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Date : 20081010

Dossier : IMM-1459-08

Référence : 2008 CF 1153

Ottawa (Ontario), le 10 octobre 2008

En présence de monsieur le juge Martineau

 

ENTRE :

LIJUAN WANG

demanderesse

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

 

[1]               La présente demande de contrôle judiciaire vise une décision par laquelle Diane L. Tinker, une commissaire de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission), concluait le 5 mars 2008 que la demanderesse n’est pas une réfugiée au sens de la Convention ni une personne à protéger (la décision contestée).

 

[2]               La demanderesse, Lijuan Wang, est citoyenne de la République populaire de Chine. Elle allègue craindre avec raison d’être persécutée par le régime communiste, et en particulier, le Bureau de la sécurité publique (le BSP), du fait de ses opinions politiques comme adepte du Falun Gong. La demanderesse allègue qu’elle a commencé à pratiquer le Falun Gong en août 2005, à la suggestion d’un ami qui s’inquiétait de sa santé après son divorce et après qu’elle eut fait l’objet d’un diagnostic d’angine de poitrine. La demanderesse soutient que le 7 avril 2006, elle a appris que les deux personnes avec lesquelles elle pratiquait avaient été arrêtées alors qu’elles distribuaient des prospectus sur le Falun Gong. Elle est donc allée sur-le-champ se réfugier dans la clandestinité chez un proche. Le 9 avril 2006, alors qu’elle se cachait, elle a appris que le BSP s’était rendu chez elle pour l’arrêter en raison de sa participation à des activités illégales du Falun Gong. La demanderesse a donc pris des dispositions pour sortir clandestinement du pays et elle est arrivée au Canada le 24 juillet 2006. Elle allègue avoir appris que le BSP essayait encore, après son départ, de la retrouver et que les deux personnes avec lesquelles elle avait pratiqué étaient toujours détenues. Elle a donc déposé une demande d’asile quelques jours après son arrivée au Canada. La demanderesse affirme qu’elle pratique le Falun Gong tous les jours depuis son arrivée au Canada. De plus, elle a trouvé un centre de pratique au parc Milliken à Toronto.

 

[3]               Le 5 mars 2008, la Commission a rejeté la demande après avoir jugé la demanderesse non crédible. Elle a statué que la demanderesse n’est pas et n’a jamais été adepte du Falun Gong. Premièrement, elle a conclu que l’omission de la demanderesse d’avoir produit une sommation qui, selon cette dernière, avait été laissée à sa famille en Chine par le Bureau de la sécurité publique, était fatale quant à sa demande, et que les explications qu’elle avaient données pour justifier son omission étaient insatisfaisantes. Deuxièmement, le récit de la demanderesse qui indique qu’elle a quitté la Chine sans traverser aucun point de contrôle de sécurité et qu’elle a pris place à bord d’un vol d’Air Canada sans carte d’embarquement, a été jugé invraisemblable et incompatible avec la preuve documentaire.

 

[4]               Avant l’arrêt de la Cour suprême du Canada dans Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 (l’arrêt Dunsmuir), la Cour avait statué que les conclusions de fait et de crédibilité de la Commission, ainsi que son appréciation de la preuve, relevaient de son expertise particulière et, par conséquent, qu’il convenait d’appliquer une norme de contrôle commandant une très grande déférence, conforme à l’ancienne norme de la décision manifestement déraisonnable (Aguebor c. (Canada) (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. no 732, au paragraphe 4, 160 N.R. 315). Désormais, la norme est celle de la « raisonnabilité », ce qui signifie que la Cour n’interviendra que si la décision contestée est jugée déraisonnable, en ce sens qu’elle n’appartient pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (voir l’arrêt Dunsmuir, au paragraphe 47). Voir aussi Da Mota c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2008] A.C.F. no 509, au paragraphe 14, 2008 CF 386; Diazgranados  c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2008] A.C.F. no 822, au paragraphe 6, 2008 CF 617.

 

[5]               Dans Chen c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 480, [2002] A.C.F. no 647 (QL) (la décision Chen), la Cour a annulé une décision dans laquelle la Commission n’avait pas déterminé en termes clairs si la demanderesse d’asile était ou non membre du Falun Gong depuis son départ de la Chine. Ce faisant, la Cour a déclaré :

[19]     J’ai examiné la décision de la Commission, et j’en viens à la conclusion qu’elle n’a pas déterminé si la demanderesse était membre du Falun Gong. Elle n’a pas cru la demanderesse relativement à la persécution dont elle aurait été victime en Chine, mais elle ne s’est pas prononcée sur son appartenance au groupe. Or, il était nécessaire qu’elle statue sur cette question pour déterminer si la demanderesse était un réfugié au sens de la Convention. La décision n’aborde pas la question des activités du Falun Gong à Toronto. Cet élément de preuve aurait dû être pris en considération (voir Jian Jiang c. M.C.I. 2002 CFPI 64; [2002] A.C.F. no 84 (QL)). En ne tranchant pas cette question, la Commission a commis une erreur susceptible de révision.

 

[…]

 

[21]     En l’espèce, la Commission a conclu qu’elle ne croyait pas que la demanderesse avait personnellement été persécutée, mais cela ne réglait pas la question. La demanderesse peut démontrer que sa crainte repose sur des actes commis ou susceptibles d’être commis contre d’autres membres du groupe auquel elle appartient. Des éléments de preuve au dossier indiquent que des membres du Falun Gong ont été persécutés en Chine. La revendication de la demanderesse pourrait être accueillie en raison de l’appartenance de cette dernière au Falun Gong si la Commission concluait que des membres de ce mouvement sont persécutés ou sont susceptibles de l’être. C’est pourquoi il était si important de déterminer en termes clairs si la revendicatrice était ou non membre du Falun Gong. La Commission n’a pas achevé son analyse au sujet de la persécution de la demanderesse pour appartenance au Falun Gong, puisqu’elle n’a pas déterminé si cette dernière était membre du mouvement. Il s’agit là d’une erreur susceptible de révision.

 

 

[6]               La décision Chen a été récemment appliquée dans Huang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2008] A.C.F. no 164, 2008 CF 132 (la décision Huang) et dans Li c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2008] A.C.F. n338 (QL), 2008 CF 266, (la décision Li). Ces trois décisions, bien qu’elles diffèrent de la présente affaire, sont quelque peu analogues en ce qui a trait à l’allégation de raisonnement abusif et de caractère arbitraire de la décision contestée. En l’espèce, l’essentiel du raisonnement intégral de la Commission de refuser la demande de la demanderesse est exprimé dans le passage suivant : « En résumé, je conclus que la demandeure d’asile n’est pas, pas plus qu’elle n’a jamais été, une adepte du Falun Gong en République populaire de Chine, en raison de sa capacité de quitter le pays sans incident ». Nulle part dans la décision contestée la Commission n’a analysé la preuve relative aux activités liées au Falun Gong de la demanderesse en Chine ou au Canada, mais elle a laissé entendre que « [t]oute connaissance acquise par la demandeure d’asile sur Falun Gong aurait pu facilement l’être ici au Canada, pour fabriquer cette demande d’asile ».

 

[7]               En se fondant sur les décisions Chen, Huang et Li, et après avoir soigneusement examiné le dossier du tribunal, y compris les transcriptions, j’estime que, dans l’ensemble, la conclusion de la Commission est déraisonnable. Le dossier renferme la preuve que des membres du Falun Gong ont été persécutés en Chine. La conclusion de la Commission selon laquelle la demanderesse avait la capacité de quitter la Chine sans incident ne mène pas nécessairement à la conclusion que la demanderesse n’est pas, pas plus qu’elle n’a jamais été, une adepte du Falun Gong en Chine ou au Canada. En effet, malgré le fait que la Commission avait certains doutes sur la crédibilité des moyens de transport précis que la demanderesse avait utilisés pour quitter la Chine, un examen sur les activités liées au Falun Gong exercées par la demanderesse, tant en Chine qu’au Canada, était néanmoins nécessaire compte tenu de la preuve documentaire au dossier et du témoignage élaboré de la demanderesse sur cette question fondamentale de sa demande. L’omission de la Commission d’avoir fait un tel examen constitue une erreur susceptible de contrôle et justifie le réexamen de la demande de la demanderesse.

 

[8]               Par conséquent, la présente demande sera accueillie. La décision contestée est annulée et l’affaire est renvoyée à un autre commissaire pour réexamen. Les avocats conviennent que la présente affaire ne soulève aucune question de portée générale aux fins de certification, et aucune question ne sera énoncée.


ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie. La décision rendue par la Commission le 5 mars 2008 est annulée et l’affaire est renvoyée à un autre commissaire pour réexamen. Aucune question n’est certifiée.

 

« Luc Martineau »

Juge

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Caroline Tardif, LL.B., B.A. Trad.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-1459-08

 

INTITULÉ :                                       LIJUAN WANG c. MCI

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 7 octobre 2008

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       LE JUGE MARTINEAU

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 10 octobre 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Vania Campana

416-924-2227

 

POUR LA DEMANDERESSE

Tessa Anne Kroeker

416-973-3559

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Lewis & Associates

Toronto (Ontario) 

 

POUR LA DEMANDERESSE

John H. Sims

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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