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Date : 20080923

Dossier : T-1548-06

Référence : 2008 CF 1070

Ottawa (Ontario), le 23 septembre 2008

En présence de madame la juge Snider

 

 

ENTRE :

ADIR et

SERVIER CANADA INC.

demanderesses

(défenderesses reconventionnelles)

 

et

 

APOTEX INC. et

APOTEX PHARMACHEM INC.

défenderesses

(demanderesses reconventionnelles)

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT QUANT AUX DÉPENS

 

 

[1]               Les motifs de jugement et le jugement qui font suite à l’instruction de la présente action en contrefaçon de brevet ont été communiqués aux parties le 2 juillet 2008 (Laboratoires Servier c. Apotex Inc., 2008 CF 825). À ce moment-là, il avait été demandé aux parties de présenter des observations écrites au sujet des dépens. Dans une ordonnance subséquente en date du 5 août 2008, j’ai autorisé les parties à soumettre de brèves observations en réponse. Après avoir étudié les observations, je compte maintenant prononcer ma décision et mes motifs sur les dépens en l’espèce.

 

[2]               Selon le paragraphe 400(1) des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 (les Règles), la Cour a « le pouvoir discrétionnaire de déterminer le montant des dépens [et] de les répartir ». Le paragraphe 400(3) des Règles énumère de façon non limitative les facteurs que la Cour peut prendre en compte.  

 

[3]               À mon avis, il faut d’abord souligner qu’une partie ayant eu gain de cause a droit à ce qu’un officier taxateur taxe ses dépens en fonction de l’échelon médian de la colonne III du tarif B, comme le prévoient les Règles (voir l’article 407), et elle a également droit aux débours qui sont raisonnables et nécessaires à la conduite de l’instance. Cela constitue le fondement de la taxation, à moins que le juge ne donne des directives à l’officier taxateur ou ne se charge lui-même de taxer les dépens. En l’espèce, les parties ne me demandent pas de fixer les dépens; elles m’ont plutôt fait part, d’une manière essentiellement fondée sur des principes, de leur point de vue sur les directives que la Cour devrait donner à l’officier taxateur qui s’acquittera de la lourde tâche de taxer les dépens.   

 

[4]               En exerçant mon pouvoir discrétionnaire, j’ai tenu compte de toutes les observations écrites, de la jurisprudence pertinente et des facteurs énumérés au paragraphe 400(3) des Règles. Il faut porter une attention particulière à un certain nombre de questions.


I.          Issue de l’instance

 

[5]               Les demanderesses (appelées collectivement Servier) ont eu gain de cause sur la plupart des points. Plus précisément, le brevet en cause a été déclaré valide et contrefait. En revanche, Servier n’a pas réussi à établir que les défenderesses (appelées collectivement Apotex) avaient incité à la contrefaçon. Apotex a été déboutée de sa demande reconventionnelle, mais elle a convaincu la Cour que toutes les demanderesses sauf deux (ADIR et Servier Canada) n’avaient pas qualité pour intenter l’action. Apotex est aussi parvenue à démontrer qu’un certain produit contrefaisant par ailleurs le brevet devrait être exclu de la poursuite en contrefaçon.  

 

[6]               Je signale qu’il a fallu consacrer beaucoup de temps et de ressources, quoique moins que ce qu’a prétendu Apotex, aux deux points sur lesquels Servier n’a pas eu gain de cause. Lorsqu’une partie déboutée sur le fond a convaincu la Cour du bien-fondé de sa position sur certaines questions distinctes, la Cour peut adjuger des dépens moins élevés (voir, par exemple, Merck & Co. c. Apotex Inc., 2006 CF 631, aux paragraphes 13 et 14, 53 C.P.R. (4th) 69). Apotex fait valoir qu’il convient d’octroyer à Servier 80 pour cent de ses dépens dans l’action tout entière et qu’elle devrait se voir accorder 20 pour 100 de ses dépens à elle. Servier prétend qu’il n’y a pas lieu de réduire les dépens et qu’il ne faut pas en adjuger à Apotex. J’estime qu’en l’espèce, il serait juste de réduire les dépens, mais pas de l’ordre de 20 pour 100 comme le demande Apotex. Celle-ci exagère beaucoup quand elle dit que 20 pour 100 des jours de procès ont été consacrés aux questions sur lesquelles elle a eu gain de cause. En outre, si la demande d’Apotex en vue d’obtenir séparément une partie quelconque de ses dépens était accueillie, Apotex obtiendrait un double recouvrement; la réduction des dépens de Servier vise à remplacer le calcul des dépens d’Apotex concernant les deux questions sur lesquelles elle a eu gain de cause.

 

[7]               Apotex sollicite le recouvrement des dépens (par voie de compensation) qu’elle a engagés pour établir l’exception fondée sur l’usage à des fins expérimentales réglementé par la loi. Je ne suis pas d’accord avec Apotex qu’elle peut recouvrer ces dépens. Il appartenait à Apotex de convaincre la Cour du nombre des produits contrefaits. Servier n’a pas agi de manière déraisonnable en attendant d’avoir entendu la déposition des témoins avant de décider si elle devait interroger ou non ces derniers. Apotex n’aura pas droit au recouvrement de ces dépens.

 

[8]               En résumé, Servier doit recevoir 90 pour cent de ses dépens dans l’action, sous réserve des autres directives exposées dans les présents motifs.  

 

II.         Complexité

 

[9]               D’après Servier, la complexité des questions jugées au procès, ainsi que la vitesse avec laquelle a été instruit le litige, justifie l’octroi des dépens selon l’échelon supérieur de la colonne V. Apotex fait valoir qu’il n’y avait aucune question excessivement complexe nécessitant un écart par rapport à la colonne habituelle, soit la colonne III.  

 

[10]           Le procès portait sur des questions nouvelles ou complexes. Par exemple, l’antériorité de l’acte inventif, l’infraction à la Loi sur la concurrence reprochée, ainsi que le sens de « prédiction valable » et d’« invention » étaient toutes des questions soulevées par les défenderesses relativement auxquelles la jurisprudence actuelle donnait peu d’éclaircissements ou à l’égard desquelles Apotex demandait à la Cour d’élargir les principes juridiques établis. À cet égard, j’estime que la complexité des questions en l’espèce était comparable à celle des questions en litige dans Merck, précitée, où le juge Hughes a conclu qu’il fallait octroyer les dépens en fonction de l’échelon supérieur de la colonne IV du tarif B.

 

[11]           Servier semble faire valoir qu’il y a lieu de retenir un échelon plus élevé du tarif vu que le procès a débuté rapidement en l’espèce. Je signale que, même si la vitesse avec laquelle a débuté le procès dans la présente affaire peut avoir des répercussions sur l’octroi de dépens (voir le volume du travail), elle ne rend pas pour autant les questions en litige plus complexes, pas plus que l’abandon d’une question n’en augmente la difficulté.

 

[12]           Il serait donc raisonnable de taxer les dépens selon l’échelon supérieur de la colonne IV.

 

III.       Volume du travail

 

[13]           Le procès s’est déroulé rapidement grâce à la collaboration des deux parties. Le jugement a été rendu moins de deux ans après le dépôt de la déclaration. Dans l’ensemble,

 

·                    les parties ont produit plus de 1 500 documents;

 

·                    les interrogatoires préalables ont duré 19 jours;

 

·                    43 rapports d’expert ont été communiqués;

 

·                    le procès a duré 34 jours;

 

·                    l’audition des requêtes préalables au procès a duré deux jours juste avant le procès et s’est poursuivie pendant un bon nombre d’autres jours entre décembre 2006 et février 2008;

 

·                    plus de 30 témoins ont été entendus au procès;

 

·                    314 documents ont été cotés comme pièces.

 

[14]           De nombreux événements ont forcé les deux parties (et j’ajouterais la Cour) à déployer des efforts exceptionnels pour respecter les dates de procès. De plus, les questions soulevées à l’égard de la demande reconventionnelle en particulier étaient variées et, surtout dans le cas des questions de concurrence, nécessitaient le concours d’avocats détenant des compétences différentes.  

 

[15]           Comme je l’ai déjà fait remarquer, cela ne rend pas les questions instruites au procès plus complexes. On peut soutenir que le temps alloué pour un procès de quatre ans et celui alloué pour un procès de deux ans est le même; la différence est que le même volume de travail doit être accompli deux fois plus vite.  

 

[16]           Les cabinets d’avocats des parties ont toutefois dû traiter plus d’une question en même temps compte tenu à la fois des contraintes de temps et de la portée des questions. Toutes les parties ont donc retenu les services de plus d’avocats principaux qu’en temps normal. En conséquence, je permettrai à Servier de recouvrer les dépens concernant deux avocats principaux (premiers avocats) et un avocat adjoint (second avocat).

 

IV.       Dépens pour les non-avocats

 

[17]           Les demanderesses sollicitent les dépens relatifs aux services fournis par des étudiants et des parajuristes. Habituellement, je serais d’accord avec les défenderesses que ces dépens ne peuvent être recouvrés. Toutefois, il s’est produit quelque chose d’inhabituel au cours du procès en l’espèce relativement à une parajuriste, Mme Denise Pope. Avant le procès, les parties ont accepté d’utiliser le logiciel Summation. Les défenderesses ne s’opposent pas au recouvrement des débours raisonnables concernant le coût d’utilisation de ce logiciel durant les procédures préalables au procès et le procès, mais elles s’opposent au recouvrement du coût des services de Mme Pope. Les défenderesses savaient que celle-ci serait la coordonnatrice de cet outil précieux servant à gérer efficacement le procès. Les deux parties ont demandé à Mme Pope, de temps à autre, d’aider au téléchargement de documents dans la base de données et à la gestion de cette base de données. À mon avis, elle a fourni plus de services que ceux normalement liés aux non-avocats. Je suis donc disposée à autoriser le recouvrement d’une partie du coût des services de Mme Pope; le recouvrement de 50 pour cent du coût de ses services est indiqué dans les circonstances.  

 


V.        Conduite des parties

 

[18]           Servier prétend que certains actes des défenderesses lui ont compliqué la tâche. Servier parle d’[traduction] « ambiguïté constante dans les actes de procédure d’Apotex » et allègue qu’[traduction] « Apotex a laissé tomber un certain nombre de ses allégations d’invalidité à la fin du procès, ce qui signifie que Servier a dépensé des ressources considérables pour répondre à des questions qu’Apotex ne jugeaient manifestement pas nécessaires à sa cause ». Selon moi, ni l’une ni l’autre de ces allégations n’est justifiable en l’espèce et elles n’exigent clairement pas des dépens accrus. Il me semble que l’abandon de questions dans l’exposé définitif ou plus tôt lors du procès s’inscrit légitimement dans l’évolution de celui-ci et ne signifie manifestement pas qu’Apotex s’est livré à des actes qui ont prolongé indûment l’instance. En effet, je pense que les avocats d’Apotex se sont montrés très diligents tout au long de l’instance.

 

[19]           Servier fait valoir que, dans la taxation des dépens, il « faut » prendre en considération la connaissance par Apotex du fait que ses activités constituait de la contrefaçon (Dimplex North America Limited c. CFM Corporation, 2006 CF 1403, 307 F.T.R. 153, au paragraphe 28 (1re inst.), conf. par 2007 CAF 278, 60 C.P.R. (4th) 277). Je ne suis pas de cet avis. En fait, Servier sollicite des dommages-intérêts punitifs dans le cadre de l’adjudication des dépens. Bien que l’octroi de tels dommages-intérêts ait peut-être été indiqué dans l’affaire Dimplex, il n’est pas justifié ici. Comme l’indiquent les motifs rendus à l’issue du procès, au paragraphe 515, l’examen des dommages‑intérêts punitifs ou exemplaires a été reporté jusqu’à après l’octroi des dommages‑intérêts ou des bénéfices. 

 


VI.       Rapports d’expert

 

[20]           Les demanderesses sollicitent le recouvrement de tous les honoraires et débours raisonnables (les frais de déplacement et d’hébergement, ainsi que les dépenses connexes) de leurs experts qui ont témoigné au procès, de même que les honoraires et débours raisonnables de leurs autres experts qui n’ont pas témoigné au procès, mais qui ont établi des rapports ayant été signifiés. Apotex ne s’oppose pas au recouvrement des honoraires et débours raisonnables des experts ayant témoigné au procès, mais elle s’oppose au : (a) recouvrement des honoraires pour le travail qu’ont accompli les experts en aidant les avocats à préparer le dossier (comme la formulation de questions à poser dans le contre-interrogatoire des témoins experts de la partie adverse); et au (b) remboursement de quelque honoraire que ce soit pour les experts qui n’ont pas été appelés à témoigner au procès.  

 

[21]           Je ne suis pas disposée à limiter le remboursement des honoraires des experts comme me le demande Apotex. J’estime justifiable toute assistance fournie par un expert dans son domaine de spécialité. Cette aide comprend le fait d’aider les avocats à examiner et à comprendre les rapports d’expert de la partie adverse, de même qu’à se préparer au contre-interrogatoire. La participation des avocats sera nécessaire tant que les experts ne pourront pas s’interroger ouvertement entre eux sur leurs rapports lors de l’instruction de l’instance. Et ce n'est qu'en ayant recours à l'aide des experts que les avocats pourront agir valablement à titre d'intermédiaires. Il y a lieu d’accorder le recouvrement des honoraires raisonnables réclamés par les experts qui se sont présentés au procès pour offrir ce service.

 

[22]           Le remboursement des honoraires d’experts qui n’ont pas témoigné au procès pose davantage problème. J’ignore à combien d’experts on a fait appel ou si leurs rapports intéressaient les questions en litige. Je n’autoriserai pas le recouvrement des honoraires d’experts qui n’ont pas été appelés à témoigner au procès.

 

[23]           Dans ses premières observations, Apotex fait valoir que les honoraires des experts ne devraient pas dépasser les honoraires d’un avocat principal. Ce principe a été appliqué dans certaines décisions récentes de la Cour (voir, par exemple, Research in Motion c. Visto Corporation, 2008 CF 618, au paragraphe 29), mais je ne vois aucune raison de faire de même en l’espèce. Je laisse donc à l’officier taxateur compétent le soin d’évaluer le caractère raisonnable des honoraires des experts.

 

VII.      Autres questions

 

[24]           Servier a réclamé ses dépens, ce à quoi ne s’oppose pas Apotex, relativement aux honoraires pour la taxation des dépens et aux débours raisonnables pour les représentants de Servier qui se sont rendus au Canada afin d’être interrogés lors des interrogatoires préalables. Ces dépens seront adjugés.

 

[25]           Apotex s’oppose aux dépens réclamés pour le voyage qu’ont fait les avocats de Servier en France afin de procéder à des interrogatoires préalables. En théorie, je ne vois aucune raison de ne pas accorder de dépens raisonnables pour les interrogatoires préalables menés en France par les avocats de Servier. Il revient à l’officier taxateur de déterminer le caractère raisonnable de ces dépens et débours.

 

[26]           Les questions suivantes ne sont tout simplement pas décrites de façon suffisamment détaillée, et leur examen sera laissé à la discrétion de l’officier taxateur :

 

·                    Les dépenses raisonnables liées aux services de recherche informatisée;

 

·                    Les honoraires et débours concernant les avocats étrangers (du New Jersey, de l’Allemagne, de l’Autriche et de la France) pour les commissions rogatoires demandées par Apotex. Je pense qu’en théorie, il est permis de recouvrer ces dépens, mais la détermination de leur caractère raisonnable est laissée à la discrétion de l’officier taxateur.  

 

[27]           Un article réclamé par Servier que je ne suis pas prête à autoriser est celui des [traduction] « honoraires et débours raisonnables pour les rencontres entre les avocats et les représentants de Servier au cours de l’instance ». Je ne vois aucune mention de dépens de cette nature dans le tarif qui engloberait ces dépens vaguement décrits. Les dépens en question ne seront pas accordés.

 


VIII.     Conclusion

 

[28]           Compte tenu des présents motifs, il est à espérer que les parties pourront désormais en venir à un accord sur les dépens. Toutefois, si elles n’y arrivent pas, l’officier taxateur devra accorder à Servier 90 pour 100 de ses dépens et débours taxés, en fonction de l’échelon supérieur de la colonne IV et conformément aux directives données dans les présents motifs.

 

[29]           L’officier taxateur dispose d’un pouvoir discrétionnaire absolu sur toutes les questions que je lui ai renvoyées et sur toutes les questions qui ne sont pas traitées explicitement dans les présents motifs.

 


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que :

 

1.                  Les demanderesses (Servier Canada Inc. et ADIR) ont droit à tous leurs dépens à l’encontre des défenderesses, et ces dépens doivent être taxés selon l’échelon supérieur de la colonne IV du tarif B et en conformité avec les directives figurant dans les présents motifs;  

 

2.                  Le total des dépens adjugés est réduit de 10 pour 100.

 

« Judith A. Snider »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

David Aubry, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    T-1548-06

 

INTITULÉ :                                                   ADIR et SERVIER CANADA INC. c.

                                                            APOTEX INC. et

                                                            APOTEX PHARMACHEM INC.

 

 

ARGUMENTS PRÉSENTÉS PAR ÉCRIT (DÉPENS)

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET

JUGEMENT QUANT AUX DÉPENS :       La juge Snider

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                                    Le 23 septembre 2008

 

OBSERVATIONS ÉCRITES :

 

Judith Robinson

Daniel A. Artola

Joanne Chriqui

 

POUR LES DEMANDERESSES

(DÉFENDERESSES RECONVENTIONNELLES)

H.B. Radomski

N. De Luca

B. Hackett

POUR LES DÉFENDERESSES

(DEMANDERESSES RECONVENTIONNELLES)

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Ogilvy Renault S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Montréal (Québec)

 

POUR LES DEMANDERESSES

(DÉFENDERESSES RECONVENTIONNELLES)

 

Goodmans LLP

Toronto (Ontario)

POUR LES DÉFENDERESSES

(DEMANDERESSES RECONVENTIONNELLES)

 

 

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