Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

Date : 20080916

Dossier : IMM-4434-07

Référence : 2008 CF 1029

Ottawa (Ontario), le 16 septembre 2008

En présence de Monsieur le juge de Montigny

 

ENTRE :

JOSE ALFREDO XOCOPA MARTELL,

ADRIANA BELTRAN CUATECO

DAENA VALERIA XOCOPA BELTRAN

 

demandeurs

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Les demandeurs souhaitent obtenir la révision judiciaire d’une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (le tribunal), qui a rejeté leur demande d’asile le 20 septembre 2007.  Le tribunal a considéré qu’ils n’avaient pas la qualité de réfugiés ni celle de personnes à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi). 

 

[2]               Le demandeur principal, Jose Alfredo Xocopa Martell, prétend que sa vie ainsi que celle de son épouse, Adriana Beltran Cuateco, et de sa fille, Daena Valeria Xocopa Beltran, sont menacées par M. Enrique Garcia (El Gato) et les policiers qui le protègent.  Le tribunal a conclu que les demandeurs n’étaient pas crédibles et qu’ils ne s’étaient pas déchargés de leur fardeau d’établir que les autorités mexicaines n’étaient pas en mesure de les protéger.

 

[3]               Pour les motifs exposés ci-après, j’estime que cette demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.  Compte tenu de la preuve au dossier, le tribunal pouvait raisonnablement conclure que les demandeurs n’avaient pas repoussé la présomption que l’État mexicain pouvait les protéger.

 

I. Faits

 

[4]               Le demandeur principal allègue qu’il travaillait dans un hôpital psychiatrique comme technicien de laboratoire au Mexique.  Le 28 février 2006, il se promenait avec sa famille dans un parc lorsqu’il a été battu et volé par trois individus.  Il aurait alors reconnu l’un de ses agresseurs, un policier nommé Enrique Garcias, mieux connu sous le nom d’El Gato.

 

[5]               Le demandeur se serait alors présenté devant les autorités du Ministère Public afin de dénoncer l’incident le même jour.  Il aurait par la suite été intercepté par trois agents de police qui l’auraient conduit de force dans un endroit isolé.  Ils lui auraient alors expliqué qu’il ne devait pas porter plainte contre El Gato puisque ce dernier travaillait pour la police comme « madrina » (personne qui effectue le sale boulot pour le compte de la police).  Ils ont également menacé le demandeur et sa famille de représailles s’il portait plainte de nouveau.

 

[6]               Le 3 juin 2006, le demandeur aurait été forcé d’accompagner trois hommes pour aller rencontrer El Gato.  Ce dernier souhaitait obtenir de l’information quant aux dates d’arrivée de la cocaïne à l’hôpital psychiatrique où travaillait le demandeur.  El Gato l’aurait alors averti de ne pas contacter la police.

 

[7]               Le demandeur n’a pas fait suite à la demande d’El Gato concernant les entrées de drogue et il a plutôt quitté son emploi pour aller vivre avec sa famille dans la ville de Cuernavaca Morelos.

 

[8]               Le 8 juin 2006, El Gato aurait retrouvé le demandeur; tout en le menaçant avec un pistolet, il lui aurait donné 30 jours pour lui fournir l’information qu’il recherchait.  Le demandeur s’est donc enfui vers Tlalpan où il a fait des démarches afin d’obtenir des passeports pour finalement quitter seul le Mexique en direction du Canada, le 10 juin 2006.

 

[9]               L’épouse du demandeur est allée vivre avec leur fille chez une tante.  Le 10 septembre 2006, elle a été interceptée par El Gato qui lui a demandé où il pouvait trouver son mari.  Il l’aurait alors frappée au visage et aurait tenté de lui enlever sa fille.  Lorsqu’elle s’est mise à crier, El Gato l’aurait lâchée tout en la menaçant.  Elle a donc décidé de quitter le Mexique pour rejoindre son mari au Canada le 13 septembre 2006.

 

II. Décision contestée

 

[10]           Le tribunal a noté certaines contradictions entre le témoignage des demandeurs lors de l’audience et leurs Formulaires de renseignements personnels (FRP), notamment en ce qui concerne le moment où ils ont reconnu El Gato, le moment où ils ont déménagé en juin 2006 et l’endroit de l’agression dont ils ont été victime le 3 juin 2006.  Le tribunal a considéré que ces contradictions minaient la crédibilité des demandeurs.

 

[11]           Ceci étant dit, c’est d’abord et avant tout la question de protection de l’État qui a retenu l’attention du tribunal   Pendant son témoignage, le demandeur principal a affirmé avoir été informé par les trois agents de police qui l’ont intercepté le 1er mars 2006 du fait qu’El Gato travaillait pour la police, donc après qu’il eut déposé sa dénonciation.  Or, la dénonciation indique très clairement que le demandeur a reconnu l’un de ses trois agresseurs, soit Enrique Garcia alias El Gato, puisqu’il est policier judiciaire.  Confronté avec cette contradiction, le demandeur a donné une explication que le tribunal a considéré être elle-même en contradiction avec la plainte.

 

[12]           Le tribunal a pris en considération le fait que l’épouse du demandeur n’a pas dénoncé aux autorités l’agression dont elle dit avoir été victime le 10 septembre 2006.  Il a également tiré une inférence négative de l’absence de dénonciation par le demandeur du traitement que lui ont réservé les policiers lorsqu’il s’est présenté pour faire une dénonciation le 1er mars 2006.  Enfin, le tribunal a noté que le demandeur n’avait informé ni les autorités mexicaines ni son employeur au sujet des tentatives d’El Gato d’obtenir de la drogue par son intermédiaire. 

[13]           Après avoir examiné la preuve documentaire, le tribunal a considéré que des recours étaient disponibles pour les victimes de policiers corrompus, et conclu que les demandeurs n’avaient pas repoussé la présomption selon laquelle les autorités mexicaines étaient en mesure de les protéger.

 

III. Question en litige

 

[14]           La seule question en litige dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire consiste à déterminer si le tribunal a erré en considérant que les demandeurs n’avaient pas repoussé la présomption de protection de l’État.

 

IV. Analyse

 

[15]           Antérieurement à la décision rendue par la Cour suprême dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, il était de jurisprudence constante que la norme de contrôle applicable à une décision portant sur une telle question était celle de la décision raisonnable : voir, à titre d’illustrations, Chaves c. Canada (MCI), 2005 CF 193, 45 Imm. L.R. (3d) 58; Muszynski c. Canada (MCI), 2005 CF 1075, 141 A.C.W.S. (3d) 620; Franklyn c. Canada (MCI), 2005 CF 1249, 142 A.C.W.S. (3d) 308.  Dans l’arrêt Dunsmuir, la Cour suprême a non seulement ramené de trois à deux le nombre de normes de contrôle applicables, mais a également indiqué qu’il n’y avait pas lieu de procéder à une analyse des différents facteurs permettant d’arrêter la bonne norme de contrôle lorsque cet exercice a déjà été effectué de façon satisfaisante dans d’autres décisions.

[16]           Sur cette base, et considérant que la question de savoir si un État est en mesure de protéger ses citoyens est une question mixte de fait et de droit, je n’ai aucune hésitation à conclure que cette question doit être examinée à l’aulne de la norme de la décision raisonnable.  C’est d’ailleurs la norme qui a été retenue par cette Cour à plusieurs occasions depuis que la Cour suprême a rendu sa décision dans l’arrêt Dunsmuir : voir, entre autres, Da Mota c. Canada (MCI), 2008 CF 386, 166 A.C.W.S. (3d) 552, au paragraphe 14; Obeid c. Canada (MCI), 2008 CF 503, 167 A.C.W.S. (3d) 373; Naumets c. Canada (MCI), 2008 CF 522, 167 A.C.W.S. (3d) 147; Woods c. Canada (MCI), 2008 CF 446, 166 A.C.W.S. (3d) 551, au paragraphe 32; Mendez c. Canada (MCI), 2008 CF 584, [2008] A.C.F. no 771 (QL).

 

[17]           Il se peut bien que le tribunal ait sauté aux conclusions un peu rapidement en considérant qu’il y avait contradiction entre le témoignage du demandeur principal et son FRP relativement au moment où il a identifié son agresseur.  M. Martell a en effet expliqué que sa famille l’avait mis au courant du fait qu’El Gato était un policier judiciaire, et qu’il l’avait par conséquent indiqué dans sa dénonciation au Ministère Public.  Ce que les policiers l’ayant par la suite intercepté et menacé lui ont appris, c’est qu’El Gato était un « madrina ».  Il n’y a là aucune contradiction qui pouvait permettre au tribunal de formuler une conclusion négative en ce qui concerne la crédibilité du demandeur. 

 

[18]           Il en va de même de l’apparente contradiction entre son FRP, dans lequel il dit s’être présenté devant les autorités pour porter plainte le 1er mars 2006, et la dénonciation qui est datée du 28 février 2006.  Le tribunal a mentionné dans sa décision que le demandeur n’avait pas été confronté à cette contradiction.  Or, le demandeur indique dans son affidavit qu’il s’est rendu au Ministère Public pour faire une dénonciation le 28 février à 22h00, et qu’il n’est ressorti que le 1er mars en raison du long délai pour recevoir sa plainte. 

 

[19]           Je suis donc prêt à admettre que le tribunal n’a pas vraiment donné la possibilité au demandeur de s’expliquer, et lorsqu’il l’a fait, il a mal interprété les propos du demandeur.  Ceci étant dit, ces erreurs dans l’appréciation de la crédibilité du demandeur principal n’ont pas été déterminantes, et ne remettent pas en cause l’incapacité des demandeurs de repousser la présomption de protection de l’État.

 

[20]           Pour appuyer sa conclusion selon laquelle les demandeurs ne se sont pas suffisamment prévalus de la protection offerte par les autorités du Mexique, le tribunal a pris en considération le fait que l’épouse du demandeur n’a pas dénoncé aux autorités l’agression dont elle dit avoir été victime le 10 septembre 2006.  Il a également relevé que le demandeur principal n’avait pas dénoncé l’interception par des policiers le 1er mars 2006, et n’avait informé ni les autorités mexicaines ni son employeur des tentatives d’El Gato d’obtenir de la drogue par son intermédiaire.

 

[21]           Le tribunal a indiqué que le trafic de la drogue, les enlèvements d’individus ainsi que la corruption au sein des forces policières constituent un grave problème au Mexique.  Il a cependant signalé, du même souffle, que des résultats étaient également obtenus, dans la mesure où des trafiquants de drogue, des policiers et des fonctionnaires corrompus sont appréhendés, poursuivis en justice et reconnus coupables.  Le tribunal a également souligné que certaines organisations financées par le gouvernement mexicain avaient été mises en place afin d’aider les personnes ayant de la difficulté à obtenir la protection de l’État.  Des recours étant disponibles spécifiquement pour ce genre de problème, le tribunal a conclu qu’il n’était pas déraisonnable de s’attendre à ce que les demandeurs se prévalent de la protection que les autorités mexicaines étaient en mesure de leur fournir.

 

[22]           Les demandeurs ont également prétendu que le tribunal avait ignoré des documents déposés en preuve.  Il convient de rappeler qu’il existe une présomption à l’effet que le tribunal est présumé avoir considéré toute la preuve avant de rendre sa décision et ce, malgré le fait que les différents éléments de preuve ne soient pas tous cités dans les motifs du tribunal.  Il incombe au tribunal d’apprécier la preuve soumise et d’en tirer les conclusions qui s’imposent.  Pour ce faire, le tribunal peut choisir parmi la preuve celle qu’il préfère et ce choix fait partie intégrante de son rôle et de son expertise : Mahendran c. Canada (MCI), (1991) 134 N.R. 316, 14 Imm. L.R. (2d) 30 (C.A.F.); Tawfik c. Canada (MCI) (1993), 137 F.T.R. 43, 26 Imm. L.R. (2d) 148; Akinlolu c. Canada (MCI) (1997), 70 A.C.W.S. (3d) 136, [1997] A.C.F. no. 296 (QL); Florea c. Canada (MEI), [1993] F.C.J. No. 598 (C.A.) (QL).

 

[23]           D’autre part, cette Cour a réitéré à plusieurs reprises que le comportement de certains policiers ne met pas fin à la nécessité de demander la protection des autorités puisqu’il ne s’agit pas d’une preuve suffisante pour démontrer l’incapacité de l’État d’assurer la protection de ses citoyens.  Cette Cour a établi, dans l’arrêt De Baez c. Canada (MCI), 2003 CFPI 785, 236 F.T.R. 148, que le comportement de certains policiers ne mettait pas fin à la nécessité de demander la protection des autorités :

[14] Dans la présente affaire, les demandeurs n’ont jamais tenté d’informer les autorités policières de leurs préoccupations.  Ils affirment que les policiers étaient en partie responsables des problèmes de Pablo et qu’il était donc déraisonnable de s’attendre à ce qu’ils sollicitent leur protection.

 

[15] Cependant, dans l’arrêt Kadenko c. Canada (solliciteur général), (1996) 143 D.L.R. (4th) 532 (C.A.F.), la Cour d’appel fédérale a exprimé de la façon suivante l’obligation qui incombe à un revendicateur :

 Lorsque l’État en cause est un état démocratique comme en l’espèce, le revendicateur doit aller plus loin que de simplement démontrer qu’il s’est adressé à certains membres du corps policier et que ses démarches ont été infructueuses.  Le fardeau de preuve qui incombe au revendicateur est en quelque sorte directement proportionnel au degré de démocratie atteint chez l’État en cause : plus les institutions de l’État seront démocratiques, plus le revendicateur devra avoir cherché à épuiser les recours qui s’offrent à lui. […]

 

[16] Ainsi, les actes posés par certains policiers n’empêchent pas qu’il soit nécessaire de tenter d’obtenir la protection des autorités.  La discrimination exercée par certains policiers n’est pas une preuve suffisante que l’État n’est pas disposé à protéger les demandeurs ou que ces derniers sont incapables de solliciter la protection de l’État.

 

Voir aussi, dans la même veine : Garcia Villasenor c. Canada (MCI), 2006 CF 1080, 157 A.C.W.S. (3d) 818.

 

 

[24]           Bien que je sois d’accord avec les demandeurs en ce qui concerne les erreurs d’interprétation et de compréhension commises par le tribunal, je ne considère pas que sa conclusion selon laquelle les demandeurs n’ont pas réussi à réfuter la présomption de protection de l’État était déraisonnable en regard de la preuve documentaire.  Par conséquent, les erreurs du tribunal sur la crédibilité des demandeurs n’affectent pas sa conclusion selon laquelle le Mexique était en mesure de les protéger.

 

[25]           Pour ces motifs, je rejetterais la demande de contrôle judiciaire.  Les parties n’ont soumis aucune question pour fins de certification.

 


JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée.  Aucune question ne sera certifiée.

 

« Yves de Montigny »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-4434-07

 

INTITULÉ :                                       Jose Alfredo Xocopa Martell et al.

                                                            c.

                                                            MCI

 

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal, Québec

 

DATE DE L’AUDIENCE :               27 juin 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET

JUGEMENT PAR :                           Juge de Montigny

 

DATE DES MOTIFS :                      16 septembre 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Jose Alfredo Xocopa Martell

(se représente seul)

 

POUR LE DEMANDEUR,

JOSE ALFREDO XOCOPA MARTELL

Me Mireille Rainville

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Non-représenté

 

POUR LES DEMANDEURS

 

John H. Sims

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

                                                                                   

 

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.