Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

Date : 20080929

Dossier : T-2256-07

Référence : 2008 CF 1090

Toronto (Ontario), le 29 septembre 2008

En présence de monsieur le protonotaire Kevin R. Aalto

 

ENTRE :

BOUZARJOMEHR BASSIJ

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               LA PRÉSENTE REQUÊTE est introduite par le défendeur pour faire radier dans sa totalité la déclaration modifiée, sans permission de la modifier.

[2]               Le demandeur (M. Bassij) est désormais un citoyen canadien. Il est arrivé au Canada de l’Iran en 1987 et a demandé l’asile. Son acquisition de la citoyenneté n’a pas été facile. Dans la présente instance, M. Bassij réclame des dommages‑intérêts généraux de 1 000 000 $ pour enquête malveillante ou négligente, poursuite malveillante, abus de procédure, violation de ses droits garantis par la Charte, diffamation, violation de ses droits en matière d’emploi et entrave injustifiée à l’exercice de ses droits à l’instruction. Il demande aussi différents montants de dommages‑intérêts spéciaux et punitifs. Sa demande de dommages‑intérêts découle de sa ferme conviction qu’il n’a pas été traité de façon juste ou équitable par les représentants d’Immigration Canada tout au long de la procédure d’immigration. Plus précisément, sa demande s’articule autour d’évènements ayant eu lieu pendant qu’il tentait d’entrer aux États-Unis pour y passer un examen écrit et lorsqu’il a essayé de revenir au Canada en mai 1991. À la suite de ces événements, il a été accusé aux États-Unis d’y être entré illégalement et a été incarcéré pendant neuf jours. Par la suite, sur les conseils de divers avocats, il a plaidé coupable à l’accusation. Il se plaint aussi que les représentants d’Immigration Canada aient perdu son dossier entre juin 1991 et avril 1992, ce qui a provoqué un retard important dans le traitement de sa demande d’asile, et qu’ils n’aient pas agi de façon appropriée quant au parrainage de sa conjointe.

[3]               Dans sa déclaration modifiée, le demandeur raconte aussi en détail d’autres évènements qui ont eu lieu dans les années 1990 et qui, selon lui, ont retardé le traitement de sa demande d’immigration. Ces retards et les démêlés qu’il a eu avec les représentants d’Immigration Canada lui ont causé préjudice, dit-il, car ils ont retardé le moment où il pourrait obtenir un emploi rémunéré comme ingénieur, lui ont fait subir un choc nerveux et sont à l’origine de son insomnie, de son anxiété sévère et de sa crainte d’être persécuté. Il allègue que ces difficultés ont mené à son divorce et au trouble mental dont souffre maintenant sa fille, dont il s’occupe seul.

[4]               Le défendeur invoque trois motifs essentiels à partir desquels il cherche à faire radier la déclaration modifiée. Premièrement, le défendeur invoque les délais de prescription prévus dans la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif, L.R.C. 1985, ch. C-50; deuxièmement, il se fonde sur les principes évoqués dans Grenier c. Canada, 2005 CAF 348, [2006] 2 R.C.F. 287, pour soutenir que le justiciable ne peut intenter d’action délictuelle s’il n’a pas au préalable fait invalider les décisions d’un office fédéral par voie de contrôle judiciaire; troisièmement, il soutient que les représentants d’Immigration Canada n’ont pas, en droit, de devoir de diligence envers M. Bassij.

[5]               Comme il s’agit d’une requête en radiation des allégations faites dans la déclaration modifiée de M. Bassij, ces allégations doivent être considérées véridiques. Dans ses observations orales, M. Bassij a décrit avec passion les circonstances de son arrivée au Canada et les évènements mettant en cause les représentants d’Immigration Canada. Malheureusement, ces événements ont eu lieu il y a longtemps et toute demande liée à ces évènements est désormais frappée de prescription. Même si le temps écoulé n’a pas entraîné la radiation de la présente demande, il y a d’autres obstacles juridiques majeurs à la demande de M. Bassij. En conséquence, pour les motifs suivants, la présente action doit être radiée.

[6]               D’abord, en ce qui concerne le délai prescrit, la jurisprudence établit clairement que, lorsqu’une action est légalement prescrite, elle doit être radiée (voir, par exemple, Elrofaie c. Canada, le 6 octobre 2005, dossier T-2104-04, ordonnance de la protonotaire Martha Milczynski; et Miucci c. Canada, (1991), 52 F.T.R. 216 (1re inst.)).  L’article 32 de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif prévoit que les délais de prescription provinciaux s’appliquent aux poursuites auxquelles l’État est partie pour tout fait générateur survenu dans une province. Par conséquent, le paragraphe 7(1) de la Loi sur l’immunité des personnes exerçant des attributions d’ordre public de l’Ontario, L.R.O. 1990, ch. C‑38, s’applique. Cela signifie qu’un délai de prescription de six mois s’applique aux différentes décisions des représentants d’Immigration Canada concernant le statut de M. Bassij au Canada. M. Bassij fait valoir qu’il souffre encore à ce jour, mais la continuation du préjudice ou du dommage doit se rapporter aux actes qui ont causé le dommage, et non à la continuation du préjudice ou du dommage elle-même (voir Elrofaie, précité, au paragraphe 4). Les actes qui auraient causé le préjudice à M. Bassij ont cessé au plus tard en 1998, lorsque M. Bassij a réussi à obtenir son statut de résident permanent.  Il est certain que ces évènements ont largement dépassé le délai de prescription de six mois.

[7]               Quant à la demande de citoyenneté de M. Bassij, toute cause d’action relative à cette demande s’est prescrite plus de deux ans avant le début de la présente action et, par conséquent, la présente action, dans la mesure où elle porte sur des évènements découlant de la demande de citoyenneté, est aussi frappée de prescription. Un délai de prescription de deux ans s’applique à la demande de citoyenneté conformément à la Loi de 2002 sur la prescription des actions de l’Ontario; ainsi, tout élément de la demande de M. Bassij se rapportant à la demande de citoyenneté est tout aussi frappé de prescription.

[8]               Même si j’ai tort concernant l’application des délais de prescription et qu’il reste un semblant de cause d’action après l’application des délais de prescription, la demande de M. Bassij doit être rejetée parce que les décisions en matière d’immigration n’ont pas été contestées par voie de contrôle judiciaire (le principe établi dans Grenier) et que les représentants d’Immigration Canada n’ont pas, en droit privé, de devoir de diligence envers M. Bassij.  En conséquence, il n’existe aucune cause d’action raisonnable.

[9]               Les décisions rendues en matière d’immigration concernant M. Bassij sont considérées valides et finales, à moins d’être annulées par voie de contrôle judiciaire, par exemple. M. Bassij n’a sollicité le contrôle judiciaire d’aucune des décisions en matière d’immigration, exception faite de la demande de contrôle judiciaire accueillie qu’il a présentée à l’égard de sa demande de citoyenneté en 2004. Les décisions rendues au sujet de M. Bassij concernent le refus de son retour au Canada, le refus de le déclarer membre d’une catégorie désignée, les demandes de parrainage de sa conjointe et les retards concernant le parrainage de sa conjointe en 1993. Le seul contrôle judiciaire sollicité par M. Bassij, qui a été accordé et qui a finalement donné lieu à son acquisition de la citoyenneté canadienne, portait sur le refus de lui accorder la citoyenneté. En effet, M. Bassij veut contester les décisions rendues par les représentants d’Immigration Canada. Par conséquent, il aurait dû faire une demande de contrôle judiciaire. Dans l’arrêt Grenier, précité, la Cour d’appel fédérale a déclaré que le justiciable n'a pas la possibilité d'opter entre une procédure de contrôle judiciaire et une action en dommages-intérêts. Il doit procéder par voie de contrôle judiciaire pour faire invalider la décision. Ce principe a été appliqué dans maintes décisions. Même s’il se sent clairement lésé par les représentants d’Immigration Canada, M. Bassij est tout de même visé par le principe dans l’arrêt Grenier, et la demande doit être radiée pour ce motif également.

[10]           Quant au devoir de diligence, la demande de M. Bassij doit être rejetée pour ce motif également, car les représentants d’Immigration Canada n’ont pas, en droit privé, de devoir de diligence envers M. Bassij. Dans Khalil c. Canada, 2007 CF 923, 160 C.R.R. (2e) 234, la juge Carolyn Layden‑Stevenson a soigneusement analysé le devoir de diligence, en droit privé, dans des circonstances semblables à celles du cas de M. Bassij et a conclu qu’il n’existait aucun devoir de diligence envers les demandeurs. Dans cette affaire, les demandeurs avaient prétendu notamment que la lenteur du traitement de leurs demandes de résidence permanente leur avait causé préjudice. La juge Layden‑Stevenson a estimé qu’il y avait eu un retard excessif et déraisonnable dans le traitement de leurs demandes de résidence permanente, mais elle a conclu que la lenteur à agir des représentants d’Immigration Canada n'était pas en soi une cause d'action qui leur permettait de réclamer des dommages‑intérêts pour le préjudice qui, selon eux, en découlait. M. Bassij est également visé par la conclusion tirée dans l’affaire Khalil selon laquelle il n’y pas de devoir de diligence en droit privé. 

[11]           Le défendeur a soulevé plusieurs autres arguments pour soutenir que la demande de M. Bassij était un abus de procédure et devait être radiée. En raison de mes conclusions sur les trois points mentionnés ci‑dessus, il n’est pas nécessaire d’analyser les autres points soulevés par le défendeur. J’ai tenu compte de tous les arguments invoqués dans les observations écrites du défendeur et je me contenterai de dire qu’ils confirment la conclusion que la présente action doit être radiée. J’ai aussi soigneusement examiné les observations écrites de M. Bassij et j’ai tenu compte de l’affidavit à l’appui de sa position même s’il n’est normalement pas permis de fournir des éléments de preuve dans le cadre de requêtes de ce genre.

[12]           Pour arriver à la conclusion que la présente déclaration modifiée doit être radiée, j’ai tenu compte de toutes les allégations faites dans la déclaration modifiée à la lumière des enseignements de la Cour suprême du Canada dans Hunt c. Carey Canada Inc., [1990] 2 R.C.S. 959. Si l’on applique le critère énoncé dans Hunt c. Carey, il est évident que, même en se fondant sur l’interprétation la plus large de la déclaration modifiée de M. Bassij, l’action est vouée à l’échec. Dans ses observations passionnées, M. Bassij a manifesté son désir de clore ces chapitres de sa vie. Le résultat de la présente requête n’est peut-être pas celui que M. Bassij désirait obtenir, mais, à mon avis, les questions soulevées en l’espèce doivent être réglées définitivement pour les motifs mentionnés ci‑dessus. 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

ORDONNANCE

 

            LA COUR ORDONNE que la déclaration modifiée soit radiée sans permission de la modifier. 

 

« Kevin R. Aalto »

Protonotaire

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

David Aubry, LL.B.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T-2256-07

 

INTITULÉ :                                       BOUZARJOMEHR BASSIJ c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 16 septembre 2008

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       Le protonotaire Aalto

 

 

DATE DES MOTIFS

ET DE L’ORDONNANCE :             Le 29 septembre 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Bouzarjomehr Bassij

POUR SON PROPRE COMPTE

 

Marina Stefanovic

Jennifer Dagsvik

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Bouzarjomehr Bassij

North York (Ontario)

 

POUR SON PROPRE COMPTE

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.