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Date :  20081006

Dossier :  IMM-939-08

Référence :  2008 CF 1125

Ottawa (Ontario), le 6 octobre 2008

En présence de L'honorable Louis S. Tannenbaum 

 

ENTRE :

Niranjan SELVARASA

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Je suis saisi d’une demande de contrôle judiciaire de la décision de Martine Beaulac (ci-après « l’agente ERAR ») qui a refusé la demande de résidence permanente du demandeur en raison de l’existence de considérations humanitaires (ci-après « la demande CH »).

 

[2]               Le demandeur est un citoyen du Sri Lanka. Il est venu au Canada en avril 2002 et a présenté une demande de statut de réfugié quelques jours plus tard. Cette demande a été rejetée par la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (CISR) le 9 janvier 2003 en raison du manque de crédibilité du demandeur. Une demande de contrôle judiciaire de la décision de la CISR a été rejetée par la Cour fédérale dans une décision datant du 22 mars 2004 (Selvarasa c. Ministre de la citoyenneté et de l’immigration, 2004 FC 424).  

 

[3]               Le 29 septembre 2006, le demandeur a déposé sa demande CH, basée sur les risques auxquels il allègue faire face en raison de son identité comme jeune tamoul provenant du nord du Sri Lanka. Le 21 juin 2007, le demandeur a déposé des soumissions additionnelles, alléguant pour la première fois qu’il était homosexuel et que, pour cette raison, il ne pouvait pas retourner au Sri Lanka. Selon le demandeur :

 

4. Sex between males is a criminal offence in Sri Lanka punishable by up to 12 years in prison. Although the law is not always enforced it is used by the police to harass gays and to extort money from them.

 

5. Moreover, homosexuality is a societal taboo in Sri Lanka. It creates a stigma and that is why I never mentioned my sexual orientation to anyone while in Sri Lanka.

 

6. I realized that I was gay when I was 15 when I fell in love with a boy who was my school mate. We met on occasion but always in hiding.

 

 

[4]               Le demandeur décrit avoir rencontré un homme après son arrivée au Canada, Robert Dorion, avec lequel il a commencé une relation amoureuse en octobre 2004. Un mois plus tard, un membre de la famille du demandeur a pris connaissance de cette relation et a transmis cette information aux parents du demandeur au Sri Lanka. À cet effet, le demandeur déclare :

12. I have never spoken with my father since that incident as my father told me never to speak to him again. My mother just cries when I call her. I have contact only with a brother who is in Qatar.

 

13. I believe that if I return to Sri Lanka I will be banished from my family and will find no place to go because I am a gay Tamil and civil war has started again. There is no freedom of movement. Tamils who do move from one place to another are suspected by the authorities of supporting the LTTE.

 

14. Since I came to Canada I have become comfortable with my sexual orientation and am living without fear. I do not want to return to a situation of shame and fear. I do not want to live in hiding and to be at the mercy of society and the police who harass young Tamil males and especially homosexuals.

 

 

[5]               Le demandeur a aussi déposé une demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR). Les deux demandes ont été rejetées par la même agente le 7 janvier 2008. La décision concernant la demande ERAR fait aussi l’objet d’une demande de contrôle judiciaire, dans le dossier IMM-801-08 (pour la décision concernant la demande ERAR, voir page 205 du dossier du tribunal).

 

[6]               Le 5 mars 2008, madame la juge Gauthier a accordé la requête en sursis d’exécution de la déportation du demandeur.

 

[7]               L’agente ERAR a noté que le demandeur base sa demande CH sur son intégration au Canada, ses liens avec ce pays et les risques de retour. Elle a commencé son analyse en notant que, pour qu’une demande CH soit accordée, un demandeur doit démontrer que la difficulté de devoir obtenir un visa de résident permanent de l’extérieur du Canada, qui est la règle générale, serait inhabituelle et injustifiée ou excessive et qu’une demande CH est un cas d’exception.

 

[8]               Concernant l’intégration du demandeur, l’agente ERAR a noté que le demandeur travaille depuis quatre ans au Canada, mais que cette situation n’est pas particulière au demandeur et ne constitue pas une exception.

 

[9]               Concernant les liens du demandeur avec le Canada, l’agente ERAR a pris connaissance du fait que M. Dorion est toujours marié et vit en commun avec son épouse, qui est au courant des préférences sexuelles de son mari. Elle écrivait :

Je considère que la relation du requérant et de cet homme a moins d’importance que celle que son ami entretient avec son épouse et ses enfants. En effet, son ami a choisi lui-même en donnant plus d’importance à sa relation avec son épouse et ses enfants. Par conséquent, j’accorde un poids relatif à cette relation, dont l’une des parties est liée par contrat à une autre.

 

 

[10]           L’agente ERAR a décidé de donner plus de poids aux liens du demandeur avec sa famille au Sri Lanka qu’à ses liens avec M. Dorion.

 

[11]           Par rapport aux risques allégués par le demandeur, l’agente ERAR a noté que le demandeur « déclare qu’il devrait vivre en se cachant dans son pays car la police harcèle les hommes tamouls et les homosexuels. » L’agente ERAR considère les allégations du demandeur concernant son homosexualité et décide d’accorder le bénéfice du doute au requérant et d’examiner les risques pour sa sécurité et sa vie à cause de son orientation sexuelle. Cependant, l’agente ERAR a tenu compte de la décision de la CISR minant la crédibilité du demandeur, ainsi du fait que le demandeur a été remis en liberté après détention lors de son retour au Sri Lanka suite à un séjour au Pays-Bas en 1999.

 

[12]           L’agente ERAR ajoutait :

En ce qui a trait à la situation des homosexuels au Sri Lanka, je note qu’elle est criminalisée dans ce pays et passible de 10 à 12 ans de prison, cependant, cette loi n’est pas renforcée ou appliquée. Il existe un groupe de défense des gais sri lankais à Colombo : Companions on a Journey, société pour les gais et lesbiennes du pays, fondée par Sherman de Rose. […]

 

Malgré qu’elle soit illégale sous une loi coloniale datant de 100 ans, il n’y a pas eu de poursuites reliées à l’homosexualité depuis plus de 50 ans. L’organisation Companions of a Journey [sic] travaille avec le ministère de la Santé du Sri Lanka, distribuant des condoms dans les lieux de rencontres gais, donnant du counselling, des cours de maquillage, de l’éducation et des conseils sur la santé ainsi qu’un refuge pour les gais et lesbiennes. […]

 

Je note que le demandeur a pu étudier et travailler dans son pays jusqu’à son départ et n’a pas mentionné d’incidents survenus dans son pays reliés à son homosexualité. Son parcours de vie démontre que sa sécurité ou sa vie n’étaient pas menacées à cause de son orientation sexuelle.

 

Le fait d’être banni par sa famille ne signifie pas que sa sécurité et sa vie soient menacées. Les lois n’interviennent pas dans les relations privées à moins d’abus.

 

 

[13]           De plus, concernant la situation au Sri Lanka pour les jeunes tamouls, l’agente ERAR a conclu que les tamouls qui retournent au Sri Lanka ne sont pas détenus lorsqu’ils peuvent démontrer leur identité et prouver qu’ils n’ont pas de dossier criminel. Selon l’agente ERAR, « Le demandeur a la possibilité de vivre dans les régions contrôlées par l’armée afin d’assurer sa sécurité malgré des incidents de violence envers les autorités ou l’armée cinghalaise. Il n’a pas démontré que sa sécurité ou sa vie serait menacée dans son pays. »

 

[14]           Le demandeur soutient que l’agente ERAR est arrivée à des conclusions déraisonnables concernant les risques au demandeur dû à son homosexualité et son identité comme jeune tamoul du nord, ainsi que ses liens avec le Canada et le fait qu’il avait été déporté antérieurement. Dans ses arguments, le demandeur soulève aussi la question du test applicable aux risques soulevés dans une demande CH. Je suis d’avis que les questions en litige peuvent être décrites comme suit :

a.       L’agente ERAR est-elle arrivée à des conclusions erronées concernant les conditions au Sri Lanka pour les homosexuels?

b.      L’agente ERAR est-elle arrivée à des conclusions erronées concernant les conditions au Sri Lanka pour les jeunes tamouls du nord?

c.       L’agente ERAR est-elle arrivée à des conclusions erronées concernant les liens entre le demandeur et le Canada?

 

 

[15]           Les parties s’entendent sur la question de la norme de contrôle applicable à la décision de l’agente ERAR concernant les faits, qui est celle de la décision déraisonnable (voir e.g. Baker c. Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, [1999] A.C.S. no 39 (QL)). Cette norme de contrôle n’a pas changé depuis la décision de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] A.C.S. no 9 (QL) (Gazlat c. Ministre de la citoyenneté et de l’immigration, 2008 CF 532, [2008] A.C.F. no 677). Cependant, concernant la question du critère approprié pour l’appréciation d’une demande CH, qui est une question de droit, la norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte (Thalang c. Canada (Minister de la citoyenneté et de l’immigration), 2008 CF 340, [2008] A.C.F. no 433 (1ière inst.) (QL) [Thalang]).

 

(1)   L’agente ERAR est-elle arrivée à des conclusions erronées concernant la situation au Sri Lanka pour les homosexuels?

 

[16]           Les demandes CH sont régies par l’article 25 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27. Le paragraphe25(1) prévoit :

 

(1) Le ministre doit, sur demande d’un étranger interdit de territoire ou qui ne se conforme pas à la présente loi, et peut, de sa propre initiative, étudier le cas de cet étranger et peut lui octroyer le statut de résident permanent ou lever tout ou partie des critères et obligations applicables, s’il estime que des circonstances d’ordre humanitaire relatives à l’étranger — compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché — ou l’intérêt public le justifient.

(1) The Minister shall, upon request of a foreign national who is inadmissible or who does not meet the requirements of this Act, and may, on the Minister’s own initiative, examine the circumstances concerning the foreign national and may grant the foreign national permanent resident status or an exemption from any applicable criteria or obligation of this Act if the Minister is of the opinion that it is justified by humanitarian and compassionate considerations relating to them, taking into account the best interests of a child directly affected, or by public policy considerations.

 

 

[17]           Une demande CH est une mesure d’exception à la règle générale à l’effet que les personnes qui souhaitent s’établir de manière permanente au Canada doivent « soumettre avant leur arrivée au Canada une demande hors du Canada, de satisfaire aux critères relatifs au statut de résident permanent et d’obtenir un visa de résident permanent » (Serda c. Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration), 2006 CF 356 au para. 20, [2006] A.C.F. no 425 (1ière inst.) (QL)). Par contre, une demande ERAR est une mesure par laquelle une personne peut faire analyser les risques à sa vie ou sa sécurité avant qu’il soit retourné à son pays d’origine. Les demandes CH diffèrent des demandes ERAR quant aux critères applicables pour l’appréciation de la demande en question, comme le juge Teitelbaum l’exprimait :

L’évaluation des risques dans le cadre d’une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire doit être faite au regard de la norme fondée sur la question de savoir si les facteurs de risques peuvent être assimilés à des difficultés inhabituelles, injustifiées et excessives et non au regard de la norme plus élevée qui requiert l’examen des risques avant renvoi. (Gallardo c. Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration), 2007 CF 554 au para. 12, [2007] A.C.F. no 749 (1ière inst.) (QL) [Gallardo]. Voir aussi Thalang, supra)

 

 

[18]           Dans sa décision, l’agente ERAR mentionne le critère de menace à la sécurité ou la vie à plusieurs reprises lorsqu’elle considère les allégations du demandeur concernant son homosexualité. Cependant, dans sa demande, le demandeur alléguait non seulement que sa sécurité ou sa vie seraient menacées, mais aussi qu’il ferait face à des difficultés additionnelles avec sa famille, la société et les autorités sri lankaises, à la lumière de la preuve documentaire qui démontre que, malgré que la loi contre l’homosexualité n’est pas généralement appliquée, « its existence has allowed for official discrimination and societal stigma towards homosexuals » (Home Office Border & Immigration Agency, « Sri Lanka » (11 mai 2007) à la page 115. Voir aussi LKA35952.EF, Sri Lanka: information sur le traitement que réservent les autorités, la communauté musulmane et la société en général aux homosexuels; lois interdisant les actes homosexuels et information indiquant si elles sont mises en application (27 novembre 2000) à la page 35 du dossier du tribunal; United States Department of State, « Country Reports on Human Rights Practices – 2006 – Sri Lanka » (6 mars 2007) à la page 119 du dossier du tribunal). Ayant accordé au demandeur le bénéfice du doute concernant son homosexualité, l’agente ERAR n’a aucunement analysé ces difficultés alléguées à l’égard du critère de « difficultés inhabituelles, injustifiées et excessives ». Ceci constitue une erreur de droit.

 

[19]           L’agente ERAR a aussi, à mon avis, erré dans ses conclusions de faits concernant l’homosexualité du demandeur. L’agente ERAR a conclu que le parcours de vie du demandeur, qui n’a pas mentionné d’incidents survenus dans son pays reliés à son homosexualité, « démontre que sa sécurité ou sa vie n’étaient pas menacées à cause de son orientation sexuelle. » L’agente ERAR a aussi conclu que les liens entre le demandeur et sa famille au Sri Lanka étaient plus importants que les liens entre le demandeur et M. Dorion. Il m’apparaît que l’agente ERAR soit arrivée à ces conclusions sans avoir tenu compte de certains éléments de la preuve dont elle disposait.

 

[20]           Plus particulièrement, concernant la situation du demandeur pendant qu’il habitait au Sri Lanka, l’agente ERAR ne tient pas compte de la prétention de celui-ci à l’effet qu’il avait caché son homosexualité au moins jusqu’à son arrivée au Canada. Ceci apparaît clairement dans les soumissions du demandeur qui dit qu’il « never mentioned my sexual orientation to anyone in Sri Lanka ». S’il n’y avait personne au Sri Lanka qui était au courant de l’orientation sexuelle du demandeur pendant qu’il habitait dans ce pays, le fait qu’il n’ait jamais rencontré de problème ne démontre pas qu’il ne serait pas menacé maintenant que son homosexualité est plus généralement connue.

 

[21]           De plus, lorsque l’agente ERAR a donné « plus de poids à ses liens avec sa famille au Sri Lanka qu’à ses liens avec un ami au Canada, qu’il voit sporadiquement », elle n’a pas tenu compte de l’allégation du demandeur qu’il ne parle plus à sa famille sauf un frère qui habite au Qatar.

 

[22]           Je suis d’avis que la décision de l’agente ERAR est entachée d’erreurs et que l’intervention de cette Cour est justifiée.

 

[23]           Aucune question d’importance générale n’a été formulée pour certification.

 

 


 

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE ET ADJUGE que cette demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est retournée devant un autre agent ERAR pour nouvelle détermination.

 

 

« Louis S. Tannenbaum »

Juge suppléant


Autorités considérées par la Cour

 

1.                  Nelli Tikhonova c. MCI, 2008 CF 847

2.                  Fouad Rebai c. MCI, 2008 CF 24

3.                  Dipesh Kumar Thalang c. MCI, 2008 CF 340

4.                  MCI c. Ferenc Varga et al, 2006 CAF 394

5.                  Thayaseelan Sellan c. MCI, 2008 CF 44

6.                  Thavan Sinnasamy c. MCI, 2008 CF 67

7.                  Monica Streanga c. MCI, 2007 CF 792

8.                  Rogelio Ponce Melchior c. MCI, 2004 CF 1327

9.                  Serda c. MCI, 2006 CF 356

10.              Uddin c. MCI, 2002 CFPI 937

11.              Baheerathan c. MCI, 2007 CF 802

12.              Nazaire c. MCI, 2006 CF 416

13.              Kathirgamu c. MCI, 2007 CF 1222

14.              Krishnapillai c. MCI, 2007 CF 563


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-939-08

 

INTITULÉ :                                       Niranjan SELVARASA c. MCI

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal, Québec

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 19 août 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            TANNENBAUM J.S.

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 6 octobre 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Rachel Benaroch

 

POUR LE DEMANDEUR

Me Thi My Dung Tran

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Rachel Benaroch

Avocate

Montréal, Québec

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur general du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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