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Date : 20081008

Dossier : IMM-319-08

Référence : 2008 CF 1139

Ottawa (Ontario), le 8 octobre 2008

En présence de monsieur le juge Russell

 

 

ENTRE :

ROMAN DOROSHENKO

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

 

[1]               Il s’agit d’une demande présentée en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), sollicitant le contrôle judiciaire d’une décision datée du 13 novembre 2007 (la décision) dans laquelle un agent des visas (l’agent) a rejeté la demande de résidence permanente présentée par le demandeur à partir du Canada pour des motifs d’ordre humanitaire.

 

CONTEXTE

 

[2]               Le demandeur est homme marié, citoyen de l’Ukraine, qui habite au Canada depuis son arrivée au pays en octobre 1997 à l’âge de 25 ans. Le demandeur a détenu un visa de visiteur valide jusqu’au 30 septembre 1998, mais il est demeuré au Canada au-delà de la période de séjour autorisée par son visa de visiteur.

 

[3]               Le demandeur est un enseignant professionnel en Ukraine et il travaille comme musicien au Canada. Ses parents résident en Ukraine. 

 

[4]               Pendant qu’il se trouvait au Canada en tant que visiteur, le demandeur a rencontré son épouse, une citoyenne canadienne, et l’a épousée.

 

DÉCISION FAISANT L’OBJET DE CONTRÔLE

 

[5]               L’agent a jugé que le demandeur n’avait pas présenté suffisamment d’éléments de preuve pour établir qu’il serait incapable de trouver un emploi pour subvenir à ses besoins en Ukraine, puisqu’il possédait les compétences nécessaires pour enseigner et travailler comme musicien. Le demandeur avait aussi auparavant exercé les fonctions de diacre en Ukraine. L’agent a également jugé que le demandeur avait des économies suffisantes pour assurer sa réintégration dans la société ukrainienne, et a noté qu’il parlait toujours l’ukrainien. L’agent a conclu qu’il n’existait aucune raison pour laquelle le demandeur ne pourrait pas présenter une demande de résidence permanente de l’extérieur du Canada.

 

[6]               Même si le demandeur s’était établi dans une certaine mesure au Canada, avait amélioré ses compétences et avait trouvé un emploi lucratif, l’agent a jugé que ces événements s’étaient produits alors que le demandeur se trouvait au Canada illégalement, de son plein gré, et non parce qu’il se trouvait dans une situation indépendante de sa volonté.

 

[7]               L’agent a conclu que le cas du demandeur ne justifiait pas qu’une dispense lui soit accordée en application du paragraphe 25(1) puisqu’il n’éprouverait aucune difficulté inhabituelle, injustifiée ou excessive s’il devait présenter sa demande de l’extérieur du Canada.

 

DISPOSITIONS LÉGISLATIVES

 

[8]               Les dispositions suivantes de la Loi s’appliquent en l’espèce :

Visa et documents

 

 

11. (1) L’étranger doit, préalablement à son entrée au Canada, demander à l’agent les visa et autres documents requis par règlement, lesquels sont délivrés sur preuve, à la suite d’un contrôle, qu’il n’est pas interdit de territoire et se conforme à la présente loi.

 

 

 

 

Séjour pour motif d’ordre humanitaire

 

25. (1) Le ministre doit, sur demande d’un étranger interdit de territoire ou qui ne se conforme pas à la présente loi, et peut, de sa propre initiative, étudier le cas de cet étranger et peut lui octroyer le statut de résident permanent ou lever tout ou partie des critères et obligations applicables, s’il estime que des circonstances d’ordre humanitaire relatives à l’étranger — compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché — ou l’intérêt public le justifient.

Application before entering Canada

 

11. (1) A foreign national must, before entering Canada, apply to an officer for a visa or for any other document required by the regulations. The visa or document shall be issued if, following an examination, the officer is satisfied that the foreign national is not inadmissible and meets the requirements of this Act.

 

 

Humanitarian and compassionate considerations

 

25. (1) The Minister shall, upon request of a foreign national who is inadmissible or who does not meet the requirements of this Act, and may, on the Minister’s own initiative, examine the circumstances concerning the foreign national and may grant the foreign national permanent resident status or an exemption from any applicable criteria or obligation of this Act if the Minister is of the opinion that it is justified by humanitarian and compassionate considerations relating to them, taking into account the best interests of a child directly affected, or by public policy considerations.

 

QUESTION EN LITIGE

 

[9]               La question soulevée par le demandeur est de savoir si l’agent a commis une erreur, dans son examen de l’existence de motifs d’ordre humanitaire suffisants pour lui accorder une dispense en application du paragraphe 25(1) de la Loi, en ne tenant pas compte des questions d’ordre médical qu’il avait soulevées.

 

NORME DE CONTRÔLE

 

[10]           Dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, la Cour suprême du Canada a reconnu que, bien que la norme de la décision raisonnable simpliciter et celle de la décision manifestement déraisonnable soient différentes en théorie, « les difficultés analytiques soulevées par l’application des différentes normes réduisent à néant toute utilité conceptuelle découlant de la plus grande souplesse propre à l’existence de normes de contrôle multiples » (Dunsmuir, au paragraphe 44). Par conséquent, la Cour suprême du Canada a conclu qu’il y avait lieu de fondre en une seule les deux normes de raisonnabilité.

 

[11]           La Cour suprême du Canada a aussi conclu dans l’arrêt Dunsmuir que l’analyse relative à la norme de contrôle n’avait pas à être menée dans tous les cas. Lorsque la norme de contrôle applicable à une question particulière dont la cour est saisie a été bien établie par la jurisprudence antérieure, la cour de révision peut tout simplement appliquer cette norme de contrôle. Ce n’est que lorsque cette démarche s’avère infructueuse que la cour de révision doit examiner les quatre facteurs faisant partie de l’analyse relative à la norme de contrôle.

 

[12]           Dans l’arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1992] R.C.S. 817, au paragraphe 61, la Cour suprême du Canada a conclu que la norme de contrôle applicable à la décision de l’agent d’accorder ou non une dispense pour des motifs d’ordre humanitaire était la décision raisonnable simpliciter. Cette norme a par la suite été appliquée dans une longue série de décisions reconnaissant la nécessité d’une grande retenue dans ce contexte. Par conséquent, compte tenu des arrêts Baker et Dunsmuir rendus par la Cour suprême du Canada, ainsi que de la jurisprudence antérieure de la Cour, je juge que la norme de contrôle applicable à la question en l’espèce est la raisonnabilité. Lors du contrôle d’une décision suivant la norme de la raisonnabilité, l’analyse tiendra à « la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, au paragraphe 47). En d’autres mots, la Cour ne devrait intervenir que si la décision de l’agent est déraisonnable en ce sens qu’elle n’appartient pas aux « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (ibidem).

 

ANALYSE

 

[13]           La présente demande soulève une question précise : était-il raisonnable pour l’agent de ne pas tenir compte des questions d’ordre médical portées à son attention?

 

[14]           Dans son affidavit, l’agent a affirmé, en ce qui concerne les lettres portant sur l’arrestation, la détention et le diagnostic médical du demandeur : [traduction] « [J]e n’ai pas jugé que les lettres étaient pertinentes quant à l’établissement de l’importance des difficultés qu’éprouverait M. Doroshenko s’il devait présenter une demande de résidence permanente de l’extérieur du Canada, ou que ces lettres possédaient une valeur probante à cet égard. »

 

[15]           L’agent a aussi affirmé que [traduction] « l’avocate [du demandeur] n’a[vait] présenté aucun argument dans ses observations indiquant pourquoi les troubles médicaux [du demandeur] constitueraient des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives ».

 

[16]           Le demandeur avoue que les questions qu’il soulève maintenant ne s’étaient pas complètement « cristallisées » devant l’agent, mais il affirme que la preuve existait et qu’elle aurait dû être prise en compte dans la décision. Outre la question des difficultés, le demandeur soutient qu’une telle preuve est pertinente quant aux facteurs d’établissement dont il faut tenir compte dans la décision. Dans ses motifs, l’agent souligne que le demandeur a tout simplement choisi de demeurer au Canada en violation du Règlement sur l’immigration. Le demandeur conteste ce point et affirme que ses troubles médicaux étaient pertinents relativement à cette question.

 

[17]           Le demandeur n’est pas un demandeur d’asile et rien ne tend à indiquer qu’il ne pouvait retourner en Ukraine. Il est demeuré au Canada de son propre chef.

 

[18]           En examinant la preuve dont disposait l’agent sur les troubles médicaux du demandeur, j’ai remarqué qu’il y avait une lettre du Dr Kuhlmann, datée du 10 mars 2006. Le Dr Kuhlmann indique qu’à sa connaissance, [traduction] « ce patient n’a jamais présenté les symptômes de cette maladie ».

 

[19]           Le dossier comprend aussi une note du demandeur même dans laquelle il explique que le diagnostic de tuberculose était erroné : [traduction] « Il est devenu clair que je ne souffrais d’aucune maladie. »

 

[20]           Dans son affidavit, le demandeur fournit après coup des explications et il fait plusieurs affirmations non corroborées au sujet de ses troubles médicaux. Toutefois, l’agent ne disposait pas de ces renseignements lorsqu’il a pris sa décision.

 

[21]           L’agent n’a jamais été mis au courant de la façon dont les événements entourant l’erreur de diagnostic auraient pu avoir une incidence quelconque sur la décision qu’il devait prendre. L’avocate du demandeur n’a présenté aucune observation sur ce point.

 

[22]           Si j’examine ce dont disposait l’agent, il est difficile de savoir si quoi que ce soit pouvait lui permettre d’évaluer la pertinence des troubles médicaux du demandeur à l’égard de la demande. Les éléments dont l’agent disposait étaient trop vagues et peu convaincants. Les faits en l’espèce ne peuvent pas appuyer les inférences que l’agent aurait dû tirer selon le demandeur.

 

[23]           Comme la Cour l’a souligné à de nombreuses reprises, il incombe au demandeur de préciser sur quels moyens repose sa demande et de présenter la preuve nécessaire. Voir la décision Ahmad c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 646, au paragraphe 37. En l’espèce, il appartenait au demandeur de préciser, avec preuve à l’appui, tout problème qui, selon lui, se traduirait par « des difficultés que l’on pourrait qualifier d’inusitées, d’injustifiées ou de disproportionnées », pour reprendre les mots de la juge Dawson dans la décision Ahmad.

 

[24]           Non seulement le demandeur a présenté très peu d’éléments de preuve en ce qui concerne la nature de ses troubles médicaux, mais il a aussi omis de soulever toute question portant sur ses troubles et d’indiquer comment ceux-ci pourraient avoir une quelconque incidence sur la décision que devait prendre l’agent.

 

[25]           La décision de l’agent selon laquelle les lettres n’étaient pas pertinentes et n’avaient aucune valeur probante était dans son ensemble intelligible et raisonnable. De plus, même si on ne tient pas compte de l’affidavit de l’agent, il n’était pas déraisonnable pour lui de ne pas mentionner les lettres ou de ne pas en traiter dans sa décision, puisqu’à leur face même, elles semblaient n’avoir aucune valeur probante, et le demandeur ne lui a pas expliqué pourquoi elles étaient pertinentes.

 


JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE :

 

1.                  La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.                  Il n’y a aucune question aux fins de certification.

 

 

 

 

« James Russell »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Isabelle D’Souza, LL.B., M.A.Trad.jur.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-319-08

 

INTITULÉ :                                       ROMAN DOROSHENKO

                                                            c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 11 SEPTEMBRE 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE RUSSELL   

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       LE 8 OCTOBRE 2008

 

 

COMPARUTIONS :

 

Mario Bellissimo, représentant

 

POUR LE DEMANDEUR

Manuel Mendelzon

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Inna Kogan

Avocate

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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