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Cour fédérale

 

Federal Court

 

Date : 20081003

Dossier : IMM-4985-07

Référence : 2008 CF 1118

Ottawa (Ontario), le 3 octobre 2008

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE MACTAVISH

 

 

ENTRE :

YUN HEE LEE,

 CHU JA PARK, et

 JAE YANG LEE,

JAE BOK LEE et

 JAE PIL LEE,

par leur tuteur à l’instance,

 YUN HEE LEE

demandeurs

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

 ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]   Les demandeurs sont une famille de citoyens sud-coréens qui ont fait l’objet d’une décision défavorable au sujet de leur demande de résidence permanente au Canada fondée sur des considérations d’ordre humanitaire (demande CH). Les demandeurs affirment que cette décision était déraisonnable en ce que l’agente a omis d’apprécier correctement les éléments de preuve dont elle disposait relativement à l’établissement de la famille au Canada. Selon les demandeurs, l’agente examinant les motifs d’ordre humanitaire a commis une autre erreur en évaluant mal l’intérêt supérieur des trois enfants de la famille.

[2]   Pour les motifs énoncés ci-après, je ne suis pas convaincue que l’agente a commis les erreurs qu’on lui impute. En conséquence, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

 

 

Contexte

 

[3]   Les demandeurs sont des revendicateurs du statut de réfugié qui ont été déboutés et qui se sont déjà fait refuser une demande d’exemption fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. La décision défavorable au sujet de cette première demande a été maintenue par le juge Shore, qui a conclu que la situation des demandeurs ne donne aucunement à penser qu’elle s’inscrit dans la catégorie spéciale des affaires susceptibles de mener à une décision favorable. Aux yeux du juge Shore, les demandeurs sont de simples immigrants aspirants dont la demande CH repose sur l’existence d’enfants mineurs et sur le fait qu’ils se trouvent au Canada depuis quelques années : voir Lee c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 368, par. 16.

 

[4]   La seconde demande CH soumise par les demandeurs s’appuie essentiellement sur les mêmes facteurs que leur première demande, à savoir leur établissement au Canada et l’intérêt supérieur des enfants mineurs. Selon l’avocat des demandeurs, la seconde demande CH a été présentée afin de rétablir les faits et de remédier aux lacunes de la preuve présentée à l’appui de la première demande. Néanmoins, la plupart des pièces versées au dossier par les demandeurs au soutien de leur seconde demande sont les mêmes que celles présentées relativement à leur première demande, quoique certains renseignements supplémentaires aient été présentés à l’agente lors de la seconde demande.

[5]   Au moment où la décision contestée était rendue, M. Lee habitait le Canada depuis cinq ans et demi environ. Les autres membres de la famille étaient au pays depuis quatre ans. Un des enfants avait presque quinze ans et les deux autres étaient des jumeaux de 12 ans.

[6]   En ce qui concerne l’établissement, les demandeurs soutiennent que l’entreprise de rénovation résidentielle de M. Lee ne profite pas uniquement aux demandeurs, mais aussi à son employé, ses clients, ses sous-traitants et des investisseurs potentiels.

 

[7]   M. Lee participe manifestement très activement aux activités de son Église et il entend se servir de ses compétences pour aider l’Église dans un projet de construction et ce, pour le bénéfice de l’ensemble des membres de la congrégation.

 

[8]   Selon les demandeurs, l’industrie de la construction en Corée du Sud est très concurrentielle et M. Lee n’arriverait pas à générer pour sa famille un niveau de revenus comparable à celui qu’il a au Canada.

 

[9]   En ce qui a trait spécifiquement à l’intérêt supérieur des enfants, les demandeurs prétendent qu’il serait très difficile pour les enfants de se réadapter au système scolaire très compétitif de la Corée. De plus, les demandeurs soutiennent que les aptitudes des enfants en coréen sont limitées et qu’ils seraient particulièrement vulnérables à l’intimidation, qui, semblerait‑il, est un problème sérieux dans le système scolaire sud-coréen.

 

 

Analyse

 

[10]           Il est admis qu’une décision discrétionnaire comme celle qui est en cause en l’espèce commande l’application de la norme de la raisonnabilité. C’est‑à‑dire que la Cour doit prendre en considération la justification de la décision, la transparence et l’intelligibilité du processus décisionnel ainsi que l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit : voir Dunsmuir c. Nouveau Brunswick, 2008 CSC 9, par. 47.

 

[11]           Dans l’examen d’une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire on doit, conformément à l’article 25 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, prendre en considération la situation personnelle des demandeurs pour déterminer s’ils éprouveraient des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives s’ils devaient présenter leur demande de résidence permanente à partir de l’extérieur du Canada.

 

[12]           Toutefois, pour que l’exercice favorable du pouvoir discrétionnaire soit justifié, les difficultés doivent être autres que celles découlant du simple fait que les demandeurs doivent quitter la vie qu’ils se sont faite au Canada : voir Irimie c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. no1906, et Ahmad c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008  CF 646, par. 49.

 

[13]           En ce qui concerne la question de l’établissement, les demandeurs prétendent qu’en l’espèce la décision de l’agente est déraisonnable en ce qu’elle n’aurait pas véritablement analysé les facteurs relatifs à l’établissement. Selon les demandeurs, l’agente aurait plutôt choisi de n’accorder aucun poids à la preuve touchant l’établissement des demandeurs au Canada.

[14]           Un examen de la décision de l’agente révèle que ce n’est pas ce que l’agente a fait. En réalité, l’agente a précisé que le fait que les demandeurs aient vécu plusieurs années au Canada n’aurait pas de poids dans la balance. L’agente a expliqué que les demandeurs ont consacré tout leur temps passé au Canada à explorer leurs voies de recours visant l’acquisition d’un statut au Canada.

 

[15]           L’agente a cependant reconnu explicitement que, durant cette période, les demandeurs avaient tissé des liens et réalisé un certain degré d’établissement. L’agente a, par la même occasion, souligné que la famille avait vécu en Corée, qu’elle parlait la langue et avait des liens de parenté dans ce pays. L’agente a donc conclu qu’en soi, la durée de séjour des demandeurs au Canada n’était pas telle qu’ils éprouveraient des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives s’ils devaient retourner en Corée.

 

[16]           L’agente a ensuite examiné de façon spécifique les facteurs relatifs à l’établissement invoqués par les demandeurs relativement à la question des difficultés. Parmi ces facteurs il y avait l’établissement de l’entreprise de M. Lee ainsi que l’emploi qu’elle fournissait à un citoyen canadien.

 

[17]           L’examen de ces facteurs n’a pas convaincu l’agente que l’employé en question ne pourrait pas se trouver un emploi ailleurs. S’il est vrai que l’employé a présenté une lettre dans laquelle il affirmait craindre, qu’en raison de son âge, il puisse difficilement se trouver un autre emploi, cet élément de preuve devait être considéré en tenant compte de la preuve que les demandeurs eux‑mêmes avaient soumise à l’égard de l’importante pénurie de travailleurs de la construction au Canada. Dans les circonstances, la preuve permettait raisonnablement à l’agente de tirer une telle conclusion.

[18]           En ce qui concerne les dommages qu’auraient pu subir des investisseurs dans l’entreprise de M. Lee, l’agente a souligné que les lettres présentées par les demandeurs à cet égard n’étaient que de simples expressions d’intérêt de la part d’investisseurs potentiels qui, en principe, pourraient investir leur argent ailleurs.

 

[19]           L’agente a également fait l’examen des points soulevés par les demandeurs en ce qui concerne à la compétitivité de l’industrie coréenne de la construction et au fait que M. Lee vivait à l’extérieur du pays depuis cinq ans et elle a conclu que ceci ne constituait pas un fondement suffisant pour établir qu’il s’agissait de difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives.

 

[20]           À cet égard, l’agente a souligné que M. Lee avait choisi d’abandonner son entreprise et de quitter la Corée. Étant donné qu’il avait été un employé de la construction avant son départ de la Corée, l’agente n’était pas persuadée que M. Lee serait incapable de se trouver du travail s’il retournait en Corée. Encore une fois, la preuve permettait raisonnablement à l’agente de tirer de telles conclusions.

 

[21]           Il est vrai que l’agente n’a pas fait l’examen de la question des conséquences du départ de M. Lee pour son Église. Il s’agit cependant là d’un facteur relatif à l’établissement plutôt mineur d’autant plus que les représentants de l’Église n’ont pas laissé entendre qu’ils ne sauraient trouver ailleurs les compétences en construction dont ils ont besoin. À mon avis, le défaut de l’agente de procéder spécifiquement à l’examen de ce facteur ne constitue pas en soi un fondement suffisant pour infirmer sa décision.

 

[22]           En ce qui concerne l’intérêt supérieur des enfants, les demandeurs soutiennent que l’agente n’a pas été suffisamment réceptive, attentive et sensible aux besoins des enfants. Selon eux, l’intérêt supérieur des enfants est mieux servi s’ils demeurent au Canada, où ils sont intégrés dans le système scolaire canadien.

 

[23]           L’intérêt supérieur des enfants visés par une demande CH constitue un facteur que l’agente doit examiner et soupeser. Quoique ce facteur revête une importance particulière il n’est toutefois pas déterminant : voir, par exemple, Legault c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 125.

 

[24]           À vrai dire, dans la plupart des cas, l’intérêt supérieur des enfants sera mieux servi s’ils demeurent au Canada : voir Hawthorne c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 475, par. 6.

 

[25]           En l’espèce, les demandeurs affirment qu’il serait difficile pour les enfants de réintégrer le système scolaire coréen parce que, même s’ils peuvent parler, lire et écrire le coréen, leurs aptitudes aux études et leurs aptitudes langagières en coréen n’ont pas progressé. Les demandeurs soutiennent également que, en raison de la grande différence entre les systèmes scolaires coréen et canadien, il serait difficile pour les enfant de s’adapter.

 

[26]           Les demandeurs ajoutent que les enfants seraient tout particulièrement vulnérables à l’intense pression de leurs pairs et à l’ostracisme généralisé dans les écoles coréennes. Enfin, les demandeurs disent que les enfants souffriraient de la perte de stabilité financière de la famille s’ils devaient retourner en Corée.

 

[27]           L’analyse de l’agente tient compte de chacun de ces facteurs. On voit bien que l’agente a bien conscience du climat de compétition qui règne dans les écoles coréennes, faisant remarquer qu’aucun système d’éducation n’est parfait. L’agente a cependant aussi souligné que le taux de scolarisation dans les écoles coréennes est très élevé, que le pourcentage d’élèves terminant leur secondaire est élevé et qu’il y a dans ce pays des possibilités pour les jeunes de poursuivre des études universitaires.

 

[28]           L’agente aborde également l’argument des demandeurs suivant lequel les enfants se sont habitués au système scolaire canadien, faisant remarquer que, lors de la transition de retour dans leur pays natal, ils jouiraient néanmoins de l’appui de leurs parents. Comme l’a précisé l’agente, il s’agirait du même appui dont les enfants ont bénéficié en s’adaptant à la vie au Canada, pays où ils étaient sans amis et sans famille et dont ils ne parlaient pas la langue.

 

[29]           L’agente a de plus fait remarquer que les enfants ont déjà l’expérience du système scolaire en Corée et que, dans ce pays, ils bénéficient en plus d’un réseau familial élargi pour les appuyer dans leur adaptation.

 

[30]           Les demandeurs ont également soutenu que les enfants risqueraient de subir des châtiments corporels dans le système scolaire coréen, ce qui, de toute évidence, peut se produire dans certaines écoles, mais pas dans toutes les écoles coréennes. Ce point n’a pas en tant que tel été abordé dans la décision de l’agente CH. Néanmoins, en l’absence de preuve démontrant que les enfants seraient obligés de fréquenter une école où le châtiment corporel est une réalité, je ne suis pas convaincue que le fait que l’agente ait omis de traiter expressément de ce point rend la décision déraisonnable.

 

[31]           Comme je l’ai indiqué précédemment, quoique l’on ait ajouté certains éléments portant sur l’intérêt supérieur des enfants à la preuve présentée à l’agente chargée, en l’espèce, d’examiner la demande CH (agente CH), il s’agit essentiellement des mêmes points avancés par les demandeurs dans le contexte de leur première demande CH.

 

[32]           Comme le fait remarquer le juge Shore au paragraphe 49 de sa décision de rejeter la demande de contrôle judiciaire de la première décision CH, des allégations quant aux difficultés que pourraient avoir les enfants à s’adapter à un nouveau système scolaire peuvent être faites dans pratiquement n’importe quel cas où il y a des enfants qui retournent dans leur pays d’origine.

 

[33]           En l’espèce, l’agente avait conscience des arguments formulés par les demandeurs quant à l’intérêt supérieur des enfants. Elle a tenu compte de ces arguments et a donné les motifs de sa conclusion selon laquelle ces considérations ne justifiaient aucunement une décision favorable.

 

 

Conclusion

 

[34]           Eu égard au caractère exceptionnel des décisions favorables en matière de demandes CH, et malgré les arguments très habiles de leurs avocats, les demandeurs ne m’ont pas convaincue que la décision de l’agente en l’espèce n’appartient pas aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. En conséquence, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

 

Questions à certifier

 

[35]           Les demandeurs proposent deux questions à certifier. La première est de savoir « si l’établissement d’un demandeur sans statut peut être pris compte dans le cadre d’un examen de considérations humanitaires ». Étant donné que, de toute évidence, l’agente CH a pris en considération les facteurs relatifs à l’établissement que lui avaient présentés les demandeurs, la question ne se pose pas en l’espèce.

 

[36]           La seconde question à certifier que proposent les demandeurs est de savoir « s’il est approprié pour un agent, lors de l’examen de la question de l’intérêt supérieur des enfants, d’émettre des hypothèses quant aux occasions possibles de retourner au Canada ». À mon avis, deux raisons justifient qu’il ne s’agit pas d’une question qu’il convient de certifier.

 

[37]           Dans un premier temps, l’agente a expressément déclaré que cette possibilité ne faisait l’objet d’aucune considération en ce que la disponibilité d’un visa d’étudiant constituait une affaire à être réglée plus tard par un agent des visas. En deuxième lieu, dans la mesure où l’affaire avait même fait l’objet d’une certaine analyse par l’agente, cette dernière a simplement fait remarquer que, quoiqu’il puisse être difficile pour les enfants d’obtenir un tel visa dans l’avenir, il n’en demeure pas moins que cette possibilité existait pour les demandeurs. Il s’agit là d’une déclaration de fait qui ne saurait relever de la conjecture.

 

[38]           Par conséquent, je refuse de certifier les questions proposées.

JUGEMENT

            LA COUR STATUE :

            1.         La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

            2.         Aucune question grave de portée générale n’est certifiée.

« Anne Mactavish »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Jean-Judes Basque, B. Trad.


 

COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-4985-07

 

INTITULÉ :                                       YUN HEE LEE, CHU JA PARK, et

                                                                        JAE YANG LEE, JAE BOK LEE et

                                                                        JAE PIL LEE,

                                                               par leur tuteur à l’instance,

                                                                        YUN HEE LEE c. MCI

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 26 AOÛT 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LA JUGE Mactavish

                                                           

DATE DES MOTIFS :                      LE 3 OCTOBRE  2008

 

 

COMPARUTIONS :

 

Daniel Kingwell                                                                        POUR LES DEMANDEURS

                               

Greg George                                                                            POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

MAMANN & ASSOCIATES

Avocats

Toronto (Ontario)                                                                     POUR LES DEMANDEURS

 

JOHN H. SIMS, c.r.

Sous-procureur général du Canada                                           POUR LE DÉFENDEUR

 

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