Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

Date : 20080926

Dossier : T-1895-07

Référence : 2008 CF 1072

Ottawa (Ontario), le 26 septembre 2008

En présence de Monsieur le juge Harrington

 

ENTRE :

DANIEL NORMANDIN

 

demandeur

 

et

 

 

 

PROCUREUR GÉNÉRAL

DU CANADA

 

défendeur

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               M. Normandin aime fumer de la marihuana. Il dit que c’est pour apaiser ses douleurs chroniques. Ses douleurs proviennent d’un grave accident survenu en 1976 lorsqu’il a été frappé par un train à l’âge de neuf ans. Il a eu un bras sectionné et une jambe à moitié arrachée, ce qui a donné lieu à plusieurs opérations au cours des quinze années suivantes.

 

[2]               M. Normandin est aussi un criminel reconnu. Suite à une plaidoirie de culpabilité à des accusations de séquestration et d’actions indécentes en juin 2002, il a été condamné à une peine de deux ans d’emprisonnement suivi d’une surveillance de longue durée pour une période de cinq ans. L’article 753.1 du Code criminel permet au tribunal de faire une telle déclaration si, parmi autre chose, il y a un risque élevé de récidive et une possibilité réelle que ce risque puisse être maîtrisé au sein de la collectivité. Cette surveillance de longue durée a commencé lorsque sa période d’incarcération s’est terminée en juin 2004. En vertu de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, plusieurs conditions ont été imposées, dont l’une était d’éviter les intoxicants. Il n’est pas contesté que la marihuana fait partie de cette catégorie.

 

[3]               M. Normandin n’a pas respecté cette condition. Il fut pris en défaut à huit reprises par le Service correctionnel du Canada (le SCC). Aux termes du paragraphe 135.1(1) de la Loi, en cas d’inobservation des conditions énoncées dans l’ordonnance de surveillance de longue durée, les personnes désignées peuvent suspendre la surveillance de longue durée et autoriser l’internement du délinquant dans un établissement résidentiel communautaire ou même le faire incarcérer.

 

[4]               La décision faisant l’objet de la présente demande a été émise le 1er octobre 2007. Elle se lit ainsi :

En vertu du pouvoir dont je suis investi en tant que personne désignée par le commissaire du Service correctionnel du Canada aux termes du paragraphe 135.1(1) de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, j’ai émis un mandat qui suspend la SURVEILLANCE DE LONGUE DURÉE le 2007/10/01           

 

[…]

 

RÉSUMÉ

Vous avez admis avoir consommé du cannabis plus d’une fois depuis votre retour en communauté et avez verbalisé avoir l’intention d’en consommer encore, brisant ainsi une de vos conditions spéciales. Vous refusez toujours d’explorer des alternatives au soulagement de vos problèmes de santé. Ces bris de condition et votre attitude fermée augmentent le risque que vous représentez pour la société.

 

 

[5]               La position du défendeur est que cette décision ne peut être sujette à un contrôle judiciaire. Je suis d’accord et, pour cette raison, la demande sera rejetée. Étant donné que des accusations criminelles concernant le bris des conditions de sa surveillance de longue durée ont été déposées (le procès est fixé pour le mois prochain), il est nécessaire de procéder avec prudence.

 

[6]               Le paragraphe 135.1(5) de la Loi ajoute que la personne qui a signé le mandat, ou toute autre personne désignée, doit examiner le cas du délinquant dans les trente jours qui suivent, et doit soit annuler la suspension ou renvoyer le dossier devant la Commission nationale des libérations conditionnelles (la Commission) accompagné d’une évaluation.

 

[7]               Le dossier a été remis à la Commission avec une évaluation datée le 30 octobre 2007. Cette demande de contrôle judiciaire a été déposée la journée suivante. Le 3 décembre 2007, la Commission a émis sa décision à l’effet « qu’aucun programme de surveillance ne peut adéquatement protéger la société contre le risque de récidive que vous présentez et que, selon toute apparence, les conditions de la surveillance n’ont pas été observées. » Par la suite, des accusations criminelles de bris de conditions de surveillance ont été déposées contre M. Normandin et tel que mentionné auparavant, la date du procès est imminente.

 

[8]               Il est bien établi que les décisions interlocutoires des tribunaux ne sont pas normalement susceptibles de contrôle judiciaire. Comme je l’ai mentionné dans Plante c. Canada (Procureur général), 2007 CF 52, 2007 A.C.F. no 73 au paragraphe 43:

Dès lors, quel recours s'offrait à M. Plante? Suivant Bradford, précitée, plutôt que de procéder par la voie d'une demande de contrôle judiciaire, le recours approprié était de présenter ses observations directement devant la Commission. Il est à noter que les différentes décisions, prises avant ce jour dans le présent dossier, font partie du même processus décisionnel (Condo c. Canada (Procureur Général), [2004] A.C.F. no 1218, 2004 CF 991). La Commission est un tribunal spécialisé, et de ce fait, elle était dans une meilleure position pour apprécier la défense de M. Plante. Comme la Cour suprême l'a établi dans l'arrêt Nouvelle-Écosse (Workers' Compensation Board) c. Martin et al., [2003] 2 R.C.S. 504 au paragraphe 56, il est souhaitable que les cours de justice bénéficient d'un dossier complet, constitué par un tribunal spécialisé.

 

 

[9]               L’avocat de M. Normandin était au courant de ce règlement. Toutefois, il a indiqué qu’à sept autres reprises après que le SCC ait suspendu la surveillance de longue durée, celle-ci fut rétablie par la Commission. La prétention est que le SCC n’a pas suivi les directives de la Commission.

 

[10]           Je ne doute pas que le SCC ne pouvait éviter un examen judiciaire en révoquant constamment la surveillance de longue durée et en l’imposant de nouveau dans les trente jours prescrits par la Loi. Toutefois, ce n’est pas la question à trancher et la Commission est du même avis.

 

[11]           Il y a eu plusieurs commentaires à l’égard du fait que M. Normandin détenait de mars 2006 à mars 2007 une “Autorisation de possession de marihuana à des fins médicales” de Santé Canada, que la Commission a changé ses conditions afin de lui accorder une permission spéciale contrôlée et gérée par le SCC de consommer de la marihuana, et que le SCC a refusé de coopérer. Quel que soit le cas, ce n’est pas la question devant moi. Cependant, il est important de noter que le « Résumé de l’étude d’impact de la réglementation » du « Règlement sur l’accès à la marihuana à des fins médicales », indique que la décision de permettre à un patient dans un hôpital ou à un prisonnier dans un pénitencier, une prison ou autre institution de correction, de posséder de la marihuana est une décision qui appartient à cette institution.

 

[12]           Le dossier devant la Cour contient plusieurs références au fait que M. Normandin aurait fourni des informations incomplètes aux médecins qui ont recommandé son usage de la marihuana ainsi qu’à Santé Canada. On discute aussi de ce qui serait arrivé s’ils avaient eu un portrait complet de la situation. Il va sans dire que ce ne sont que des hypothèses.

 

[13]           M. Normandin soulève des questions de droit sérieuses concernant son droit à un traitement médical, son évaluation psychologique en 2006 qui a conclu que « … la consommation de cannabis ne semble pas avoir de lien direct avec le passage à l’acte chez M. Normandin », l’analyse intéressée de la docteure embauchée par le SCC, et la Charte. Mais, il n’en demeure pas moins que cette demande de contrôle judiciaire n’est pas le moyen approprié de soumettre ces questions à la Cour.

 


ORDONNANCE

 

POUR LES MOTIFS SUSMENTIONNÉS;

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée avec dépens, sous réserve du droit de M. Normandin de demander une prorogation du délai afin de déposer une demande de contrôle judiciaire de la décision de la Commission nationale des libérations conditionnelles en date du 3 décembre 2007.

 

« Sean Harrington »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T-1895-07

 

INTITULÉ :                                       DANIEL NORMANDIN c.

                                                            PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               22 septembre 2008

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       LE JUGE HARRINGTON

 

DATE DES MOTIFS :                      26 septembre 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Daniel Royer

 

POUR LE DEMANDEUR

Nicholas R. Banks

Marc Ribeiro

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Daniel Royer

Montréal (Québec)

 

POUR LE DEMANDEUR

John Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.