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Date : 20081008

Dossier : IMM-52-08

Référence : 2008 CF 1138

Ottawa (Ontario), le 8 octobre 2008

En présence de madame la juge Dawson

 

ENTRE :

 

FRANCISCA DURAN LIMA ET GUADALUPE RIOS DURAN

 

 

demanderesses

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]        Mme Duran Lima et sa fille, Mme Rios Duran, sont des citoyennes du Mexique qui habitaient dans le district fédéral de Mexico, et qui ont demandé l’asile en raison des mauvais traitements subis par Mme Duran Lima aux mains de son conjoint de fait. La Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a rejeté leur demande.

 

[2]        Dans ses motifs, la SPR a fait des commentaires selon lesquels Mme Duran Lima avait présenté son seul rapport à la police uniquement en vue d’appuyer sa demande d’asile, et qu’elle avait embelli un aspect de sa demande. Cependant, je suis convaincue que la décision de la SPR de rejeter la demande reposait sur un seul motif : les demanderesses n’avaient pas réfuté la présomption de la protection de l’État.

 

[3]        En ce qui concerne les commentaires de la SPR relatifs à la crédibilité, la Cour a mis en garde la SPR que toute conclusion défavorable quant à la crédibilité doit être exprimée dans des termes clairs et explicites. La SPR ne gagne rien à faire des commentaires gratuits quant à l’embellissement ou à critiquer les motifs de la demande, si elle n’est pas prête à tirer des conclusions relatives à la crédibilité qui sont claires, rationnelles et étayées par la preuve.

 

[4]        Pour ce qui est de la conclusion de la SPR quant à la protection de l’État, les demanderesses soutiennent qu’elle est déraisonnable puisque la SPR n’a pas tenu compte de la preuve documentaire qui contredisait sa conclusion, plus précisément de l’opinion d’expert exprimée par M. Francisco Rico-Martinez.

 

[5]        Pour les motifs qui suivent, je conclus que la SPR n’a pas commis l’erreur reprochée et que sa décision était raisonnable.

 

[6]        La SPR a indiqué avoir tenu compte des documents fournis au nom des demanderesses et elle a explicitement fait mention, dans une note en bas de page, du rapport de M. Rico‑Martinez. La SPR n’a donc pas omis de tenir compte du rapport.

 

[7]        La SPR a par la suite affirmé qu’elle préférait la preuve documentaire citée dans ses motifs aux renseignements fournis par les demanderesses (y compris le rapport de M. Rico‑Martinez) parce que la « preuve documentaire invoquée ici prov[enait] de diverses sources fiables et indépendantes dont aucune n’a[vait] un intérêt direct dans la question de savoir si oui ou non les demandeures d’asile [avaient] qualité de réfugié au sens de la Convention ».

 

[8]        M. Rico-Martinez s’est décrit comme le [traduction] « codirecteur du FCJ Refugee Centre (anciennement connu sous le nom de FCJ Hamilton House Refugee Project : une institution qui vise à répondre aux divers besoins des personnes retirées de leur pays, particulièrement les demandeurs d’asile et les personnes n’ayant aucun statut) ». Il a affirmé qu’il [traduction] « défendait depuis longtemps les victimes de violation des droits de la personne, particulièrement les réfugiés, et qu’il participait bénévolement à des activités organisées pour elles ». Il revient à la SPR d’établir le poids à accorder à la preuve dont elle dispose. Je ne suis pas convaincue qu’il était déraisonnable pour la SPR de préférer la preuve qui contredisait celle présentée par M. Rico-Martinez, compte tenu des motifs qu’elle a fournis.

 

[9]        Le fait que la SPR a expressément mentionné la preuve présentée par les demanderesses, bien que de façon brève et en termes généraux, fait en sorte que la présente affaire peut être distinguée d’avec la décision Castillo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2004] A.C.F. no 43 (C.F.), précédent sur lequel se fondent les demanderesses.

 

[10]      Néanmoins, les demanderesses allèguent que la preuve figurant dans le rapport de M. Rico‑Martinez était si pertinente quant à la question de la protection de l’État et contredisait à un point tel la conclusion tirée par la SPR que cette dernière était tenue de traiter expressément du contenu de ce rapport.

 

[11]      Il est bien établi et reconnu en droit que plus la preuve qui n’est pas mentionnée expressément ou prise en compte par la SPR dans ses motifs est importante, plus solide est l’inférence selon laquelle la SPR a tiré ses conclusions sans tenir compte de tous les éléments de preuve dont elle disposait. Cela est particulièrement vrai lorsque la preuve contredit la conclusion tirée par la SPR. La décision Cepeda‑Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1998), 157 F.T.R. 35 (1re inst.) est un exemple d’application de ce principe.

 

[12]      La question qui se pose alors est de savoir si le rapport de M. Rico‑Martinez possédait une valeur probante telle que la SPR ne pouvait l’écarter au motif qu’elle avait examiné d’autres éléments de preuve provenant de sources plus indépendantes ou objectives.

 

[13]      À mon avis, la SPR pouvait écarter le rapport pour les motifs qui suivent.

 

[14]      Premièrement, je ne peux penser à aucun facteur plus pertinent quant à la valeur probante des renseignements sur la situation dans le pays que la source des renseignements.

 

[15]      Deuxièmement, le rapport était fondé sur des renseignements recueillis en mars 2005. La preuve documentaire sur laquelle s’est fondée la SPR consistait principalement en un exposé préparé par la Direction des recherches de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, daté du mois de février 2007. Ce qui est révélateur, c’est que M. Rico-Martinez a indiqué dans son rapport que l’Institut national des femmes l’avait informé que Mexico n’avait qu’un refuge pour femmes battues. En novembre 2006, ce même institut a avisé la Direction des recherches qu’il existait trois refuges dans le district fédéral, deux qui étaient exploités par des organisations non gouvernementales et un qui était exploité par l’État. Ce serait accorder plus d’importance à la forme qu’au fond que d’exiger de la SPR qu’elle affirme préférer des renseignements plus récents.

 

[16]      Les conclusions quant à la protection de l’État sont contrôlables suivant la norme de la décision raisonnable. Mme Duran Lima n’a déposé qu’un rapport auprès de la police au cours des 20 années environ où elle dit avoir subi de la violence familiale grave. Ce rapport a été déposé après qu’elle ait décidé de venir au Canada; Mme Duran Lima n’a jamais donné suite à ce rapport. Au moment du dépôt du rapport auprès de la police, ou peu de temps après, Mme Duran Lima a reçu de l’aide du CAVI, le Centre d’aide aux victimes de violence familiale, un centre géré par l’État qui relève du bureau du procureur général du district fédéral. La preuve documentaire dont disposait la SPR révélait que le CAVI offre de l’aide psychologique, juridique et médicale, ainsi que de l’assistance sociale, aux victimes de violence familiale. Le CAVI aide aussi les femmes à déposer leurs plaintes auprès du ministère public.

 

[17]      La SPR disposait d’une preuve documentaire, qu’elle a acceptée, établissant que des mesures de protection prévues par la loi étaient en place à Mexico et que des initiatives (y compris le CAVI) avaient été prises en vue de renforcer l’efficacité de ces mesures de protection. La SPR a tiré une conclusion justifiée, transparente et claire selon laquelle les demanderesses n’avaient pas réfuté la présomption de la protection de l’État au moyen d’une preuve claire et convaincante. La décision était donc raisonnable.

 

[18]      Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

 

[19]      Les avocats n’ont proposé aucune question aux fins de certification et le présent dossier n’en soulève aucune.


JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE :

 

1.         La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

 

 

« Eleanor R. Dawson »

Juge

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Isabelle D’Souza, LL.B., M.A.Trad.jur.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-52-08

 

INTITULÉ :                                       FRANCISCA DURAN LIMA ET

GUADALUPE RIOS DURAN

                                                            c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 1ER OCTOBRE 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LA JUGE DAWSON

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       LE 8 OCTOBRE 2008

 

 

COMPARUTIONS :

 

D. Clifford Luyt                                                                        POUR LES DEMANDERESSES

 

Kristina Dragaitis                                                                      POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

D. Clifford Luyt                                                                        POUR LES DEMANDERESSES

Avocat

Toronto (Ontario)

 

John H. Sims, c.r.                                                                     POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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