Ottawa (Ontario), le 22 septembre 2008
En présence de monsieur le juge suppléant Teitelbaum
ENTRE :
MARIA DEL ROSARIO MONTES VALDEZ
JORGE MANUEL SANCHEZ MONTES
JOSE ANTONIO SANCHEZ MONTES
JOSHUA ISAI SANCHEZ MONTES
ARIEL NOE SANCHEZ MONTES
ANA PAOLO SANCHEZ MONTES
ISAAC SANCHEZ MONTES
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
[1] Les huit demandeurs, tous citoyens du Mexique, sont membres d’une même famille. Ils prétendent que leur famille est devenue victime d’extorsion en raison d’une entreprise d’informatique exploitée par le demandeur adulte, M. Sanchez, à Mexico. Après avoir refusé de payer, il a été enlevé en avril 2004 et grièvement blessé, avant que son épouse, Mme Montes, ne paie une partie de la rançon exigée. Une plainte à la police n’a donné aucun résultat.
[2] Sur recommandation d’un avocat à Mexico, la famille a déménagé dans l’État d’Hidalgo, où elle est demeurée sans incident jusqu’en septembre 2006. M. Sanchez a exploité de nouveau une entreprise d’informatique. Les demandeurs font valoir qu’en septembre 2006, certains de leurs amis ont été agressés par des hommes inconnus qui voulaient savoir où ils se trouvaient. La famille a reçu des menaces par téléphone et Mme Montes a été filée jusqu’au domicile. La famille a de nouveau consulté l’avocat et, sur les conseils de celui‑ci, elle s’est enfuie au Canada et y a demandé l’asile.
[3] La Section de la protection des réfugiés (la SPR) a décidé, le 13 février 2008, que les demandeurs n’étaient ni des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger. La commissaire a estimé qu’ils étaient victimes d’actes criminels et, par conséquent, qu’il n’y avait aucun lien entre leur situation et l’un des motifs prévus par la Convention. La commissaire a également jugé qu’ils n’avaient pas réfuté la présomption que les autorités mexicaines voulaient et pouvaient les protéger contre la persécution, et qu’ils avaient une possibilité de refuge intérieur (la PRI) viable à Pachuca.
[4] Les demandeurs ont soulevé deux questions : (1) ont-ils été privés de leur droit à l’équité procédurale et (2) la commissaire a-t-elle appliqué la mauvaise norme de preuve en concluant à l’existence de la protection de l’État.
[5] Il est bien établi qu’une instance révisionnelle doit annuler une décision attribuable à une procédure inéquitable, sauf s’il est impossible qu’une procédure équitable entraîne une décision différente. L’application de la mauvaise norme pour évaluer les éléments de preuve est une erreur de droit et peut donner lieu à l’octroi d’une réparation en application de l’alinéa 18.1(4)c) de la Loi sur les Cours fédérales.
[6] Dans leurs observations initiales, les demandeurs alléguaient que la commissaire les avait privés d’une procédure équitable en statuant sur leur cas sur le fondement de raisons telles que la possibilité de refuge intérieur et la crédibilité. À la clôture de l’audience des demandeurs, la commissaire leur avait clairement indiqué, ainsi qu’à leur conseil, que la seule question toujours en jeu portait sur la protection de l’État. Ils ont fait valoir que, ce faisant, la commissaire les avait privés d’une possibilité convenable d’être entendus et, par conséquent, qu’on avait enfreint les règles de la justice naturelle.
[7] Le défendeur a fait valoir que tout manquement à l’équité procédurale était non substantiel, puisque les conclusions de la SPR quant à la possibilité de refuge intérieur et à la crédibilité étaient tirées subsidiairement à la conclusion que la protection de l’État était offerte.
[8] En réponse au défendeur, les demandeurs ont convenu que les trois conclusions avaient été tirées séparément et ont admis que, dans le cas où la conclusion relative à la protection de l’État ne serait entachée d’aucune erreur, la décision de la SPR devrait être maintenue.
[9] Comme je ne crois pas que la commissaire a appliqué la mauvaise norme à la preuve concernant la protection de l’État, la question de l’équité procédurale doit être traitée. J’estime qu’il était clairement incorrect que la commissaire ordonne aux demandeurs de limiter leurs observations à un domaine restreint si elle avait des réserves plus larges qui ont influencé sa décision. L’occasion d’être entendu, quoique variable, doit inclure la possibilité de savoir ce qui doit être établi et de s’acquitter de la charge de cette preuve. Dans le cas présent, les demandeurs ont été privés d’une telle occasion. Cependant, puisque la protection de l’État suffit à elle seule à trancher une demande d’asile et que la conclusion de la SPR sur ce point était correcte et raisonnable, il serait inutile de renvoyer la présente affaire pour nouvel examen pour ce motif.
[10] En l’instance, les demandeurs allèguent que la SPR a commis une erreur en se référant à Xue c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2000), 195 F.T.R. 229, lorsqu’elle a mentionné que la norme de preuve applicable à la conclusion relative à la protection de l’État, soit celle de « la prépondérance des probabilités », exigeait un degré de probabilité plus élevé que celui que suppose normalement cette norme. La Cour d’appel fédérale a clarifié ce point dans Carrillo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 94, en soutenant que la décision Xue ne devait pas être interprétée de manière à ce que la norme de preuve applicable soit supérieure à la normale dans le cas de la protection de l’État.
[11] Malgré la dénégation du défendeur qu’une autre norme que celle de la prépondérance des probabilités ait été appliquée, je ne vois aucune autre manière d’interpréter le passage pertinent. Cela dit, l’arrêt Carrillo a été rendu environ un mois après celui à l’étude. Par conséquent, l’énoncé du droit de la commissaire était correct au moment où il a été formulé. Néanmoins, il est incorrect à l’heure actuelle.
[12] J’accueille la présente demande de contrôle judiciaire et je renvoie l’affaire pour nouvelle audience sur la question de la protection de l’État selon la norme de la prépondérance des probabilités.
[13] Aucune question de portée générale n’a été soumise pour certification.
JUGEMENT
LA COUR ORDONNE que la présente demande soit accueillie et que l’affaire soit renvoyée pour nouvelle audience sur la question de la protection de l’État selon la norme de la prépondérance des probabilités.
Traduction certifiée conforme
David Aubry, LL.B.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-1104-08
INTITULÉ : ENRIQUE SANCHEZ GARCIA ET AL. c.
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
LIEU DE L’AUDIENCE : Toronto (Ontario)
DATE DE L’AUDIENCE : Le 4 septembre 2008
ET JUGEMENT : Le juge suppléant Teitelbaum
DATE DES MOTIFS
ET DU JUGEMENT : Le 22 septembre 2008
COMPARUTIONS :
Alyssa Manning
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POUR LES DEMANDEURS |
Bridget A. O’Leary
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Vandervennen Lehrer Avocats
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POUR LES DEMANDEURS |
John H. Sims, c.r. Sous-procureur général du Canada
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POUR LE DÉFENDEUR |