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Date : 20081003

Dossier : IMM-445-08

Référence : 2008 CF 1109

Ottawa (Ontario), le 3 octobre 2008

En présence de monsieur le juge Zinn

 

 

ENTRE :

GIN LIN PUR

demanderesse

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

défendeurs

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               À l’instar de Saul sur le chemin de Damas, Gin Lin Pur (la demanderesse) a vu la lumière et a reconnu que l’ancien récit de ses activités en Chine n’était que pure fiction. Le ministre a-t-il raison de dire qu’elle a fait cet aveu trop tard?

 

CONTEXTE

[2]               La demanderesse est une citoyenne chinoise âgée de 44 ans. Elle est entrée au Canada en 1999 et y a demandé l’asile peu de temps après. Sa demande d’asile reposait sur la persécution fondée sur les croyances religieuses qu’elle aurait subie en raison de son appartenance à une église clandestine, de même que sur son opposition à la politique chinoise de l’enfant unique. Sa demande d’asile a été rejetée parce qu’elle était exclue de la protection de la Convention en raison du rôle qu’elle a joué dans l’application de la politique de l’enfant unique. La demanderesse vit néanmoins sans statut au Canada depuis les 8 dernières années et demie. Elle a épousé Raymond Ho, un résident permanent du Canada, en décembre 2007.

 

[3]               En juin 2003, la demanderesse a demandé au Canada la résidence permanente pour des motifs d’ordre humanitaire (la demande CH), et cette demande a été mise à jour en septembre 2007 par son ancien avocat. La lettre de présentation de la mise à jour souligne que la demanderesse occupe un emploi rémunérateur et fréquente l’église. La lettre réitère qu’elle risque d’être persécutée pour les motifs invoqués dans sa demande d’asile rejetée en cas de renvoi en Chine.

 

[4]               L’agent d’ERAR affecté au dossier a tracé, en date du 10 décembre 2007, un historique détaillé de celui-ci, dans lequel il expose le degré d’établissement de la demanderesse au Canada et le risque qu’elle courrait en Chine. L’agent d’ERAR a reconnu que la demanderesse s’était établie au Canada, mais seulement dans la mesure à laquelle on s’attendrait en temps normal, et que le bouleversement de ses rapports professionnels et de ses liens avec les membres de sa collectivité au Canada causé par son retour en Chine ne saurait être considéré en soi comme équivalant à des difficultés inhabituelles ou excessives.

 

[5]               Quant aux risques auxquels serait exposée la demanderesse en Chine, l’agent d’ERAR a passé en revue les documents qu’elle avait présentés relativement à l’examen des risques avant renvoi intéressant la persécution fondée sur les croyances religieuses (car elle n’avait rien produit à ce sujet dans le cadre de la demande CH elle-même), ainsi que des rapports internes. L’agent d’ERAR a fait remarquer que les rapports font état d’écarts considérables au chapitre de la liberté religieuse dans différentes régions de la Chine et de l’absence d’actes de persécution ou de répression dans la province natale de la demanderesse, le Guangdong. Ces rapports contiennent aussi des renseignements indiquant que c’est surtout le clergé des églises clandestines, et non les laïques, qui courent un risque. L’agent d’ERAR a donc jugé que la demanderesse ne risquerait probablement pas d’être détenue ou incarcérée si elle était expulsée en Chine.

 

[6]               En ce qui concerne l’allégation que la demanderesse serait exposée à un risque étant donné son refus de participer à la mise en œuvre de la politique de l’enfant unique, l’agent d’ERAR a lu un document de 1996 d’Amnesty International (Chine : Les femmes en première ligne), ainsi que des éléments de preuve plus récents. Il a conclu qu’à l’heure actuelle, les fonctionnaires qui n’appliquent pas strictement la politique de l’enfant unique sont passibles de sanctions administratives et de mesures disciplinaires, mais que les autorités ne les prennent pas pour cible à proprement parler.

 

[7]               Selon l’agent d’ERAR, la demanderesse ne se trouve pas dans une situation telle que l’on peut considérer inhabituelles, injustifiées ou excessives les difficultés qu’elle éprouverait du fait d’avoir à demander la résidence permanente de l’extérieur du Canada. Il a donc refusé d’accorder à la demanderesse une exemption lui permettant de présenter une demande au Canada. La lettre de décision est datée du 10 décembre 2007.

 

[8]               La demanderesse a été avisée que l’on avait statué sur sa demande de protection dans une lettre en date du 24 décembre 2007, et elle a reçu pour instruction de se présenter le 14 janvier suivant au Centre d’exécution de la loi du Toronto métropolitain pour recevoir la décision.

 

[9]               Le 8 janvier 2008, la demanderesse a déposé des observations additionnelles par l’entremise d’un nouvel avocat, qui prétendait que les anciennes observations étaient entachées d’[traduction] « erreurs graves et nombreuses » et demandait qu’elles ne soient pas prises en compte. Dans ses nouvelles observations, la demanderesse renie l’ancien récit et dit que le compte rendu du rôle qu’elle a joué dans l’application de la politique chinoise de l’enfant unique était fabriqué de toute pièce. Cet aspect de son récit aurait été inventé par un consultant en immigration. En fin de compte, le récit a nui à la demanderesse, cette dernière ayant été exclue sur le fondement de celui-ci.

 

[10]           Une autre lettre sollicitant la réouverture de la demande CH de la demanderesse a été envoyée par son avocat le 24 janvier 2008.

 

QUESTIONS EN LITIGE

[11]           La demanderesse soulève trois questions :

a)      L’agent d’ERAR a-t-il manqué à son obligation d’équité en ne tenant pas compte des renseignements contenus dans les observations du 8 janvier 2008?

b)      L’agent d’ERAR a-t-il omis de procéder à un examen adéquat des difficultés?

c)      L’agent d’ERAR a-t-il fait abstraction de la preuve, en ce sens que la documentation consultée ne permet pas de conclure que seul le clergé risque d’être persécuté pour des raisons de pratique religieuse?

 

ANALYSE

L’agent d’ERAR a-t-il commis une erreur en ne tenant pas compte des observations du 8 janvier 2008?

[12]           La demanderesse a reçu une [traduction] « lettre de convocation » le 24 décembre 2007. La lettre – une lettre type – renferme le passage suivant : [traduction] « Je vous avise qu’une décision a été prise concernant votre demande de protection adressée au ministre […] Pour recevoir cette décision, vous devez vous présenter en personne à l’endroit indiqué ci-dessous […] ». À ce moment-là, la demanderesse avait deux demandes en instance : une demande CH et une demande d’ERAR.

 

[13]           Les deux parties se fondent sur la décision Chudal c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1073. Dans cette affaire, le demandeur avait rempli et présenté sa demande d’ERAR. Il avait produit d’autres documents en août, septembre ainsi que le 8 octobre 2004. Sept jours plus tard, le demandeur a reçu par télécopieur un avis disant que sa demande avait été refusée le 23 septembre 2004 et que les documents envoyés le 8 octobre 2004 n’avaient pas été pris en considération. Le demandeur n’a reçu les motifs du refus que le 10 novembre 2004. La Cour a annulé la décision portant sur la demande d’ERAR parce que l’agent d’ERAR avait porté atteinte à l’équité procédurale en omettant de recevoir et de prendre en compte les observations supplémentaires. Selon le juge Hughes, la décision n’a été prise qu’au moment où elle a été écrite et signée et où l’avis de la décision, même en l’absence du contenu de celle-ci, a été délivré au demandeur. Par conséquent, la décision a été prise le 15 octobre 2004, soit la date à laquelle son existence a été communiquée au demandeur par télécopieur.

 

[14]           Le défendeur fait valoir qu’en l’espèce, un avis a été donné à la demanderesse sous la forme d’une lettre en date du 24 décembre 2007, et que la demanderesse aurait reçu cet avis avant le 8 janvier 2008. Il est soutenu que l’agent d’ERAR s’est dessaisi de l’affaire à ce stade et qu’il ne pouvait pas tenir compte de la preuve transmise sous pli ce jour-là.

 

[15]           Selon la demanderesse, le défendeur a peut-être raison d’affirmer cela en ce qui concerne la demande CH, mais pas dans le cas de la demande d’ERAR. La demanderesse accorde beaucoup d’importance au libellé de la lettre de convocation, tout particulièrement la mention qui y est faite de la décision sur la [traduction] « demande de protection » (« application for protection » étant l’expression anglaise employée dans la lettre) et l’utilisation du mot [traduction] « décision » (« decision » dans la lettre) au singulier.

 

[16]           Contrairement au demandeur dans l’affaire Chudal, la demanderesse a reçu un avis indiquant qu’une décision avait été prise bien avant qu’elle ne se rétracte sur bon nombre des faits importants en janvier par l’intermédiaire de son nouvel avocat. À mon avis, il n’y a pas lieu de donner à la lettre de convocation l’interprétation stricte que préconise l’avocat de la demanderesse. En l’espèce, la demanderesse savait que le même agent examinait à la fois les demandes CH et d’ERAR. Les deux décisions portent la même date, soit le 24 décembre. Comme l’a fait remarquer le juge Hughes, « [s]’agissant de la décision d’un agent d’[ERAR], la procédure est moins formelle que celle de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié ». La Cour a accordé à l’agent d’ERAR une certaine latitude en statuant qu’une décision n’est prise qu’au moment où elle est écrite, signée et qu’avis en est donné au demandeur, et j’estime que l’agent d’ERAR a également droit à une certaine latitude quant au libellé de l’avis. À mon avis, la lettre datée du 24 décembre 2007 donnait à la demanderesse avis des décisions sur les demandes CH et d’ERAR, et l’agent d’ERAR n’avait pas à examiner les observations déposées en janvier 2008 dans lesquelles la demanderesse rétracte le récit qu’elle faisait depuis un bon nombre d’années.

 

L’agent d’ERAR a-t-il omis de procéder à un examen adéquat des difficultés?

[17]           La demanderesse soutient que l’agent d’ERAR n’a pas fait un examen adéquat des difficultés; il aurait appliqué les « normes en matière d’ERAR aux considérations d’ordre humanitaire » en mettant l’accent sur le risque de persécution plutôt que sur les difficultés dans un sens plus large. Au dire de la demanderesse, en agissant de la sorte, l’agent d’ERAR est allé à l’encontre de la position exprimée dans Pinter c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 296, selon laquelle l’examen des risques dans une demande CH n’aura pas nécessairement la même portée que celle d’un ERAR.

 

[18]           Je ne saurais accepter cet argument. Premièrement, l’agent d’ERAR affirme : [traduction] « Dans cette demande, j’examine le risque allégué par la demanderesse dans le contexte plus général de l’importance des difficultés ». Plus important encore, la décision prise dans son ensemble indique que l’agent d’ERAR a bel et bien examiné le contexte plus général. Enfin, les faits de l’espèce diffèrent considérablement de ceux de l’affaire Pinter, où l’agente d’immigration avait affirmé qu’elle n’avait pas à étudier les facteurs de risques, ceux-ci ayant été analysés par l’agent d’ERAR; il ne faisait donc aucun doute que le même critère avait été appliqué aux deux demandes.

 

L’agent d’ERAR a-t-il fait abstraction de la preuve?

[19]           La demanderesse soutient principalement que l’agent d’ERAR a commis une erreur en disant que la portée de la liberté de religion varie en Chine et que les rapports [traduction] « ne révèlent pas que des sévices fondés sur des motifs religieux ont été infligés au Guangdong (plus précisément à Zengcheng), la province natale de la demanderesse […] ». La demanderesse souligne l’extrait d’une des centaines de pages sur les conditions dans le pays où l’on parle de deux prêtres non inscrits qui ont été détenus à Shenzhen à leur retour d’Europe. La demanderesse signale que cet incident s’est produit dans sa province d’origine et elle fait donc valoir que l’agent d’ERAR a eu tort d’affirmer qu’aucuns sévices fondés sur des motifs religieux n’avaient été commis dans la région. Le rapport auquel fait référence la demanderesse révèle ensuite que ces prêtres auraient été détenus puis incarcérés respectivement pendant 9 et 11 mois pour avoir falsifié des titres de voyage en vue de se rendre à Rome. À mon avis, l’emprisonnement pour falsification de titres de voyage ne constitue pas de la persécution fondée sur les croyances religieuses. De plus, même s’il s’agissait d’une persécution de ce genre, les personnes concernées étaient des chefs religieux, et non pas de simples croyants comme la demanderesse. J’estime que l’observation de la demanderesse, même justifiée, n’aurait pas donné lieu à une décision différente et qu’elle n’est pas un fondement suffisant pour conclure que la décision à l’étude est déraisonnable.

 

[20]           Pour tous ces motifs, la présente demande est rejetée.

 

[21]           On a proposé de certifier la question de savoir si l’avis à la demanderesse suffisait pour lui notifier la décision sur les demandes CH et d’ERAR. À mon avis, il ne s’agit pas d’une question de portée générale. Aucune question ne sera certifiée.


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que :

1.         La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.         Aucune question n’est certifiée.

 

 

                                                                                                                « Russel W. Zinn »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

David Aubry, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-445-08

 

INTITULÉ :                                       GIN LIN PUR c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION et al.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 3 septembre 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              Le juge Zinn

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       Le 3 octobre 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Barbara Jackman

POUR LA DEMANDERESSE

 

Modupe Oluyomi

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Barbara Jackman

Jackman and Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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