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Date : 20080916

Dossier : IMM-560-08

Référence : 2008 CF 1039

Vancouver (Colombie-Britannique), le 16 septembre 2008

En présence de madame la juge Heneghan

 

 

ENTRE :

SUHAILA ODICHO

DANIEL SAMANO

 

demandeurs

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

 

[1]               Mme Suhaila Odicho, l’épouse, et M. Daniel Samano, l’époux (collectivement appelés les demandeurs) sollicitent le contrôle judiciaire de la décision dans laquelle une agente des visas de l’ambassade du Canada à Damas, en Syrie, a refusé de délivrer un visa de résident permanent à l’épouse. La décision a été rendue le 3 mai 2007.

 

[2]               Les demandeurs se sont mariés en Syrie le 16 septembre 2004. En septembre 2004, l’époux a été avisé par son frère que la demande visant à le parrainer avait été accueillie. L’époux a obtenu le droit d’établissement au Canada le 26 janvier 2005, et il a présenté une demande de parrainage de son épouse pour la première fois en mai 2005.

 

[3]               La demande a été rejetée et une nouvelle demande a été présentée en novembre 2006.

 

[4]               La demande a au départ été rejetée dans une décision rendue le 6 février 2007. La demande de l’épouse a été rejetée au motif que l’époux n’avait pas divulgué qu’il était marié lorsqu’il est entré au Canada comme résident permanent le 26 janvier 2005. La demande visant à parrainer l’enfant à charge a été rejetée pour le même motif.

 

[5]               Après réexamen de la décision du 6 février 2007, l’agente des visas a annulé le rejet de la demande relative à l’enfant à charge. Cependant, elle a maintenu le rejet de la demande visant l’épouse, en vertu de l’alinéa 117(9)d) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le Règlement). La décision issue du réexamen a été rendue le 3 mai 2007.

 

[6]               Les demandeurs allèguent que l’agente des visas a commis une erreur en ne tenant pas compte des circonstances d’ordre humanitaire suivant l’article 25 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi). Ils soutiennent avoir demandé expressément à ce que la demande de résidence permanente de l’épouse au Canada soit examinée à la lumière de l’article 25 de la Loi.

 

[7]               Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (le défendeur) affirme que l’époux a fait une fausse déclaration au sujet de son état matrimonial, et que les demandeurs tentent maintenant d’échapper aux conséquences de cette fausse déclaration en demandant que soit exercé le pouvoir discrétionnaire prévu à l’article 25 de la Loi. Selon le défendeur, la preuve présentée par les demandeurs relativement aux facteurs qui doivent être pris en compte suivant le paragraphe 25(1), y compris l’intérêt supérieur de l’enfant mineur à charge, n’est pas suffisante.

 

[8]               Depuis l’arrêt récent Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190, rendu par la Cour suprême du Canada, la Cour doit contrôler les décisions rendues par des décideurs d’origine législative suivant la norme de la décision correcte ou celle de la décision raisonnable. Pour rendre sa décision en l’espèce, l’agente des visas devait apprécier la preuve présentée et, à mon avis, la norme de contrôle applicable est la décision raisonnable.

 

[9]               Selon moi, la décision en l’espèce ne satisfait pas à la norme de la décision raisonnable. La lettre de refus du 3 mai 2007 justifie comme suit le rejet de la demande fondée sur des circonstances d’ordre humanitaire (la demande CH) présentée par les demandeurs :

[traduction] J’ai terminé l’examen de votre demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire suivant le paragraphe 25(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés. À mon avis, il n’y a pas de circonstances d’ordre humanitaire qui justifient que vous soit octroyé le statut de résidente permanente ou que soit levé tout ou partie des critères et obligations applicables. Vous n’avez pas fourni la preuve suffisante de telles circonstances dans votre demande de résidence permanente présentée au titre de la catégorie du regroupement familial. La présente décision s’applique uniquement à vous, Suhaila Odicho. Si vous désirez qu’on procède au traitement de la demande de visa de résident permanent de Odicho Samano, veuillez nous en aviser dans les 45 jours suivant la réception de la présente lettre.

 

Par conséquent, vous ne répondez pas à la définition de membre de la catégorie du regroupement familial.

 

Suivant le paragraphe 11(1) de la Loi, l’étranger doit, préalablement à son entrée au Canada, demander à l’agent les visa et autres documents requis par règlement. L’agent peut les délivrer sur preuve, à la suite d’un contrôle, que l’étranger n’est pas interdit de territoire et se conforme à la présente loi. Pour les motifs susmentionnés, je ne suis pas convaincue que vous n’êtes pas interdite de territoire et que vous vous conformez à la présente loi. Je rejette donc votre demande.

 

[10]           À la lecture de cette conclusion, l’agente des visas n’a apparemment pas tenu compte des observations présentées à l’appui de la demande CH, observations énoncées dans la lettre du 12 décembre 2006 rédigée par le conseil des demandeurs :

[traduction]

 

[…]

 

Lorsque le répondant est retourné chez lui, il a commencé à préparer son départ pour le Canada. Il n’a pas cru bon d’aviser Immigration Canada de son nouveau mariage, parce qu’il croyait que les responsables de l’immigration lui enlèveraient alors son visa et qu’ils rejetteraient sa demande. Il ne comprenait pas les conséquences que la décision prise à son égard aurait sur le parrainage futur de son épouse.

 

Le répondant s’est donc rendu au Canada. Il est entré au pays le 26 janvier 2005. Lorsqu’il est arrivé à l’aéroport, il a suivi les autres passagers jusqu’aux douanes. Le répondant a indiqué que les fonctionnaires des douanes l’avaient photographié et qu’ils l’avaient ensuite amené à la sortie de l’aéroport où il avait rejoint les membres de sa famille qui étaient venus le chercher. Les fonctionnaires des douanes n’ont pas posé de questions au répondant, puisqu’il ne parlait et ne comprenait pas l’anglais. Le répondant a dit qu’il n’y avait aucun interprète à l’aéroport et qu’on lui avait tout simplement permis d’entrer au Canada. Le répondant a aussi affirmé qu’on n’avait pas demandé aux membres de sa famille d’aider à traduire ce qui était dit, et que les autorités n’avaient pas voulu lui parler.

 

[…]

 

Il s’agit, à notre avis, de circonstances inhabituelles pouvant s’expliquer clairement. Le répondant n’a pas fait preuve de mauvaise foi. Sa décision de ne pas inclure son épouse dans sa demande initiale était peu judicieuse et inutile, puisque s’il l’avait incluse, rien n’aurait justifié le rejet de la demande de l’épouse. Le répondant a été un bon immigrant. De plus, ses omissions n’étaient en réalité pas importantes, puisque son épouse ainsi que son enfant à charge ne sont pas interdits de territoire pour criminalité ou pour des raisons médicales.

 

[…]

 

[11]           Il n’est pas contesté que l’époux n’a pas déclaré son épouse comme personne à charge ne l’accompagnant pas lorsqu’il est entré au Canada en janvier 2005. Aucune preuve ne permet de contester l’authenticité du mariage des demandeurs. Rien ne permet de contester que l’enfant mineur est bel et bien leur enfant. En fait, le défendeur n’a déposé aucun affidavit de l’agente des visas.

 

[12]           Il y a un fait crucial, et il s’agit de l’omission du demandeur de divulguer le changement de son état matrimonial lorsqu’il est entré au Canada. Cette omission a entraîné l’exclusion de son épouse conformément à l’alinéa 117(9)d) du Règlement qui prévoit :

117(9) Ne sont pas considérées comme appartenant à la catégorie du regroupement familial du fait de leur relation avec le répondant les personnes suivantes :

[…]

d) sous réserve du paragraphe (10), dans le cas où le répondant est devenu résident permanent à la suite d’une demande à cet effet, l’étranger qui, à l’époque où cette demande a été faite, était un membre de la famille du répondant n’accompagnant pas ce dernier et n’a pas fait l’objet d’un contrôle.

117(9) A foreign national shall not be considered a member of the family class by virtue of their relationship to a sponsor if

 

 

(d) subject to subsection (10), the sponsor previously made an application for permanent residence and became a permanent resident and, at the time of that application, the foreign national was a non‑accompanying family member of the sponsor and was not examined.

 

 

[13]           Le paragraphe 25(1) de la Loi, qui offre un moyen de surmonter les conséquences de l’inobservation des exigences de la Loi et du Règlement, prévoit :

Séjour pour motif d’ordre humanitaire

 

25. (1) Le ministre doit, sur demande d’un étranger se trouvant au Canada qui est interdit de territoire ou qui ne se conforme pas à la présente loi, et peut, de sa propre initiative ou sur demande d’un étranger se trouvant hors du Canada, étudier le cas de cet étranger et peut lui octroyer le statut de résident permanent ou lever tout ou partie des critères et obligations applicables, s’il estime que des circonstances d’ordre humanitaire relatives à l’étranger — compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché — ou l’intérêt public le justifient.

 

Humanitarian and compassionate considerations

 

25. (1) The Minister shall, upon request of a foreign national in Canada who is inadmissible or who does not meet the requirements of this Act, and may, on the Minister’s own initiative or on request of a foreign national outside Canada, examine the circumstances concerning the foreign national and may grant the foreign national permanent resident status or an exemption from any applicable criteria or obligation of this Act if the Minister is of the opinion that it is justified by humanitarian and compassionate considerations relating to them, taking into account the best interests of a child directly affected, or by public policy considerations.

 

 

[14]           Cette disposition de la Loi porte sur l’étude du « cas » de l’étranger qui est interdit de territoire ou qui ne se conforme pas aux exigences légales, y compris les exigences réglementaires. Il s’agit d’une disposition apportant une amélioration.

 

[15]           En l’espèce, l’agente des visas n’a apparemment pas tenu compte des documents présentés relativement au « cas » de l’époux qui a omis de déclarer le changement de son état matrimonial au moment où il est entré au Canada. À mon avis, les demandeurs ont présenté la preuve essentielle, c’est-à-dire l’existence du mariage, de la famille, et du désir de vivre ensemble. L’époux a expliqué pourquoi il n’avait pas au départ divulgué le changement de son statut matrimonial et, selon moi, il n’y a rien à ajouter. Les demandeurs ont présenté les faits pertinents. Les demandeurs doivent prouver que l’exercice du pouvoir discrétionnaire est justifié, mais, à mon avis, ils n’ont pas, pour s’acquitter de ce fardeau, à produire une preuve surabondante.

 

[16]           La décision de l’agente des visas ne fait pas état d’une compréhension de l’objet du paragraphe 25(1), qui est de surmonter les conséquences de l’inobservation des exigences légales. La décision initiale du 6 février 2007, dans laquelle l’enfant ainsi que l’épouse avaient été exclus, met en évidence un zèle excessif de la part du décideur initial, sinon une mauvaise interprétation de l’article 117 du Règlement.

 

[17]           Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie. La décision du 3 mai 2007 sera annulée et l’affaire sera renvoyée à un autre agent de l’ambassade du Canada en Syrie pour qu’il procède à un nouvel examen.

 

[18]           Aucune question n’est soulevée aux fins de certification.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision du 3 mai 2007 est annulée et l’affaire est renvoyée à un autre agent de l’ambassade du Canada en Syrie pour qu’il procède à un nouvel examen. Aucune question n’est certifiée.

 

 

 

« E. Heneghan »

Juge

 

 

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Isabelle D’Souza, LL.B., M.A.Trad.jur.

 

 

 

 

 

 

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-560-08

 

INTITULÉ :                                       SUHAILA ODICHO, DANIEL SAMANO

c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE

L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 PAR VIDÉOCONFÉRENCE (TORONTO ET VANCOUVER)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 9 JUILLET 2008

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LA JUGE HENEGHAN

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       LE 16 SEPTEMBRE 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Michael Loebach                                                                      POUR LES DEMANDEURS

 

Brad Gotkin                                                                             POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Michael Loebach                                                                      POUR LES DEMANDEURS

London (Ontario)

 

John H. Sims, c.r.                                                                     POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

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