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Date : 20081008

Dossier : IMM-549-08

Référence : 2008 CF 1137

Ottawa (Ontario), le 8 octobre 2008

En présence de monsieur le juge Louis S. Tannenbaum

 

 

ENTRE :

TIGIST DAMTE

demanderesse

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeurs

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire de la décision, datée du 3 décembre 2007, par laquelle une agente d’examen des risques avant renvoi (ERAR) a conclu qu’il n’y avait pas de motifs sérieux de croire que la demanderesse serait exposée au risque d’être persécutée si elle était renvoyée en Éthiopie.

 

[2]               Mme Damte a quitté l’Éthiopie pour aller étudier en Allemagne en 1990. Elle soutient que, au cours d’un bref séjour dans son pays d’origine en 1998 pour rendre visite à son père malade, elle a été accusée d’être mêlée aux activités d’un parti politique d’opposition et elle a été détenue. Après sa libération, elle est retournée en Allemagne en octobre 1998.

 

[3]               Après avoir achevé ses études en janvier 2001, Mme Damte a demandé l’asile aux États‑Unis; sa demande a été rejetée. Elle est entrée au Canada le 2 novembre 2004 et elle a demandé l’asile au point d’entrée. Le 24 janvier 2006, la Section de la protection des réfugiés (SPR) a conclu que la demanderesse n’était pas une réfugiée au sens de la Convention et qu’elle n’avait pas la qualité de personne à protéger. La demande d’autorisation de contrôle judiciaire de la décision de la SPR a été rejetée.

 

[4]               L’agente d’ERAR a mentionné que les demandeurs dont les dossiers ont fait l’objet d’une audience devant la SPR n’ont droit qu’à un examen des éléments de preuve survenus depuis cette audience ou qui n’étaient alors pas normalement accessibles. Elle a de plus déclaré que Mme Damte se fondait largement sur les mêmes risques et allégations qu’elle avait mentionnés dans sa demande d’asile, à savoir qu’elle était exposée au risque d’être persécutée en tant que membre du parti politique d’opposition, l’EPRP.

 

[5]               L’agente d’ERAR a ensuite examiné l’histoire politique récente en Éthiopie sur le fondement de la documentation sur les conditions dans le pays. L’agente a mentionné que, après un violent mouvement de protestation antigouvernementale en 2005, le gouvernement avait arrêté des dirigeants politiques de l’opposition et avait détenu des manifestants sans porter d’accusations. Elle a mentionné que, même si la preuve fournie par la demanderesse indiquait que les membres de l’opposition étaient de façon générale exposés à des risques en Éthiopie, les événements avancés au soutien de ces prétentions visaient des cas de personnalités politiques influentes et d’individus ayant des liens importants avec elles.

 

[6]               Reconnaissant que la demanderesse avait participé au Canada à des manifestations contre l’actuel gouvernement éthiopien, l’agente a tenu compte du fait qu’il y avait beaucoup de monde à ces manifestations et a conclu qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve établissant que la demanderesse aurait personnellement attiré l’attention des autorités éthiopiennes et qu’elle serait en conséquence exposée à des risques à son retour en Éthiopie. L’agente a en outre conclu que, puisque la demanderesse était restée à l’extérieur de l’Éthiopie pendant 17 ans, il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve établissant que les autorités éthiopiennes remarqueraient son appui à un parti politique d’opposition. En se fondant sur l’ensemble de la preuve, l’agente a rendu une décision défavorable quant à la demande d’ERAR.

 

[7]               La demanderesse soulève deux questions à examiner par la Cour :

a.       L’agente d’ERAR a‑t‑elle commis une erreur quant au critère juridique à appliquer pour établir si la demanderesse est une réfugiée au sens de la Convention?

b.      L’agente a‑t‑elle commis des erreurs de fait et s’est-elle fondée sur de telles erreurs?

 

[8]               Lorsqu’elle procède au contrôle de la décision d’un agent, la Cour peut se fonder sur des décisions antérieures pour établir la norme de contrôle applicable, lorsque la norme appropriée dans les circonstances est bien établie : Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9. En conséquence, la question du critère juridique approprié sera examinée selon la norme de la décision correcte; des conclusions de fait sont annulées seulement si elles sont déraisonnables.

 

[9]               Je souligne d’abord que la première question de la demanderesse est mal énoncée. Il n’appartient pas à l’agente d’ERAR d’établir si la demanderesse est une réfugiée au sens de la Convention. La SPR a tenu une audience complète quant à l’affaire de Mme Damte et elle a rendu une décision défavorable à cet égard. L’ERAR ne constitue pas un appel de cette décision.

 

[10]           Cela dit, il reste cependant à trancher la question de savoir si le langage utilisé par l’agente, notamment sur le point de savoir si la demanderesse présenterait un [traduction] « intérêt particulier » ou serait d’une façon ou d’une autre [traduction] « reconnaissable », donne à entendre qu’une norme inappropriée a été appliquée. La demanderesse soutient qu’elle doit seulement démontrer qu’il y aurait [traduction] « plus qu’une simple possibilité » qu’elle soit exposée au risque d’être persécutée à son retour au pays.

 

[11]           Le défendeur soutient que l’utilisation de mots marquant le conditionnel et le futur dans les motifs d’un agent d’ERAR n’indique pas nécessairement qu’un critère inapproprié a été appliqué : Sivagurunathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 432. En déclarant qu’il y avait [traduction] « moins qu’une simple possibilité » d’être persécutée dans sa conclusion selon laquelle la demande d’ERAR devrait être rejetée, l’agente a montré qu’elle connaissait le critère approprié et qu’elle l’a appliqué.

 

[12]           Lorsqu’on évalue les motifs dans leur ensemble, il me semble clair que l’agente d’ERAR n’a pas appliqué un critère inapproprié. L’agente a conclu de la preuve documentaire que seuls des membres en vue de l’opposition étaient exposés au risque d’être persécutés et que rien ne démontrait que Mme Damte faisait partie de cette catégorie de membres. Lorsqu’elle a évalué le niveau de risque auquel la demanderesse serait exposée compte tenu de ses activités politiques au cours de la période pendant laquelle elle n’était pas en Éthiopie, l’agente cherchait clairement à voir s’il y avait des éléments de preuve établissant qu’elle serait personnellement reconnue par les autorités du pays comme un membre du parti d’opposition suffisamment important pour la cibler. Pour démontrer qu’elle était personnellement exposée à des risques, Mme Damte devait démontrer qu’elle attirerait personnellement l’attention des autorités. Il ne s’agissait pas d’une évaluation erronée et je n’annulerai pas la décision sur ce fondement.

 

[13]           Deuxièmement, la demanderesse soutient que l’agente a commis des erreurs de fait, de telle sorte que la décision est déraisonnable. Elle souligne la conclusion tirée par l’agente qui s’est fondée sur un important mouvement de protestation antigouvernementale en Éthiopie pour conclure qu’il y avait de nombreux participants à toutes les manifestations auxquelles elle a participé. Elle soutient que cette erreur a amené l’agente à omettre de prendre en compte la preuve établissant que le personnel de l’ambassade de l’Éthiopie surveillait étroitement de telles manifestations et qu’elle aurait par conséquent vraisemblablement attiré l’attention des autorités.

 

[14]           Le défendeur répond que les motifs de l’agente d’ERAR montrent qu’elle a examiné en détail tous les éléments de preuve et qu’elle en a tiré une conclusion raisonnable. Le défendeur souligne qu’il n’y a pas dans la preuve documentaire des renseignements quant à des événements où le gouvernement éthiopien a surveillé les manifestations antigouvernementales.

 

[15]           L’interprétation que fait la demanderesse de la phrase sur laquelle cette prétention est fondée n’est qu’une interprétation parmi plusieurs autres. Après avoir mentionné que la demanderesse avait fourni des éléments de preuve établissant qu’elle avait participé à de nombreuses manifestations et marches silencieuses à Toronto et à Ottawa, l’agente a conclu que la demanderesse n’avait pas démontré ce qui [traduction] « la différenciait des milliers d’autres partisans lors de ces manifestations ». La demanderesse semble croire que l’agente voulait ainsi dire que des milliers de personnes étaient présentes à chaque événement. Cependant, cette conclusion est raisonnablement susceptible d’être interprétée comme voulant dire que des milliers de partisans ont participé à toutes les manifestations et marches silencieuses prises ensemble. Étant donné qu’il est mentionné que 1 500 personnes ont participé à la manifestation à Ottawa, il n’était pas déraisonnable pour l’agente de conclure qu’environ 500 personnes ont pu participer aux deux autres événements.

 

[16]           Selon les indications données par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Dunsmuir, la Cour doit examiner si une décision faisant l’objet d’un contrôle est visée par la gamme de décisions auxquelles le tribunal pouvait raisonnablement arriver compte tenu de la preuve. Si oui, la Cour ne devrait donc pas intervenir. Selon la preuve fournie par la demanderesse et celle contenue dans la documentation sur les conditions dans le pays, je ne peux pas conclure que la décision de l’agente d’ERAR était déraisonnable, et elle sera maintenue.

 

[17]           Par conséquent, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

[18]           L’avocate de la demanderesse a sollicité la certification de la question suivante :

 

[traduction]

L’alinéa 113a) de la LIPR empêche‑t‑il l’agent qui rend une décision quant à une demande d’examen des risques avant renvoi de prendre en compte des documents qui contiennent seulement des renseignements sur les conditions dans le pays si ces documents ont été antérieurement soumis à la Section de la protection des réfugiés au moment de l’audition de la demande d’asile du demandeur?

 

 

[19]           L’avocate du défendeur est d’avis que la question ne devrait pas être certifiée, mais elle a néanmoins souscrit au libellé de cette question dans l’éventualité où je déciderais de la certifier. L’argument qu’elle invoque pour s’opposer à la certification est que la Cour d’appel fédérale a déjà répondu à la question dans l’arrêt Raza c. M.C.I., 2007 C.A.F. 385.

 

[20]           Je reconnais que l’arrêt Raza de la Cour d’appel fédérale, précédemment mentionné, traite de façon détaillée de l’alinéa 113a) de la LIPR et, par conséquent, il n’est pas nécessaire de certifier la question proposée.

 

 

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Aucune question n’est certifiée.

 

 

« Louis S. Tannenbaum »

Juge suppléant

 

Traduction certifiée conforme

 

Danièle Laberge, LL.L.


 

COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-549-08

 

INTITULÉ :                                       TIGIST DAMTE c. M.C.I. ET AL

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 4 septembre 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE SUPPLÉANT TANNENBAUM

 

DATE DU JUGEMENT :                 Le 8 octobre 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Hilary Evans Cameron

 

POUR LA DEMANDERESSE

Ada Mok

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Hilary Evans Cameron

Downtown Legal Services

 

POUR LA DEMANDERESSE

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

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