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Date : 20081008

Dossier : IMM‑1310‑08

Référence : 2008 CF 1130

Ottawa (Ontario), le 8 octobre 2008

En présence de monsieur le juge Zinn

ENTRE :

 

YONG DOO KIM, SEAK SOON PARK

JU YOUNG (JULIA) KIM, A YOUNG (IRENE) KIM

 

demandeurs

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Les demandeurs sollicitent le contrôle judiciaire de la décision d’une agente d’examen des risques avant renvoi (l’agente ou l’agente d’ERAR) de rejeter leur requête, fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, par laquelle ils souhaitaient que leurs demandes de résidence permanente soient traitées au Canada même. La décision de l’agente d’ERAR porte la date du 11 janvier 2008. Pour les motifs qui suivent, je suis d’avis que la décision contestée est raisonnable.

 

LE CONTEXTE

[2]               Les demandeurs forment une famille coréenne. Yong Doo Kim est le demandeur principal. Il est le mari de Seak Soon Park. Ils sont les parents de Ju Young Kim (également appelée Julia) et de A Young Kim (également appelée Irene).

 

[3]               La famille Kim est arrivée au Canada durant l’été de 2003, fuyant prétendument des usuriers criminels en Corée, et elle a présenté une demande d’asile un mois après son arrivée. En 2004, la demande d’asile a été refusée, tout comme l’autorisation de déposer une demande de contrôle judiciaire à l’encontre du refus. La famille a présenté en 2005 une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire et, en 2007, elle a présenté une demande d’ERAR.

 

[4]               M. Kim était entrepreneur en Corée. Depuis son arrivée au Canada, la famille a établi deux restaurants. M. Kim a également établi une entreprise de rénovation. Il arrondit son revenu d’entrepreneur en travaillant comme nettoyeur. Dans son affidavit déposé au soutien de la présente instance, M. Kim parle d’une manière assez détaillée du niveau d’établissement de ses filles au Canada, de leur réussite dans les écoles canadiennes et de leur intention de fréquenter l’université. Il dit qu’aucune des deux ne serait en mesure d’aller à l’université en Corée parce qu’il ne leur serait pas possible de réussir les examens d’entrée administrés par l’État. Elles seraient contraintes d’exécuter des tâches inférieures et seraient reléguées au [traduction] « bas de la société ».

 

[5]               M. Kim allègue aussi que lui et son épouse auraient du mal à réintégrer le marché coréen du travail, car ils approchent de la cinquantaine et que les employeurs coréens préfèrent embaucher de jeunes diplômés. Il ajoute qu’il craint encore d’être en butte aux usuriers et qu’il ne croit pas que les mesures prises par le gouvernement coréen contre la pratique des prêts usuraires ont donné des résultats.

 

[6]               Dans ses notes, l’agente qui a analysé la demande de la famille Kim fondée sur des motifs d’ordre humanitaire donne un résumé détaillé des observations du couple quant à son niveau d’établissement au Canada, à sa prétendue crainte de devoir retourner en Corée et à l’intérêt supérieur de ses filles.

 

[7]               S’agissant du niveau d’établissement de la famille au Canada, l’agente a fait état, entre autres choses, de leur succès dans les affaires, de leur participation à la collectivité, de leurs nombreux amis et de leurs liens étroits avec la sœur canadienne de M. Kim et avec la famille de celle‑ci. Qualifiant de [traduction] « louable » ce niveau d’engagement, l’agente a néanmoins estimé que le niveau d’établissement de la famille [traduction] « n’était pas exceptionnel »; les demandeurs avaient obtenu des permis d’étudiants et des permis de travail afin de faciliter leur autosuffisance, et il devait en résulter un certain niveau d’établissement. Elle n’a pas non plus admis qu’un retour en Corée, accompagné de l’obligation pour eux de trouver du travail et un endroit où vivre, entraînerait des difficultés excessives pour la famille, relevant notamment que M. Kim et son épouse avaient passé la plus grande partie de leur vie en Corée, qu’ils ont de la famille dans ce pays et qu’ils en connaissent bien la culture.

 

[8]               S’agissant de la crainte des demandeurs de retourner en Corée, l’agente s’est fondée sur les lignes directrices IP5 au moment d’évaluer leur affirmation selon laquelle ils seraient aux prises avec des prêteurs corrompus, ce qui équivalait, selon eux, à des difficultés cruelles et inhabituelles. Ces lignes directrices prévoient qu’une considération favorable peut être justifiée lorsque le renvoi d’un demandeur l’exposerait à un risque pour sa vie ou sa sécurité. L’agente a examiné les observations de la famille Kim sur ce point et a consulté la preuve documentaire relative aux services de sécurité et aux services policiers de la Corée (rapport de 2006 du Département d’État des États‑Unis; rapport de 2007 d’Amnistie Internationale), outre des documents faisant état de sévères mesures prises à l’encontre des prêts d’argent à des taux exorbitants (documents mentionnés dans un rapport de 2007 de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié). Au vu de ces éléments, elle a conclu qu’il n’y avait aucune raison de croire que l’État ne serait pas disposé ou pas apte à offrir une protection à la famille Kim si elle en avait besoin.

 

[9]               Finalement, s’agissant de l’intérêt supérieur des enfants Kim, l’agente a reconnu qu’il leur faudrait quitter leurs amis au Canada et s’adapter à un autre système scolaire. Elle n’a pas cependant admis que les difficultés alléguées équivaudraient à des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives.

 

LES QUESTIONS EN LITIGE

[10]           Les demandeurs soulèvent trois questions :

a)         L’agente s’est‑elle fourvoyée dans l’appréciation de l’intérêt supérieur des enfants?

b)        L’agente a‑t‑elle commis une erreur dans sa manière d’apprécier le niveau d’établissement de la famille au Canada?

c)         L’agente a‑t‑elle commis une erreur concernant l’existence d’une protection offerte par l’État?

 

ANALYSE

L’agente s’est‑elle fourvoyée dans l’appréciation de l’intérêt supérieur des enfants?

[11]           Les demandeurs disent que l’agente a considéré l’intérêt supérieur des enfants d’une manière superficielle et en se fondant sur des conjectures. Ils disent que l’agente ne s’est pas souciée de savoir si les enfants savaient lire et écrire en coréen, ni n’a fait cas des difficultés qu’elles auraient à obtenir leur admission à l’université en Corée. Ils invoquent la décision Kim c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 248, où le juge O’Keefe avait considéré que la perte possible d’une année d’université, à laquelle allait donner lieu le renvoi en Corée de la demanderesse, équivalait à un préjudice irréparable, et un sursis d’exécution de la mesure d’expulsion avait été accordé à celle‑ci. Les demandeurs se fondent aussi sur la décision Kim c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1461, une affaire semblable à la présente affaire, où la Cour a jugé déraisonnable la décision d’une agente, où il n’était fait aucun cas des conséquences d’un renvoi sur les enfants, notamment sur leur aptitude à s’inscrire à l’université.

 

[12]           Le défendeur, se fondant sur les décisions Lee c. Canada, 2008 CF 368, et Vasquez c. Canada, 2005 CF 91, fait valoir que les enfants Kim auraient sans doute de meilleures possibilités au Canada sur le plan des études, mais que cela permettait difficilement d’étayer une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, demande dont l’issue dépend de l’existence de difficultés excessives. Le défendeur dit que les observations faites par le juge Shore dans la décision Lee sont également à propos ici : « Les demandeurs ne sont que d’éventuels immigrants dont la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire (la demande CH) repose principalement sur l’existence d’enfants mineurs et sur le fait qu’ils se trouvent au Canada depuis quelques années. S’il s’agissait là de la norme en fonction de laquelle il fallait approuver ce type de demande, presque aucune ne serait refusée […] En fait, cela créerait un régime d’immigration tout à fait nouveau […] »

 

[13]           À mon avis, même si l’agente a été brève dans son examen et son analyse de l’intérêt supérieur des enfants, elle a considéré le fond des arguments des demandeurs sur ce point. Il n’y a pas eu [traduction] « mauvaise interprétation de la preuve » comme le prétendent les demandeurs; la preuve, qui consistait principalement en affirmations hyperboliques sur les difficultés qu’auraient leurs enfants à s’adapter à un autre système d’enseignement, n’appelait pas plus de commentaires que ceux auxquels elle a donné lieu.

 

L’agente a‑t‑elle commis une erreur dans sa manière d’apprécier le niveau d’établissement de la famille au Canada?

 

[14]           Les demandeurs disent que l’agente a commis une erreur dans sa manière d’apprécier leur niveau d’établissement au Canada. Se fondant sur la décision Ranji c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) et al., 2008 CF 521, ils soutiennent que l’agente n’a pas tenu compte des éléments [traduction] « positifs » de leur niveau d’établissement, dans le contexte de leur situation personnelle.

 

[15]           Selon moi, l’agente a considéré suffisamment les facteurs avancés par les demandeurs à propos de leur niveau d’établissement et elle a bien appliqué les principes se rapportant aux appréciations des motifs d’ordre humanitaire. Les circonstances de la présente affaire sont sensiblement différentes de celles de l’espèce Ranji. M. Ranji avait fréquenté l’école primaire et avait été agriculteur en Inde. Il n’avait pas fait d’études secondaires ni n’était un travailleur qualifié, mais, durant le temps qu’il avait passé au Canada, il avait toujours travaillé, sauf durant une période de deux mois, et, même s’il n’avait jamais gagné plus de 50 000 $ par année dans des travaux non spécialisés, il avait accumulé un compte bancaire appréciable, il s’était constitué un REER, il avait acheté avec son frère un logement, il soutenait financièrement sa famille en Inde et il avait fait inscrire ses deux enfants dans des écoles privées. Son niveau d’établissement se rapprochait davantage du niveau d’établissement auquel on se serait attendu de la part d’une personne ayant les antécédents et l’expérience de M. Kim. En fait, on pourrait prétendre que le niveau d’établissement de M. Ranji, en dépit de sa situation personnelle, était supérieur à celui de M. Kim.

 

L’agente a‑t‑elle commis une erreur concernant l’existence d’une protection offerte par l’État?

[16]           Les demandeurs soutiennent que l’agente a conclu à l’existence d’une protection de l’État sans même s’interroger sur l’efficacité réelle de cette protection en Corée. Selon eux, la preuve montre que les prêts usuraires de nature criminelle demeurent un problème, malgré les moyens pris pour enrayer cette pratique, et que les usuriers recourent à la violence pour se faire rembourser par leurs débiteurs.

 

[17]           La preuve censément laissée de côté par l’agente, selon les demandeurs, est une simple phrase tirée d’un article du Korea Times, où l’on peut lire que [traduction] « des membres du gouvernement affirment aussi que le gouvernement doit faire davantage pour protéger les gens contre les usuriers ». On est loin ici de la preuve claire et convaincante qui serait nécessaire pour réfuter la présomption d’existence d’une protection de l’État : Carrillo c. Canada, 2008 CAF 94, paragraphe 38. Ainsi que le faisait observer le juge Sexton dans l’arrêt Hinzman c. Canada, 2007 CAF 171, au paragraphe 57, « le demandeur d’asile provenant d’un pays démocratique devra s’acquitter d’un lourd fardeau pour démontrer qu’il n’était pas tenu d’épuiser tous les recours dont il pouvait disposer dans son pays avant de demander l’asile ». Même si l’on admet que le mot « difficultés » a un sens plus étendu que le mot « risque » dans le contexte de l’analyse de motifs d’ordre humanitaire, l’observation de l’agente dans la présente affaire, selon laquelle les demandeurs auraient des recours à leur disposition en cas de besoin, répond elle aussi, à mon avis, à l’argument portant sur l’existence de difficultés au sens large.

 

[18]           Le défendeur fait observer que les demandeurs n’ont apporté aucune preuve montrant qu’ils avaient déjà demandé à l’État une protection et que cette protection leur avait été refusée. Se fondant sur un arrêt de la Cour suprême du Canada, Canada (P.G) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, le défendeur fait valoir que les demandeurs avaient l’obligation de rechercher une protection de l’État en Corée avant de rechercher une protection de remplacement à l’étranger. Je souscris à cet argument.

 

[19]           Pour tous ces motifs, la demande sera rejetée. Aucune question n’a été proposée pour être certifiée.

 

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE :

1.                  La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

2.                  Aucune question n’est certifiée.

.

                                                                                                                « Russel W. Zinn »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Christian Laroche

Juriste-traducteur et traducteur-conseil

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM‑1310‑08

 

 

INTITULÉ :                                       YONG DOO KIM ET AL c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 18 SEPTEMBRE 2008

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE ZINN

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       LE 8 OCTOBRE 2008

 

 

COMPARUTIONS :

 

Marvin Moses                                                                          POUR LES DEMANDEURS

 

Michael Butterfield                                                                    POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Marvin Moses

Avocat

Toronto (Ontario)                                                                     POUR LES DEMANDEURS

 

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada                                           POUR LE DÉFENDEUR

 

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