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Date : 20081007

Dossier : IMM-1178-08

Référence : 2008 CF 1131

Ottawa (Ontario), le 7 octobre 2008

En présence de monsieur le juge Tannenbaum

 

 

ENTRE :

ANA ISELA AHUMADA HERNANDEZ

MARELYNE THAMARA CHACON AHUMADA

alias MARELYNE THAMAR CHACON AHUMADA

demanderesses

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Les demanderesses en l’espèce sont une mère et sa fille, toutes deux citoyennes du Mexique. Elles demandent le contrôle judiciaire d’une décision rendue le 28 janvier 2008 par la Section de la protection des réfugiés (SPR) portant qu’elles n’étaient ni des réfugiées au sens de la Convention ni des personnes à protéger parce qu’elles disposaient d’une possibilité de refuge intérieur (PRI) à Mexico.

 

[2]               Les demanderesses ont fondé leur demande d’asile sur la crainte qu’elles ont de l’ex‑conjoint de fait de Mme Hernandez, un agent de la police judiciaire qui a agressé physiquement et sexuellement cette dernière et qui a maltraité sa fille.

 

[3]               Mme Hernandez, la demanderesse principale, prétend qu’elle et sa fille se sont enfuies dans deux villes différentes de l’État de Chihuahua, mais que Chester, son ex‑conjoint de fait, les a retrouvées à chaque fois. Elle prétend qu’elle avait trop peur pour demander l’aide des autorités parce que Chester était un agent de la police. En décembre 2006, sur les conseils de son frère, elle et sa fille se sont enfuies au Canada et elles ont demandé l’asile.

 

[4]               La commissaire de la SPR a conclu que les demanderesses disposaient d’une PRI viable à Mexico. Elle a jugé insuffisante l’explication de la demanderesse principale selon laquelle elle et sa fille n’étaient pas allées vivre à Mexico en raison d’une insuffisance de fonds car il leur aurait été beaucoup moins onéreux d’aller vivre à Mexico que de s’enfuir au Canada. Elle a conclu à l’insuffisance de preuve étayant la prétention de Mme Hernandez selon laquelle son conjoint de fait s’intéressait toujours à elle et qu’il n’aurait aucune difficulté à la retrouver grâce à son numéro de sécurité sociale ou grâce à sa carte d’électrice. Enfin, elle a conclu qu’il ne serait pas trop exigeant de s’attendre à ce que les demanderesses aillent vivre ailleurs au Mexique et elle a souligné que le dépôt d’une demande d’asile dans un autre pays est une mesure de dernier recours.

 

[5]               La demanderesse soulève de nombreuses questions, lesquelles peuvent être résumées en une seule question : la commissaire de la SPR a‑t‑elle commis une erreur en concluant que la ville de Mexico constituait une PRI viable pour les demanderesses?

 

[6]               Une conclusion de l’existence d’une possibilité de refuge intérieur est une conclusion de fait contrôlable selon la norme de la décision raisonnable. La question comporte deux volets : y‑a‑t‑il un endroit dans le pays d’origine où il n’y a pas de possibilité sérieuse que les demanderesses soient persécutées ou torturées ou soient exposées au risque de traitements ou peines cruels et inusités et, le cas échéant, serait‑il serait trop exigeant de s’attendre à ce que les demanderesses aillent vivre dans cet endroit avant de demander l’asile dans un tiers pays? La notion que l’État consent à protéger les demanderesses et qu’il serait raisonnablement capable de les protéger si elles étaient persécutées ou si quelque chose de semblable se produisait est inhérente au premier volet.

 

[7]               La commissaire a conclu que Chester ne s’intéressait plus aux demanderesses parce qu’il ne s’était rendu qu’une seule fois à la maison du frère de Mme Hernandez afin de la retrouver dans l’année entre la date à laquelle elle s’est enfuie au Canada et la date de l’audience. Les demanderesses prétendent qu’il s’agit d’une conclusion erronée parce qu’elle relève de la conjecture. Le défendeur rétorque qu’il était raisonnablement loisible à la commissaire de conclure comme elle l’a fait compte de tenu de la preuve dont elle était saisie.

 

[8]               À la suite de l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, la norme de la décision manifestement raisonnable a été incorporée dans la nouvelle norme de raisonnabilité, mais il est toujours vrai que l’existence d’un autre raisonnement raisonnable, d’après les faits, ne suffit pas à annuler les conclusions d’un tribunal. Pour être déraisonnable, la décision de la SPR doit se situer à l’extérieur du spectre des décisions raisonnables possibles qui peuvent être tirées à partir de la preuve. Je suis d’accord avec le défendeur pour affirmer qu’il était loisible à la commissaire de conclure sur ce point comme elle l’a fait et que cette conclusion n’était pas déraisonnable.

 

[9]               Les demanderesses prétendent ensuite que la commissaire a commis une erreur en concluant qu’il était peu probable que Chester pourrait les retrouver à Mexico en utilisant le numéro d’assurance sociale ou la carte d’électrice de Mme Hernandez parce que les bases de données comprenant ces renseignements sont confidentielles. Elles prétendent que la preuve invoquée par la SPR a trait à des civiles et non pas à des personnes qui, comme Chester, occupent un poste d’agent d’infiltration au sein de la police judiciaire du Mexique et qu’elle ne tient pas compte de la corruption qui existe au sein de la police. De plus, elles font état d’une preuve documentaire qui, selon elles, n’a pas été mentionnée par la commissaire et qu’il s’agit là d’une erreur car cette preuve contredit sa décision.

 

[10]           Le défendeur rétorque que la SPR savait fort bien que Chester était un agent de la police judiciaire mais elle a conclu que ce facteur n’augmentait pas le risque auquel seraient exposées les demanderesses à Mexico. La prépondérance de la preuve démontre qu’il est peu probable qu’un agresseur soit capable de trouver une victime de violence conjugale grâce à des bases de données et des registres gouvernementaux. Les incidents soulignés par les demanderesses à titre d’indices de l’erreur de la commissaire sont des incidents isolés qui ne traduisent pas le risque général auquel sont exposées, au Mexique, les femmes qui se trouvent dans des situations semblables.

 

[11]           Il est bien établi en droit que le décideur est présumé, en l’absence d’une preuve contraire, avoir pris en compte l’ensemble de la preuve qui lui a été soumis sans avoir à mentionner chacun des éléments de la preuve. Les demanderesses ont attiré l’attention sur des documents qui, selon elles, confirment leur position selon laquelle la commissaire a mal interprété des éléments de preuve pertinents ou n’a pas tenu compte d’éléments de preuve pertinents, mais sa décision repose sur l’ensemble de la preuve et les quelques passages auxquelles la demanderesse a renvoyé ne suffisent pas pour avoir raison du caractère raisonnable de la décision de la commissaire. Les demanderesses prétendent que la SPR « a choisi » les éléments de preuve. Afin d’étayer cette prétention, elles choisissent davantage que la commissaire.

 

[12]           Les demanderesses prétendent ensuite que la décision de la SPR quant à la protection offerte par l’État aux femmes victimes de violence au Mexique est erronée car elle ne tient pas compte que la preuve démontre que les procédures visant à assurer la protection de ces femmes ne sont pas correctement appliquées. Elles prétendent que les procédures existent sur papier mais qu’elles ne sont pas appliquées de façon uniforme et que les institutions pertinentes ne participent pas de façon suffisante. Elles prétendent que les mesures législatives visant à protéger les femmes ne constituent pas de la protection de l’État à moins que la preuve n’indique qu’elles procurent vraiment de la protection. C’est ainsi qu’elles citent les propos du professeur Hathaway selon lesquels ces changements doivent être durables, efficaces et significatifs, ce qui, selon elles, n’est pas le cas. Les demanderesses prétendent de plus que l’on ne peut pas affirmer que l’État pouvait raisonnablement assurer leur protection et que la SPR a commis une erreur en concluant autrement.

 

[13]           Le défendeur souligne que la preuve documentaire que les demanderesses ont invoquée avec beaucoup d’insistance a été expressément mentionnée par la commissaire et, donc, a été dûment pris en compte par elle. Toutefois, un autre rapport, tout aussi pertinent quant à la situation de la violence conjugale au Mexique, daté de quatre ans après le premier rapport, comprenait d’autres renseignements sur des mesures importantes visant à combattre ce problème social. Le défendeur prétend que les demanderesses demandent tout simplement à la Cour d’apprécier de nouveau la preuve, ce qui n’est pas le rôle d’une cour de révision.

 

[14]           Même si les demanderesses ont invoqué les propos du professeur Hathaway, il faut souligner que, au Canada, les politiques et les lois en matière d’asile et d’immigration relèvent de la compétence du Parlement et sont susceptibles d’interprétation raisonnable par la Cour fédérale. Le Parlement a délégué son pouvoir de décision à la Commission de l’immigration et du statut de réfugié et c’est en raison de cette délégation que la Cour doit faire preuve d’un degré important de déférence à l’égard de la Commission.

 

[15]           Malgré l’excellente argumentation des demanderesses, j’estime que rien dans la décision contestée ne justifie que la Cour intervienne. La décision sera maintenue.

 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. Les parties n’ont proposé la certification d’aucune question et aucune question n’est soulevée eu égard aux faits.

 

 

« Louis S. Tannenbaum »

Juge suppléant

 

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-1178-08

 

INTITULÉ :                                       ANA ISELA AHUMADA HERNANDEZ ET AUTRES c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 3 septembre 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE SUPPLÉANT TANNENBAUM

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 7 octobre 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

J. Byron Thomas

 

POUR LES DEMANDERESSES

Robert Baturo

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

J. Byron Thomas

Avocat

 

POUR LES DEMANDERESSES

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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