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Date : 20080922

Dossiers : T-268-08

Référence : 2008 CF 1064

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 22 septembre 2008

En présence de monsieur le juge Martineau

 

ENTRE :

MARTHA COADY

demanderesse

et

 

le Directeur des poursuites pénales,

la Gendarmerie royale du Canada, représentée par le Sous-commissaire de la GRC, et le Procureur général de l’Ontario

 

défendeurs

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               La demanderesse est une avocate reçue au Barreau de l’Ontario le 13 avril 1981 et qui se représente elle-même. Elle fait l’objet d’une série de plaintes déposées contre elle auprès du Barreau du Haut-Canada (le Barreau) entre 1995 et 1998.

 

[2]               Le 3 mars 2008, un comité d’audience du Barreau a commencé à entendre ces plaintes; cependant, aucune décision n’a encore été rendue.

[3]               La question dans la présente procédure, prétendument intentée en vertu des articles 37 et 38 de la Loi sur la preuve au Canada, L.R.C. 1985, c. C-5 (LPC), porte sur le droit d’accès de la demanderesse à un certain dossier d’enquête détenu par la Gendarmerie royale du Canada et appelé « Projet Anecdote ».

 

[4]               Par la présente requête prise en application du paragraphe 377(1) des Règles des Cours fédérales, DORS 98-106, (les Règles), la demanderesse sollicite l’émission d’une ordonnance interlocutoire :

                                                               i.      enjoignant la GRC de déposer auprès de la Cour une copie certifiée authentique du dossier d’enquête complet sur le « Projet Anecdote » et la publication des parties de son contenu qui ne sont pas assujetties au privilège avocat-client;

                                                             ii.      ordonnant au ministère de la Justice de fournir un inventaire écrit du contenu dudit dossier d’enquête, et ordonnant au ministère de la Justice d’indiquer spécifiquement les parties du dossier susceptibles d’être assujetties au privilège avocat-client, le cas échéant.

 

[5]               La demanderesse allègue que le « Projet Anecdote » mettait l’accent sur la syndication de sommes d’argent à des fins de développement immobilier par un groupe d’avocats d’Ottawa, apparemment impliqués dans des infractions liées aux produits de la criminalité. Si on accepte la déclaration de la demanderesse, l’ex-conjoint de celle-ci, un avocat d’Ottawa nommé Brian Boyle, était l’un des personnages centraux de cette enquête, tout comme un juge d’Ottawa nommé James Chadwick, qui a cessé d’être membre de la Cour supérieure de justice de l’Ontario le 31 décembre 2003.

 

[6]               Selon la demanderesse, le dossier faisant l’objet de la requête pourrait contenir des preuves à décharge concernant les allégations d’inconduite professionnelles faites contre elle par des membres du groupe d’investissement de M. Boyle entre 1995 et 1998, et que la demanderesse souhaite présenter au comité d’audience du Barreau. L’information contenue dans le dossier de la GRC pourrait aussi aider la demanderesse dans une demande de contrôle judiciaire proposée de la décision négative apparemment rendue en 2004 par le Conseil canadien de la magistrature, rejetant la plainte de la demanderesse contre le juge Chadwick après la démission de ce dernier.

 

[7]               Les défendeurs font opposition à la requête.

 

[8]                Le but d’une ordonnance interlocutoire en vertu du paragraphe 377(1) des Règles, communément appelée une ordonnance Anton Piller, est d’assurer la conservation de biens, y compris des preuves matérielles pertinentes en possession de l’autre partie, et de faire en sorte que cette dernière ne puisse contourner la procédure de la Cour en faisant disparaître ces biens. Un demandeur doit convaincre la Cour de ce qui suit :

         le demandeur dispose d’une preuve prima facie très solide;

         les dommages, potentiels ou réels, sont très graves;

         l’autre partie a en sa possession des documents pouvant servir de pièces à conviction;

         il existe une possibilité réelle que ces biens puissent être détruits;

          la saisie ou la conservation de ces biens par un gardien désigné durant la procédure ne causera aucun tort réel à l’autre partie.

Les défendeurs font valoir que ces critères ne sont pas satisfaits en l’espèce, alors que la demanderesse soumet qu’ils le sont.

 

[9]               La requête de la demanderesse doit être rejetée.

 

[10]           Ayant examiné la preuve en l’espèce et entendu les parties, je ne suis pas convaincu de l’existence d’une « preuve prima facie très solide ». Mon collègue, le juge Beaudry, en rejetant une requête similaire mais non identique présentée par la demanderesse en février 2008, a déjà conclu que l’article 37 de la LCP ne s’applique pas en l’espèce, et que la Cour n’a pas compétence pour ordonner à la GRC de fournir des éléments de preuve relatifs à une procédure devant la Cour d’appel de l’Ontario ou un comité d’audience du Barreau (ordonnance du juge Beaudry datée du 26 février 2008, dossier de la Cour). De plus, les conditions pour l’application de l’article 38 de la LCP, également invoqué par la demanderesse, ne sont pas satisfaites en l’espèce.

 

[11]            La demanderesse allègue également que le ministère de la Justice considère qu’une demande d’accès à l’information est une condition préalable nécessaire à l’obtention des renseignements qu’elle recherche. Elle signale qu’une telle demande nécessiterait cependant le consentement écrit des cibles de l’enquête de la GRC, un consentement dont la demanderesse ne croit pas qu’il serait accordé. Une ordonnance Anton Piller (ou une ordonnance Norwich) ne peut être utilisée pour contrer les dispositions expresses de la Loi sur l’accès à l’information, L.R.C., 1985, c. A-1.

 

[12]           De même, la demanderesse fait valoir que la Cour est compétente sur les questions découlant de l’inconduite d’un juge ayant fait l’objet d’une enquête du Conseil canadien de la magistrature. Logiquement, la Cour fédérale du Canada serait par conséquent le tribunal approprié pour obtenir la publication d’éléments de preuve en vertu de l’article 37 de la LCP, si cette preuve était susceptible de fournir une preuve d’inconduite au sens de la Loi sur les juges, L.R.C., 1985, c. J-1. Même si j’acceptais que la Cour est compétente pour entendre une demande de contrôle judiciaire de la décision négative rendue par le Conseil canadien de la magistrature rejetant la plainte de la demanderesse contre l’ancien juge Chadwick, une telle demande n’a jamais été signifiée et déposée. La demanderesse est maintenant hors délai pour le faire et aurait besoin de l’autorisation d’un juge pour signifier et déposer une telle demande.

 

[13]            Par ailleurs, la demanderesse sollicite une ordonnance de type Norwich, un mécanisme de communication préalable par lequel un tiers est obligé de fournir de l’information à un demandeur, dans une situation où le demandeur croit avoir subi un tort et a besoin de l’assistance du tiers pour déterminer les circonstances du tort afin de faire valoir ses droits (Isofoton S.A. v. Toronto Dominion Bank (c.o.b. TD Canada Trust), [2007] C.C.S. no 12739, [2007] O.J. no 1701).

 

[14]            Pour qu’une ordonnance de type Norwich soit accordée, les critères suivants doivent être satisfaits :

                                                               i.      il doit exister une preuve d’une allégation valide, raisonnable et de bonne foi. La norme requise est celle d’une allégation qui n’est ni frivole ni vexatoire;

 

                                                             ii.      le demandeur doit établir que le tiers à qui l’information est demandée est d’une certaine façon impliqué dans l’acte répréhensible, même de façon innocente;

 

                                                            iii.      le tiers doit être la seule source pratique de l’information. La victime n’est pas tenue d’approcher l’auteur allégué de l’acte répréhensible pour obtenir l’information;

 

                                                           iv.      la victime est tenue d’indemniser le tiers de tous les coûts associés avec l’exécution de l’ordonnance;

 

                                                             v.      la Cour tiendra compte de tous les intérêts respectifs, et pèsera les avantages de la divulgation de l’information par rapport à l’intérêt de préserver la confidentialité.

 

[15]            La demanderesse fait valoir qu’elle est actuellement en danger, ayant fait l’objet de fausses allégations, et qu’elle est maintenant susceptible de faire l’objet d’une condamnation pour des infractions disciplinaires, tandis que les défendeurs soumettent qu’il n’existe aucun fondement de bonne foi pour une ordonnance de type Norwich. Je suis d’accord avec les défendeurs.

 

[16]           Le 10 juin 2008, le comité d’audience du Barreau a conclu que la demanderesse est empêchée de soulever des questions portant notamment sur l’enquête de la GRC : Law Society of Upper Canada v. Coady, [2008] L.S.D.D. no 56, 2008 ONLSHP 64, au paragraphe 116f), (Law Society of Upper Canada v. Coady). Le comité d’audience du Barreau a également interdit à la demanderesse de communiquer avec des membres actuels ou passés de la GRC et des témoins à propos de toute enquête sur l’ex-conjoint de la demanderesse ou l’ancien juge Chadwick, en l’absence d’une requête présentée au comité d’audience du Barreau visant à établir la pertinence de la procédure : Law Society of Upper Canada v. Coady au paragraphe 116q).

 

[17]           De plus, le 7 juillet 2008, la Cour d’appel de l’Ontario a rejeté la demande de permission d’en appeler de la demanderesse de la décision de la Cour supérieure de l’Ontario rejetant la requête de la demanderesse visant à introduire de nouveaux éléments de preuve (Law Society of Upper Canada v. Coady, 2008 ONLSHP 64, rejet de la demande de permission d’en appeler devant la Cour d’appel, M35786 [7 juillet 2008]). Bien que le comité d’audience du Barreau n’ait pas encore rendu sa décision finale, la partie de l’audience réservée à la présentation de la preuve a pris fin le 7 juillet 2008.

 

[18]            Dans ces circonstances, la demanderesse a tout simplement échoué à convaincre la Cour qu’il y avait à la fois une preuve prima facie très solide pour une ordonnance Anton Piller ou une allégation de bonne foi pour une ordonnance de type Norwich. Par conséquent, il n’est pas nécessaire d’examiner les autres critères nécessaires régissant l’émission de telles ordonnances.

 

[19]            Enfin, la requête de la demanderesse pour une ordonnance enjoignant le ministère de la Justice de fournir un inventaire écrit du dossier demandé n’est pas non plus appropriée dans une requête en injonction provisoire ou interlocutoire, puisque la demanderesse n’aurait droit à ce recours qui si sa requête en vertu des articles 37 et 38 de la LCP était accueillie sur le fond.

 

[20]           En conclusion, la requête de la demanderesse doit être rejetée.

 

 

 


ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE que la requête de la demanderesse soit rejetée.

 

« Luc Martineau »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-268-08

 

 

INTITULÉ :                                       MARTHA COADY c. LE DIRECTEUR DES POURSUITES PÉNALES ET AL.

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 OTTAWA (ONTARIO)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 11 septembre 2008

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       LE JUGE MARTINEAU     

 

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 22 SEPTEMBRE 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Martha Coady

POUR LA DEMANDERESSE

 

Tatiana Sandler

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Martha Coady

POUR LA DEMANDERESSE

 

John H. Simms, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

 

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