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Date : 20080926

Dossier : T-14-08

Référence : 2008 CF 1083

Ottawa (Ontario), le 26 septembre 2008

En présence de monsieur le juge Beaudry

 

 

ENTRE :

RODNEY GENE TORRANCE

demandeur

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL ET

L’AGENCE DU REVENU DU CANADA

défendeurs

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire, présentée en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7, qui vise une lettre datée du 5 décembre 2007 (appelée l’avis de confirmation du demandeur) dans laquelle le ministre du Revenu national et l’Agence du revenu du Canada (les défendeurs) ont rejeté l’avis d’opposition déposé par

M. Rodney Gene Torrance (le demandeur) en réponse à son avis de cotisation pour l’année d’imposition 1998. Le demandeur se représente lui-même.

 

 

FAITS

[2]               Le 29 août 1998, le demandeur a subi un grave accident, à la suite duquel il a dû être hospitalisé longtemps. Dans ces circonstances, le demandeur n’a pas été en mesure de produire à temps ses déclarations de revenus pour les années d’imposition 1997 et 1998. Le demandeur était travailleur autonome au moment de l’accident.  

 

[3]               Le demandeur a présenté, dans une lettre en date du 10 mai 2006, une demande en vertu du Programme des divulgations volontaires (le PDV) concernant ses déclarations de revenus pour 1997 et 1998, et cette demande a été acceptée par lettre datée du 3 août 2006.

 

[4]               Le 20 octobre 2006, le demandeur a produit sa déclaration de revenus pour 1998 à l’Agence du revenu du Canada (l’ARC) en application du PDV. Le demandeur a aussi envoyé sa déclaration de revenus pour 1997 en 2006.

 

[5]               Le demandeur a fait l’objet d’une cotisation pour l’année d’imposition 1998 le 22 janvier 2007. Le solde payable au titre de la déclaration de revenus pour 1998 consiste uniquement en des primes versées au Régime de pensions du Canada (le RPC) qui ont été établies à 451,41 $. Toutefois, compte tenu de l’application des alinéas 30(5)a) et b) du RPC, le demandeur n’avait aucun impôt à payer pour cette année-là. Il a donc reçu un avis de cotisation indiquant qu’il n’y avait aucun impôt à payer, ce qui est aussi appelé une « cotisation néant ».

 

[6]               Le 23 avril 2007, le demandeur a signifié un avis d’opposition à la cotisation pour son année d’imposition 1998. Liz Melissa, chef d’équipe à l’ARC, a examiné l’avis d’opposition du demandeur.

 

[7]               Par lettre datée du 5 décembre 2007, le ministre a rejeté l’opposition du demandeur à la cotisation pour 1998, car il s’agissait d’une cotisation néant.

 

QUESTION EN LITIGE

[8]               Selon la Cour, la seule question en litige dans la présente affaire est la suivante : Le ministre a-t-il commis une erreur susceptible de contrôle en rejetant l’avis d’opposition en date du 23 avril 2007 relativement à l’avis de cotisation du demandeur pour 1998?

 

 

 

QUESTION PRÉLIMINAIRE

[9]               Dans sa plaidoirie, le défendeur dit que le demandeur a produit des documents annexés aux onglets G et I de son dossier de demande, lesquels n’ont pas été présentés au décideur ni joints à son affidavit.  

 

[10]           Le demandeur peut seulement se fonder sur des documents dont était saisi le décideur lorsqu’il fait valoir ses arguments à l’appui du contrôle judiciaire devant la Cour (voir Smith c. R., [2001] 2 C.C.I. 189, 2001 D.T.C. 5231 (C.A.F.), paragraphe 7). Par conséquent, la Cour n’examinera pas les documents annexés aux onglets G et I du dossier du demandeur.

 

DISPOSITIONS LÉGISLATIVES APPLICABLES

[11]           La présente demande intéresse les dispositions suivantes du RPC :

 

30. (5) Lorsque aucune déclaration des gains pour une année provenant du travail qu’une personne exécute pour son propre compte n’a été produite auprès du ministre, ainsi que l’exige le présent article, et ce au plus tard quatre ans après la date à laquelle elle est tenue de produire pour l’année en question la déclaration visée au paragraphe (1), le montant de toute cotisation qui, d’après la présente loi, doit être versé par elle pour l’année, à l’égard de semblables gains, est réputé nul sauf si, avant l’expiration de ces quatre ans, le ministre a évalué la cotisation pour l’année à l’égard de ces gains.

30. (5) The amount of any contribution required by this Act to be made by a person for a year in respect of their self-employed earnings for the year is deemed to be zero where

 

(a) the return of those earnings required by this section to be filed with the Minister is not filed with the Minister before the day that is four years after the day on or before which the return is required by subsection (1) to be filed; and

 

(b) the Minister does not assess the contribution before the end of those four years.

 

 

 

51. (1) Les gains ouvrant droit à pension d’un cotisant pour un mois donné est le produit de :

A x B

où :

A représente les gains au titre desquels le cotisant est réputé selon l’article 52 avoir versé une cotisation pour le mois,

B représente :

 

 

 

 

 

[…]

 

b) dans tous les autres, le quotient de

G/D,

où :

G représente le maximum moyen des gains ouvrant droit à pension pour l’année au cours de laquelle une prestation lui devient payable en vertu de la présente loi ou d’un régime provincial de pensions,

D à la valeur indiquée à l’alinéa a).

 

51. (1) The pensionable earnings of a contributor for a month (in this subsection referred to as the “particular month”) are the amount determined by the formula

A x B

where

A is the earnings for which the contributor is deemed by section 52 to have made a contribution for the particular month; and

B is

 

[…]

 

(b) in any other case, the ratio

G/D

where

G is the Maximum Pensionable Earnings Average in respect of the contributor for the year in which a benefit becomes payable to the contributor under this Act or under a provincial pension plan, and

D is as described in paragraph (a).

 

 

52. (2) Dans le calcul des gains d’un cotisant ouvrant droit à pension pour un mois compris dans une année quelconque concernant laquelle le cotisant n’a versé aucune cotisation, le montant des gains à l’égard desquels une cotisation est réputée avoir été payée pour tout mois de l’année est réputé nul.

52. (2) For the purpose of calculating the pensionable earnings of a contributor for a month in any year for which the contributor made no contribution, the amount of the earnings for which a contribution shall be deemed to have been made for any month in the year shall be deemed to be zero.

 

 

52. (3) Pour l’application de la présente partie :

 

a) un cotisant est réputé avoir versé une cotisation pour une année quelconque à l’égard de laquelle ses gains non ajustés ouvrant droit à pension excèdent son exemption de base pour l’année, et il est réputé n’avoir versé aucune cotisation pour une année quelconque dans le cas contraire;

 

 

 

b) un cotisant est réputé avoir versé une cotisation pour des gains afférents à tout mois pour lequel une cotisation est, selon le paragraphe (1), réputée avoir été versée par lui.

 

52. (3) For the purposes of this Part,

 

(a) a contributor shall be deemed to have made a contribution for any year for which his unadjusted pensionable earnings exceed his basic exemption for the year, and shall be deemed to have made no contribution for any year for which his unadjusted pensionable earnings do not exceed his basic exemption for the year; and

 

(b) a contributor shall be deemed to have made a contribution for earnings for any month for which a contribution is deemed by subsection (1) to have been made by him.

 

[12]           Dans ses observations, le demandeur fait aussi référence au paragraphe 220(3.1) de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985 (5e suppl.), ch. 1 :

220. (3.1) Le ministre peut, au plus tard le jour qui suit de dix années civiles la fin de l’année d’imposition d’un contribuable ou de l’exercice d’une société de personnes ou sur demande du contribuable ou de la société de personnes faite au plus tard ce jour-là, renoncer à tout ou partie d’un montant de pénalité ou d’intérêts payable par ailleurs par le contribuable ou la société de personnes en application de la présente loi pour cette année d’imposition ou cet exercice, ou l’annuler en tout ou en partie. Malgré les paragraphes 152(4) à (5), le ministre établit les cotisations voulues concernant les intérêts et pénalités payables par le contribuable ou la société de personnes pour tenir compte de pareille annulation.

220. (3.1) The Minister may, on or before the day that is ten calendar years after the end of a taxation year of a taxpayer (or in the case of a partnership, a fiscal period of the partnership) or on application by the taxpayer or partnership on or before that day, waive or cancel all or any portion of any penalty or interest otherwise payable under this Act by the taxpayer or partnership in respect of that taxation year or fiscal period, and notwithstanding subsections 152(4) to (5), any assessment of the interest and penalties payable by the taxpayer or partnership shall be made that is necessary to take into account the cancellation of the penalty or interest.

 

ANALYSE

[13]           Le demandeur s’appuie sur le paragraphe 18.1(4) de la Loi sur les Cours fédérales pour dire que la décision de l’ARC, datée du 5 décembre 2007, de rejeter son avis d’opposition pour 1998 équivaut à un refus par elle d’exercer sa compétence.

 

[14]           Selon le demandeur, le remboursement découlant de son avis de cotisation pour 1997 constitue un versement de cotisations fait au RPC en temps opportun pour des gains provenant d’un travail indépendant, et l’ARC aurait dû appliquer le remboursement lié à l’année d’imposition 1997  à la somme payable pour 1998, une somme composée entièrement de cotisations sur des gains provenant d’un travail indépendant. Le demandeur soutient que l’ARC aurait dû répartir au prorata le montant des cotisations parce qu’il est devenu invalide le 29 août 1998.

 

[15]           Le demandeur estime être réputé avoir versé ses cotisations au RPC en application des alinéas 52(3)a) et b) ou de l’alinéa 51(1)b) du RPC. Il craint que le paragraphe 52(2) du RPC ne s’applique, faisant en sorte que ses gains ouvrant droit à pension pour 1998 soient réputés nuls. Son avis d’opposition concerne cette crainte.

 

[16]           Dans sa lettre en date du 5 décembre 2007, les défendeurs tiennent les propos suivants :

[traduction]

Le Programme des divulgations volontaires permet de traiter les déclarations de revenus au-delà du délai de quatre ans sans que des pénalités soient imposées. Le PDV ne peut prévaloir sur les exigences établies dans le Régime de pensions du Canada. Par conséquent, vos cotisations à verser au RPC pour des gains provenant d’un travail indépendant sont réputées nulles conformément à l’article 30 du RPC.

 

[17]           Les défendeurs citent Nathan Cohen c. Her Majesty The Queen, 80 D.T.C. 6250 (C.A.F.), à l’appui du principe que le ministre est tenu d’agir en conformité avec la loi, pour faire valoir que ce dernier n’est pas en mesure de passer outre aux exigences du RPC.

 

 

[18]           Le Cour d’appel fédérale a affirmé que le contribuable ne peut pas faire appel d’une cotisation néant, parce qu’une cotisation n’imposant aucun impôt n’est pas une cotisation proprement dite. On ne peut s’opposer valablement à une cotisation établie en application de la Loi de l’impôt sur le revenu quand il n’y a aucun impôt à payer pour l’année en question (Bormann c. R., 2006 CAF 83, 2006 D.T.C. 6147, paragraphe 8).

 

[19]           Le demandeur prétend que le paragraphe 220(3.1) de la Loi de l’impôt sur le revenu devrait s’appliquer, de façon à permettre le versement de cotisations au RPC pour 1998. Toutefois, selon cette disposition, le ministre peut renoncer à toute partie d’un montant de pénalité ou d’intérêts payables par ailleurs par le contribuable, ou l’annuler en tout ou en partie, ce que le demandeur ne lui demande pas de faire dans ses observations.  

 

[20]           En outre, les Dispositions d’allègement pour les contribuables (circulaire IC07-1), ne s’appliquent pas en l’espèce, car aucune pénalité ni intérêts ne sont payables, pas plus qu’il  y a un remboursement à traiter ou une nouvelle cotisation à établir relativement à la déclaration de revenus du demandeur pour 1998. Les exigences législatives en matière fiscale sont respectées, et le PDV permet de renoncer aux pénalités et aux intérêts qui pourraient s’appliquer aux déclarations de revenus pour 1997 et 1998.

 

[21]           La jurisprudence dont parle le demandeur dans son mémoire fait ressortir l’approche libérale et généreuse que la Cour adopte relativement à la situation malheureuse d’un demandeur. Les alinéas 30(5)a) et b) du RPC l’emportent cependant sur tout pouvoir discrétionnaire que la Cour aurait pu avoir en l’espèce.

 

Obligation fiduciaire

[22]           Selon le demandeur, le ministre avait l’obligation fiduciaire d’exiger la production de ses déclarations de revenus et d’établir une cotisation à l’égard de ces déclarations, car le demandeur n’avait pas versé toutes les cotisations dues pour 1998 ni produit sa déclaration de revenus à temps ou durant les années suivantes.  

 

[23]           Les défendeurs disent que le ministre n’a pas l’obligation fiduciaire d’exiger les déclarations de revenus du demandeur ou d’établir une cotisation relativement aux déclarations que le demandeur n’a pas produites dans le délai prévu par la Loi de l’impôt sur le revenu. Il incombe aux contribuables de produire comme il se doit leurs déclarations de revenus en temps opportun, vu que la Loi de l’impôt sur le revenu établit un régime d’auto-cotisation. Le ministre n’est pas tenu de poursuivre les contribuables pour que ceux-ci envoient leur déclaration à temps (Powell c. Canada, 2001 D.T.C. 209, 103 A.C.W.S. (3d) 227).

 

[24]           Le demandeur n’avait pas l’intention de se soustraire à son obligation de produire ses déclarations de revenus, mais l’omission de déclarer ses gains dans le délai prévu justifie l’application des alinéas 30(5)a) et b) du RPC (Maltais c. Canada (Ministre du Revenu national), 91 D.T.C. 1385, [1991] C.C.I. 2651).

 

[25]           Le ministre n’avait pas l’obligation fiduciaire d’exiger la production des déclarations de revenus du demandeur, car la Loi de l’impôt sur le revenu établit un régime d’auto-cotisation.  De plus, l’existence d’une obligation fiduciaire n’a aucun rapport avec la demande du demandeur visant à faire appliquer un remboursement d’impôt aux cotisations payables au RPC dans une autre année d’imposition.

 

Remboursements pour les années antérieures

[26]           D’après le demandeur, le remboursement d’impôt découlant de sa déclaration de revenus pour 1996 qu’il avait reçu en 1999 aurait dû être appliqué aux primes versées au RPC concernant  l’année d’imposition 1998.

 

[27]           Les défendeurs répondent que l’ARC n’était pas en mesure d’appliquer le remboursement découlant de l’année d’imposition 1996 du demandeur aux primes versées au RPC à l’égard de l’année d’imposition 1998, car le demandeur n’avait pas encore produit sa déclaration de revenus pour cette année-là; il n’y avait donc aucune prime exigible. Il était impossible pour l’ARC de savoir quelles primes devait payer le demandeur avant qu’il n’ait produit sa déclaration faisant état de ses gains provenant d’un travail indépendant en 2006.

 

[28]           De plus, une application quelconque du remboursement d’impôt pour 1996 n’est mentionnée nulle part dans la décision soumise au contrôle de la Cour et n’intéresse pas la question de savoir si le décideur a erré en rejetant l’avis d’opposition du demandeur.

 

[29]           Pour les motifs qui précèdent, le ministre n’a pas commis d’erreur susceptible de contrôle en rejetant l’avis d’opposition daté du 23 avril 2007. La demande est donc rejetée sans frais.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la présente demande est rejetée sans frais.

 

 « Michel Beaudry »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

David Aubry, LL.B.

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-14-08

 

INTITULÉ :                                       RODNEY GENE TORRANCE c.

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

et L’AGENCE DU REVENU DU CANADA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                Vancouver (Colombie-Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 9 septembre 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              Le juge Beaudry

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       Le 26 septembre 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Rodney Gene Torrance                                                             DEMANDEUR

(se représente lui-même)

 

Victor Caux                                                                              POUR LE DÉFENDEUR

                                                                                               

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Sans objet                                                                                DEMANDEUR

 

John H. Sims, c.r.                                                                     POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

 

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