Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

 

 

Date : 20081010

Dossier : IMM‑1248‑08

Référence : 2008 CF 1154

Ottawa (Ontario), le 10 octobre 2008

En présence de monsieur le juge Martineau

 

ENTRE :

KO KO WIN

demandeur

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire d’une décision rendue le 4 février 2008 par G. Wang, un agent d’examen des risques avant renvoi (l’agent d’ERAR), qui a rejeté sa demande d’examen des risques avant renvoi (la demande d’ERAR) au motif qu’il ne serait pas exposé au risque de persécution, au risque d’être soumis à la torture, à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités s’il était renvoyé dans le pays dont il a la nationalité ou dans lequel il réside habituellement, en l’occurrence le Myanmar (la décision contestée).

 

[2]               Accordant au demandeur un sursis d’exécution de la mesure de renvoi prononcée contre lui, le juge Shore a exposé des motifs approfondis (Win c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2008] A.C.F. n° 542, 2008 CF 398). Le demandeur invite aujourd’hui la Cour à suivre le raisonnement du juge Shore et à conclure ainsi :

 

  • l’agent d’ERAR n’a pas fait une bonne analyse de la crédibilité, de la pertinence, de la nouveauté ou du caractère substantiel en ce qui a trait à l’assignation policière décernée contre le demandeur en mai 2005, après l’audition de sa demande d’asile et la décision s’y rapportant;

 

  • l’agent d’ERAR a arbitrairement laissé de côté les preuves nouvelles produites par le demandeur relativement à une demande d’asile sur place, à la suite de la participation du demandeur à des manifestations antigouvernementales qui avaient eu lieu dans le sillage des mesures de répression prises par le gouvernement à l’encontre des moines bouddhistes en septembre et octobre 2007.

 

[3]               Les motifs de contrôle avancés par le demandeur sont tous deux fondés. En effet, les erreurs susmentionnées sont déterminantes et autorisent le juge à annuler la décision contestée et à renvoyer l’affaire pour nouvelle décision. Bien que je ne sois pas lié par les motifs exposés par le juge des requêtes sur la question de savoir si une question sérieuse avait été soulevée, et ayant eu l’avantage de lire le dossier tout entier et d’entendre les arguments complets des parties, je n’ai pas d’hésitation aujourd’hui à souscrire aux observations générales et au raisonnement du juge Shore. Par conséquent, je ferai droit à la présente demande.

[4]               Aux fins de l’alinéa 113a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), telle que cette disposition a été récemment interprétée par la Cour fédérale et la Cour d’appel fédérale, un agent d’ERAR doit se poser plusieurs questions lorsqu’il apprécie des preuves qui sont présentées en tant que preuves « nouvelles ».

 

[5]               Malgré l’idée contraire avancée à l’audience par l’avocat, au reste compétent, du défendeur, il m’est impossible de trouver dans la décision contestée rendue par l’agent d’ERAR une indication précise ou un raisonnement qui m’autoriserait à dire que l’agent d’ERAR a appliqué, ou même considéré, le critère élaboré par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Raza c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2007] A.C.F. n° 1632, 2007 CAF 385 (l’arrêt Raza).

 

[6]               Les questions pertinentes ont été résumées ainsi au paragraphe 13 :

[…]

1.   Crédibilité : Les preuves nouvelles sont‑elles crédibles, compte tenu de leur source et des circonstances dans lesquelles elles sont apparues? Dans la négative, il n’est pas nécessaire de les considérer.

 

2.   Pertinence : Les preuves nouvelles intéressent‑elles la demande d’ERAR, c’est‑à‑dire sont‑elles aptes à prouver ou à réfuter un fait qui intéresse la demande d’asile? Dans la négative, il n’est pas nécessaire de les considérer.

 

3.   Nouveauté : Les preuves sont‑elles nouvelles, c’est‑à‑dire sont‑elles aptes :

 

a)   à prouver la situation ayant cours dans le pays de renvoi, ou un événement ou fait postérieur à l’audition de la demande d’asile?

b)   à établir un fait qui n’était pas connu du demandeur d’asile au moment de l’audition de sa demande d’asile?

c)   à réfuter une conclusion de fait tirée par la SPR (y compris une conclusion touchant la crédibilité)?

 

Dans la négative, il n’est pas nécessaire de les considérer.

 

4.   Caractère substantiel : Les preuves nouvelles sont‑elles substantielles, c’est‑à‑dire la demande d’asile aurait‑elle probablement été accordée si elles avaient été portées à la connaissance de la SPR? Dans la négative, il n’est pas nécessaire de les considérer.

 

5.   Conditions légales explicites :

 

a)   Si les preuves nouvelles sont aptes à établir uniquement un fait qui s’est produit ou des circonstances qui ont existé avant l’audition de la demande d’asile, alors le demandeur a‑t‑il établi que les preuves nouvelles ne lui étaient pas normalement accessibles lors de l’audition de la demande d’asile, ou qu’il ne serait pas raisonnable de s’attendre à ce qu’il les ait présentées lors de l’audition de la demande d’asile? Dans la négative, il n’est pas nécessaire de les considérer.

 

b)   Si les preuves nouvelles sont aptes à établir un fait qui s’est produit ou les circonstances qui ont existé après l’audition de la demande d’asile, alors elles doivent être considérées (sauf si elles sont rejetées parce qu’elles ne sont pas crédibles, pas pertinentes, pas nouvelles ou pas substantielles).

 

[7]               La Cour d’appel fédérale ne prétendait pas que les questions ci‑dessus énumérées devaient être posées dans un ordre donné, ou que l’agent d’ERAR devait dans tous les cas répondre à chacune des questions : « L’important, c’est que l’agent d’ERAR considère toutes les preuves qui lui sont présentées, à moins qu’elles ne soient exclues pour l’un des motifs énoncés […] ci‑dessus » (arrêt Raza, paragraphe 15). En l’espèce, l’agent d’ERAR a péremptoirement jugé que l’assignation datée de mai 2005 (la nouvelle assignation) ne constituait pas une [traduction] « preuve nouvelle » parce que les présumés motifs de la nouvelle assignation avaient déjà été évalués par la Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié.

 

[8]               Cependant, la nouvelle assignation était la preuve d’un fait qui prétendument s’était produit en mai 2005, ce fait étant que la police s’était présentée au domicile du demandeur à Rangoon après que la SPR au Canada avait déjà examiné et rejeté sa demande d’asile. Cette preuve était donc « nouvelle[…], c’est‑à‑dire […] apte[…] à prouver […] un événement ou fait postérieur à l’audition de la demande d’asile [ou] à réfuter une conclusion de fait tirée par la SPR (y compris une conclusion touchant la crédibilité) » (troisième question mentionnée dans l’arrêt Raza). Ainsi, comme on peut le lire dans l’arrêt Raza, « [s]i les preuves nouvelles sont aptes à établir un fait qui s’est produit ou les circonstances qui ont existé après l’audition de la demande d’asile, alors elles doivent être considérées (sauf si elles sont rejetées parce qu’elles ne sont pas crédibles, pas pertinentes, pas nouvelles ou pas substantielles) » (cinquième question, alinéa b), de l’arrêt Raza). Cela dit, il était loisible à l’agent d’ERAR d’accorder à la nouvelle assignation le poids qu’il jugeait légitime; cependant, le fait pour lui de l’avoir totalement laissée de côté parce qu’il ne s’agissait pas d’une « preuve nouvelle » constitue ici une erreur susceptible de contrôle.

 

[9]               Il n’appartient pas à la Cour, dans une demande de contrôle judiciaire, d’apprécier à nouveau la preuve s’il apparaît par ailleurs que l’agent d’ERAR a mal interprété ou n’a pas bien appliqué le critère prévu par l’alinéa 113a) de la Loi. En fait, le juge de première instance ne devrait pas évaluer la preuve contenue dans le dossier pour répondre à des questions pertinentes que l’agent d’ERAR a laissées sans réponse (par exemple celle concernant la crédibilité). En agissant ainsi, il se trouverait en effet à reconsidérer les conclusions de l’agent d’ERAR et à usurper le rôle de cette instance très spécialisée. Par ailleurs, je ne suis pas persuadé qu’il s’agit là d’un cas où le juge de première instance devrait exercer son pouvoir discrétionnaire et s’abstenir d’annuler une décision parce qu’il est probable qu’une nouvelle décision rendue par un autre agent d’ERAR, ou une nouvelle audience tenue devant un autre agent d’ERAR, ne pourrait conduire encore une fois qu’au rejet de la demande d’asile présentée par le demandeur (voir l’arrêt Mobil Oil Canada Ltd. c. Office Canada‑Terre‑Neuve des hydrocarbures extracôtiers, [1994] 1 R.C.S. 202). S’il en est ainsi, c’est parce que je suis également arrivé à la conclusion que l’agent d’ERAR a arbitrairement laissé de côté d’autres preuves nouvelles produites par le demandeur, qui intéressent directement sa demande d’asile sur place.

 

[10]           S’agissant de la demande d’asile sur place présentée par le demandeur, il faut étudier explicitement toute preuve crédible des activités politiques du demandeur au Canada qui sont susceptibles de montrer qu’il est exposé à un risque à son retour au Myanmar, même si la raison d’être de telles activités n’est sans doute pas authentique (Ejtehadian c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2007] A.C.F. n° 214, 2007 CF 158 (QL), paragraphe 11). La norme à employer pour évaluer la preuve se rapportant à une demande d’asile sur place est la norme de la probabilité, ou la norme de la prépondérance de la preuve (et non la norme de la certitude, comme le donne à penser l’agent d’ERAR dans la décision contestée) (Win c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2008] A.C.F. n° 542, paragraphes 2, 29 et 30, 2008 CF 398).

 

[11]           Sur ce point, je relève que l’agent d’ERAR a tenu pour avéré le fait que le demandeur, depuis son arrivée au Canada et après l’audience de la SPR, avait participé à d’importantes manifestations publiques contre le gouvernement du Myanmar (manifestations qui eurent lieu aussi dans de nombreuses villes à travers le monde). Ces manifestations se sont déroulées devant le consulat de la Chine à Toronto. Plusieurs photos du demandeur avaient été prises alors qu’il participait à ces manifestations, et elles ont été produites au soutien de sa demande, mais l’agent d’ERAR écrit néanmoins : [traduction] « Toutefois, ces photos n’ont pas été jugées suffisantes pour prouver que [le demandeur] avait suscité l’attention des autorités du Myanmar et serait soumis à une persécution ou à de mauvais traitements […] » [non souligné dans l’original]. Il s’agit là manifestement d’une erreur susceptible de contrôle.

 

[12]           Il ressort du dossier du tribunal que le gouvernement chinois est un fervent allié du gouvernement du Myanmar. Par conséquent, il est déraisonnable de dire, comme le fait le défendeur dans son exposé du droit, que le demandeur doit prouver que ce sont les représentants du consulat de la Chine qui ont pris des photos ou des vidéos de la manifestation à Toronto et les ont envoyées ensuite au gouvernement du Myanmar. En l’espèce, étant donné la nature publique des protestations du demandeur contre le gouvernement du Myanmar, l’agent d’ERAR aurait dû simplement se demander si sa présence dans telles protestations était susceptible de venir à l’attention des autorités du Myanmar.

 

[13]           Globalement, je suis d’avis que la décision contestée est déraisonnable. Par conséquent, la demande sera accueillie. La décision contestée sera annulée et l’affaire sera renvoyée à un autre agent d’ERAR pour nouvelle décision. Les avocats ont reconnu que la présente affaire ne soulevait aucune question de portée générale.

 

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE : la demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision rendue par l’agent d’ERAR le 4 février 2008 est annulée et l’affaire est renvoyée à un autre agent d’ERAR pour nouvelle décision. Aucune question n’est certifiée.

 

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Christian Laroche

Juriste-traducteur et traducteur-conseil

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM‑1248‑08

 

INTITULÉ :                                       KO KO WIN c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

                                                           

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 7 OCTOBRE 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE MARTINEAU

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 10 OCTOBRE 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Ronald Poulton

416‑953‑9900

 

POUR LE DEMANDEUR

Michael Butterfield

416‑954‑8227

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Ronald Poulton

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims

Sous‑procureur général du Canada

Bureau régional de l’Ontario

POUR LE DÉFENDEUR

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.