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Date : 20081009

Dossier : IMM‑1537‑08

Référence : 2008 CF 1151

Toronto (Ontario), le 9 octobre 2008

En présence de monsieur le juge Campbell

 

ENTRE :

SHAOQIN DONG

 

demanderesse

 

et

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               La présente demande est déposée par une jeune femme qui revendique l’asile en tant que chrétienne, affirmant craindre davantage qu’une simple possibilité de persécution pour le cas où elle serait tenue de retourner en Chine. La crainte subjective et objective de la demanderesse est exposée dans un compte rendu très détaillé de ce qu’elle a vécu en Chine en tant que membre d’une église chrétienne clandestine à l’âge de 15 ans. La Section de la protection des réfugiés (la SPR) a rejeté de la manière suivante la demande de protection, qu’elle a vue essentiellement comme une invention :

Au sommaire, je conclus, selon la prépondérance des probabilités, qu’en raison des nombreuses omissions et incohérences concernant le témoignage de vive voix de la demandeure d’asile et son FRP, elle n’est pas et n’a jamais été membre d’une église chrétienne clandestine en République populaire de Chine. […]

 

(Décision, page 5)

 

 

L’avocat de la demanderesse fait valoir que les « omissions et incohérences » spécifiques invoquées par la SPR pour fonder le rejet de la demande d’asile n’en sont pas, et il ajoute que la conclusion générale de la SPR selon laquelle la demanderesse n’est pas crédible est contraire au droit parce qu’elle n’a exposé aucun motif précis à l’appui de cette conclusion. Je souscris à ces arguments.

 

[2]               La SPR s’exprime ainsi sur la première « omission » constatée :

[…] Dans son témoignage de vive voix, la demandeure d’asile a déclaré que sa meilleure amie, Meijin, lui avait fait connaître l’évangile, tout comme son enseignante. De plus, la demandeure d’asile a déclaré que Meijin fréquentait la même église chrétienne clandestine qu’elle‑même. Lorsqu’on lui a fait remarquer qu’elle avait omis de mentionner que son amie lui avait fait connaître l’évangile sur son FRP (même si sur ce formulaire, elle mentionne que c’est Meijin qui l’a informée que le pasteur avait été arrêté), elle a donné pour explication que, dans un premier temps, elle pensait que c’est son amie qui lui avait fait connaître l’évangile, mais, en chemin, elle s’est rendu compte que c’est son enseignante qui avait été sa guide principale. Je rejette cette explication, étant donné que la demandeure d’asile aurait pu facilement indiquer que son amie lui avait également fait connaître l’évangile.       [Non souligné dans l’original.]

 

(Décision, page 2)

 

 

La portion de la transcription de l’audience tenue devant la SPR qui concerne cet aspect est ainsi rédigée :

[traduction] Oui. À l’origine, lorsque j’ai rempli ma demande d’asile, je pensais que mon amie m’avait elle aussi fait connaître l’évangile, mais, alors que je remplissais la demande, il m’est venu à l’idée que c’est mon enseignante qui m’a guidée au premier chef et m’a fait connaître l’évangile, mon amie n’étant qu’une jeune femme qui apprend en même temps que moi. C’est la raison pour laquelle je n’ai pas mis davantage en relief le rôle de mon amie. [Non souligné dans l’original.]

 

(Dossier du Tribunal, page 316)

 

L’avocat de la demanderesse fait valoir que, en droit, l’explication donnée par sa cliente doit être acceptée sauf si des motifs précis sont donnés qui justifient son rejet. Je souscris à l’argument selon lequel, puisque la SPR n’a pas exposé de motifs précis justifiant le rejet de l’explication, ce rejet constitue une erreur susceptible de contrôle.

 

[3]               La deuxième « omission » constatée par la SPR concerne l’initiation de la demanderesse au christianisme au domicile de son enseignante. Dans son FRP, la demanderesse écrit qu’elle s’est sentie bien accueillie chez son enseignante et que celle‑ci l’a gratifiée [traduction] « d’une bonne tasse de thé et de biscuits ». Cependant, durant son témoignage devant la SPR, la demanderesse n’a pas fait état de la tasse de thé et des biscuits qui lui avaient été servis, affirmant plutôt que, par courtoisie culturelle, elle s’était vu offrir un verre d’eau et fut aussi invitée à partager le dîner. S’agissant de cette « omission », la SPR a voulu savoir pourquoi, dans son témoignage, la demanderesse n’avait pas fait état du thé et des biscuits. La réponse de la demanderesse fut la suivante :

[traduction] La demandeure d’asile : Je n’essaie pas d’éluder un quelconque détail. J’ai cru que les propos échangés durant la visite étaient importants, mais, s’agissant du repas et des biscuits, ces choses‑là n’étaient pas importantes durant la visite. Je suis allée chez elle alors qu’ils s’apprêtaient à déjeuner, et donc, par politesse, ils m’ont priée de partager leur repas parce qu’ils ne voulaient pas que je retourne chez moi l’estomac vide.

 

(Dossier du Tribunal, pages 316‑317).

 

En conséquence de cet échange, la commissaire de la SPR s’exprime ainsi : « Je rejette cette explication, étant donné qu’elle ne constitue pas une réponse à la question posée » (décision, page 3). Encore une fois, je souscris à l’argument de l’avocat de la demanderesse selon lequel la SPR n’a pas exposé de motifs clairs justifiant le rejet de l’explication de la demanderesse, commettant ainsi une erreur susceptible de contrôle.

 

[4]               La troisième « omission » concerne l’affirmation faite par la demanderesse dans son FRP, où elle dit que, lors de sa première visite chez son enseignante, celle‑ci lui avait remis une Bible. La demanderesse a admis qu’elle n’avait pas donné ce détail durant son témoignage au cours de l’audience tenue devant la SPR, et elle a donné l’explication suivante :

[traduction]

Le président de l’audience :

 

[…]

 

Bon, pourquoi n’avez‑vous pas fait état de cette Bible et, si l’on vous a remis une Bible, pourquoi n’en saviez‑vous pas davantage lorsque votre conseil vous a interrogée?

 

La demandeure d’asile : D’abord, je voudrais reconnaître que j’ai négligé de dire que mon enseignante m’avait remis une Bible avant que je quitte son domicile. Deuxièmement, j’admets aussi que, honnêtement, je n’aime guère la lecture. Donc, s’agissant de la Bible qu’elle m’a donnée, je l’utilise essentiellement durant la messe lorsqu’il y a un paragraphe à lire ou à consulter, et c’est alors que j’ouvre la Bible. Pour le reste, je lis rarement la Bible parce que, alors que j’étais en Chine, j’en ai appris très peu sur le christianisme, et la raison de cela, c’est que je n’aime pas lire, et la seule période où j’en ai appris davantage sur le christianisme, c’est après mon arrivée au Canada. Et j’aime aller à l’église et assister à l’école du dimanche, et c’est là que j’en ai appris davantage sur la Bible.

 

(Dossier du Tribunal, pages 317 ‑ 318)

 

S’agissant de cette explication, la SPR a fait le commentaire suivant :

 

[…] Elle a donc admis avoir omis qu’elle avait reçu une bible au cours de sa première visite chez son enseignante, même si elle avait fourni une réponse extrêmement détaillée au sujet de cette première visite et, donc, qu’elle aurait dû déclarer qu’elle avait reçu une bible. [Non souligné dans l’original.]

 

(Décision, page 3)

 

Comme la SPR n’a pas motivé la conclusion que je viens de reproduire, je suis d’avis qu’elle a commis une erreur susceptible de contrôle.

 

[5]               Un constat d’incohérence du témoignage de la demanderesse est également utilisé par la SPR pour tirer une conclusion défavorable globale quant à la crédibilité, conclusion qui est au cœur de la présente procédure de contrôle judiciaire. Durant l’audience tenue devant la SPR, la demanderesse avait dit que son enseignante s’était mise à lui faire des récits de la Bible après qu’elle‑même avait commencé à fréquenter l’église clandestine. Sur ce point, la SPR a fait remarquer à la demanderesse que « dans l’exposé circonstancié de son FRP, il est indiqué que son enseignante lui a parlé du contenu de la Bible avant sa première présence à l’église chrétienne clandestine » (décision, page 4). En réponse à l’apparente contradiction indiquée, la demanderesse, interrogée par la SPR, s’en est expliquée :

Elle s’est ensuite vu demander pourquoi, si elle ne s’était pas donné la peine de lire la bible et qu’elle connaissait les conséquences si elle était interpellée par les autorités chinoises, elle avait pris un tel risque. Elle a déclaré qu’elle croyait en Dieu et qu’elle aspirait à la vie éternelle et qu’elle était paresseuse et qu’elle ne voulait pas lire, mais que son enseignante lui avait rapporté les récits de la Bible.

 

[traduction]

Le président de l’audience : Très bien. Ma question est la suivante : Quand votre enseignante vous en a‑t‑elle dit davantage sur les récits se trouvant dans la bible? Je voudrais une date.

 

La demandeure d’asile : Je ne puis vous dire à quelle date précisément elle m’a rapporté les récits de la Bible, parce que ce n’est pas à une seule occasion, mais à plusieurs occasions, qu’elle m’a rapporté, à moi et à mon amie Meijin, un récit de la Bible. Et un récit dont je me souviens très bien concernait le mouton égaré, le récit du mouton égaré que l’on peut lire dans l’Évangile selon Saint‑Luc.

 

Le président de l’audience : Très bien. Votre enseignante vous a‑t‑elle rapporté les récits de la Bible entre votre première visite chez elle et votre première visite à l’église clandestine?

 

La demandeure d’asile : Je dirais que le récit m’a été fait, à moi et à Meijin, après que j’ai commencé à fréquenter l’église, le dimanche, chez elle, c’est‑à‑dire chez mon enseignante.

 

Le président de l’audience : Très bien. Je viens de lire votre exposé circonstancié, madame. Le paragraphe 6 parle de votre première visite chez votre enseignante. Et au paragraphe 7, on peut lire que, au cours des visites ultérieures, votre enseignante a commencé à vous parler de l’évangile en vous rapportant des récits tirés de la Bible. Puis, au paragraphe suivant, le paragraphe 8, on peut lire qu’un jour de juillet 2005, votre enseignante vous a révélé qu’elle était membre d’une église clandestine et vous a demandé si vous souhaiteriez vous joindre à eux.

 

À la lecture de ces paragraphes, il me semble que votre enseignante vous a parlé des récits de la Bible, du moins pour certains d’entre eux, avant que vous ayez jamais mis les pieds à l’église. Est‑ce exact?

 

La demandeure d’asile : Oui.

 

Le président de l’audience : Très bien. Si tel est le cas, alors, lorsque votre conseil vous a demandé quelle connaissance du christianisme vous aviez acquise entre votre première visite chez votre enseignante et votre première visite à l’église clandestine, pourquoi ne pouviez‑vous pas vous souvenir des récits que votre enseignante vous avait rapportés?

 

La demandeure d’asile : Avant que je ne me rende à l’église pour la première fois, mon enseignante m’avait raconté l’Évangile, et elle m’avait donné la Bible comme lecture. Comme je l’ai dit, puisque je lis rarement la Bible, alors, lorsqu’elle m’a raconté le récit tiré de la Bible, je ne savais pas à ce moment‑là que ces récits venaient de la Bible.

 

Le président de l’audience : D’où pensiez‑vous qu’ils venaient?

 

La demandeure d’asile : Avant que je n’assiste effectivement à l’office, j’avais entendu les récits qu’elle m’avait rapportés. Je ne savais pas que ces récits venaient de la Bible et je les considérais simplement comme des récits. Il ne m’était jamais venu à l’idée de savoir d’où les récits provenaient.

 

Le président de l’audience : Madame, vous dites que vous ne vouliez pas lire la Bible parce que vous n’aimez pas lire. Vous dites que vous n’aviez pas prêté attention à l’origine des récits que l’on vous rapportait. Si tel est le cas, pourquoi vous êtes‑vous même donné la peine d’aller à l’église clandestine? Vous ne semblez pas très intéressée par cette idée, si vous ne cherchiez pas à savoir d’où provenaient les récits, ou si vous ne voulez pas lire la Bible.

 

La demandeure d’asile : J’appellerai à nouveau votre attention sur ce que j’ai dit auparavant, sur ma croyance en Dieu, sur mon aspiration à la vie éternelle et sur le fait que ma croyance en Dieu est l’événement le plus important de ma vie.

(Dossier du Tribunal, pages 319‑321).

 

S’agissant de cette explication, la SPR s’est exprimée ainsi : « Je rejette cette explication, étant donné qu’elle ne répond pas à la question posée » (décision, page 4). Je reconnais avez l’avocat de la demanderesse que non seulement la demanderesse a répondu en détail à la question posée, mais aussi que la SPR, encore une fois, n’a pas exposé de motifs précis au soutien du rejet de l’explication. En conséquence, je suis d’avis que le rejet par la SPR de l’explication donnée par la demanderesse constitue une erreur susceptible de contrôle.

 

[6]               Il est évident que, en rédigeant les motifs susmentionnés, la SPR n’a accordé absolument aucun poids au fait que, à la date des événements, la demanderesse n’était qu’une adolescente et que, à la date de son témoignage, elle était une jeune personne. Au vu du dossier, la profondeur et l’étendue des explications données par la demanderesse auraient dû donner à réfléchir à la SPR avant qu’elle ne tire des conclusions défavorables catégoriques et non étayées quant à la crédibilité de la demanderesse. La commissaire écrit dans sa décision : « j’ai tenu compte des Directives de la présidente sur les enfants qui revendiquent le statut de réfugié », mais l’on ne décèle chez elle aucune bienveillance à l’endroit de cette jeune requérante d’asile.

 

[7]               Je n’ai aucune hésitation à dire que la décision de la Commission est manifestement entachée d’une erreur susceptible de contrôle.

 


ORDONNANCE

 

Par conséquent, j’annule la décision de la Commission et renvoie l’affaire à un autre tribunal de la Commission pour nouvelle décision.

 

            Il n’y a aucune question à certifier.

                                                                                                            « Douglas R. Campbell »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Christian Laroche

Juriste-traducteur et traducteur-conseil


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM‑1537‑08

 

INTITULÉ :                                       SHAOQIN DONG c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 8 OCTOBRE 2008

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE 

ET ORDONNANCE :                       LE JUGE CAMPBELL

 

DATE DES MOTIFS
ET DE L’ORDONNANCE :
             LE 9 OCTOBRE 2008

 

 

COMPARUTIONS :

 

Nkunda I. Kabateraine

 

POUR LA DEMANDERESSE

Janet Chisholm

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Nkunda I. Kabateraine

Avocat

Toronto (Ontario)

 

 

 

POUR LA DEMANDERESSE

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

 

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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