rejeté les raisons données pour justifier le retard parce qu’elles ne constituaient pas des « circonstances extraordinaires ». 

 

[16]           La demanderesse principale estime que la décision du commissaire est déraisonnable et qu’il n’a pas appliqué le paragraphe 58(3) des Règles de la Section.

 

[17]           Le défendeur soutient que le commissaire a rendu une décision correcte parce que la preuve présentée par les demanderesses selon laquelle elles avaient poursuivi avec diligence leur demande n’était pas suffisamment convaincante et qu’elles n’avaient pas déposé les FRP dans le délai prescrit de 28 jours.

 

[18]           Le défendeur a également avancé l’argument pratique que, si la demanderesse principale pouvait déposer sa demande après la date limite sans raison valable, cela donnerait lieu à un chaos et à des retards dans un système déjà engorgé.

 

[19]           La demanderesse principale a répondu qu’un retard de moins d’un mois n’aurait pas d’importantes incidences sur un système déjà engorgé.

 

[20]           L’article 58 des Règles prévoit le dépôt des FRP dans les 28 jours suivant la présentation du formulaire de demande. Cependant, les paragraphes 2 et 3 de l’article 58 précisent que dans le cas d’un retard, la Commission doit laisser la chance au demandeur d’expliquer pourquoi le désistement de sa demande ne devrait pas être prononcé et de déclarer s’il est prêt à commencer ou à poursuivre l’affaire. 

 

[21]           En l’espèce, la demanderesse principale a affirmé à son audience vouloir poursuivre sa demande.

 

[22]           La demanderesse principale a expliqué à la Commission les raisons du retard dans le dépôt des FRP; elle se fiait sur son neveu pour la traduction, qui était à Vancouver jusqu’au 10 janvier 2008. Elle a affirmé manquer d’argent parce qu’elle vit de l’aide sociale. Elle voulait être représentée par un avocat, mais deux ont refusé de le faire. C’est seulement le 20 janvier 2007 qu’elle a réussi à retenir les services de M. Young.

 

[23]           Il a été conclu dans une affaire antérieure que le retard accusé en raison du temps pris pour trouver un avocat n’était pas, en soi, une excuse valable justifiant le non-respect d’un délai; voir Kogo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 325, 146 A.C.W.S. (3d) 1042. Par contre, dans Kavunzu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 172 F.T.R. 240, 91 A.C.W.S. (3d) 807, la question de savoir si les services de l’avocat ont été retenus dans un délai opportun a été prise en compte. Cependant, le retard d’un dépôt en soi n’entraîne pas nécessairement une conclusion de désistement; voir Anjum c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 496, 130 A.C.W.S. (3d) 355.

 

[24]           Pour pouvoir prononcer le désistement d’une demande, le comportement du demandeur doit démontrer une intention de ne pas poursuivre la demande, mais toute intention pertinente doit être pris en compte; voir Siloch c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 151 N.R. 76, 38 A.C.W.S. (3d) 570 (C.A.F.); Ahamad c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] 3 C.F. 109, 95 A.C.W.S. (3d) 713; Luttra Nievas c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1998), 144 F.T.R. 224, 78 A.C.W.S. (3d) 1189 (C.F. 1re inst.) (raisons médicales).

 

[25]           Dans Ressam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1996), 110 F.T.R. 50, 62 A.C.W.S. (3d) 349, la demande de contrôle judiciaire de la décision selon laquelle Ressam s’était désisté de sa demande d’asile a été rejetée parce que celui‑ci ne s’était pas présenté à l’audience devant décider s’il avait le statut de réfugié. Dans Smejsa c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] A.C.F. no 2071 (QL), 47 A.C.W.S. (3d) 1044, la demande de contrôle judiciaire a été rejetée parce que le demandeur n’avait pas donné une raison satisfaisante pour justifier son absence à une audience antérieure.

 

[26]           Dans la décision Ahamad (précitée), le juge François L. Lemieux a accueilli une demande de contrôle judiciaire d’une décision de désistement parce que l’avocat du demandeur avait commis une erreur excusable dans son interprétation d’un rapport médical et en disant au demandeur de ne pas se présenter à son audience. Cette décision a été suivie.

 

[27]           De plus, dans Anjum c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 496, 130 A.C.W.S. (3d) 355, une demande de contrôle judiciaire a été accueillie à l’encontre d’une décision de désistement prise parce que le demandeur ne s’était pas présenté à son audience parce qu’il n’avait pas encore obtenu d’aide financière ni trouvé un avocat et que sa femme avait été malade.

 

[28]           Dans la présente affaire, les demanderesses se sont présentées aux deux audiences prévues relatives au désistement et, à l’audience du 20 février 2008, les raisons données par la demanderesse principale pour ne pas avoir déposé les FRP dans le délai prescrit de 28 jours étaient les suivantes :

a)      elle ne comprenait pas l’anglais et avait besoin de l’aide d’un interprète pour comprendre et remplir les formulaires exigés;

b)      elle n’avait pas d’argent et vivait de l’aide sociale;

c)      pour diverses raisons, elle avait eu beaucoup de difficulté à trouver un avocat;

d)      elle avait toujours eu l’intention de poursuivre sa demande d’asile.

 

[29]           Le commissaire a jugé que ces raisons ne constituaient pas des « circonstances extraordinaires » justifiant le retard dans le dépôt des FRP.

 

[30]           Dans la décision Anjum (précitée), le juge Michael L. Phelan a conclu à juste titre que, compte tenu des règles régissant le désistement, la question de savoir s’il y a des « circonstances extraordinaires » n’est pas le critère adéquat.

 

[31]           Ce n’est pas la bonne question à se poser pour l’application de l’article 58 des Règles de la Section (Anjum, précitée, paragraphe 27). De plus, la Commission n’avait pas porté son attention sur la question de savoir si les demanderesses étaient prêtes à commencer l’audition de leur demande (Anjum, précitée, paragraphe 29).

 

[32]           À mon avis, la Commission a commis ces deux mêmes erreurs en l’espèce.

 

[33]           La Commission n’a pas raisonnablement examiné et évalué l’ensemble des raisons mentionnées expliquant pourquoi les demanderesses n’avaient pas pu déposer leurs FRP avant le 13 février 2008.

 

[34]      Il s’agit d’erreurs susceptibles de contrôle. Par conséquent, la présente demande doit être accueillie.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

JUGEMENT

LA COUR STATUE :

1.      Que la demande de contrôle judiciaire est accueillie;

2.      Que la décision de la Commission selon laquelle les demanderesses s’étaient désistées de leur demande d’asile est annulée;

3.      Que la demande d’asile des demanderesses est renvoyée à la Commission pour qu’une nouvelle décision soit rendue par un autre commissaire;

4.      Qu’aucune question à certifier n’a été soulevée.

 

 

« Orville Frenette »

Juge suppléant

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Annie Beaulieu, traductrice


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-1011-08

 

INTITULÉ :                                       SELVIJE KASTRATI et al. c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto, Ontario

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 30 septembre 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              Le juge suppléant Frenette

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 8 octobre 2008

 

COMPARUTIONS :

 

Robert W. Young

POUR LES DEMANDERESSES

 

Michael Butterfield

POUR LE DÉFENDEUR

 

SOLICITORS OF RECORD:

 

M. Robert W. Young

Sullivan Festeryga, s.r.l.

1, rue James Sud

Hamilton (Ontario)  L8P 4R5

Télécopieur : 905-577-0077

POUR LES DEMANDERESSES

 

 

 

 

 

Ministère de la Justice

The Exchange Tower

130, rue King Ouest

Bureau 3400, boîte 36

Toronto (Ontario)  M5X 1K6

Télécopieur : 416-954-8982

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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