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Date : 20081008

Dossier : IMM-1554-08

Référence : 2008 CF 1133

Ottawa (Ontario), le 8 octobre 2008

En présence de madame la juge Dawson

 

ENTRE :

 

DOROTHY OGECHI OKOYE

 

 

demanderesse

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]        Dorothy Ogechi Okoye, une citoyenne du Nigeria, est entrée au Canada en janvier 2004 et a déposé une demande d’asile. Après que sa demande a été rejetée, Mme Okoye a présenté au Canada une demande de résidence permanente pour des motifs d’ordre humanitaire. Une agente d’examen des risques avant renvoi (l’agente) a rejeté cette demande parce qu’elle n’était pas convaincue qu’il y avait des motifs d’ordre humanitaire suffisants pour justifier un exercice favorable de son pouvoir discrétionnaire. La présente demande de contrôle judiciaire de la décision en question sera accueillie pour le motif que l’agente a commis une erreur de droit sous deux aspects. Premièrement, l’agente n’a pas apprécié les faits pertinents selon le critère des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives. Deuxièmement, l’agente n’a pas démontré qu’elle avait dûment tenu compte de l’intérêt supérieur de Bianca, la fille de trois ans de Mme Okoye.

 

[2]        L’agente a conclu que Mme Okoye et sa fille n’étaient pas [traduction] « personnellement exposées à des difficultés qui seraient inhabituelles et injustifiées ou excessives » dans le cas où Mme Okoye devrait retourner au Nigeria, et ce, pour les motifs suivants :

 

·        Mme Okoye n’a pas présenté de preuve corroborante pour réfuter la conclusion de la Section de la protection des réfugiés (la SPR) selon laquelle il n’était pas crédible qu’elle ait été forcée de se soumettre à un mariage arrangé. La SPR a pris en compte le fait que Mme Okoye était une femme instruite d’ethnie ibo qui vivait dans un grand centre urbain et la SPR a apprécié sa demande au regard de la preuve documentaire qu’elle a jugée digne de foi.

·        Mme Okoye a signalé de nouveaux risques qui n’avaient pas été examinés par la SPR. Il s’agissait du risque que Bianca soit forcée de subir une mutilation génitale féminine (MGF) et du risque que, selon les coutumes et traditions ibo, la garde de Bianca soit donnée à son père. Comme Mme Okoye est séparée du père de Bianca, elle craint qu’on lui refuse l’accès à Bianca si elle retourne au Nigeria avec sa fille. En ce qui a trait au premier risque invoqué, la preuve ne permettait pas d’établir l’existence d’un risque personnalisé pour Bianca. À titre de mère, Mme Okoye pourrait s’opposer à la demande visant à exercer le droit culturel traditionnel de la MGF.

·        De même, il existait une possibilité de refuge intérieur du fait que Mme Okoye pouvait déménager dans un autre endroit au Nigeria, où les membres de la famille faisant pression pour que Bianca subisse une MGF ne seraient pas en mesure de les trouver.

·        Quant au deuxième risque nouveau, la preuve présentée était insuffisante pour corroborer la prétention selon laquelle le père de Bianca en demandait la garde.

·        La preuve était insuffisante pour établir que Mme Okoye et sa fille seraient exposées à des difficultés qui seraient inhabituelles et injustifiées ou excessives si Mme Okoye retournait au Nigeria.

·        L’agente n’était pas convaincue que Mme Okoye était établie au Canada au point où elle éprouverait des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives si elle devait retourner au Nigeria.

·        Mme Okoye ne rencontrerait pas de difficultés indues, injustifiées ou excessives en refaisant sa vie au Nigeria du fait de son niveau d’instruction, de ses antécédents professionnels au Nigeria et des compétences qu’elle avait acquises au Canada.

 

La norme de contrôle

[3]        Pour les motifs énoncés dans la décision Zambrano c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2008] A.C.F. no 601 (C.F.), au paragraphe 30, la question de savoir si l’agente a appliqué le bon critère pour apprécier la demande pour des motifs d’ordre humanitaire est une question de droit susceptible de contrôle suivant la norme de décision correcte.

 

 

L’agente a‑t‑elle appliqué le mauvais critère lorsqu’elle a apprécié les faits?

[4]        Il est bien établi en droit que, dans le cadre d’une demande comme celle de Mme Okoye, l’agent est tenu d’examiner la question de savoir si l’exigence selon laquelle il faut présenter sa demande de résidence permanente depuis l’étranger entraînerait, pour le demandeur, des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives. Le fait qu’un agent mentionne le critère approprié dans ses motifs n’établit pas de façon concluante qu’il a appliqué le bon critère. Voir, par exemple, la décision Rebaï c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2008] A.C.F. no 43 (C.F.), et la jurisprudence qui y est citée.

 

[5]        En l’espèce, l’agente a bel et bien fait référence au critère approprié à un certain nombre d’occasions. Toutefois, pour les motifs qui suivent, je suis convaincue qu’elle a appliqué le mauvais critère.

 

[6]        Premièrement, à au moins trois occasions, l’agente a examiné la question de savoir si la preuve établissait un [traduction] « risque personnalisé ». L’agente a, à deux reprises, assimilé les difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives au risque personnel.

 

[7]        Deuxièmement, ramenée à l’essentiel, la décision de l’agente dit que la preuve est insuffisante pour établir l’existence d’un risque de mariage forcé ou de perte de la garde. Quant au risque de MGF auquel serait exposée Bianca, sa mère pourrait opposer son refus et également déménager ailleurs au Nigeria.

 

[8]        Dans son analyse, l’agente ne tient aucun compte des difficultés, le cas échéant, qu’entraînerait le fait pour Mme Okoye, une mère seule, de refuser la demande de sa famille pour que leurs traditions soient respectées ou de déménager à un endroit où sa famille ne pourrait pas la trouver. Un examen des conséquences en résultant était nécessaire, en particulier du fait que la documentation sur la situation dans le pays en cause, invoquée par ailleurs par l’agente, signalait qu’au Nigeria, les femmes subissaient une discrimination économique considérable, que les femmes célibataires étaient notamment l’objet de nombreuses formes de discrimination et que, dans l’ensemble, les femmes demeuraient marginalisées.

 

[9]        Avec égards, la conclusion de l’agente selon laquelle il existe une possibilité de refuge intérieur, serait incomplète dans le contexte d’une demande d’asile, parce que l’agente n’a pas précisé son emplacement, ni examiné le caractère raisonnable de l’exigence, pour Mme Okoye, de s’établir à cet endroit. La prise en compte de ces facteurs était également nécessaire dans le cadre de la présente demande pour des motifs d’ordre humanitaire.

 

[10]      En résumé, l’agente a énoncé le critère juridique approprié, mais ne l’a pas appliqué.

 

L’agente a‑t‑elle omis de dûment tenir compte de l’intérêt supérieur de la fille de trois ans de Mme Okoye?

[11]      Le paragraphe 25(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, impose à l’agente l’obligation de prendre en compte l’intérêt supérieur de Bianca. En droit, on détermine l’intérêt supérieur de Bianca en examinant les avantages qu’entraînerait pour elle le fait de ne pas renvoyer sa mère du Canada, de même que les difficultés que rencontrerait Bianca si elle retournait au Nigeria avec sa mère1. Le rôle de l’agente est de déterminer, vu l’ensemble des circonstances, le degré vraisemblable de difficultés qu’engendrerait, pour Bianca, le renvoi de sa mère et de pondérer ce degré de difficultés par rapport aux autres facteurs qui militent en faveur, ou à l’encontre, du renvoi de Mme Okoye. Voir l’arrêt Hawthorne c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2003] 2 C.F. 555 (C.A.), aux paragraphes 4 et 6.

 

[12]      Parallèlement, l’intérêt supérieur d’un enfant n’est pas déterminant à l’égard du statut de son parent. Voir l’arrêt Legault c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] 4 C.F. 358 (C.A.), au paragraphe 12. En outre, il incombe à un demandeur de soulever, et d’étayer par la preuve, toute question précise qui ferait naître des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives. Voir la décision Ahmad c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2008] A.C.F. no 814 (C.F.).

 

[13]      En l’espèce, Mme Okoye a expressément soulevé la question de l’intérêt supérieur de Bianca dans sa demande pour des motifs d’ordre humanitaire et elle a produit une preuve médicale, provenant du pédiatre de Bianca, selon laquelle son état requiert un traitement contre les crises d’asthme aiguës. Cela établit une distinction d’avec la décision Ahmad, précitée, dans laquelle il n’était pas clair que les parents avaient soulevé la question de l’intérêt supérieur de leurs enfants.

 

[14]      Dans ses motifs, l’agente n’a que très peu fait référence à Bianca. Elle a mentionné la lettre du médecin, mais n’a pas fait état, dans la partie de ses motifs relative à l’analyse, des besoins de Bianca sur le plan médical. Dans son analyse, l’agente ne s’est penchée sur le cas de Bianca que pour conclure à l’inexistence d’un risque personnel de MGF et pour énoncer ce qui suit :

[traduction]

 

Bianca n’est âgée que de trois ans. Elle n’a pas encore officiellement commencé à fréquenter l’école. Je ne puis conclure qu’il existe une preuve suffisante pour démontrer que la demanderesse et sa fille sont personnellement exposées à des difficultés qui seraient inhabituelles et injustifiées ou excessives dans le cas où la demanderesse devrait retourner au Nigeria.

 

[15]      L’agente n’aborde pas la question de savoir comment l’intérêt de Bianca sera affecté par le départ de sa mère du Canada, ni celle de savoir quelles seraient les difficultés auxquelles Bianca serait exposée au Nigeria, et elle ne traite pas non plus de l’intérêt supérieur de Bianca. Cette analyse était nécessaire, en particulier du fait que la documentation sur la situation dans le pays en cause, invoquée par ailleurs par l’agente, signalait qu’au Nigeria, les écoles publiques ne sont pas conformes aux normes et que de nombreux enfants n’ont pas accès à l’éducation. Dans de nombreuses parties du pays, les filles sont victimes de discrimination en ce qui a trait à l’accès à l’éducation. Le taux d’alphabétisation des femmes est de 41 p. 100 et seules 17 p. 100 des filles reçoivent une immunisation complète contre les maladies d’enfance.

 

[16]      L’agente n’a donc pas dûment tenu compte de l’intérêt supérieur de Bianca. En faisant son appréciation de cette manière, l’agente a commis une erreur de droit.

 

[17]      Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie. Les avocates n’ont proposé aucune question à certifier et je conviens que le présent dossier n’en soulève pas.

 

1.         En l’espèce, rien ne donne à entendre que Bianca, de nationalité canadienne, demeurerait au Canada.

 

 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que :

 

1.                  La demande de contrôle judiciaire est accueillie et la décision de l’agente, datée du 21 février 2008, est par les présentes annulée.

 

2.                  L’affaire est renvoyée à un autre agent pour nouvelle décision.

 

 

 

 

« Eleanor R. Dawson »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Christian Laroche, LL.B.

Juriste-traducteur et traducteur-conseil

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-1554-08

 

INTITULÉ :                                       DOROTHY OGECHI OKOYE c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 1er OCTOBRE 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LA JUGE DAWSON

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       LE 8 OCTOBRE 2008

 

COMPARUTIONS :

 

Aviva Basman                                                                          POUR LA DEMANDERESSE

 

Ada Mok                                                                                 POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Aviva Basman                                                                          POUR LA DEMANDERESSE

Avocate

Toronto (Ontario)

 

John H. Sims, c.r.                                                                     POUR LE DÉFENDEUR

Sous‑procureur général du Canada

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