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Date : 20080930

Dossier : T-1370-08

Référence : 2008 CF 1098

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 30 septembre 2008

En présence de madame la juge Hansen

 

ENTRE :

GEORGE PRINCE et PAULETTE CAMPIOU

demandeurs

 

 

 

et

 

 

JARET CARDINAL, RONALD WILLIER, RUSSEL WILLIER

et PREMIÈRE NATION DE SUCKER CREEK NO 150A

 

défendeurs

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]        En novembre 2006, les demandeurs ont été élus conseillers de la Première Nation défenderesse selon la coutume électorale régie par le [traduction] Règlement électoral issu de la coutume de la Première Nation de Sucker Creek no 150A (le Règlement) pour un mandat de trois ans.

 

[2]        Les parties sont en ce moment impliquées dans une autre demande de contrôle judiciaire (numéro de dossier T­440-08 à la Cour) visant la décision rendue en février 2008 par la Première Nation défenderesse de suspendre les demandeurs de leurs fonctions de conseiller. En avril 2008, le juge Kelen a accordé aux demandeurs une injonction interlocutoire interdisant aux défendeurs de les suspendre de leurs fonctions de conseiller. La Cour a également ordonné aux défendeurs de réintégrer les demandeurs dans leurs fonctions de conseiller en attendant l’issue de la demande principale de contrôle judiciaire.

 

[3]        Le 21 août 2008, les demandeurs ont reçu une copie d’une résolution du conseil de bande datée du 20 août 2008, dans laquelle on déclare qu’ils ont été destitués de leur poste de conseiller. Ils sollicitent maintenant une injonction interlocutoire interdisant aux défendeurs de tenir une élection partielle afin de les remplacer à titre de conseillers et d’interférer dans l’exercice de leurs fonctions de conseiller en attendant l’issue du contrôle judiciaire dans le cadre de la présente instance. Lors de l’audition de la présente requête, les défendeurs se sont engagés à ne pas tenir d’élection partielle avant que soit connue l’issue du contrôle judiciaire demandé en l’espèce.

 

[4]        En réponse à la requête en injonction, les défendeurs se sont surtout appuyés sur leur assertion qu’il existe un autre recours adéquat. Plus précisément, s’appuyant sur la décision rendue par le juge Gibson dans Willier c. Bande indienne no 150A de Sucker Creek, 2001 CFPI 1325, les défendeurs soutiennent que puisque le Règlement prévoit une procédure d’appel d’une décision de destituer un conseiller, il faut suivre cette procédure plutôt que de demander un contrôle judiciaire à la Cour. Les défendeurs sont d’avis que la présente requête doit être rejetée pour le même motif.

 

[5]        L’article 15 du Règlement aborde la destitution d’un chef ou d’un conseiller et la procédure à suivre pour interjeter appel de cette décision. L’article 15.5 est rédigé comme suit :

[…]

 

[traduction] Si une personne veut faire appel de cette décision, elle doit suivre la procédure applicable aux appels de résultats d’élections.

 

[6]        Il relève du pouvoir discrétionnaire du juge des requêtes d’établir si les demandeurs doivent être tenus d’obtenir réparation en appliquant la procédure d’appel prévue au Règlement plutôt qu’en présentant une demande de contrôle judiciaire à la Cour. Cette question ne peut être tranchée par voie d’une requête en injonction.

 

[7]        Il est bien établi que pour obtenir une injonction interlocutoire, les demandeurs doivent convaincre la Cour qu’une question sérieuse est à juger, qu’ils subiront un préjudice irréparable si la mesure de redressement demandée n’est pas accordée et que la prépondérance des inconvénients favorise l’octroi de l’injonction (RJR-MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 RCS 311).

 

[8]        Conclure à l’existence d’un autre recours adéquat dans le cadre d’un contrôle judiciaire rendrait inutile l’examen des erreurs alléguées concernant la destitution des demandeurs de leur poste de conseiller, alors pour obtenir gain de cause, les demandeurs doivent d’abord convaincre la Cour qu’il y a une question sérieuse à juger relativement à l’existence d’un autre recours adéquat, que les défendeurs font valoir.

 

[9]        Comme il a été mentionné ci-dessus, la détermination d’un autre recours adéquat est discrétionnaire. Dans Canadien Pacifique Ltée c. Bande indienne de Matsqui, [1995] 1 RCS 3, le juge en chef Lamer a souligné qu’un certain nombre de facteurs peuvent être pris en considération pour déterminer si un particulier doit être tenu de se prévaloir d’une procédure d’appel prescrite par la loi plutôt que d’avoir recours au contrôle judiciaire à la Cour. Une liste non exhaustive de facteurs comprend notamment la commodité de l’autre recours, la nature de l’erreur et la nature de la juridiction d’appel (c.-à-d. sa capacité de mener une enquête, de rendre une décision et d’offrir un redressement).

 

[10]      En l’espèce, les erreurs alléguées sont la mauvaise application du Règlement ainsi que des manquements à l’équité procédurale. L’article 12.8 du Règlement établit les ordonnances que le comité d’appel en matière d’élections peut rendre lorsqu’un appel est accueilli. Les réparations que le comité peut accorder se limitent au déclenchement d’une nouvelle élection, d’une élection partielle ou d’un scrutin de ballottage. Le comité n’a pas le pouvoir d’ordonner la réintégration des demandeurs dans leurs fonctions de conseiller. Par conséquent, en vertu du Règlement, même si les demandeurs avaient gain de cause en appel, ils ne pourraient pas être réintégrés dans leurs fonctions et seraient exposés à une nouvelle élection. À mon avis, ceci soulève une question sérieuse quant au caractère adéquat de l’autre recours. En ce qui concerne la décision Willier sur laquelle les défendeurs s’appuient, les faits de cette affaire sont différents. En effet, le litige opposant les parties dans cette autre instance concernait une élection, et non la destitution d’un conseiller, comme c’est le cas en l’espèce.

 

[11]      Étant donné que dans le cadre du contrôle judiciaire, la Cour devra examiner les questions soulevées par les demandeurs quant à leur destitution en cas de rejet de l’argument relatif à l’autre recours adéquat, aux fins de l’injonction, les demandeurs doivent également convaincre la Cour qu’ils ont soulevé une question sérieuse dans la demande principale de contrôle judiciaire. Aux paragraphes 34 et 35 de leur mémoire des faits et du droit, les demandeurs prétendent que les décisions relatives à leur destitution n’ont pas été prises conformément au Règlement et allèguent de nombreux manquements au Règlement. Ils allèguent également des manquements à l’équité procédurale. Comme il a été mentionné ci-dessus, les défendeurs ont surtout fondé leur argumentation sur l’existence d’un autre recours adéquat et n’ont pas expressément abordé chacune des allégations d’erreur. Après examen des dossiers de requête des parties, je conclus que les demandeurs ont soulevé des questions sérieuses dans la demande principale de contrôle judiciaire.

 

[12]      En ce qui a trait au préjudice irréparable et à la prépondérance des inconvénients, les demandeurs présentent les mêmes observations que dans la requête en injonction qu’ils ont présentée au juge Kelen en avril 2008. Les motifs sur lesquels le juge s’est appuyé pour conclure que les demandeurs subiraient un préjudice irréparable et que la prépondérance des inconvénients les favorise sont également applicables à la présente requête.

 

[13]      Il convient également de mentionner que les demandeurs se sont engagés à se conformer à toute ordonnance concernant les dommages-intérêts découlant de la délivrance de l’injonction, comme l’exige le paragraphe 373(2) des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106.

           

[14]      Par conséquent, la requête en injonction des demandeurs est accueillie.

 

 

ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE CE QUI SUIT :

 

1.         La requête en injonction interlocutoire est accueillie et les dépens suivront l’issue de la cause.

 

2.         Les défendeurs devront réintégrer les demandeurs dans leurs fonctions de conseiller avec traitement, rétroactif, et leur donner accès à leurs bureaux.

 

3.         Il est interdit aux défendeurs d’interférer dans l’exercice des fonctions de conseiller des demandeurs en attendant l’issue du contrôle judiciaire dans le cadre de la présente instance.

 

 

« Dolores M. Hansen »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T-1370-08

 

INTITULÉ :                                       GEORGE PRINCE ET AL.

 

                                                            c.

 

JARET CARDINAL ET AL.

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Edmonton

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 11 septembre 2008

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       Le 30 septembre 2008

 

DATE DES MOTIFS :                     

 

 

COMPARUTIONS :

 

Thomas Owen

 

POUR LES DEMANDEURS

Priscilla Kennedy

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Owen Law

Edmonton (Alberta)

 

POUR LES DEMANDEURS

Davis LLP

Edmonton (Alberta)

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

 

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