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Date : 20080926

Dossier : IMM-724-08

Référence : 2008 CF 1085

Ottawa (Ontario), le 26 septembre 2008

En présence de monsieur le juge Barnes

 

 

ENTRE :

RAUDA PANIAGUA, Jose Edenilson

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Dans la présente demande, Jose Edenilson Rauda Paniagua sollicite le contrôle judiciaire de la décision rendue le 23 janvier 2008 par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission). La Commission a rejeté la demande d’asile présentée par M. Rauda Paniagua au motif qu’il avait été victime d’un crime courant et généralisé n’équivalant pas à de la persécution, et qu’il n’avait pas établi qu’il ne pouvait obtenir la protection de l’État au Salvador. La présente demande porte sur ces conclusions.

 

I.                      Contexte

[2]               M. Rauda Paniagua est tout d’abord entré au Canada au titre d’un permis de travail. Lorsqu’il a été mis à pied au Manitoba en mars 2006, il est retourné au Salvador. Cependant, en juin de cette même année, il était de retour au Canada et il a présenté une demande d’asile. Sa demande d’asile reposait sur une allégation de menaces de mort envers sa famille et lui, menaces proférées par des membres de la bande Mara Salvatrucha (MS), qui tentaient de le recruter. Pendant un certain temps, M. Rauda Paniagua avait tenté d’éviter d’être découvert au Salvador, mais il avait finalement fui le pays. Il n’est pas contesté que le demandeur n’a, à aucun moment, demandé la protection des autorités d’État avant de quitter le Salvador pour se rendre au Canada.

 

Décision de la Commission

[3]               La Commission a conclu que le risque auquel serait exposé M. Rauda Paniagua découlait d’activités criminelles généralisées et qu’il n’était « pas plus élevé que celui auquel était exposée la population en général ». Après avoir examiné la preuve sur la situation dans le pays, la Commission a jugé qu’il existait des façons d’obtenir la protection de l’État contre les activités des bandes au Salvador. Comme M. Rauda Paniagua ne s’était pas adressé à son État, la Commission a conclu qu’il n’avait pas raisonnablement épuisé les recours qui s’offraient à lui afin d’obtenir la protection de l’État au Salvador avant de solliciter la protection au Canada.

 

II.        Question en litige

[4]               La Commission a-t-elle commis une erreur dans la façon dont elle a traité la preuve portant sur la question de la protection de l’État?

 

III.       Analyse

[5]               La norme de contrôle applicable à la question soulevée en l’espèce est la décision raisonnable : voir la décision De Hernandez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 514, [2008] A.C.F. no 650, au paragraphe 8.

 

[6]               La conclusion de la Commission selon laquelle M. Rauda Paniagua serait uniquement exposé à un risque généralisé de préjudice découlant d’activités criminelles au Salvador est pour le moins ambiguë. Dans sa décision, la Commission semble avoir reconnu qu’en tant que jeune homme sans emploi issu d’un quartier pauvre à San Salvador, le demandeur avait le profil de base pour être recruté par une bande. La Commission a aussi reconnu le risque grave de représailles que pourrait courir la personne qui refusait de se joindre à la bande MS une fois avoir été approchée par celle-ci. La Commission a terminé cet aspect de son analyse en déclarant que « le demandeur d’asile courait le risque d’être victime d’activités criminelles, risque [qui] n’était pas plus élevé que celui auquel était exposée la population en général ». À sa face même, cette déclaration contredit l’observation antérieure faite par la Commission selon laquelle M. Rauda Paniagua avait le profil d’une personne qui serait exposée à un risque élevé de préjudice par la bande MS. Cependant, eu égard à l’ensemble de la décision, la déclaration susmentionnée n’est peut-être rien de plus qu’une tentative maladroite de dire que, même si M. Rauda Paniagua avait un profil pouvant l’exposer à un risque élevé, sa situation n’était pas unique et elle constituait une situation de risque généralisé de préjudice découlant d’activités criminelles dans laquelle se trouvaient de nombreuses autres personnes au Salvador. En fin de compte, je n’ai pas à décider si cette contradiction apparente constitue une erreur susceptible de contrôle, puisque je ne trouve rien à redire à la conclusion relative à la protection étatique tirée par la Commission.

 

[7]               Dans sa décision, la Commission a reconnu la gravité du problème des bandes au Salvador et les taux très élevés de crimes et de meurtres associés à ce problème. De toute évidence, la Commission était consciente des problèmes d’application de la loi en ce qui concerne les bandes au Salvador. 

 

[8]               Je ne suis pas d’avis que l’omission de la Commission de mentionner précisément tous les éléments de preuve documentaire portant sur la gravité du problème de la violence des bandes au Salvador constitue une erreur susceptible de contrôle. La Commission a compris que la protection étatique offerte par le Salvador n’était pas parfaite, mais elle a aussi reconnu à juste titre que la perfection n’est pas la norme en fonction de laquelle le caractère suffisant de la protection doit être mesuré. La Commission a relevé plusieurs initiatives étatiques visant à lutter contre les activités des bandes. En fait, certains des rapports sur la situation dans le pays sur lesquels s’est fondé M. Rauda Paniagua font directement état de l’efficacité, en partie, des réformes antigangs [traduction] « rigoureuses » adoptées par le gouvernement. Compte tenu de cette preuve au dossier, il était loisible à la Commission d’avoir d’importantes réserves quant au fait que M. Rauda Paniagua n’avait jamais tenté d’obtenir la protection de l’État avant de venir au Canada. Les problèmes de violence des bandes au Salvador étaient incontestablement profonds, mais des éléments de preuve plausibles établissaient que l’appareil de protection étatique dans ce pays fonctionnait toujours. Ce n’est pas le rôle de la Cour d’apprécier à nouveau la preuve ou de remplacer les opinions de la Commission à l’égard de cette preuve par les siennes. Une conclusion différente aurait pu être tirée à la lumière de cette preuve, mais je ne suis pas convaincu que la façon dont la Commission a traité la preuve relative à la protection de l’État et que les conclusions qu’elle a tirées sont déraisonnables.

 

[9]               Il me semble que la situation en l’espèce ne peut être distinguée sur le fond de celle sur laquelle s’est penché le juge Michel Shore dans la décision Ayala c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 690, [2007] A.C.F. no 939, où il a conclu :

23     Il est de jurisprudence constante qu’on peut présumer, jusqu’à preuve du contraire, que la Commission a examiné et soupesé tous les éléments de preuve, à moins que le contraire ne soit démontré. La Cour a également jugé à de nombreuses reprises que la Commission a toute latitude pour écarter les éléments de preuve qui ne sont pas importants dans l’affaire dont elle est saisie. La décision de la Commission de refuser d’admettre certains des éléments de preuve portés à sa connaissance ou de mentionner chacun des éléments de preuve ne constitue pas une erreur donnant ouverture au contrôle judiciaire (Yushchuk c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] A.C.F. no 1324 (QL), au paragraphe 17).

 

24     En fait, la Commission jouit d’une grande latitude en ce qui a trait aux éléments de preuve dont elle peut tenir compte. Elle n’est pas liée par les règles légales ou techniques de présentation de la preuve et elle peut recevoir les éléments qu’elle juge crédibles ou dignes de foi en l’occurrence et fonder sur eux sa décision (LIPR, alinéas 173c) et d); Thanaratnam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 349, [2004] A.C.F. no 395 (QL), au paragraphe 7).

 

25     J’estime mal fondés les arguments des demandeurs suivant lesquels les conclusions de la Commission ne reposaient pas sur les faits de l’affaire et la Commission n’a pas tenu compte de la preuve documentaire démontrant que des membres du gang les avaient avertis de ne pas s’adresser à la police et leur avaient proféré des menaces. La Commission a néanmoins fait remarquer dans sa décision que le demandeur principal n’avait simplement pas pris la peine de communiquer avec les autorités salvadoriennes après qu’il aurait trouvé une note sur son camion. Il est évident que la Commission a bien saisi les faits de l’affaire, malgré le fait que le demandeur principal n’a pas mentionné cette note dans son FRP (décision de la Commission, aux pages 1 et 2; transcription de l’audience, aux pages 4 à 7).

 

26     De plus, contrairement à ce que les demandeurs soutiennent, la Commission a fondé sa décision sur des sources documentaires fiables (décision de la Commission, aux pages 8 et 9; transcription de l’audience, aux pages 9 et 10). Les éléments de preuve documentaire d’ordre général que les demandeurs ont soumis indiquant qu’il existe des problèmes en ce qui concerne le régime de protection des victimes d’actes de violence commis par des gangs n’ont aucune incidence étant donné que la Commission a reconnu qu’il existait au Salvador des problèmes de violence liée aux gangs.

 

27     Néanmoins, reconnaissant la situation particulière des demandeurs, la Commission a conclu qu’ils n’avaient pas réussi à démontrer, au moyen d’éléments de preuve clairs et convaincants, qu’ils ne pourraient obtenir la protection de l’État, d’autant plus que la police avait donné suite à cette affaire. Le demandeur principal a toutefois choisi de ne pas se prévaloir de la protection de l’État.

 

28     Il incombait aux demandeurs de soumettre des éléments de preuve clairs et convaincants pour démontrer qu’ils ne pouvaient compter sur la protection de l’État. L’existence de documents laissant entendre que la situation au Salvador n’est pas parfaite ne constitue pas, en soi, une confirmation claire et convaincante que les ressortissants de ce pays ne peuvent compter sur la protection de l’État, d’autant plus qu’il existe beaucoup d’autres documents indiquant que l’on peut compter sur cette protection […]

 

[Souligné et en caractères gras dans l’original.]

 

[10]           Par conséquent, la présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée. Les présents motifs ne soulèvent aucune question de portée générale et aucune question ne sera certifiée.


 

JUGEMENT

 

            LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. 

 

 

 

« R. L. Barnes »

Juge

 

 

 

 

 

            Traduction certifiée conforme

Isabelle D’Souza, LL.B., M.A.Trad.jur.

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-724-08

 

INTITULÉ :                                       RAUDA PANIAGUA

                                                            c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE

                                                            L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 12 AOÛT 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE BARNES

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       LE 26 SEPTEMBRE 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Mordechai Wasserman

416-926-8882

 

POUR LE DEMANDEUR

Modupe Oluyomi

416-973-0444

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Mordechai Wasserman

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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