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Date : 20080923

Dossier : IMM‑5012‑07

Référence : 2008 CF 1069

Ottawa (Ontario), le 23 septembre 2008

En présence de madame la juge Snider

 

 

ENTRE :

SALAH HASAN

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.          Contexte

 

[1]               Le demandeur, M. Salah Hasan, est entré au Canada en provenance de l’Iraq, en 2001, à titre de réfugié réétabli parrainé par le gouvernement. Dès 2004, M. Hasan avait été déclaré coupable de huit infractions criminelles, notamment de voies de fait, de profération de menaces et de contacts sexuels avec une personne mineure. M. Hasan a par la suite fait l’objet d’un rapport en application de l’article 44 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), comme on l’a estimé être un résident permanent interdit de territoire pour grande criminalité. En février 2005, des fonctionnaires de l’Agence des services frontaliers du Canada (l’ASFC) ont informé M. Hasan de leur intention de demander au ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (le ministre) un avis, en application de l’alinéa 115(2)a) de la LIPR, portant qu’il constituait un danger pour le public et que, de ce fait, il pouvait être renvoyé vers l’Iraq.

 

[2]               Dans une décision datée du 9 novembre 2007, la déléguée du ministre a établi que le demandeur constituait un danger pour le public au Canada et qu’à ce titre, il pouvait être refoulé vers l’Iraq. La déléguée a tiré plus particulièrement les conclusions suivantes :

 

·                     le demandeur constitue un danger pour le public (l’évaluation du danger);

 

·                     il ne serait pas exposé à un risque en faisant une personne à protéger au sens de l’article 97 de la LIPR (l’évaluation des risques);

 

·                     aucun risque auquel il pourrait être exposé ne l’emporte sur le danger qu’il constitue pour la société canadienne;

 

·                     trop peu de raisons d’ordre humanitaire sont en cause pour l’emporter sur le danger que le demandeur constitue pour le public canadien.

 

[3]               Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de la décision.

 

II.        Questions en litige

 

[4]               Les arguments du demandeur, lors de sa plaidoirie, ciblaient trois points principaux.

 

1.                  En ce qui concerne l’évaluation du danger, la déléguée du ministre a‑t‑elle commis une erreur en imposant au demandeur le fardeau de démontrer qu’il ne constituait pas un danger pour le public canadien?

 

2.                  En ce qui concerne l’évaluation des risques,

 

a.                   puisque le demandeur était un réfugié au sens de la Convention, la déléguée a‑t‑elle commis une erreur en lui imposant comme fardeau de démontrer qu’il serait exposé à un risque en Iraq?

 

b.                  advenant que le fardeau de preuve approprié ait été appliqué, le ministre a‑t‑il manqué à son obligation d’agir équitablement en omettant d’informer le demandeur de ce fardeau lui incombant?

 

3.                  La déléguée du ministre a‑t‑elle mis en balance de manière inappropriée le risque occasionné par le renvoi et le danger que le demandeur constituait pour la société canadienne du fait qu’elle n’a pas pris en compte

 

a.                   le sursis aux mesures de renvoi vers l’Iraq imposé par le ministre en application de l’article 230 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 (le RIPR), et

 

b.                  le risque généralisé de trouver la mort en Iraq?

 

III.       Cadre législatif

 

[5]               Le Canada a reconnu à M. Hasan la qualité de réfugié au sens de la Convention. Or, la législation canadienne en matière de protection des réfugiés reconnaît comme principe fondamental celui du non‑refoulement. Comme l’indique le paragraphe 115(1) de la LIPR :

115. (1) Ne peut être renvoyée dans un pays où elle risque la persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques, la torture ou des traitements ou peines cruels et inusités, la personne protégée ou la personne dont il est statué que la qualité de réfugié lui a été reconnue par un autre pays vers lequel elle peut être renvoyée.

115. (1) A protected person or a person who is recognized as a Convention refugee by another country to which the person may be returned shall not be removed from Canada to a country where they would be at risk of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion or at risk of torture or cruel and unusual treatment or punishment.

 

 

[6]               Le principe de non‑refoulement est toutefois assorti d’exceptions. Dans le cas particulier de M. Hasan, l’alinéa 115(2)a) de la LIPR prévoit que le paragraphe 115(1) ne s’applique pas à l’interdit de territoire :

a)  pour grande criminalité qui, selon le ministre, constitue un danger pour le public au Canada.

[Non souligné dans l’original.]

(a)  who is inadmissible on grounds of serious criminality and who constitutes, in the opinion of the Minister, a danger to the public in Canada;

[Emphasis added.]

 

 

IV.       Analyse

 

A.        Norme de contrôle

 

[7]               Je commencerai, comme il se doit, par examiner quelle norme de contrôle judiciaire il convient d’appliquer en l’espèce. Or, compte tenu de l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, il n’existe plus que deux normes de contrôle. La Cour suprême du Canada nous dit également dans cet arrêt, au paragraphe 57, que les cours peuvent se fonder sur la jurisprudence existante pour arrêter la bonne norme de contrôle. La jurisprudence antérieure à l’arrêt Dunsmuir prévoyait que la norme de la décision manifestement déraisonnable était la norme de contrôle appropriée pour les décisions prises en vertu de l’article 115 (Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 1, [2002] 1 R.C.S. 3, aux paragraphes 29, 32, 34, 38, 39 et 41; Nagalingam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 229 (C.F. 1re inst.), [2008] 1 R.C.F. 87 (Nagalingam, 1re inst.), aux paragraphes 18, 28, 30 et 39; Thanabalasingham c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 172, 269 F.T.R. 273, au paragraphe 60; Dadar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1381, 42 Imm. L.R. (3d) 260, au paragraphe 13; Fabian c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1527, 244 F.T.R. 223, aux paragraphes 19 et 20). Il est toutefois aussi établi clairement en jurisprudence qu’en ce qui a trait aux questions de droit, les décisions du ministre doivent être contrôlées selon la norme de la décision correcte (Nagalingam, 1re inst., au paragraphe 19).

 

[8]               En l’espèce, les erreurs que le demandeur prétend avoir été commises quant à l’évaluation du danger et à l’évaluation des risques sont soit des erreurs de droit appelant la norme de la décision correcte, soit des manquements à l’équité procédurale à l’égard desquels aucune norme de contrôle n’est applicable.

 

[9]               Ce qu’on impute essentiellement comme erreurs à la déléguée relativement à la mise en balance des intérêts, c’est qu’elle n’aurait pas tenu compte d’éléments pertinents. Or, le paragraphe 18.1(4) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F‑7, prévoit que constitue un motif de contrôle judiciaire l’omission du décideur de tenir compte d’éléments dont il dispose. Une telle erreur peut appeler l’intervention de la Cour fédérale, quelle que soit la norme de contrôle applicable.

 

B.         Principes généraux

 

[10]           La démarche qu’il convient pour un délégué de suivre est bien établie (se reporter, par exemple, à Nagalingam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 153, 292 D.L.R. (4th) 463 (l’appel Nagalingam); Ragupathy c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 834, 275 F.T.R. 311). Les principes applicables à la décision prise par le délégué en vertu de l’alinéa 115(2)a) et les étapes à suivre pour arriver à cette décision sont ceux qui vont suivre.

 

1.                  La personne protégée et le réfugié au sens de la Convention bénéficient du principe du non‑refoulement reconnu par le paragraphe 115(1) de la LIPR, sauf si l’exception prévue à l’alinéa 115(2)a) s’applique.

 

2.                  Pour que l’alinéa 115(2)a) s’applique, il faut que l’intéressé soit interdit de territoire pour grande criminalité (article 36 de la LIPR).

 

3.                  Si l’intéressé est interdit de territoire pour cette raison, le délégué doit décider s’il y a lieu de ne pas autoriser à demeurer au Canada à cause du danger qu’il constitue pour le public au Canada.

 

4.                  Une fois cette décision prise, le délégué doit procéder à une analyse fondée sur l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.‑U.) (la Charte). À cette fin, le délégué doit vérifier si, selon la prépondérance de la preuve, l’intéressé sera exposé à une menace à sa vie ou à un risque à sa sécurité ou à sa liberté s’il est renvoyé dans son pays d’origine. Cette analyse doit être contemporaine de la situation et le réfugié au sens de la Convention ou la personne protégée ne peut s’autoriser de son statut pour réclamer l’application de l’article 7 de la Charte (Suresh, précité, au paragraphe 127).

 

5.                  Poursuivant son analyse, le délégué doit mettre en balance le danger pour le public au Canada et le degré de risque, en tenant également compte de tout autre facteur d’ordre humanitaire applicable (Suresh, précité, aux paragraphes 76 à 79; Ragupathy, précitée, au paragraphe 19).

 

[11]           L’examen de la décision contestée en l’espèce révèle que la déléguée a bien suivi les étapes indiquées dans le cadre de son analyse. Le demandeur fait toutefois valoir qu’en procédant à cette analyse, la déléguée a commis des erreurs susceptibles de contrôle à l’égard de trois points essentiels.

 

C.        Évaluation du danger

 

[12]           Le demandeur allègue que la déléguée a commis une première erreur lorsque, dans son évaluation du danger, elle lui a imposé à tort le fardeau de preuve. En d’autres mots, la déléguée l’aurait obligé à prouver qu’il ne constituerait pas un danger pour le public au Canada. Le fondement de cette conclusion du demandeur, c’est qu’on retrouve l’expression [traduction] « je ne suis pas convaincue » dans les extraits qui suivent tirés de la décision de la déléguée.

[traduction]

·                     Je ne suis pas convaincue lorsque le conseil laisse entendre que cela [l’absence de récidive pendant 18 mois et les programmes suivis par le demandeur pendant son incarcération] prouve que son client ne constituera pas un danger pour le public.

 

·                     Bien que le conseil m’ait transmis des renseignements sur les programmes suivis par M. Hasan pendant son incarcération, je ne suis pas convaincue, au vu de nombreuses opinions exprimées dans les rapports en cause, que ce dernier soit complètement réadapté ou qu’une récidive soit improbable.

 

·                     Bien que, comme son conseil l’a déclaré, M. Hasan n’ait pas récidivé depuis sa sortie de prison, je ne suis pas convaincue, vu les circonstances entourant sa déclaration de culpabilité ainsi que certains renseignements figurant dans les rapports établis pendant l’incarcération, qu’il ne récidivera pas et qu’il ne risque pas de causer préjudice à d’autres victimes innocentes.

 

[13]           Tant le demandeur que le défendeur reconnaissent que c’est au ministre qu’incombe le fardeau de démontrer que M. Hasan constitue un danger pour le public. Il a été statué que constituait une erreur le fait de renverser ce fardeau et d’exiger que le demandeur convainque le délégué qu’il ne constitue pas un danger pour le public. Telle était la situation dans l’affaire Kim c. Canada (1997), 127 F.T.R. 181, où le délégué avait déclaré dans sa recommandation finale : [traduction] « Les renseignements qui m’ont été communiqués ne me convainquent pas que ce type de comportement violent ne se reproduira pas. »

 

[14]           Or telle n’est pas la situation en l’espèce. Il est évident lorsqu’on lit la partie en cause de la décision que la déléguée savait bien quel était le fardeau de preuve approprié. La déléguée commence en effet en énonçant quel est le fardeau approprié qui incombe au ministre, pour ensuite conclure comme suit, après examen attentif de la preuve :

[traduction]

[…] le comportement criminel de M. Hasan, dont atteste notamment sa déclaration de culpabilité pour contacts sexuels, est de telle nature que je l’estime constituer un danger pour le public au Canada, et tout particulièrement pour les femmes vulnérables de notre société.

 

[15]           Le recours à des expressions renfermant les mots [traduction] « je ne suis pas convaincue » dans cette partie de la décision signifie‑t‑il qu’en l’espèce, la déléguée a imposé à tort un fardeau de preuve au demandeur? Non, je ne crois pas que tel ait été le cas si l’on examine globalement la partie des motifs portant sur l’évaluation du danger.

 

[16]           Il ressort de cette partie des motifs que la déléguée s’est penchée sur la preuve concernant les déclarations de culpabilité et la prétendue réadaptation du demandeur. La déléguée avait pour tâche d’établir, selon la prépondérance de la preuve, si le demandeur constituait ou non un danger et, à cette fin, d’apprécier l’ensemble de la preuve dont elle était saisie. Une bonne part de cette preuve – le casier judiciaire du demandeur et les rapports de la prison – provenait de l’ASFC. Il ne s’agit donc pas d’un cas où le délégué s’est uniquement fondé sur l’existence d’un casier judiciaire. Il ressort en outre de la décision que la déléguée a examiné avec soin les circonstances ayant entouré les déclarations de culpabilité ainsi que le comportement du demandeur pendant et après son incarcération.

 

[17]           La seule preuve présentée par le demandeur concernait le fait qu’il avait suivi des cours sur le comportement pendant son incarcération et qu’il n’avait pas récidivé pendant 18 mois. Toutes les mentions qui seraient inexactes, précitées, avaient trait aux affirmations du demandeur portant qu’il s’était réadapté en suivant des cours pendant son incarcération et qu’il ne récidiverait pas. La déléguée a attentivement passé en revue les programmes mentionnés et a relevé que le demandeur avait fait l’objet de diverses évaluations défavorables de la part des prestataires des cours. La déléguée a également fait remarquer que le demandeur avait été impliqué dans des altercations pendant son emprisonnement et qu’il se décrivait lui‑même comme une « victime ». Selon mon interprétation de la décision, l’emploi des mots [traduction] « je ne suis pas convaincue » dénote une appréciation de la preuve par la déléguée plutôt que l’attribution au demandeur d’un fardeau inapproprié. Au vu de la preuve présentée par le demandeur, il était entièrement raisonnable pour la déléguée de dire que cette preuve ne l’emportait pas sur la preuve substantielle dont elle était saisie quant au danger que constituait le demandeur.

 

[18]           Je ne suis pas convaincue que la déléguée a commis l’erreur que lui a imputée le demandeur.

 

D.        Évaluation des risques

 

[19]           La première observation du demandeur relativement à l’évaluation des risques c’est qu’une fois qu’il a été conclu qu’une personne est un réfugié au sens de la Convention, cette personne a démontré prima facie qu’elle serait exposée à un risque en cas de renvoi vers son pays d’origine. C’est donc alors au ministre qu’il revient de démontrer que cette personne ne serait pas exposée à un risque advenant son renvoi. Cela, soutient le demandeur, serait conforme aux obligations internationales du Canada et avec le concept de perte de l’asile énoncé dans la Convention et repris à l’article 108 de la LIPR. En application de cet article, le ministre peut s’adresser à la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié pour qu’elle établisse s’il y a eu perte de l’asile au motif, notamment, que les raisons qui ont fait demander l’asile n’existent plus (alinéa 108(1)e)). Selon le demandeur, comme c’est au ministre qu’incombe le fardeau de preuve dans le cadre de l’article 108, c’est également à lui que devrait incomber le fardeau dans le cadre de l’article 115, qui a aussi pour effet de faire perdre à l’intéressé la qualité de réfugié.

 

[20]           J’estime sans fondement cet argument du demandeur, dont la faille essentielle est que le paragraphe 115(2) ne fait pas perdre à l’intéressé la qualité de personne protégée ou de réfugié au sens de la Convention. Le principe du non‑refoulement est clairement énoncé au paragraphe 115(1). La décision de la déléguée a été rendue en application du paragraphe 115(2) de la LIPR et elle n’a pas eu pour effet d’enlever au demandeur sa qualité de réfugié au sens de la Convention non plus que de porter atteinte à cette qualité (Ragupathy, précitée, au paragraphe 2; Sittampalam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2007 CF 687, 62 Imm. L.R. (3d) 271, au paragraphe 52).

 

[21]           Le paragraphe 115(2) ne prévoit pas l’obligation pour le ministre d’évaluer le risque couru par la personne dont on a conclu qu’elle constituait un danger. Cette obligation découle de l’article 7 de la Charte, tel qu’en a décidé la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Suresh, précité. On ne peut donc établir de parallèle entre les dispositions sur la perte de l’asile de l’article 108, qui oblige expressément le ministre à démontrer que n’existent plus les raisons pour lesquelles l’intéressé a demandé l’asile, et l’article 115, à l’égard duquel la seule obligation entrant en jeu découle de la Charte.

 

[22]           Il est clairement établi en jurisprudence qu’une fois qu’il a été conclu que le demandeur constitue un danger pour le public, c’est à lui d’établir qu’il serait exposé à un risque (se reporter, par exemple, à Camara c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 168, aux paragraphes 58 à 60; Al‑Kafage c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 815, 63 Imm. L.R. (3d) 234, au paragraphe 15; Nagalingam, 1re inst., précitée, au paragraphe 25). Plus récemment, dans l’appel Nagalingam, précité, la Cour d’appel fédérale a confirmé (au paragraphe 44) que « le réfugié au sens de la Convention ou la personne protégée ne peut s’autoriser de son statut pour réclamer l’application de l’article 7 de la Charte ».

 

[23]           La déléguée n’a pas erronément imposé au demandeur le fardeau de prouver qu’il serait exposé au risque d’être torturé ou tué s’il devait retourner en Iraq. Je rejette également la prétention du demandeur selon laquelle on lui demande de prouver de nouveau qu’il demeure un réfugié au sens de la Convention, qu’il ne dispose pas d’une possibilité de refuge intérieur ou qu’en cas de renvoi, il serait toujours exposé aux mêmes conditions que celles prévalant lorsqu’on lui a initialement reconnu la qualité de réfugié. Il est évident que la déléguée n’a pas exigé du demandeur qu’il prouve ces éléments. Elle a plutôt procédé comme il se devait à l’évaluation des risques actuels auxquels le demandeur serait exposé en cas de renvoi vers l’Iraq.

 

[24]           Le second problème soulevé par le demandeur quant à l’évaluation des risques c’est que, si c’était véritablement à lui qu’il incombait de démontrer qu’il courrait un risque s’il devait retourner en Iraq, on aurait dû l’aviser qu’il ne pouvait à cette fin s’autoriser de sa qualité de réfugié ou que c’était sur lui que reposait le fardeau de prouver un tel risque.

 

[25]           Cet argument doit également être écarté. Par lettre datée du 6 décembre 2004, l’ASFC a fait savoir au demandeur qu’elle sollicitait l’avis du ministre visé à l’alinéa 115 (2)a). On informait le demandeur que le ministre examinerait s’il était raisonnable de conclure qu’il constituait un danger pour le public au Canada, et la possibilité qu’il coure un risque advenant son retour en Iraq. On informait également le demandeur qu’il pourrait présenter les prétentions écrites et les arguments qu’il jugerait nécessaires ou pertinents, notamment quant à la question de savoir si son renvoi hors du Canada mettrait en péril sa vie ou ses libertés. Cela constitue selon moi un avis au demandeur suffisant.

 

[26]           Je peux en outre observer que le demandeur semble avoir été bien au fait du fardeau qui lui incombait. Dans les observations présentées au nom du demandeur pour donner suite à l’avis de l’ASFC, on a fait valoir bon nombre de prétentions consistant bien davantage qu’à uniquement se réclamer de la qualité de réfugié.

 

[27]           À mon avis, non seulement le demandeur a reçu un avis suffisant, mais il a bien compris que cet avis l’obligeait à démontrer que sa vie serait en péril s’il devait retourner en Iraq. Il n’y a pas eu à cet égard d’erreur susceptible de contrôle.

 

E.         Mise en balance des intérêts

 

[28]           Comme dernière étape de l’analyse relative à l’alinéa 115(2)a), le délégué doit mettre en balance le danger occasionné pour le public au Canada et le degré du risque couru par l’intéressé ainsi que tout autre facteur d’ordre humanitaire (Suresh, précité, aux paragraphes 76 à 79; Ragupathy, précitée, au paragraphe 19; appel Nagalingam, précité, au paragraphe 44). Le demandeur ne semble pas contester la mise en balance en regard de facteurs d’ordre humanitaire; il soulève toutefois deux arguments pour contester la mise en balance en regard des facteurs de risque.

 

[29]           La première mise en question vient de ce que la déléguée n’a pas pris en compte le fait que le ministre a imposé un sursis aux mesures de renvoi vers l’Iraq en application de l’article 230 reproduit ci‑après du RIPR :

230. (1) Le ministre peut imposer un sursis aux mesures de renvoi vers un pays ou un lieu donné si la situation dans ce pays ou ce lieu expose l’ensemble de la population civile à un risque généralisé qui découle :

a) soit de l’existence d’un conflit armé dans le pays ou le lieu;

b) soit d’un désastre environnemental qui entraîne la perturbation importante et momentanée des conditions de vie;

 

c) soit d’une circonstance temporaire et généralisée.

230. (1) The Minister may impose a stay on removal orders with respect to a country or a place if the circumstances in that country or place pose a generalized risk to the entire civilian population as a result of

 

(a) an armed conflict within the country or place;

 

(b) an environmental disaster resulting in a substantial temporary disruption of living conditions; or

 

(c) any situation that is temporary and generalized.

 

[30]           Cet argument du demandeur fondé sur l’article 230 pose toutefois deux problèmes. Le premier, c’est que le demandeur ne l’a pas soulevé dans les observations qu’il a présentées à l’ASFC. Cela suffit en soi pour écarter cet argument.

 

[31]           Plus important encore, toutefois, tout sursis imposé en vertu du paragraphe 230(1) n’est pas applicable au demandeur. Le paragraphe 230(3) prévoit en effet expressément qu’un tel sursis ne s’applique pas à l’intéressé qui est interdit de territoire pour grande criminalité (paragraphe 36(1) de la LIPR) ou criminalité (paragraphe 36(2) de la LIPR). Or, le demandeur a été reconnu être interdit de territoire pour grande criminalité. Il ne peut donc se prévaloir des dispositions de l’article 230.

 

[32]           La déléguée n’a donc pas commis d’erreur, pour ces motifs, en ne mentionnant pas le sursis imposé aux mesures de renvoi vers l’Iraq.

 

[33]           Le demandeur soutient également que la déléguée aurait dû tenir davantage compte du fait qu’il risquait de trouver la mort en Iraq. Le demandeur cite l’arrêt États‑Unis c. Burns, 2001 CSC 7, [2001] 1 R.C.S. 283, pour faire valoir que la Charte requiert qu’on ne renvoie un intéressé que dans des circonstances exceptionnelles vers un pays où il risque sérieusement de trouver la mort. Le problème posé par cet argument du demandeur c’est qu’il n’est étayé ni par la preuve ni par les observations qu’on avait présentées à la déléguée. Celle‑ci, tout comme la Cour, n’était saisie d’aucune preuve selon laquelle le demandeur risque sérieusement de trouver la mort. Je suis convaincue que la déléguée a appliqué le critère approprié à cet égard et n’a pas commis d’erreur lorsqu’elle a mis en balance le risque couru en cas de renvoi vers l’Iraq et le danger occasionné au public au Canada.

 

IV.       Conclusion

 

[34]           Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

 

[35]           Le demandeur demande que je certifie les trois questions qui vont suivre.

 

[traduction]

1.                  Tout intéressé originaire d’un pays désigné en application de l’article 230 du RIPR doit‑il être considéré courir un risque dans le cadre de la mise en balance du risque pour l’intéressé et du danger pour le Canada en application du paragraphe 115(2) de la LIPR?

 

2.                  Dans le cadre de cette mise en balance, lorsque l’intéressé est un réfugié au sens de la Convention, est‑ce à lui qu’incombe le fardeau de démontrer que le risque ayant conduit à l’octroi de l’asile continue d’exister, ou la conclusion tirée qu’un intéressé est un réfugié au sens de la Convention crée‑t‑elle une présomption réfutable selon laquelle il courra un risque en cas de renvoi?

 

3.                  Si la réponse à la question précédente c’est que le fardeau de preuve incombe à l’intéressé et qu’il n’existe pas de présomption réfutable, l’obligation d’agir équitablement requiert‑elle que l’intéressé qui a qualité de réfugié au sens de la Convention soit expressément avisé de ce fardeau?

 

[36]           À mon avis, ces questions ne satisfont pas au critère applicable à la certification.

 

[37]           Quant à la première question, comme on l’a déjà relevé, l’article 230 du RIPR ne s’applique pas au demandeur qui est interdit de territoire au Canada pour grande criminalité. La déléguée, en outre, n’avait pas été saisie de la question de l’existence d’un moratoire. Cette question, par conséquent, n’est pas déterminante pour l’issue de la présente demande.

 

[38]           Je constate que dans le libellé de la seconde question proposée, on décrit incorrectement le fardeau incombant au demandeur. En effet, celui‑ci n’a pas à [traduction] « démontrer que le risque ayant conduit à l’octroi de l’asile continue d’exister ». Le demandeur doit plutôt démontrer qu’il courrait un risque s’il devait être renvoyé vers l’Iraq. Il se pourrait en effet que le risque ayant conduit à l’octroi de l’asile n’existe plus, mais qu’un risque complètement nouveau soit maintenant apparent.

 

[39]           Plus important encore, la deuxième question a été examinée à de nombreuses reprises par la Cour et par la Cour d’appel. C’est à la personne susceptible de faire l’objet d’un avis de danger qu’il revient de présenter une preuve relativement au risque qu’elle court. Il n’est pas nécessaire de certifier une question à l’égard de laquelle la jurisprudence est bien établie.

 

[40]           La troisième question ne se pose pas en l’espèce. Tel qu’en attestent ses observations relatives à l’avis de danger, le demandeur était bien au fait qu’il lui incombait de présenter des observations et des éléments de preuve au sujet du risque auquel il serait exposé en cas de renvoi vers l’Iraq. En tout état de cause, l’avis donné au demandeur en l’espèce constituait un avis suffisant.


JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE :

 

1.                  La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

2.                  Aucune question de portée générale n’est certifiée.

 

« Judith A. Snider »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Julie Boulanger, LL.M.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM‑5012‑07

 

 

INTITULÉ :                                       SALAN HASAN c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Winnipeg (Manitoba)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 16 septembre 2008

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LA JUGE SNIDER

 

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       Le 23 septembre 2008

 

 

COMPARUTIONS :

 

David Matas

 

POUR LE DEMANDEUR

Nalini Reddy

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

David Matas

Winnipeg (Manitoba)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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