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Date : 20080919

Dossier : T-2050-07

Référence : 2008 CF 1059

Ottawa (Ontario), le 19 septembre 2008

En présence de madame la juge Snider

 

 

ENTRE :

LESLIE HICKS

demandeur

et

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.          Aperçu

 

[1]               M. Leslie Hicks, le demandeur, travaillait à Sydney, en Nouvelle-Écosse, pour un ministère de la fonction publique fédérale. En 2002, les bureaux du ministère à Sydney ont fermé et M. Hicks a été réinstallé dans la région de la capitale nationale. À l’époque, la belle-mère de M. Hicks habitait dans un appartement destiné aux personnes âgées, à Sidney. M. Hicks a présenté une demande d’Indemnité pour l’occupation temporaire de deux résidences (l’IOTDR) en application de la Directive sur la réinstallation du Conseil du Trésor, afin d’assurer le maintien d’une résidence à Sydney et de permettre à son épouse de prendre soin de sa belle-mère. Sa demande a été rejetée – et des griefs subséquents ont été rejetés – au motif que la belle-mère n’était pas une personne à charge habitant la même résidence principale.

 

[2]               M. Hicks s’est alors adressé à la Commission canadienne des droits de la personne (la Commission) et il a déposé la plainte suivante :

[traduction] Je dépose une plainte en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne [refus d’aide financière] au motif qu’il y a eu discrimination à mon égard en raison de ma situation familiale, de mon état matrimonial et de l’âge et de la déficience d’une membre de ma famille. L’interprétation par l’employeur de la Directive sur la réinstallation établit une discrimination contre les employés qui ont des membres de leur famille étant incapables d’habiter à la maison, mais qui, en raison de leur déficience, doivent habiter dans un logement qui convient à leur situation.

 

[3]               Dans une lettre datée du 26 octobre 2007, la Commission a informé M. Hicks qu’elle avait décidé, en application de l’alinéa 41(1)c) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. 1985, ch. H-6 (la Loi ou la LCDP), qu’elle ne statuerait pas sur sa plainte puisque [traduction] « les allégations ne se rapport[ai]ent pas à un motif de distinction illicite prévu à l’article 3 de la Loi ».

 

[4]               M. Hicks sollicite le contrôle judiciaire de cette décision. Il convient de préciser que M. Hicks ne demande pas à la Cour de tirer une conclusion sur le bien-fondé de son affaire; il demande seulement à la Cour de renvoyer la plainte à la Commission pour qu’elle mène une enquête approfondie.

 

II.        Question en litige

 

[5]               La présente affaire soulève une question fondamentale : la Commission a-t-elle commis une erreur en décidant, à cette étape préliminaire, de ne pas statuer sur la plainte déposée par M. Hicks?

 

III.       Contexte

 

[6]               Vu qu’aucune enquête n’a été menée sur le fond de la plainte déposée par M. Hicks, les allégations figurant sur la formule de plainte doivent être présumées vraies (voir la décision Michon‑Hamelin c. Canada (Procureur général), 2007 CF 1258; [2007] A.C.F. no 1607 (QL), au paragraphe 23). En l’espèce, les faits présentés dans la plainte sont simples et ne sont pas contestés.

 

[7]               Comme il a été souligné, M. Hicks a quitté Sydney pour être réinstallé à Ottawa. Le gouvernement a établi des politiques en vue d’indemniser les employés qui sont réinstallés. Le déménagement de M. Hicks était visé par la Directive sur la réinstallation applicable aux réinstallations entreprises avant mars 2003. Cette directive indique :

La politique du gouvernement est la suivante. Dans toute réinstallation, il faut viser à réinstaller l’employé de la façon la plus efficace, c.-à-d. au coût le plus raisonnable pour l’État tout en causant le moins d’ennuis possible à l’employé muté et à sa famille.

It is the policy of the government that in any relocation, the aim shall be to relocate the employee in the most efficient fashion, that is, at the most reasonable cost to the public yet having a minimum detrimental effect on the transferred employee and family.

 

[8]               La Directive sur la réinstallation est considérée comme faisant partie intégrante des conventions collectives (voir la section « Généralités » de cette directive).

 

[9]               Dans certaines circonstances où l’employé maintient encore une résidence dans sa région d’origine, il peut recevoir une aide financière. Ce type d’aide est appelé « Indemnité pour l’occupation temporaire de deux résidences ». La partie pertinente de l’article 2.11 de la Directive sur la réinstallation prévoit :

2.11.1 L’aide financière accordée vise à compenser les frais rattachés à la deuxième résidence. L’employé continuera d’assumer les frais rattachés à une résidence.

 

2.11.2 L’employé peut obtenir une aide financière à l’égard des frais de subsistance lorsqu’il doit occuper temporairement deux résidences au début de la période de réinstallation, c.‑à‑d. :

 

a) si l’un des logements est occupé par une ou plusieurs personnes à sa charge, ce qui comprend le conjoint :

 

-         à cause d’une maladie temporaire, ou

 

 

-         pour permettre à toute personne à charge (qui vivait chez l’employé avant la réinstallation) de fréquenter un établissement d’enseignement donné afin de ne pas perturber son année scolaire […]

2.11.1 Financial assistance is intended to offset the cost of maintaining the second residence. The employee remains responsible for one set of household expenses.

 

2.11.2 Financial assistance towards living expenses can be obtained in situations when two residences are temporarily maintained during the initial stages of a relocation, i.e.:

 

     

 

(a) when one of the residences is occupied by dependant(s) (a term which includes a spouse):

 

-         for reasons of temporary illness, or

 

 

-         in order for a dependant(s) (who has been living with the employee prior to relocation) to attend an educational institution in order to avoid disruption of the school term …

 

[10]           La « personne à charge » est définie comme suit dans la Directive sur la réinstallation :

[…] toute personne qui habite avec l’employé ou la personne nommée et qui est, soit son conjoint soit la personne à l’égard de laquelle l’employé peut réclamer une exemption personnelle aux termes de la Loi de l’impôt sur le revenu, soit un enfant célibataire, un enfant né d’un mariage antérieur, un enfant adoptif ou sous la tutelle légale de l’employé (ou de son conjoint) qui ne fait pas l’objet d’une déduction d’impôt et qui fréquente une école à plein temps. Un membre de la famille qui réside en permanence avec l’employé mais auquel cette définition ne s’applique pas aux termes de la Loi de l’impôt sur le revenu parce qu’il reçoit une pension est aussi considéré comme une personne à charge en vertu de la présente directive;

 

 

… any person who lives with the employee or appointee and is either the employee’s spouse, a person for whom the employee can claim a personal exemption under the Income Tax Act, or an employee’s (or a spouse’s) unmarried child, step‑child, adopted child or legal ward who cannot be claimed as an income tax deduction but is in full-time attendance at school. A family member who is permanently residing with the employee, but who is precluded from qualifying as a dependant under the Income Tax Act because the family member receives a pension, shall also be considered as a dependant under this directive;

 

 

[11]           M. Hicks a demandé qu’on lui accorde douze mois d’IOTDR en ce qui concerne sa belle‑mère et son fils (la demande d’aide pour le fils n’est pas en cause en l’espèce). Sa demande a été rejetée. La demande a encore une fois été rejetée dans un grief subséquent au motif que la belle‑mère n’habitait pas chez M. Hicks, dans la résidence principale située à Sydney, et qu’elle n’était donc pas une « personne à charge » au sens de la Directive sur la réinstallation. M. Hicks a ensuite présenté son grief à un arbitre de la Commission des relations de travail dans la fonction publique, qui l’a rejeté. Le motif principal à l’appui du rejet était que la belle-mère de M. Hick ne répondait pas à la définition de « personne à charge » prévue dans la Directive sur la réinstallation. De plus, la « maladie temporaire » devait être celle de la personne à charge habitant dans la résidence principale. Aux audiences devant l’arbitre, M. Hicks a allégué que les actions de l’employeur étaient discriminatoires. L’arbitre a affirmé : « [J]e n’avais pas compétence pour me prononcer sur des aspects du grief ayant trait aux droits de la personne. »

 

IV.       Plainte déposée en vertu de la LCDP et dispositions législatives

 

[12]           M. Hicks a ensuite déposé sa plainte auprès de la Commission, soutenant que [traduction] « [l]’interprétation par l’employeur de la Directive sur la réinstallation établi[ssait] une discrimination contre les employés qui ont des membres de leur famille étant incapables d’habiter à la maison, mais qui, en raison de leur déficience, doivent habiter dans un logement qui convient à leur situation ». En d’autres mots, selon M. Hicks, la Directive sur la réinstallation fait preuve de discrimination à son égard pour deux motifs – la situation de famille et la déficience – qui constituent des motifs de distinction illicite prévus au paragraphe 3(1) de la LCDP :

 

3. (1) Pour l’application de la présente loi, les motifs de distinction illicite sont ceux qui sont fondés sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l’âge, le sexe, l’orientation sexuelle, l’état matrimonial, la situation de famille, l’état de personne graciée ou la déficience.

3. (1) For all purposes of this Act, the prohibited grounds of discrimination are race, national or ethnic origin, colour, religion, age, sex, sexual orientation, marital status, family status, disability and conviction for which a pardon has been granted.

 

[13]           La plainte de M. Hicks repose également sur les articles 7 et 10 de la LCDP :

7. Constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, par des moyens directs ou indirects :

[…]

 

 b) de le défavoriser en cours d’emploi.

 

 

10. Constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite et s’il est susceptible d’annihiler les chances d’emploi ou d’avancement d’un individu ou d’une catégorie d’individus, le fait, pour l’employeur, l’association patronale ou l’organisation syndicale :

 

a) de fixer ou d’appliquer des lignes de conduite;

 

b) de conclure des ententes touchant le recrutement, les mises en rapport, l’engagement, les promotions, la formation, l’apprentissage, les mutations ou tout autre aspect d’un emploi présent ou éventuel.

 

7. It is a discriminatory practice, directly or indirectly,

 

(b) in the course of employment, to differentiate adversely in relation to an employee, on a prohibited ground of discrimination.

 

 

10. It is a discriminatory practice for an employer, employee organization or employer organization

 

(a) to establish or pursue a policy or practice, or

 

(b) to enter into an agreement affecting recruitment, referral, hiring, promotion, training, apprenticeship, transfer or any other matter relating to employment or prospective employment,

 

that deprives or tends to deprive an individual or class of individuals of any employment opportunities on a prohibited ground of discrimination.

 

[14]           En application de l’article 41 de la LCDP, la Commission doit statuer sur la plainte, sauf dans certaines circonstances. La disposition qui nous intéresse en l’espèce est l’alinéa 41(1)c) :

41. (1) Sous réserve de l’article 40, la Commission statue sur toute plainte dont elle est saisie à moins qu’elle estime celle-ci irrecevable pour un des motifs suivants :

[…]

 

c) la plainte n’est pas de sa compétence;

 

41(1). Subject to section 40, the Commission shall deal with any complaint filed with it unless in respect of that complaint it appears to the Commission that

 

 

(c) the complaint is beyond the jurisdiction of the Commission;

 

V.        Le rapport du conseiller

 

[15]           Comme il est d’usage à la Commission, un conseiller en règlement anticipé (le conseiller) a préparé un rapport d’analyse. Le conseiller a recommandé à la Commission de ne pas statuer sur la plainte, pour les motifs qui suivent :

[traduction] Les allégations présentées dans la plainte ne semblent pas se rapporter au motif de l’état matrimonial ni à celui de l’âge. De la façon dont elles sont décrites, les allégations ne tendent pas à indiquer que l’état matrimonial du plaignant ou l’âge de sa belle‑mère ont constitué des facteurs dans la décision du défendeur de rejeter la demande d’IOTDR.

 

Il appert que la demande d’IOTDR présentée par le plaignant a été rejetée au motif que sa belle-mère ne répondait pas à la définition de « personne à charge », puisqu’elle n’habitait pas chez lui au moment de sa réinstallation. La définition de « personne à charge » prévue dans la Directive sur la réinstallation vise expressément les membres de la famille, de sorte qu’il est évident que le fait que la « personne à charge » du plaignant était sa belle-mère ne constituait pas en soi la raison justifiant le rejet de sa demande d’IOTDR. Le plaignant semble contester les critères de résidence de la Directive sur la réinstallation, lesquels devraient, selon lui, faire l’objet d’une interprétation plus large pour que soient visées les situations comme la sienne, où un membre de la famille à charge n’habite pas dans la résidence familiale. Vu que la question principale en l’espèce concerne la résidence, et que le fait que le membre visé de la famille du plaignant était sa belle-mère n’a pas empêché celle-ci d’être considérée comme une « personne à charge » au sens de la Directive sur la réinstallation, les allégations du plaignant ne semblent pas être liées au motif de la situation de famille.

 

Le plaignant a aussi allégué qu’il avait été victime de discrimination en raison de la déficience dont était atteinte sa belle-mère. La situation exposée par le plaignant ne présente aucun lien avec le motif de la déficience, puisqu’en l’espèce, c’est sa belle-mère qui est atteinte de la déficience et non pas lui. En outre, comme il a été mentionné ci-dessus, il est clair que la demande d’IOTDR présentée par le plaignant a été rejetée en raison des critères de résidence qui font partie de la définition de « personne à charge » prévue dans la Directive sur la réinstallation.

 

Comme les allégations invoquées par le plaignant ne se rapportent pas à l’un ou l’autre des motifs de distinction illicite prévus dans la LCDP, je recommande à la Commission de ne pas statuer sur la plainte pour cause d’absence de compétence.

 

 

VI.       Réponse de M. Hicks

 

 

[16]           M. Hicks a eu l’occasion de répondre aux recommandations formulées par le conseiller. Dans une lettre datée du 4 septembre 2007, M. Hicks a fourni sa réponse. Les points clés qu’il a soulevés peuvent être résumés comme suit :

 

·                     M. Hicks soutient qu’on a refusé de lui accorder une indemnité d’emploi en raison de : a) sa situation de famille, puisque son épouse devait rester à Sydney pour prendre soin de sa mère âgée atteinte d’une déficience; b) son état matrimonial, puisqu’il est marié à une femme dont la mère a besoin de ses soins; et c) l’âge et la déficience, puisqu’une membre âgée de sa famille est atteinte d’une déficience, a une santé fragile et doit habiter dans une maison destinée aux personnes âgées.

 

·                     Selon M. Hicks, le conseiller a interprété de façon trop restrictive le motif de la « situation de famille », ce qui est incompatible avec la jurisprudence récente (il a cité comme précédents Health Sciences Assn. of British Columbia c. Campbell River and North Island Transitional Society, 2004 BCCA 260, (2004), 240 D.L.R. (4th) 479; Hoyt c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, [2006] D.C.D.P. no 33; Johnstone c. Canada (Procureur général), 2007 CF 36; Canada (Procureur général) c. Mossop, [1993] 1 R.C.S. 554).

 

·                     M. Hicks est d’avis que le fait qu’une politique d’un employeur ait porté atteinte aux droits du plaignant est suffisant pour établir une preuve prima facie de discrimination (Hoyt, précitée, au paragraphe 31).

 

·                     M. Hicks n’est pas d’accord avec le commentaire du conseiller selon lequel l’employé est celui qui doit être atteint de la déficience et non pas un membre de sa famille (il n’a cité aucune jurisprudence à l’appui de son point de vue).

 

·                     En résumé, M. Hicks est d’avis que l’employeur n’a pris aucune mesure d’adaptation en vue de l’aider à soulager le fardeau reposant sur lui.

 

VII.     Décision de la Commission

 

[17]           La Commission a rendu une décision brève. En ce qui concerne la question de la compétence, elle a tout simplement fait une déclaration selon laquelle elle avait décidé, en application de l’alinéa 41(1)c) de la LCDP, de ne pas statuer sur la plainte puisque [traduction] « les allégations ne se rapport[ai]ent pas à un motif de distinction illicite prévu à l’article 3 de la Loi ». La décision-lettre ne justifie aucunement la conclusion de la Commission, mais le rapport du conseiller est considéré comme faisant partie des motifs de la Commission (voir, par exemple, la décision Michon-Hamelin, précitée, au paragraphe 17; et l’arrêt Sketchley c. Canada (Procureur général), 2005 CAF 404, au paragraphe 37).

 

VIII.    Analyse

 

[18]           Les parties ne s’entendent pas sur la norme de contrôle applicable. Selon la Commission, la norme de contrôle applicable est la décision raisonnable (voir, par exemple, la décision Comstock c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2007 CF 335, 310 F.T.R. 277, conf. par 2008 CAF 197). M. Hicks fait valoir que la norme de contrôle applicable devrait être celle de la décision correcte, du fait que la question en litige était une question de droit (voir, par exemple, l’arrêt Sketchley c. Canada (Procureur général), précité).

 

[19]           Il ne fait aucun doute qu’il faut faire preuve d’une grande retenue à l’égard de la décision de la Commission (Société canadienne des postes c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne) (1997), 130 F.T.R. 241 (1re inst.), conf. par [1999] A.C.F. no 705 (C.A.F.) (QL); Comstock, précitée) lorsque celle-ci comporte un élément factuel. Toutefois, il semble également y avoir un consensus dans la jurisprudence selon lequel les questions de droit doivent être contrôlées suivant la norme de la décision correcte (Comstock, précitée, au paragraphe 34; Johnstone, précitée, au paragraphe 18).

 

[20]           Quelle est alors la nature de la question dont était saisie la Commission? Il ne s’agissait pas d’une question de fait; M. Hicks et la Commission ne semblent pas être en désaccord sur les faits de l’affaire. Selon mon interprétation des observations de M. Hicks, plus particulièrement ses observations en réponse au rapport du conseiller, il demandait à la Commission de mener une enquête sur les questions suivantes :

 

·                     L’IOTDR a-t-elle une incidence négative sur les obligations familiales de M. Hicks, de sorte qu’elle est incompatible avec l’article 3 de la LCDP?

 

·                     La IOTDR, à laquelle M. Hicks n’a pas droit relativement à sa belle-mère atteinte d’une déficience, et qui ne reconnaît pas sa situation de famille, a-t-elle une incidence négative sur ses « chances d’emploi ou d’avancement », ce qui est interdit par les articles 7 et 10 de la LCDP?

 

[21]           Les questions sous-jacentes sont des questions de droit sérieuses portant sur la signification de la situation de famille et des chances d’emploi ou d’avancement. À mon avis, cette décision précise, rendue en application de l’alinéa 41(1)c), appelle une norme plus élevée d’examen judiciaire – c’est‑à‑dire la norme de la décision correcte. Toutefois, si ma conclusion devait être erronée, je suis également convaincue, comme je l’explique ci-dessous, que la décision ne résisterait pas à un contrôle suivant la norme de la décision raisonnable.

 

[22]           La Commission, à cette étape d’examen préliminaire, devrait seulement décider de ne pas statuer sur la plainte dans les cas « les plus évidents » (voir les décisions Société canadienne des postes, première instance, précitée, au paragraphe 3; et Michon-Hamelin, précitée, au paragraphe 16). La Commission devait donc se demander s’il était « évident » qu’il n’y avait aucune preuve prima facie de discrimination. En rejetant la plainte de M. Hicks, la Commission a, en fait, rendu une décision finale selon laquelle l’IOTDR n’était pas discriminatoire – et qu’il était donc « évident » que l’IOTDR n’était pas incompatible avec les articles 3, 7 et 10 de la LCDP.

 

[23]           Quelle que soit la norme de contrôle applicable, la Cour fédérale prend les mesures prévues si elle est convaincue que le tribunal a rendu sa décision sans tenir compte des éléments dont il disposait (Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7, au paragraphe 18.1(4)). Comme l’a conclu la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Johnstone c. Canada (Procureur général), 2008 CAF 101, au paragraphe 2, le fait que la Commission n’avait pas précisé clairement dans sa décision quel critère juridique elle avait appliqué constituait un fondement suffisant pour conclure que sa décision était déraisonnable.

Les motifs donnés par la Commission pour rejeter la plainte indiquent que la Commission a appliqué un critère juridique en matière de discrimination à première vue qui est apparemment compatible avec la décision Health Sciences Association of British Columbia c. Campbell River & North Island Transition Society, 2004 BBCA 260, mais incompatible avec la décision subséquente rendue par le Tribunal canadien des droits de la personne dans Hoyt c. la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, [2006] D.C.D.P. No 33. Nous ne formulons aucune opinion pour indiquer en quoi consiste le critère juridique approprié. Nous disons simplement que les motifs de la Commission ne permettent franchement pas de savoir quel critère juridique elle a appliqué pour décider comme elle l’a fait. À notre avis, cela constitue un fondement suffisant pour conclure que la décision rendue par la Commission était déraisonnable et justifie l’ordonnance du juge Barnes de renvoyer l’affaire à la Commission pour réexamen. [Non souligné dans l’original.]

 

 

[24]           À mon avis, le principal problème que soulève la décision de la Commission est qu’elle ne traite d’aucun des arguments présentés par M. Hicks dans sa réponse du 4 septembre 2007. Dans sa réponse, M. Hicks a présenté des observations détaillées au sujet de la compétence, et il a fait référence à de la jurisprudence qui semblait donner une interprétation moins restrictive des motifs de la situation de famille et de la déficience que celle qui a apparemment été donnée par la Commission. Je ne sais pas si la Commission a tenu compte des arguments invoqués par M. Hicks dans sa réponse ou, si elle en a tenu compte, pourquoi elle a jugé que ces arguments n’étaient pas fondés.

 

[25]           L’affaire dont je suis saisie est très semblable à celle dans Johnstone. Je prends acte des arguments présentés par la Commission en l’espèce selon lesquels les droits de la personne garantis par la LCDP n’ont pas la portée que tente de leur donner M. Hicks. La Commission a peut-être raison. Cependant, compte tenu du dossier dont je dispose, je ne peux conclure avec certitude que les arguments présentés par M. Hicks ont été entendus et pris en compte. En d’autres mots, je ne suis pas convaincue que l’absence de discrimination est évidente. Par conséquent, qu’elle soit contrôlée suivant la norme de la décision raisonnable ou celle de la décision correcte, la décision ne peut, selon moi, être maintenue.

 

IX.       Conclusion

 

[26]           Je conclus donc que la décision de la Commission de rejeter la plainte de M. Hicks ne devrait pas être maintenue. Je vais annuler la décision et renvoyer l’affaire à la Commission pour qu’elle statue sur le bien-fondé de l’affaire. Plus précisément, j’enjoins à la Commission d’accepter que M. Hicks a fourni suffisamment d’arguments pour justifier qu’une enquête soit menée relativement à sa plainte.

 

[27]           Je tiens à préciser que je ne me prononce pas sur la question de savoir si la position prise par M. Hicks quant à la discrimination est bien fondée. Il se peut qu’après avoir mené l’enquête, la Commission conclue que la plainte ne se rapporte pas à un motif de distinction illicite ou qu’elle n’a aucun fondement. Il revient à la Commission de prendre cette décision.

 

[28]           La demande de contrôle judiciaire sera accueillie et les dépens seront adjugés à M. Hicks.


JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE :

 

1.                  La demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est renvoyée à la Commission pour qu’un autre décideur rende une nouvelle décision.

 

2.                  Les dépens sont adjugés au demandeur.

 

 

 

« Judith A. Snider »

Juge

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Isabelle D’Souza, LL.B., M.A.Trad.jur.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T-2050-07

 

INTITULÉ :                                       LESLIE HICKS

                                                            c. LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 OTTAWA (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 10 SEPTEMBRE 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LA JUGE SNIDER

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       LE 19 SEPTEMBRE 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Steven Welchner

 

POUR LE DEMANDEUR

David Aaron

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Welchner Law Office Professional Corporation

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

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