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Date : 20081001

Dossier : T-2221-04

Référence : 2008 CF 1099

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 1er octobre 2008

En présence de l’honorable James K. Hugessen

 

ENTRE :

LA SOCIÉTÉ CANADIENNE DES AUTEURS, COMPOSITEURS ET

ÉDITEURS DE MUSIQUE

demanderesse

et

 

MAPLE LEAF SPORTS &
ENTERTAINMENT LTD.

défenderesse

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

  • [1] Il s’agit d’un appel que la demanderesse a présenté par voie de requête à l’encontre d’une ordonnance de la protonotaire chargée de la gestion de l’instance, qui avait été saisie d’un grand nombre de questions litigieuses relativement aux interrogatoires préalables dans la présente action pour violation de droit d’auteur. Un seul paragraphe de l’ordonnance est en litige. Ledit paragraphe dégage le représentant de la défenderesse de toute obligation de se renseigner plus avant auprès de ses employés actuels et antérieurs au sujet de l’exécution alléguée de certaines œuvres musicales au Centre Air Canada de Toronto.

 

  • [2] La demanderesse, la Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (la « SOCAN »), administre et perçoit les redevances pour l’exécution publique d’œuvres musicales au Canada. Pour simplifier, on pourrait dire que la SOCAN détient un droit d’auteur sur la quasi‑totalité des œuvres musicales protégées qui sont exécutées au Canada.

 

  • [3] Maple Leaf Sports & Entertainment (« MLSE »), la défenderesse, exploite le Centre Air Canada (CAC), un grand établissement sportif qui présente principalement des événements sportifs d’intérieur ((hockey et basketball), mais où des concerts et des spectacles d’autres genres sont assez souvent à l’affiche.

 

  • [4] Dans la présente action, la demanderesse soutient que la défenderesse a, à de très nombreuses reprises au cours des dix dernières années, autorisé ou permis l’exécution sans licence d’œuvres musicales à l’intérieur du CAC. La défenderesse dément cette accusation et exige que la demanderesse fournisse une preuve claire de ce qu’elle avance, y compris la preuve qu’elle détient les droits d’auteur réclamés.

 

  • [5] À l’interrogatoire préalable oral de la représentante de la défenderesse, la demanderesse lui a demandé des détails sur toutes les prestations en litige dans les actes de procédure, y compris le nom des interprètes et le titre des œuvres exécutées. Dans l’unique paragraphe de l’ordonnance portée en appel dans la présente requête, la protonotaire chargée de la gestion de l’instance ordonne ce qui suit :

[traduction
(xi)  MLSE devra répondre à la question suivante dans la mesure prévue dans son engagement et, plus précisément, sa représentante à l’interrogatoire préalable devra fournir, au mieux de sa connaissance, le nom de chacun des interprètes et de chacune des chansons exécutées dans le cadre des concerts en litige. Par souci de clarté, il n’est pas demandé à MLSE d’interroger d’autres employés que sa représentante à l’interrogatoire préalable.

 

 

  • [6] Il est pour le moins inhabituel de constater que l’obligation de répondre à une question manifestement pertinente est restreinte aux connaissances personnelles de la représentante, et que la défenderesse est libérée de toute obligation d’interroger d’autres représentants, agents et employés. La règle 241 est pourtant claire :

241. Sous réserve de l’alinéa 242(1)d), la personne soumise à un interrogatoire préalable, autre que celle interrogée aux termes de la règle 238, se renseigne, avant celui-ci, auprès des dirigeants, fonctionnaires, agents ou employés actuels ou antérieurs de la partie, y compris ceux qui se trouvent à l’extérieur du Canada, dont il est raisonnable de croire qu’ils pourraient détenir des renseignements au sujet de toute question en litige dans l’action.

 

  • [7] La rigueur de cette règle est toutefois tempérée par la règle 242, et plus particulièrement son alinéa 1d) :

242. (1) Une personne peut soulever une objection au sujet de toute question posée lors d’un interrogatoire préalable au motif que, selon le cas :

 

[…]

 

d) il serait trop onéreux de se renseigner auprès d’une personne visée à la règle 241.

 

  • [8] Il semble admis que la protonotaire ait fondé son ordonnance sur cette disposition et sur la preuve selon laquelle la défenderesse aurait eu, au cours de la période de près de dix ans visée par l’action, environ 2 400 employés à temps plein ou à temps partiel au CAC (machinistes, placeurs, agents de sécurité, préposés aux ventes, etc.) qui, en raison de leur travail, auraient pu remarquer qui étaient les interprètes et quelles œuvres musicales ont été exécutées, sans toutefois y être obligés. À première vue, il était parfaitement loisible à la protonotaire d’exercer son pouvoir discrétionnaire pour trancher qu’il aurait été trop onéreux pour la représentante de la défenderesse d’interroger un aussi grand nombre de personnes sur des sujets dont il est raisonnable de croire qu’elles pouvaient avoir au plus un vague souvenir.

 

  • [9] Si cela réglait la question, je pourrais clore mon analyse ici puisque, de toute évidence, la décision attaquée relevait du pouvoir discrétionnaire de la protonotaire, et rien dans ce qui précède ne laisse entendre qu’elle l’aurait exercé incorrectement.

 

  • [10] Cependant, il y a plus : il ressort notamment du contre-interrogatoire portant sur l’affidavit de la représentante de la défenderesse que celle-ci aurait tout mis en œuvre pour entraver les tentatives légitimes de la demanderesse de rassembler des éléments de preuve. Les questions et réponses suivantes sont particulièrement éloquentes à ce sujet :

[traduction]
 2  Q.  La défenderesse fournira-t-elle les

noms et les coordonnées de tous ses employés

qui travaillent lors des concerts, et autorisera-t-elle la SOCAN

à communiquer avec eux pour les interroger au sujet

des prestations en litige?

 

  M. BLOOM : Refus.  R/F

 

  PAR M. GILL :

 

3  Q.  MLSE fournira-t-elle les noms et

les coordonnées de tous ses anciens employés

qui ont travaillé lors de concerts, et autorisera-t-elle la SOCAN

à communiquer avec eux pour les interroger au sujet

des prestations en litige?

 

  R.  Non.  R/F

 

  • [11] Ce refus n’a aucun fondement juridique. La règle 240 est claire sur ce point :

240.  La personne soumise à un interrogatoire préalable répond, au mieux de sa connaissance et de sa croyance, à toute question qui :

 

[…]

 

b) soit concerne le nom ou l’adresse d’une personne, autre qu’un témoin expert, dont il est raisonnable de croire qu’elle a une connaissance d’une question en litige dans l’action.

 

  • [12] La défenderesse ne peut pas gagner sur tous les tableaux. Après qu’elle a fait valoir qu’il serait trop onéreux d’interroger ses employés actuels et antérieurs, elle ne peut refuser de donner leurs noms et coordonnées à la demanderesse afin qu’elle les interroge elle-même. Par ailleurs, si elle refuse de divulguer l’identité et les coordonnées de ses employés, la défenderesse perd son droit de soulever une objection au motif que la collecte des renseignements demandés serait trop onéreuse. Une partie ne peut pas invoquer une difficulté insurmontable si elle a créé elle-même les conditions qui l’ont engendrée. La défenderesse est la seule et unique responsable de la difficulté qu’elle tente maintenant de faire jouer en sa faveur. À mon humble avis, en omettant de tenir compte de ce facteur éminemment pertinent, la protonotaire s’est fondée sur un mauvais principe et l’exercice de son pouvoir discrétionnaire s’en trouve irrémédiablement vicié. Sa décision ne peut être maintenue.

 

  • [13] L’appel sera accueilli avec dépens, et la défenderesse sera sommée de répondre à la question en se fondant sur des renseignements qu’elle cherchera à obtenir auprès des employés actuels et antérieurs du CAC.

 


 

ORDONNANCE

 

LA COUR :

1.  ordonne que le paragraphe 1b)(xi) de l’ordonnance faisant l’objet de l’appel soit annulé et remplacé par ce qui suit :

[traduction
(xi)  MLSE devra répondre à la question suivante dans la mesure prévue dans son engagement et, plus précisément, sa représentante à l’interrogatoire préalable devra fournir le nom des interprètes qui se sont produits lors des concerts en litige, lorsque cette information peut être obtenue en se renseignant diligemment auprès de tous les employés actuels et antérieurs de MLSE dont il est raisonnable de croire qu’ils pourraient détenir ces renseignements.

 

2.  La demanderesse aura droit à ses dépens.

 

 

 

« James K. Hugessen »

Juge suppléant

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :  T-2221-04

 

INTITULÉ :  SOCIÉTÉ CANADIENNE DES AUTEURS, COMPOSITEURS ET
ÉDITEURS DE MUSIQUE DU CANADA c. MAPLE
LEAF SPORTS & ENTERTAINMENT LTD.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :  OTTAWA (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :   LE 26 SEPTEMBRE 2008

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :  JUGE SUPPLÉANT HUGESSEN

 

DATE DES MOTIFS :  LE 1ER OCTOBRE 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

A. Kelly Gill

 

POUR LA DEMANDERESSE

Glen A. Bloom

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Gowling Lafleur Henderson S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Osler, Hoskin & Harcourt S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Ottawa (Ontario)

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

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