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Date : 20080922

Dossier : IMM-1385-08

Référence : 2008 CF 1053

Ottawa (Ontario) le 22 septembre 2008

En présence de monsieur le juge Teitelbaum

 

 

ENTRE :

BHUPINDER SINGH LUTHRA

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               M. Luthra est sikh et il est citoyen de l’État du Penjab en Inde. Il prétend qu’il a été arrêté et maltraité à deux reprises par la police indienne parce que celle‑ci croyait à tort qu’il entretenait des liens avec des militants sikhs. Sa demande d’asile a été rejetée le 18 février 2008.

 

[2]               Le demandeur prétend que la police avait appris qu’un trafiquant de stupéfiants et d’armes notoire était en visite chez son cousin. La police a arrêté le cousin en juillet 2003 et l’a torturé, mais l’a remis en liberté moyennant versement d’un pot‑de‑vin. Le cousin s’est en allé dans une autre région de l’Inde et, lorsque la police a demandé au demandeur où se trouvait son cousin, le demandeur lui a répondu qu’il était à Dubaï.

 

[3]               En septembre 2004, la police a arrêté le trafiquant. Au cours de son interrogatoire, celui‑ci a dit à la police qu’il avait laissé un certain nombre d’armes de contrebande chez le cousin de M. Luthra. La police est retournée à la résidence du demandeur et, comme elle n’y a pas trouvé le cousin de ce dernier, elle a arrêté le demandeur. M. Luthra prétend qu’il a été interrogé et battu au poste de police. À la suite des mauvais traitements que la police lui a infligés, il a dit à celle‑ci où se trouvait son cousin et celui‑ci fut arrêté. Le demandeur a été remis en liberté moyennant le versement d’un pot‑de‑vin, mais son cousin, lui, n’a pas été remis en liberté. Quelques mois plus tard, son cousin est mort. La police a prétendu qu’il s’agissait d’un suicide.

 

[4]               M. Luthra a décidé de consulter un avocat concernant le traitement que la police lui avait infligé. Après avoir fait cela, il fut arrêté le 7 mars 2005 et il a à nouveau été interrogé et battu. Il a une fois de plus été remis en liberté après avoir versé un pot‑de‑vin. Après cela, le demandeur s’est adressé à un agent pour pouvoir s’enfuir au Canada avec un visa de visiteur obtenu par des moyens frauduleux.

 

[5]               La Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l’immigration et de la protection des réfugiés a conclu que le demandeur et ses prétentions n’étaient pas crédibles et elle a rejeté sa plainte. La Commission a jugé non crédible les éléments suivants :

a.       Le demandeur a pu quitter l’Inde avec son propre passeport alors qu’il était recherché par la police pour ne pas s’être rapporté à tous les mois pendant une période de six mois et qu’une vérification d’émigration a été faite comme en témoigne un tampon et une signature du ministère;

b.      L’épouse et les enfants du demandeur demeurent près de l’endroit où ils vivaient à l’origine alors qu’ils seraient exposés à des risques;

c.       Le demandeur a menti aux agents quand ils lui ont demandé si son frère vivait au Canada. Ce faux renseignement a amené la SPR à conclure qu’il n’était pas digne de foi;

d.      Les rapports médicaux portaient des dates douteuses et ne comportaient aucun élément de sécurité comme des numéros de téléphone ou des adresses et on a donc conclu qu’ils étaient faux;

e.       M. Luthra n’a pas obtenu de lettre de l’avocat à qui il est allé se plaindre alors qu’il a été informé par celui‑ci que ce document était important;

 

La SPR a également conclu que le demandeur n’avait pas présenté une preuve claire et convaincante en vue de réfuter la présomption que les autorités indiennes seraient disposées à assurer sa protection et seraient en mesure de le faire.

 

[6]               Le demandeur prétend que les conclusions relatives à la crédibilité tirées par la SPR ainsi que l’analyse que celle‑ci a faite de la protection de l’État dont il pouvait se prévaloir étaient erronées.

 

[7]               Le défendeur réplique que la SPR a invoqué des motifs clairs et convaincants de ne pas croire le récit de M. Luthra et qu’il lui était raisonnablement loisible de tirer ces conclusions. De plus, l’avocate du défendeur prétend que la conclusion selon laquelle la présomption de protection de l’État n’avait pas été réfutée n’était pas erronée.

 

[8]               La Cour reconnaît depuis longtemps que les conclusions en matière de crédibilité sont des conclusions de fait et que, par conséquent, elles relèvent indubitablement de la compétence de la SPR. À ce titre, on doit faire preuve de retenue à l’égard de la décision du tribunal, laquelle décision ne sera annulée que si elle est déraisonnable au sens de l’alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur les Cours fédérales. L’argument du demandeur selon lequel la commissaire a mal compris les exigences auxquelles il faut satisfaire pour conclure à l’existence de la protection de l’État soulève une question de droit qui est susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte.

 

[9]               Le demandeur prétend que la SPR a commis une erreur en tirant des conclusions défavorables du fait que sa femme et ses enfants demeuraient toujours en Inde étant donné qu’il n’a pas prétendu que ceux‑ci étaient exposés à des risques. Il prétend de plus que l’omission de sa part de révéler au point d’entrée l’endroit où se trouvait son frère n’a aucune importance quant à sa demande et ne peut donc pas servir de fondement à une conclusion relative à la crédibilité. Il prétend également que les conclusions de la commissaire concernant les certificats médicaux étaient absurdes et étaient fondées sur une mauvaise appréciation de la preuve. Enfin, il prétend que rien dans la preuve ne permettait de penser que l’explication qu’il a donnée quant à sa rencontre avec l’avocat n’était pas crédible et il prétend que l’inférence défavorable tirée par la SPR du fait qu’il n’a produit aucune lettre de l’avocat était déraisonnable.

 

[10]           L’avocate du défendeur souligne que les trois premiers motifs formulés par la SPR pour conclure que le demandeur n’était pas crédible n’ont pas été contestés par M. Luthra. Elle affirme qu’il a bel et bien déclaré à l’audience que son épouse et ses enfants pouvaient être exposés à des risques, mais elle admet qu’il ne s’agissait pas de la plus solide des conclusions tirées par le tribunal quant à la crédibilité. Le défendeur prétend que M. Luthra n’a pas seulement omis de divulguer la présence de son frère au Canada mais il a carrément menti à l’entrevue de premier contact. Son défaut de présenter une preuve crédible et sa volonté manifeste de ne pas dire la vérité ont constitué le fondement de la conclusion d’absence de crédibilité. L’avocate du défendeur prétend qu’il était raisonnablement loisible à la commissaire de conclure comme elle l’a fait relativement aux certificats médicaux et qu’elle n’a pas mal apprécié la preuve. Enfin, elle prétend que le défaut de M. Luthra de produire une preuve corroborante alors que l’on pouvait raisonnablement s’y attendre est une raison valable pour conclure qu’il n’était pas crédible.

 

[11]           Après avoir examiné la preuve et la transcription de l’audience, je suis d’accord avec le demandeur pour affirmer qu’il n’a pas prétendu que son épouse et ses enfants étaient exposés à des risques. Dans le passage auquel le défendeur renvoie, M. Luthra a simplement convenu que la police pourrait harceler son épouse et ses enfants afin de savoir où il se trouve. Cela ne revient pas à dire qu’ils étaient exposés à des risques tels que le défaut de les soustraire au danger pourrait raisonnablement justifier une conclusion que la prétention du demandeur qu’ils seraient exposés à des risques n’était pas crédible. Cela dit, il était raisonnablement loisible à la commissaire de tirer les autres conclusions qu’elle a tirées quant à la crédibilité compte tenu de la preuve dont elle était saisie et je ne crois pas que sa décision devrait être annulée.

 

[12]           De même, l’affirmation du demandeur selon laquelle la SPR a mal compris le critère juridique qui s’applique en matière de protection de l’État est mal fondée. M. Luthra prétend que la commissaire n’a pas compris qu’il n’y a aucune obligation de demander la protection de l’État si les agents de persécution sont des agents de l’État, or la police est agent de l’État. Pour étayer cette prétention, il renvoie à Zhuravlvev c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] 4 C.F. 3, et cite le paragraphe 19 qui est ainsi libellé : « Lorsqu’il est démontré que l'État est l'agent persécuteur, il n'est pas nécessaire de déterminer l'étendue ou l'efficacité de la protection fournie par l'État; cette protection est par définition absente ».

 

[13]           Cette affirmation pose deux problèmes. Premièrement, il est évident que, comme nous l’avons vu, la SPR n’a pas conclu à la suite de ses conclusions relatives à la crédibilité qu’il avait été démontré que l’État était l’agent de persécution. Deuxièmement, le fait qu’il y a persécution de la part d’un agent de l’État en particulier ne veut pas nécessairement dire qu’il y a absence de protection de l’État. Comme le juge Simon Noël l’a souligné au paragraphe 10 de la décision Martinez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 343, un tribunal ne devrait pas conclure trop rapidement que l'État, pris dans son ensemble, est l'agent de persécution en raison des actions commises par un petit nombre de personnes. Dans le cas où les présumés persécuteurs ne sont actifs que dans une région précise ou dans le cas où ils sont des éléments indésirables qui sévissent à l’extérieur de leur ressort, le tribunal doit quand même évaluer s’il était objectivement raisonnable de penser que le demandeur d’asile aurait dû demander la protection de l’État.

 

[14]           En l’espèce, la commissaire a estimé que le demandeur disposait en Inde de moyens de se soustraire à ses présumés persécuteurs. Elle a donc conclu que, en raison du fait qu’il n’avait pas demandé la protection de l’État dans son pays, il n’a pas réfuté la présomption relative à la protection de l’État. Il ne s’agit pas d’une erreur susceptible de contrôle.

 

[15]           Je suis convaincu que la commissaire disposait d’éléments de preuve suffisants pour conclure que le demandeur n’était pas crédible.

 

[16]           La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question de portée générale n’a été soumise aux fins de certification.


 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la demande est rejetée.

 

 

 

« Max M. Teitelbaum »

Juge suppléant

 

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-1385-08

 

INTITULÉ :                                       BHUPINDER SINGH LUTHRA

                                                            c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 3 septembre 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE SUPPLÉANT TEITELBAUM

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 22 septembre 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Lorne Waldman

 

POUR LE DEMANDEUR

Bridget A. O’Leary

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Waldman & Associates

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, Q.C.

Sous‑procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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