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Date : 20081010

Dossier : IMM-647-08

Référence : 2008 CF 1145

Ottawa (Ontario), le 10 octobre 2008

En présence de monsieur le juge Louis S. Tannenbaum

 

 

ENTRE :

PHAKCHIRA PHROMSENA

demanderesse

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Dans la présente affaire, la demanderesse sollicite le contrôle judiciaire de la décision par laquelle la Section de la protection des réfugiés (la SPR) a conclu qu’elle n’avait pas qualité de réfugié au sens de la Convention ni de personne à protéger. Elle a demandé l’asile au motif qu’elle craignait d’être persécutée par son ex-mari et par des gangsters à qui elle doit de l’argent en Thaïlande.

 

[2]               La SPR a souligné que Mme Phromsena ne s’est pas adressée à la police ou qu’elle n’a cherché aucune autre forme de protection après avoir été maltraitée par son ex-mari ou menacée par les gangsters. En se fondant sur les incohérences et les contradictions contenues dans son témoignage, la SPR l’a jugée comme un témoin non crédible. Selon la SPR, c’était toute une coïncidence que son ex-mari soit arrivé au Canada peu de temps après elle, et elle a mis l’accent sur le fait qu’elle n’avait pas communiqué avec les autorités canadiennes pour obtenir de l’aide après que son ex-mari l’eut supposément étranglée dans ce pays.

 

[3]               La SPR a aussi précisé qu’il existait sans doute une possibilité de refuge intérieur (la PRI) pour la demanderesse et qu’il était raisonnable de s’attendre à ce qu’elle s’en prévale avant de s’enfuir dans un autre pays. De plus, elle a indiqué que Mme Phromsena pouvait vendre des terres dont elle était propriétaire en Thaïlande pour rembourser les gangsters qui, selon elle, cherchaient à lui faire du mal en raison de ses dettes impayées, qui découlaient soit de la consommation de drogue de son ex-mari, soit de la mise sur pied d’une entreprise.

 

[4]               La demanderesse conteste la décision de la SPR sur trois points :

a.       En refusant d’ajourner l’audience pour permettre à son nouveau conseil de l’aider, le Tribunal ne lui a pas accordé une audience équitable;

b.      Elle a été privée de son droit à une audience équitable lorsque l’agente de protection des réfugiés a été autorisée en pleine audience à communiquer des documents sur lesquels la décision reposait en partie;

c.       Le Tribunal n’a pas tenu compte de la preuve directement liée à sa demande qui contredisait sa décision.

 

[5]               Le droit à l’assistance d’un avocat et le déroulement de la communication de la preuve sont deux questions d’équité procédurale. Si la procédure ayant mené à la décision de la SPR est jugée inéquitable, la décision doit être cassée à moins que le rejet de la revendication soit inévitable : Cortes Silva c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 738, 265 F.T.R. 297. L’appréciation de la preuve est une question qui relève carrément de la compétence de la SPR et qui appelle une retenue judiciaire. Une décision relative à la preuve sera confirmée sauf si elle est déraisonnable.

 

[6]               La demanderesse avait clairement fait savoir qu’elle souhaitait être représentée par un avocat lorsqu’elle a engagé son premier conseil. Son second conseil, engagé à la suite de la rupture de sa relation avec son premier conseil, avait tenté d’obtenir un ajournement de son audience, et il était même allé jusqu’à dire qu’il serait disponible pour une audience le lendemain de celle prévue. La demanderesse soutient que la SPR a mal exercé son pouvoir discrétionnaire en refusant la demande de son conseil. De plus, elle soutient qu’il était aussi injuste que la SPR n’ait pas enregistré les discussions auxquelles elle avait participé sans avocat, ce qui lui aurait permis de bien comprendre les motifs détaillés de la SPR sur son refus d’avoir accordé l’ajournement demandé.

 

[7]               Le défendeur réplique que le droit d’être représenté par un avocat n’est pas absolu et qu’il n’y a pas eu négation du droit à une audience équitable en l’espèce, puisque les questions n’étaient pas complexes et que la demanderesse a été en mesure de défendre ses propres intérêts et d’expliquer le fondement de sa demande devant la SPR : Mervilus c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1206, 262 F.T.R. 186.

 

[8]               Bien qu’il soit juste, dans certaines circonstances, qu’un demandeur doive être représenté par un avocat pour s’assurer qu’il est statué sur l’affaire en respectant la justice naturelle, l’obligation d’être représenté par un avocat n’est pas absolue. La décision d’ajourner une audience prévue est de nature discrétionnaire, et il faut faire preuve de retenue envers la SPR en ce qui concerne la fixation de ses dates d’audience. La présente affaire n’entre pas dans la catégorie  décrite par le juge Sean J. Harrington au paragraphe 25 de la décision Mervilus. Il importe également de souligner que la transcription de l’audience révèle que la demanderesse avait indiqué dès le départ à la SPR qu’elle préférait poursuivre l’audience en l’absence de son conseil.  Je ne suis pas d’avis que le refus d’ajourner l’audience pour permettre à la demanderesse d’être représentée par un avocat a entraîné un manquement à l’équité procédurale.

 

[9]               Ensuite, la demanderesse soutient qu’elle a été privée de son droit à l’équité procédurale du fait que la SPR se soit fondée sur des documents qui ont été communiqués en pleine audience. Ne pas avoir communiqué la preuve documentaire dans un délai suffisant pour permettre à la demanderesse de présenter une « défense pleine et entière » constitue un manquement à la justice naturelle : Nrecaj c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] 3 C.F. 630, 65 F.T.R. 171.

 

[10]           Le défendeur répond que la SPR ne s’est pas fondée sur les documents communiqués en cours d’audience puisqu’ils n’étaient pas directement liés au dossier de la demanderesse. Un premier document portait sur la criminalisation du viol commis par un conjoint en Thaïlande et un deuxième expliquait les difficultés des médias à avoir accès à l’information des autorités en matière de violence conjugale. Les deux documents ne s’appliquent à la situation de la demanderesse que dans la mesure où ils fournissent un certain contexte sur l’importance qu’accordent les autorités thaïlandaises à la violence conjugale.

 

[11]           Il est clairement établi en droit qu’un demandeur doit pouvoir connaître les éléments de preuve qui seront utilisés au moment de l’examen de sa demande pour être en mesure de fournir des explications. Cela dit, les éléments de preuve qui ne sont qu’accessoirement liés à la demande d’un demandeur et qui n’appelleraient aucune explication ne peuvent, de par leur nature même, être pertinents dans la présentation d’une « défense pleine et entière ». Dans l’affaire qui nous occupe, je ne vois pas pourquoi il aurait fallu que la demanderesse réponde aux deux documents dont elle conteste le moment de communication. La SPR comprend clairement sa demande et la preuve s’y rapportant. En outre, il ressort clairement de la transcription que l’agente de protection des réfugiés s’est assurée que la demanderesse voit, à la conférence préparatoire, toute la preuve documentaire qu’elle entendait présenter. Mme Phromsena connaissait « toute la preuve à laquelle elle devait répondre », et il n’y a pas eu manquement à l’obligation de tenir une audience équitable.

 

[12]           Enfin, la demanderesse soutient que la SPR a commis une erreur en ne tenant pas compte de la preuve documentaire qui décrit l’inefficacité des mesures adoptées par les autorités thaïlandaises pour lutter contre la violence conjugale et qui appuie son argument selon lequel les autorités ne s’engageaient pas dans les affaires de violence conjugale.

 

[13]           Le défendeur répond que la SPR n’est pas tenue de mentionner dans ses motifs chaque élément de preuve produit par un demandeur. Les sérieux doutes exprimés par la SPR à propos de la crédibilité de la demanderesse, combinés à son évaluation de la preuve documentaire, ont entraîné une décision défavorable quant à la demande d’asile de la demanderesse. Le Tribunal pouvait arriver à cette conclusion et n’a pas commis d’erreur.

 

[14]           Il est de droit constant que la SPR est présumée avoir tenu compte de tous les éléments de preuve qui lui ont été présentés en l’absence d’indications contraires importantes : voir, par exemple, Florea c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (C.A.F.), [1993] A.C.F. n598.  Étant donné que le Tribunal a jugé que le récit de la demanderesse n’était pas crédible, on ne peut donc lui reprocher de ne pas avoir pris en compte une preuve documentaire qui n’était pas pertinente quant à un tel récit. Le Tribunal a tenu compte des éléments de preuve pertinents et sa décision n’était pas déraisonnable. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

 

[15]           Aucune question de portée générale n’a été proposée aux fins de certification et aucune ne ressort des présents faits.

 


 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n’est certifiée.

 

 

« Louis S. Tannenbaum »

Juge suppléant

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Caroline Tardif, LL.B., B.A. Trad.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-647-08

 

INTITULÉ :                                       PHAKCHIRA PHROMSENA c. M.C.I.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 2 septembre 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE TANNENBAUM

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 10 octobre 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Daniel Winbaum

 

POUR LA DEMANDERESSE

Michael Butterfield

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Klein, Winbaum & Frank

Avocats

 

POUR LA DEMANDERESSE

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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