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Date : 20081009

Dossier : IMM-880-08

Référence : 2008 CF 1147

Toronto (Ontario), le 9 octobre 2008

En présence de monsieur le juge Campbell

 

ENTRE :

JULIAN MONDRAGON ESCOBAR

ELSA MARTINEZ ZEPEDA

ERICK MONDRAGON MARTINEZ

ADDITY MONDRAGON MARTINEZ

demandeurs

 

 

et

 

 

 

 

LA MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défenderesse

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               La présente demande vise à contester une décision rendue le 5 février 2008 par laquelle la Section de la protection des réfugiés (la SPR) a rejeté la demande d’asile des demandeurs après avoir tiré une conclusion générale défavorable quant à la crédibilité.

 

[2]                La demande du demandeur est fondée sur une situation de faits détaillés. Agent de police au Mexique pendant 17 ans, et en tant qu’agent chargé de faire enquête sur des affaires de trafic de drogue, le demandeur a participé à la saisie d’une cargaison de cocaïne d’une valeur de 25 millions de dollars. Il a donc témoigné contre un baron de la drogue qui faisait l’objet d’accusations qui ont abouti à une déclaration de culpabilité. À la suite du second procès de ce baron, pendant lequel il a encore une fois témoigné, le demandeur a reçu des menaces au téléphone, il s’est vu refuser une protection par les forces de sécurité, a perdu son emploi, a été enlevé à deux reprises et, au cours du second enlèvement, il a été violemment battu et laissé pour mort; de plus, son épouse a été agressée. Le demandeur a présenté des éléments de preuve à la SPR pour étayer son allégation de crainte selon laquelle la violence qu’il avait subie avait été commise par le baron de la drogue et qu’elle visait à lui faire garder le silence. Le demandeur a allégué, suivant l’article 97, qu’il craignait d’être persécuté s’il devait retourner au Mexique. 

 

[3]               La conclusion générale défavorable tirée par la SPR quant à la crédibilité se trouve dans le passage suivant de la décision contestée :

En avant-midi, pendant l’interrogatoire par la conseil de la ministre, le demandeur d’asile a soutenu n’avoir jamais effectué d’arrestation sans mandat. Son rôle ne consistait qu’à exécuter les mandats lancés par un juge. Par ailleurs, chaque fois qu’il procédait à une arrestation, un représentant des droits de la personne était présent.

 

En après‑midi, en répondant à mes questions, le demandeur d’asile a d’abord affirmé qu’il travaillait toujours avec un mandat d’arrêt. Lorsque je lui ai demandé si, au cours de ses 17 ans au sein de la police, il avait déjà été témoin d’un crime au cours duquel il avait arrêté le coupable, dans le cadre d’une enquête, il a répondu oui

 

Tenu d’expliquer pourquoi, s’il avait procédé à des arrestations après avoir été témoin d’un crime, il n’a pas répondu oui quand je lui ai demandé s’il avait déjà procédé à une arrestation sans un mandat d’arrêt, le demandeur d’asile a répondu qu’il ne comprenait pas.

 

Je n’accepte pas cette explication. La conseil de la ministre et moi‑même avons posé ces questions ou d’autres similaires à de nombreuses reprises. Il est invraisemblable que le demandeur d’asile n’ait compris aucune des questions posées à l’audience.

 

Je suis convaincu que le demandeur d’asile a tenté de dissimuler des éléments de preuve à la conseil de la ministre afin de ne pas se voir refuser la protection du Canada. J’estime donc que cela mine sa crédibilité. [Non souligné dans l’original.]

 

(Dossier du tribunal, page 8)

 

 

[4]               Le conseil du demandeur allègue que les réponses de son client découlent d’une mauvaise compréhension des questions. Sur ce point, pendant l’audience de la SPR, le demandeur a été interrogé par la conseil de la ministre sur la question du caractère inadmissible de sa demande d’asile du fait qu’il appartenait à une organisation qui avait recours à la torture, c’est-à-dire la police mexicaine, et par le commissaire de la SPR sur la question du bien-fondé de sa demande d’asile en soi. Pendant la conduite de cet interrogatoire, le demandeur a donné les réponses suivantes :

Q [Questions posées par la conseil de la ministre] : Lorsque vous procédiez à l’arrestation d’individus, aviez-vous toujours un mandat pour le faire?

R :  Oui.

Q :  Ces séries de documents indiquent à bien des endroits que des arrestations étaient fréquemment effectuées sans mandat. 

Cette observation vous surprend-elle?

R :  Oui, parce que nous travaillions toujours avec des mandats d’arrêt lancés par un juge.

Q :  Avez-vous déjà entendu parler de personnes ayant été arrêtées et détenues sans mandat?

R :  Et bien, peut-être si ces personnes avaient commis un crime

Q :  Mais vous n’aviez jamais entendu parler d’arrestations ou de détentions illégales?

R :  Non.

 

(Dossier du tribunal, pages 1563 et 1564)

 

[…]

 

Q [Questions posées par le commissaire de la SPR] : Lorsque vous étiez agent de police au Mexique, avez-vous déjà procédé à une arrestation sans avoir obtenu le mandat d’un juge?

R :  Non, je travaillais toujours avec des mandats d’arrêt.

Q :  Alors, vous n’avez jamais participé à une enquête où vous avez été témoin d’un crime au cours duquel vous avez arrêté le coupable sur‑le‑champ.

R :  Oui.

Q :  Vous l’avez fait.

R :  Oui.

Q :  Aviez-vous un mandat?

R :  Non, mais cette personne avait commis un crime.

Q :  Bien là, monsieur, pourquoi n’avez-vous pas répondu oui quand je vous ai demandé si vous aviez déjà procédé au Mexique à l’arrestation d’une personne sans avoir obtenu le mandat d’un juge?

Vous me dites maintenant avoir fait des arrestations sans mandat.

R :  Si une personne a commis un crime, c’est ma responsabilité de la mettre en état d’arrestation. 

Q :  Bien sûr.

Alors pourquoi n’avez-vous pas répondu oui à ma première question?

R :  Je lui ai dit. 

Q :  Et bien, je viens de vous demander, monsieur, si avez-vous déjà arrêté une personne sans avoir obtenu le mandat de le faire?

Vous avez répondu « non ».

R :  (inaudible)

Q :  Monsieur, écoutez-moi. 

Cela n’a absolument aucun sens qu’un agent de police de 17 ans d’expérience chargé de mener des enquêtes au Mexique n’ait jamais effectué une arrestation sans mandat. 

Donc, lorsque je vous ai demandé si vous aviez déjà participé à une enquête au cours de laquelle vous avez surpris une personne en train de contrevenir à la loi, et vous avez dit, oui, c’est arrivé, et oui, j’ai arrêté cette personne.

Alors, pourquoi n’avez-vous pas répondu oui à ma première question?

R :  J’ai peut-être mal compris. [Non souligné dans l’original.]

 

(Dossier du tribunal, pages 1571 et 1572)

 

 

[5]               Au vu du présent dossier, il est fort possible que le demandeur ait cru qu’on l’interrogeait sur son rôle d’enquêteur dans des affaires de drogues lorsqu’il a répondu qu’il procédait toujours à des arrestations avec mandat, mais il a facilement témoigné que, durant sa longue carrière en tant qu’agent de police, il avait procédé sans mandat à l’arrestation de personnes qu’il avait surprises à commettre un crime. Au lieu d’accepter la déclaration du demandeur selon laquelle, dans les faits, lui et ses interrogateurs agissaient à contre-courant, la SPR a conclu que cet interrogatoire cité constituait la preuve que le demandeur avait menti. À mon avis, compte tenu de l’état du dossier relatif à la preuve, cette conclusion n’est pas du tout fondée. En effet, la SPR ne fournit aucun motif précis pour justifier sa conclusion d’invraisemblance à l’égard de l’affirmation du demandeur selon laquelle il n’avait pas compris les questions.

 

[6]               Par conséquent, je conclus que la décision contestée renferme une erreur susceptible de contrôle.


ORDONNANCE

 

En conséquence, j’annule la décision faisant l’objet du contrôle et renvoie l’affaire à un tribunal différemment constitué pour qu’il statue à nouveau sur elle.

 

Il n’y a aucune question aux fins de certification.

 

« Douglas R. Campbell »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Caroline Tardif, LL.B., B.A. Trad.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-880-08

 

INTITULÉ :                                       JULIAN MONDRAGON ESCOBAR ELSA MARTINEZ ZEPEDA ERICK MONDRAGON MARTINEZ ADDITY MONDRAGON MARTINEZ

c.

LA MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

           

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 7 OCTOBRE 2008

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       LE JUGE CAMPBELL

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 9 OCTOBRE 2008

 

 

COMPARUTIONS :

 

HART A. KAMINKER

 

POUR LES DEMANDEURS

NED DJORDJEVIC

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

HART A. KAMINKER

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

 

 

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