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Date : 20081003

Dossier : IMM‑4608‑07

Référence : 2008 CF 1110

Ottawa (Ontario), le 3 octobre 2008

En présence de monsieur le juge Zinn

 

 

ENTRE :

MAYA DEVI

demanderesse

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Maya Devi est une ressortissante indienne âgée de 80 ans. Elle a revendiqué l’asile en affirmant qu’elle craignait avec raison d’être persécutée par Sadhu Singh, qui habite son village en Inde, et cela, en raison de son appartenance à un groupe social.

 

[2]               Le mari de la demanderesse est décédé en décembre 2002. La demanderesse a alors entrepris de s’occuper de la terre familiale qui avait été donnée à bail à Sadhu Singh. Après le décès du mari de la demanderesse, M. Singh a cessé de payer le loyer du terrain et la demanderesse s’est alors rendu chez lui avec le contrat de bail pour percevoir le loyer. Elle dit que M. Singh a déchiré le contrat. Elle s’est alors rendue au poste de police, mais la police n’a rien fait pour elle; ses fils non plus, prétendument parce qu’ils avaient peur. Des pierres furent jetées sur sa maison et elle a reçu des appels téléphoniques chargés de menaces. Elle a quitté l’Inde, pour arriver au Canada à la faveur d’un visa de visiteur le 10 septembre 2003, pour vivre avec son fils. Elle a présenté sa demande d’asile le 21 avril 2006.

 

[3]               Rejetant sa demande, la commissaire a estimé qu’il n’y avait aucun lien entre la persécution que la demanderesse disait avoir subie en Inde et les motifs prévus par la Convention, car la persécution dont elle était l’objet n’était pas fondée sur son sexe, mais plutôt sur le fait qu’elle ne voulait pas renoncer à sa terre ni s’adresser aux tribunaux. La commissaire a jugé aussi que la demanderesse n’était pas crédible en raison de l’invraisemblance de son récit : elle disait que sa famille en Inde n’allait pas lui venir en aide dans ce différend, qu’elle n’avait fait aucune démarche pour récupérer cette terre dont elle était convaincue que c’était une terre ancestrale, et enfin que M. Singh n’avait pas causé d’ennuis aux héritiers putatifs de la demanderesse. Finalement, la commissaire a estimé que la demanderesse n’avait pas réfuté la présomption d’existence d’une protection de l’État ni montré qu’il serait indûment difficile pour elle de trouver une possibilité de refuge intérieur en allant vivre auprès de l’un de ses fils en Inde. Elle a relevé que Maya Devi était arrivée au Canada grâce à un visa de visiteur, qui avait expiré bien longtemps avant qu’elle ne sollicite l’asile, et la SPR a donc conclu que sa demande d’asile était motivée par le désir de vivre au Canada avec son fils, plutôt que par une véritable crainte de retourner en Inde.

 

LES QUESTIONS EN LITIGE

[4]               Dans son exposé écrit et dans ses observations orales, la demanderesse a soulevé les questions suivantes :

a)         La Section de la protection des réfugiés a‑t‑elle commis une erreur dans la manière dont elle a conduit l’audience?

b)        La Section de la protection des réfugiés a‑t‑elle commis une erreur dans ses conclusions touchant la crédibilité de la demanderesse?

c)         La Section de la protection des réfugiés a‑t‑elle commis une erreur dans ses conclusions relatives à la protection offerte par l’État?

d)        La Section de la protection des réfugiés a‑t‑elle commis une erreur dans ses conclusions touchant l’existence d’une possibilité de refuge intérieur?

e)         La Section de la protection des réfugiés a‑t‑elle commis une erreur en concluant à une absence de crainte subjective compte tenu des antécédents de la demanderesse en matière d’immigration?

f)          La Section de la protection des réfugiés a‑t‑elle été de parti pris?

 

ANALYSE

La Section de la protection des réfugiés a‑t‑elle commis une erreur dans la manière dont elle a conduit l’audience?

 

[5]               La demanderesse était représentée à l’audience par un technicien juridique se spécialisant en droit de l’immigration. La santé de la demanderesse avait été problématique et les audiences antérieures avaient été reportées pour répondre à ses besoins. Elle n’était pas suffisamment bien pour se présenter à l’audience du 2 août 2007, et son fils, Devraj Dhoot, s’y est présenté en tant que son représentant désigné, et lui seul a témoigné.

 

[6]               La demanderesse soutient que la SPR ne s’est pas acquittée de son obligation de veiller à ce qu’elle ait une occasion équitable et raisonnable de lui exposer ses arguments, et elle dit que la SPR ne l’a pas appelée pour la faire témoigner ou pour la contre‑interroger. On a fait valoir qu’il aurait été possible de la joindre par téléphone et que la Commission aurait dû communiquer avec elle au cours de l’audience si elle avait des doutes à propos de son récit.

 

[7]               Selon le dossier certifié du Tribunal, le représentant de la demanderesse a proposé, par lettre datée du 31 juillet 2007, que le fils de la demanderesse se présente à l’audience au nom de sa mère. La lettre mentionnait que le fils [traduction] « est au courant des circonstances entourant la demande d’asile de sa mère et qu’il est pleinement disposé à répondre à toutes les questions concernant la demande d’asile de sa mère » [non souligné dans l’original]. Par lettre datée du 1er août 2007, la demanderesse a remis à la SPR un document dans lequel elle consentait à ce que son fils la représente à l’audience.

 

[8]               Au début de l’audience, la commissaire a exposé avec soin les responsabilités d’un représentant désigné, avant de désigner le fils comme représentant de la demanderesse. En bref, la SPR a tout fait pour s’assurer que les intérêts de la demanderesse étaient protégés et que la demanderesse était représentée adéquatement à l’audience.

 

[9]               La transcription de la procédure suivie devant la SPR ne renferme rien qui atteste que la SPR fut jamais informée que la demanderesse était accessible par téléphone, au besoin. Aspect plus important, ni son représentant ni son représentant désigné n’ont jamais dit à la commissaire qu’il serait nécessaire de l’interroger par téléphone. Il n’y avait rien d’inopportun ou de contraire au droit dans la manière dont la SPR a mené l’audience. Par ailleurs, la demanderesse ayant proposé au départ cette manière de conduire la procédure, elle est malvenue aujourd’hui d’y trouver à redire.

 

La Section de la protection des réfugiés a‑t‑elle commis une erreur dans ses conclusions touchant la crédibilité de la demanderesse?

 

[10]           L’examen de la transcription des témoignages, ainsi que des motifs de la SPR, me convainc que les conclusions défavorables quant à la crédibilité étaient raisonnables. La commissaire a estimé que, sous plusieurs aspects, la preuve n’était pas vraisemblable, notamment celle selon laquelle la famille de la demanderesse en Inde n’était pas disposée à lui apporter une aide, que ce soit dans les difficultés immédiates qu’elle connaissait avec M. Singh, dans la conduite de ses affaires ou encore en l’invitant à venir vivre auprès d’eux, compte tenu des traditions indiennes en vertu desquelles les familles s’occupent de leurs mères; celle selon laquelle M. Singh n’avait dans sa ligne de mire que la demanderesse, une femme âgée, et non les héritiers de celle‑ci; enfin celle selon laquelle ni la demanderesse ni sa famille n’avaient cherché à exercer des recours judiciaires pour récupérer sa terre, qui était si importante pour elle. À mon avis, la commissaire était fondée à tirer de telles conclusions, compte tenu du dossier qu’elle avait devant elle.

 

La Section de la protection des réfugiés a‑t‑elle commis une erreur dans ses conclusions relatives à la protection offerte par l’État?

 

[11]           La SPR a considéré la question de la protection offerte par l’État. Il ressort clairement du FRP, ainsi que des témoignages produits à l’audience, que la demanderesse s’était adressée à la police locale à une occasion pour déposer une plainte contre M. Singh. Selon son témoignage, la police locale a refusé d’enregistrer sa plainte. Dans sa décision, la commissaire écrit, à tort, que « [l]a demandeure d’asile ne s’est jamais adressée à la police ou aux tribunaux pour régler son problème ». Ce qui est clair, au vu du dossier, c’est que la demanderesse n’a jamais engagé une procédure judiciaire contre M. Singh.

 

[12]           La commissaire s’est fourvoyée quand, résumant la preuve, elle a dit que la demanderesse n’avait pas recherché l’aide de la police, mais je suis d’avis que l’erreur est sans conséquence pour sa décision ultime. Une tentative unique de déposer une plainte auprès de la police locale pourrait difficilement, dans les circonstances de la présente affaire, constituer une véritable tentative d’obtenir de l’État une protection, surtout dans un pays où le système judiciaire est très développé.

 

La Section de la protection des réfugiés a‑t‑elle commis une erreur dans ses conclusions touchant l’existence d’une possibilité de refuge intérieur?

 

[13]           La commissaire a estimé que la demanderesse appartenait à une famille assez nombreuse en Inde. Elle avait des fils et des filles, ainsi que des frères et sœurs, avec qui elle pouvait habiter. Il a été établi qu’il était culturellement impossible pour elle de vivre avec ses filles, mais elle avait deux fils et d’autres parents qui vivaient en Inde. Il semble n’y avoir eu aucune tentative sérieuse d’explorer ces solutions lorsque la demanderesse était en Inde, ou par la suite. La conclusion de la commissaire selon laquelle une telle solution s’offre à la demanderesse ne saurait, au vu des faits, être qualifiée de déraisonnable.

 

La Section de la protection des réfugiés a‑t‑elle commis une erreur en concluant à une absence de crainte subjective compte tenu des antécédents de la demanderesse en matière d’immigration?

 

[14]           La demanderesse avait tenté d’entrer au Canada avant son arrivée ultime en septembre 2003. Invoquant des motifs d’ordre humanitaire, elle avait demandé de pouvoir présenter une demande de résidence permanente depuis le Canada, demande qui avait été rejetée avant qu’elle ne revendique l’asile près de deux ans et demi après son arrivée au Canada. Dans ces conditions, il n’est pas déraisonnable de tirer une conclusion défavorable de sa lenteur à présenter une demande d’asile, ainsi que de sa demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, dont elle fut déboutée. Il est juste de penser qu’une personne qui craint de retourner dans son pays d’origine présentera en général une demande d’asile dès son arrivée, ou du moins dans un délai raisonnable par la suite. La commissaire pouvait raisonnablement, à mon avis, tirer la conclusion à laquelle elle est arrivée.

 

La Section de la protection des réfugiés a‑t‑elle été de parti pris?

[15]           Hormis la simple allégation de parti pris faite par la demanderesse, aucune preuve n’a été produite à l’appui. J’ai examiné la transcription de la procédure suivie devant la SPR et je suis d’avis que cette allégation n’a aucun fondement.

 

DISPOSITIF

[16]           Je suis d’avis que la demanderesse a bénéficié de la coopération et de la courtoisie de la SPR. Je suis également d’avis que la décision de la commissaire était raisonnable et que la procédure suivie par elle pour arriver à cette décision fut équitable et conforme aux principes juridiques applicables. Par conséquent, la présente demande sera rejetée. Aucun des avocats n’a proposé qu’une question soit certifiée. Selon moi, il n’y a aucune question à certifier.

 

 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée et qu’aucune question n’est certifiée.

 

 

« Russel W. Zinn »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Christian Laroche, LL.B.

Juriste-traducteur et traducteur conseil

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM‑4608‑07

 

INTITULÉ :                                       MAYA DEVI c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 30 SEPTEMBRE 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE ZINN

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       LE 3 OCTOBRE 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Stephen L. Winchie

POUR LA DEMANDERESSE

 

Manuel Mendelzon

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Stephen L. Winchie

Avocat

Mississauga (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

 

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