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Date :  20080926

Dossier :  IMM-576-08

Référence :  2008 CF 1076

Ottawa (Ontario), le 26 septembre 2008

En présence de L'honorable Louis S. Tannenbaum

 

ENTRE :

Ramon LAMOTHE VALERIO

Elsa Yasmin BRITO HUESCA

Megan Shaiel LAMOTHE BRITO

Jesse LAMOTHE BRITO

demandeurs

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Je suis saisi d’une demande de contrôle judiciaire à l’encontre d’une décision de la Section de la protection des réfugiés (le Tribunal), rendue le 16 janvier 2008, selon laquelle les demandeurs, un couple et leurs deux enfants, citoyens mexicains, ne sont ni des « réfugiés au sens de la Convention » ni des « personnes à protéger ».

 

[2]               Le demandeur principal, Monsieur Ramon Lamothe Valerio est né le 28 novembre 1975 à Veracruz au Mexique et détient la citoyenneté de ce pays. Il est marié à la demanderesse, Madame Elsa Yasmin Brito Huesca, et a deux enfants, soit un garçon, Jesse Lamothe Brito (Jesse) et une fille, Megan Shaeiel Lamothe Brito (Megan) qui sont aussi des demandeurs dans le présent dossier.

 

[3]               Les enfants du demandeur fréquentaient un Centre de petite enfance (CPE) dans la ville de Veracruz au Mexique.

 

[4]               Le 20 septembre 2006, Jesse rapporte à la demanderesse qu’un individu lui parlait par un trou creusé dans le mur et qu’il lui faisait de petits cadeaux.

 

[5]               Le 27 septembre 2006, la demanderesse rapporte l’évènement à la direction du CPE et déplore le manque de surveillance. Quelques jours plus tard, lors d’une promenade, Jesse aurait pointé du doigt l’un des policiers du parc en disant qu’il s’agissait de l’individu qui lui parlait et lui donnait des petits cadeaux. La demanderesse apprendra que le policier s’appelle Carlos Espinoza Fuentes (Fuentes) et qu’il est sous les ordres du commandant Cadena.

 

[6]               Le 12 octobre 2006, les demandeurs reçoivent une note menaçant la vie de leurs enfants en disant qu’avec eux ils pourraient faire de l’argent et on leur en réclamait. Les demandeurs amènent la note au Ministère public pour porter plainte et on leur dit de revenir le lendemain. Le lendemain, le Ministère public affirme avoir égaré les papiers.

 

[7]               Le 16 octobre 2006, les enfants changent de CPE.

 

[8]               Le 9 novembre 2006, les demandeurs sont victimes d’une fausse alerte de « kidnapping » et d’extorsion de Jesse. Les demandeurs prétendent être allés porter plainte auprès des autorités, mais qu’elles n’auraient pas pris la plainte.

 

[9]               Le soir même, les demandeurs auraient reçu un premier appel téléphonique disant que, puisqu’ils avaient refusé de payer et qu’ils ont porté plainte, leur fils (Jesse) allait être enlevé et tué. De plus, on affirme que le même sort attend tous les membres de la famille. Les jours suivants, le même type d’appel fut répété.

 

[10]           Le 14 novembre 2006, il est allégué que le Commandant Cadena ordonne à Fuentes de se rendre au CPE pour y enlever Jesse. Toutefois, une dame au nom de Maraboto aurait vu Fuentes entrain d’amener Jesse. Elle a fait lâcher prise à Fuentes et celui-ci s’est enfuit à bord d’un véhicule de la police municipale de Veracruz.

 

[11]           Après cet incident, les demandeurs sont allés vivre à Mata de Uva, mais la demanderesse prétend que durant les deux semaines de leur séjour à cet endroit, les demandeurs ont continué à recevoir des appels menaçants où on disait que les demandeurs seraient localisés et que la demanderesse serait violée et tuée comme le reste de sa famille.

 

[12]           Le 30 novembre 2006, les demandeurs ont pris la décision le fuir le Mexique.

 

[13]           Le 24 décembre 2006, les demandeurs quittent le Mexique et arrivent à Dorval le même jour.

 

[14]           Le 30 janvier 2007, les demandeurs déposent une demande d’asile.

 

[15]           Le 8 novembre 2007, le Tribunal tient audience quant à la demande d’asile. Une décision négative est rendue le 16 janvier 2008.

 

[16]           Le 1er février 2008, les demandeurs déposent une demande de contrôle judiciaire de la décision rendue par le Tribunal le 16 janvier 2008.

 

[17]           Dans sa décision du 16 janvier 2008, le Tribunal conclut que la crédibilité de la demanderesse est entachée. Il soulève les points suivants :

 

a.       Suite à l’évènement du 12 octobre 2006, la demanderesse affirme qu’elle a tenté de déposé une plainte auprès du Ministère public mais qu’on lui aurait dit que les documents avaient été égarés. Or, à l’audience du 8 novembre 2007, lorsque la demanderesse fut questionnée pourquoi elle n’a pas déposé une autre plainte, elle répond qu’elle a essayé de se plaindre deux fois le 13 novembre 2006. Toutefois, son narratif ne fait pas référence à cette tentative de porter plainte et la demanderesse a été incapable d’expliquer l’omission.

 

b.      Suite à l’évènement du 9 novembre 2006, la demanderesse aurait tenté de porter plainte auprès des autorités qui auraient refusé de la prendre. Or, à l’audience, lorsque la demanderesse fut informée que la preuve documentaire indique qu’il existe une procédure pour déposer une plainte au bureau du procureur général de la République (MEX101374.EF – 5 juin 2006), elle informe le Tribunal qu’elle n’était pas au courant de cette possibilité.

 

c.       La demanderesse affirme dans son narratif que c’est le Commandant Cadena qui a ordonné à Fuentes d’enlever Jesse. Or, le Tribunal juge que c’est de la pure spéculation car la demanderesse n’a déposé aucune preuve à l’appui.

 

 

[18]           Le demandeur n’a pas soumis de question en litige. Toutefois, le défendeur a proposé une question que je reformule de la manière suivante :

a.  La conclusion du Tribunal quant à la crédibilité du demandeur était-elle déraisonnable?

b.  La conclusion du Tribunal quant à la possibilité de refuge interne était-elle déraisonnable?

 

[19]           Dans Dunsmuir c. Nouveau Brunswick, 2008 CSC 9, la Cour suprême du Canada a conclu qu’il ne devrait y avoir que deux normes de contrôle, soit celle de la décision correcte et celle de la décision raisonnable. La Cour a indiqué que la norme de la décision correcte doit continuer de s'appliquer aux questions de compétence et à certaines autres questions de droit (voir Dunsmuir au paragraphe 50). La cour de révision qui applique la norme de la décision correcte n'acquiesce pas au raisonnement du décideur. Elle entreprend plutôt sa propre analyse au terme de laquelle elle décide si oui ou non la décision du tribunal est correcte.

 

[20]           La Cour suprême enseigne également que dans le cadre d’une révision judiciaire, l’appréciation du caractère raisonnable d’une décision tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l'intelligibilité du processus décisionnel. De plus, elle cherche à voir l'appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (voir Dunsmuir au paragraphe 47).

 

[21]           La jurisprudence actuelle peut être mise à contribution pour déterminer quelles questions emportent l'application de la norme de la raisonnabilité (voir Dunsmuir au paragraphe 54). La déférence qu’il y a lieu d’accorder à un tribunal sera déterminée en fonction des facteurs suivants : l’existence d’une clause privative; si le décideur possède une expertise spéciale dans un régime administratif distinct et particulier; et la nature de la question en litige (voir Dunsmuir au paragraphe 55).

 

[22]           En ce qui a trait à la première question, la norme de contrôle applicable aux décisions du Tribunal fondées sur l'absence de crédibilité du revendicateur d'asile est celle de la décision raisonnable (Mubiayi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF  562 au paragraphe 13; et Aguebor c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1993] A.C.F. n°732 (Lexis) au paragraphe 4).

 

[23]           En ce qui a trait à la deuxième question en litige, la norme de contrôle qu'il convient d'appliquer à la question de savoir si la demanderesse dispose ou non d'une possibilité de refuge interne est celle de la décision raisonnable : Chorny c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CF 999 (Lexis). Voir également : Vargas c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 367 au paragraphe 20; Navarro c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 358 au paragraphe 12; et Ali c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 193 au paragraphe 5.

 

a) La conclusion du Tribunal quant à la crédibilité du demandeur est-elle déraisonnable?

[24]           Le demandeur affirme qu’il n’y a de contradictions entre le narratif de la demanderesse et ses propos à l’audition. La demanderesse s’est plainte aux autorités à trois reprises, soit le 12 octobre 2006, le 8 novembre 2006 et le 9 novembre 2006. De plus, elle ne s’est pas plainte à deux reprises le 9 novembre 2006 en raison du refus par les autorités d’enregistrer sa plainte. En ce qui a trait aux soupçons de la demanderesse que le Commandant Cadena avait ordonné à Fuentes d’enlever Jesse, elle affirme que c’était une supposition ou déduction faite par elle et n’a aucune corrélation avec sa crédibilité.

 

[25]           Le défendeur souligne qu’il y avait des omissions et contradictions suffisantes entre les propos des demandeurs tenus lors de leur témoignage et les faits qu’ils ont relatés dans leur formulaire de renseignements personnel (FRP). D’ailleurs, le défendeur soutient que les conclusions du Tribunal portant sur l’absence de crédibilité étaient raisonnables étant donné les omissions et le manque de preuve touchant des éléments essentiels de leur revendication.

 

[26]           En ce qui a trait à la contradiction quant au nombre de fois où la demanderesse a porté plainte auprès des autorités le 13 novembre 2006, la transcription de l’audition indique ce qui suit :

R.      … on a essayé de porter plainte, on a … on a porté plainte. Le lendemain quand on est allé pour savoir qu’est-ce qu’on pouvait faire à ce sujet, ils nous ont dit qu’ils en avaient pas la plainte ni la déclaration ni cette note en question, comme si on était … on s’est même pas présenté.

Q.          Oui. Et alors, avez-vous essayé de renouveler la plainte?

R.           Oui.

Q.     Alors, qu’est-ce qui est arrivé?

R.      Ils ont pas voulu émettre la plainte.

-        Um-hum, prendre la plainte

Q.     Comment se fait-il qu’on … on ne retrouve pas cette deuxième tentative dans votre narratif?

S.            Je ne sais pas.

(C’est moi qui souligne)

 

[27]           Il n’y aucune mention de ces deux tentatives dans son narratif en date du 31 janvier 2007. De plus, la demanderesse a signé la Déclaration A à la fin de son FRP qui stipule notamment:

Déclaration A

Les renseignements que j’ai fournis dans ce formulaire et tous les documents annexés sont complets, vrais et exacts.

 

(C’est moi qui souligne)

 

[28]           Ainsi, il était raisonnable pour le Tribunal de tirer une conclusion négative quant à la crédibilité de la demanderesse qui a été incapable de fournir une quelconque explication quant à la contradiction entre son FRP et témoignage.

 

[29]           En ce qui a trait à la déclaration par la demanderesse à l’effet que c’est le Commandant Cadena qui avait ordonné Fuentes d’enlever Jesse, le Tribunal a conclu que c’était de la « pure spéculation visant à donner du tonus à sa présumée persécution, ce qui mine davantage sa crédibilité. »  La transcription de l’audition indique ce qui suit:

Q.        Vous avez une preuve documentaire là-dessus, non? Des articles de journaux, des…

R.         Non. Je n’ai même pas apporté.

-           La rumeur dit que.

R.         Si.

(…)

Q.        Comment pouvez-vous me dire ça? Avez-vous des preuves de ça de ce que vous avancez?

R.         Non.

Q.        Non. Bon, alors dites-le pas ou dites-le, puis on l’évaluera à son mérite. Alors, là, vous supposez que vu qu’il faut qu’il demande la permission pour se servir d’une voiture, que c’est nécessairement le … Cadena qui a envoyé Fuentes en mission d’enlèvement de votre enfant?

R.         Est-ce que vous me posez la question?

-           Oui.

R.                 On croit que c’est le commandant Cadena qui a envoyé Carlos Espinoza Fuentes pour enlever mon fils.

 

(C’est moi qui souligne)

 

 

[30]           Ainsi, je suis d’avis que vu l’absence de preuve à l’appui de la prétention de la demanderesse que le Commandant Cadena a ordonné l’enlèvement de Jesse, il était raisonnable pour le Tribunal d’y accorder une force probante moindre et que cela a miné la crédibilité de la demanderesse.

 

[31]           Pour les motifs exposés ci-haut, la conclusion du Tribunal quant à la crédibilité de la demanderesse n’était pas déraisonnable et ne mérite pas l’intervention de cette Cour.

 

b) La conclusion du Tribunal quant à la possibilité de refuge interne était-elle déraisonnable?

 

[32]           La demanderesse est d’avis que le Tribunal ne tient pas compte de son témoignage à l’effet que les demandeurs se sont cachés à Mata de Uva et que deux semaines après leur arrivée à Mata de Uva, ils ont quand même continué de recevoir des appels menaçants.

 

[33]           Le défendeur affirme que les demandeurs ont l’obligation de s’adresser aux autorités mexicaines avant de réclamer la protection étatique d’un autre pays, chose qu’ils n’ont pas faite. De plus, le défendeur note que les demandeurs, après avoir déménagé pendant deux semaines à Mata de Uva, n’ont pas tenté de demander la protection de la police locale. Par ailleurs, les demandeurs reconnaissent qu’il leur était possible de trouver du travail pour subvenir aux besoins de la famille. Ainsi, il n’était pas déraisonnable pour le Tribunal de conclure à l’existence d’un refuge interne.

 

[34]           Il est bien établi qu'en matière de possibilité de refuge interne le fardeau de preuve appartient au demandeur (Del Real c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 140 au paragraphe 18; et Palacios c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 816 au paragraphe 9). Ainsi, le demandeur d'asile doit démontrer qu'il serait déraisonnable pour lui de chercher refuge dans une autre région du pays (Ranganathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] 2 C.F. 164 (C.A.F.) au paragraphe 8).

 

[35]           En l’espèce, les demandeurs n’ont présenté aucune preuve appuyant la thèse que la possibilité de refuge interne au Mexique ne leur était pas disponible. Au contraire, ils reconnaissent qu’ils peuvent subvenir aux besoins de leur famille dans une autre région du Mexique. De plus, pendant leur séjour de deux semaines à Mata de Uva, les demandeurs n’ont pas sollicité l’aide des autorités et donc il n’était pas déraisonnable pour le Tribunal de conclure qu’il y avait une possibilité de refuge interne, compte tenu que le fardeau quant à la thèse contraire reposait sur les demandeurs.

 

[36]           Par ailleurs, la Cour est d'accord avec la conclusion du Tribunal que le demandeur n'avait pas démontré, par une preuve claire et convaincante, que le Mexique était incapable de lui fournir la protection nécessaire. Outre les plaintes déposées à Veracruz, les demandeurs ne se sont pas prévalu d’autres recours tant à Veracruz qu’ailleurs.

 

[37]           Pour ces motifs, je suis d’avis que la conclusion du Tribunal quant à la possibilité de refuge interne n’était pas déraisonnable.

 

[38]           La demande de contrôle judiciaire sera donc rejetée. Aucune question d’importance générale n’a été présentée pour certification.

 


 

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE ET ADJUGE que pour les motifs précités, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

 

 

 

 

 

« Louis S. Tannenbaum »

Juge suppléant

 


Autorités consultées par la Cour

 

1.                  Aguebor c. Canada, 1993, A.C.F., no 732

2.                  Aslam c. Canada, 2006, A.C.F., no 264

3.                  Pushpanathan c. M.C.I., [1998] 1 R.C.S. 982

4.                  Canada (PG) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689

5.                  Lizette Guzman Sanchez c. Canada (M.C.I.), 2008 CF 66

6.                  Ramirez et al c. Canada (M.C.I.), 1007 CF 119

7.                  Rajaratnam c. Canada (M.E.I.), 1991, 135 N.R. 300 (C.A.F.)

8.                  Fuentez-Valoy, Ruben Dario c. Canada (M.E.I.), 1993, C.A.F.,

no. A-709-90

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-576-08

 

INTITULÉ :                                       Ramon LAMOTHE VALERIO, Elsa yasmin BRITO HUESCA, Megan Shaiel LAMOTHE BRITO, Jesse LAMOTHE BRITO v. M.C.I.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal, Qc

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 20 août 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              TANNENBAUM J.S.

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 26 septembre 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Luciano Mascaro

 

POUR LES DEMANDEURS

Me Alexandre Tavadian

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Arpin, Mascaro & Associés

Montréal, Qc

 

POUR LES DEMANDEURS

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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