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Date : 20080922

Dossier : T-1351-07

Référence : 2008 CF 1062

Ottawa (Ontario), le 22 septembre 2008

EN PRÉSENCE DE Monsieur le juge Hughes

 

 

ENTRE :

SANOFI-AVENTIS CANADA INC.

demanderesse

et

 

LE MINISTRE DE LA SANTÉ,

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

et LABORATOIRE RIVA INC.

défendeurs

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]        La présente demande découle de ce que toutes les parties décrivent comme un ensemble de faits unique. Ces faits ont évolué depuis le dépôt de la demande de sorte que, n’eût été certains engagements pris par les parties, j’aurais rejeté la demande en raison de son caractère théorique. J’ai toutefois accepté ces engagements et exercé mon pouvoir discrétionnaire d’instruire et de trancher ce qui est devenu la question centrale de la demande : un fabricant de produits pharmaceutiques génériques qui a demandé au ministre de la Santé (le ministre) l’autorisation, sous la forme d’un avis de conformité, de vendre une version générique d’un médicament sur la base d’un renvoi à la demande d’un autre fabricant de produits génériques peut-il obtenir un tel avis de conformité alors qu’il a été interdit à cet autre fabricant de produits génériques auquel il est renvoyé de vendre la version générique à la suite d’une procédure devant la Cour relative au Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93-133 dans sa version modifiée (le Règlement sur les MBAC)?

 

[2]        Dans les circonstances de la présente affaire, j’ai conclu que le fabricant de produits génériques, la défenderesse Laboratoire Riva Inc. (Riva), ne fait pas l’objet d’une telle interdiction et que la demande doit être rejetée avec dépens.

 

MÉDICAMENT ET BREVETS EN LITIGE - RAMIPRIL

[3]        Le médicament en litige est connu communément comme du ramipril et est vendu au Canada par la demanderesse, Sanofi-Aventis Canada Inc., sous le nom ALTACE. Sanofi-Aventis Canada, avec d’autres, notamment Sanofi-Aventis Deutchland GmbH et Schering Corporation, semblent posséder ou contrôler un certain nombre de brevets portant de quelque façon sur le ramipril ou avoir une sorte de licence ou de permission de les exploiter. Sanofi-Aventis Canada, à titre de « première personne » au sens du Règlement sur les MBAC, a soumis au ministre une liste énumérant un certain nombre de ces brevets. Certains de ces brevets se rapportent à la chimie et à la formulation du médicament tandis que d’autres ont expiré. Certains brevets concernent différents usages du médicament : le traitement de l’hypertension est une utilisation « ancienne » tandis que le traitement des maladies cardiovasculaires est une utilisation « récente », parfois désignée par l’acronyme HOPE.

 

[4]        L’un de ces brevets, le brevet canadien 1,341,206 (206), se rapporte à la chimie et est d’une importance particulière dans la présente affaire.

 

OBTENTION DE L’AUTORISATION DE VENDRE UN MÉDICAMENT AU CANADA

[5]        Pour qu’un médicament puisse être vendu au Canada, sauf dans des circonstances qui n’ont pas d’importance ici, le ministre de la Santé, qui est défendeur, doit, en vertu des dispositions de la Loi sur les aliments et drogues, L.R.C. 1985, ch. F-27 et de son règlement d’application, être convaincu de l’innocuité et de l’efficacité du médicament proposé pour l’utilisation indiquée. Le fabricant d’un médicament d’origine (la marque innovatrice ou la première personne, on trouve diverses désignations) dépose une présentation de drogue nouvelle (PDN), qui est un ensemble complet et coûteux de renseignements soutenant l’innocuité et l’efficacité du médicament. Il n’est pas rare que ces renseignements, sous forme imprimée, remplissent plusieurs pièces et que le coût des essais pertinents se chiffre par millions de dollars. Si le ministre est convaincu, après un examen des renseignements et le suivi, le fabricant du médicament d’origine obtient un avis de conformité lui permettant de vendre son médicament au Canada sous réserve des conditions que le ministre peut imposer. On attribue au médicament approuvé un numéro d’identification de drogue (DIN, pour Drogue : identification numérique), qui figure sur l’emballage et l’étiquetage du médicament. Le DIN est unique pour chaque médicament, chaque forme posologique et chaque concentration approuvés. Ces activités sont exercées dans le cadre des dispositions de la Loi sur les aliments et drogues et de son règlement d’application.

 

[6]        La législation canadienne prévoit que les copies génériques de médicaments approuvés peuvent être offertes en vente au Canada, peu importe que le fabricant du médicament d’origine y consente ou non. Cela suppose que le ministre soit convaincu que les copies présentent la même innocuité et la même efficacité que le médicament original conformément à la Loi sur les aliments et drogues et à son règlement d’application. Le fabricant du médicament générique n’est pas tenu, toutefois, de fournir les renseignements complets fournis par le fabricant du médicament d’origine. Il peut simplement dire au ministre qu’il s’appuie sur les renseignements du fabricant du médicament d’origine ou y « renvoie » en déposant une présentation abrégée de drogue nouvelle (PADN). Le fabricant du médicament générique doit présenter des données sur son produit, visant pour la plupart à convaincre le ministre que le produit est l’équivalent pharmacologique de l’original et que la biodisponibilité de l’ingrédient ou des ingrédients actifs est la même. De cette façon, le fabricant du médicament générique est obligé de faire un certain investissement en fournissant des renseignements.

 

[7]        Il existe une troisième voie ouverte à celui qui veut vendre un médicament au Canada. Cette voie n’est pas expressément prévue dans la Loi sur les aliments et drogues ou dans son règlement d’application, mais elle a été décrite par la Cour et par la Cour d’appel fédérale comme « s’appuy[ant] solidement » sur cette Loi et son règlement d’application (voir ce que disent le juge Lemieux dans GlaxoSmithKline Inc. c. Canada (Procureur général), 2004 CF 1302 au paragraphe 59 et la juge Sharlow dans NuPharm Inc. c. Merck & Co. (2000), 5 C.P.R. (4th) 138 (C.A.F.) au paragraphe 26). C’est la pratique du renvoi.

 

[8]        Dans le renvoi, une société pharmaceutique remplit un simple formulaire informant le ministre qu’elle souhaite vendre au Canada un médicament qui est identique au produit d’une autre société qui a obtenu, ou est en voie d’obtenir, un avis de conformité. Dans ce scénario, la société qui effectue le renvoi n’a pas à présenter de renseignements qui lui sont propres. Il y a toutefois une restriction : la société au produit de laquelle il est renvoyé doit consentir au renvoi. Selon la pratique ministérielle, une fois que le produit auquel il est renvoyé est approuvé, le fabricant qui effectue le renvoi obtient également l’autorisation de vendre le produit identique sauf pour quelques différences, dont le nom du produit et le nom de la société qui l’offre en vente. Cette activité se déroule dans le cadre des dispositions de la Loi sur les aliments et drogues et de son règlement d’application.

 

[9]        La présente affaire concerne une situation de renvoi dans laquelle la défenderesse Riva a demandé au ministre un avis de conformité en vue de la vente au Canada d’un produit de ramipril en renvoyant à une demande déposée par un autre fabricant de produits génériques, Pharmascience Inc., avec, cela va de soi, l’approbation de Pharmascience.

 

[10]      La demanderesse dans la présente procédure, Sanofi-Aventis Canada, malgré ses affirmations en sens contraire dans ses observations écrites déposées auprès de la Cour, a convenu au cours des débats qu’elle ne conteste, ni n’a la qualité pour contester, les décisions prises par le ministre en vertu des dispositions de la Loi sur les aliments et drogues et de son règlement d’application et dans l’application de ces textes. Cela est confirmé par la décision de la Cour dans Merck Frosst Canada Inc. c. Canada (1997), 80 C.P.R. (3d) 550 (C.F. 1re inst.), juge Hugessen, aux paragraphes 10 et 11; confirmée par la Cour d’appel fédérale (1999), 3 C.P.R. (4th) 286 (C.A.F.), au paragraphe 2.

 

[11]      Mais les choses ne s’arrêtent pas là. Une fois que le ministre est convaincu de l’innocuité et de l’efficacité d’un médicament, ce médicament doit satisfaire aux conditions rigoureuses du Règlement sur les MBAC si le fabricant du médicament d’origine, en sa qualité de première personne, a soumis au ministre une liste énumérant un ou plusieurs brevets à l’égard du médicament conformément à ce règlement. C’est le cas si le médicament est une copie générique du médicament d’origine, que ce soit par la voie de la PADN ou du renvoi.

 

[12]      Bien que cela ne soit pas tout à fait clair d’après les documents écrits déposés par Sanofi‑Aventis Canada, son avocat a dit clairement dans les débats qu’elle ne demande de réparation qu’à l’égard de ce qui est survenu dans l’application du Règlement sur les MBAC. La circonstance particulière dans la présente affaire consiste en ce que la demande visée par le renvoi, soit celle de Pharmascience, a fait l’objet d’une ordonnance de la Cour prononcée en vertu du Règlement sur les MBAC et interdisant à Pharmascience de recevoir un avis de conformité. La question qui se pose dès lors est la suivante : est-ce qu’il faudrait également l’interdire sans plus tarder à Riva, qui a renvoyé à la demande de Pharmascience? 

 

LES FAITS PARTICULIERS DE L’ESPÈCE

[13]      Les faits de l’espèce sont particuliers et uniques. En voici un bref rappel.

 

1) À une date antérieure qui ne fait pas partie du dossier, mais qui est manifestement celle du premier événement, Pharmascience a déposé une PADN auprès du ministre à l’égard d’une version générique du ramipril.

 

2)  Riva a déposé auprès du ministre une demande en vue de vendre une version générique du ramipril identique au produit de Pharmascience, par la voie du renvoi. Par une lettre datée du 21 juin 2004, le ministre a informé Riva que l’examen de la demande est terminé, mais que l’avis de conformité ne sera délivré qu’au moment où il aura été satisfait aux exigences du Règlement sur les MBAC.

 

3)  Pharmascience envoie à la société remplacée par Sanofi-Aventis un avis d’allégation conformément au Règlement sur les MBAC à l’égard de son produit générique de ramipril. Cela enclenche une procédure intentée par la société remplacée par Sanofi-Aventis en vertu de ce règlement dans le dossier T‑482‑03. Par ordonnance de la Cour datée du 11 mars 2005, il a été interdit au ministre de délivrer un avis de conformité à Pharmascience. Les motifs de la décision de la juge Snider sont publiés sous le numéro de référence 2005 CF 340; cette décision a été confirmée par la Cour d’appel fédérale, 2006 CAF 229; et l’autorisation de pourvoi à la Cour suprême du Canada a été refusée, [2006] C.R.C.S. n° 362. Le brevet 206 faisait partie des brevets en litige. Pharmascience n’a pas réussi à persuader la Cour que son allégation d’invalidité du brevet 206 était justifiée.

 

4) Un autre fabricant de produits génériques, Apotex Inc., cherchait aussi à vendre sa version générique de ramipril au Canada et s’est lui-même engagé dans une procédure devant la Cour dans le cadre du Règlement sur les MBAC. Apotex a aussi contesté la validité du brevet 206, mais pour des motifs différents de ceux qui avaient été invoqués par Pharmascience. Apotex a eu gain de cause à l’égard de ses allégations que le brevet 206 était invalide (2005 CF 1283). La décision a été confirmée par la Cour d’appel fédérale, 2006 CAF 64; l’autorisation de pourvoi à la Cour suprême du Canada a été refusée, [2006] C.R.C.S. n° 136. Apotex a obtenu un avis de conformité et est entrée sur le marché canadien avec sa version générique de ramipril.

 

5)  Riva a signifié des avis d’allégation à Sanofi-Aventis Canada conformément aux dispositions du Règlement sur les MBAC, ce qui a amené Sanofi-Aventis à présenter trois demandes distinctes d’interdiction devant la Cour : T-1384-04, T‑1888-04 et T-127-07. La première demande, T-1384-04 portait notamment sur la question de la validité du brevet 206. Les autres demandes portaient sur d’autres brevets. Les deux premières demandes T-1384-04 et T-1888-04 ont été instruites et décidées par le juge Harrington, de la Cour, tandis que la troisième a été instruite et décidée par le juge Martineau, de la Cour.

 

6) Le 24 avril 2007, le cabinet du ministre a écrit aux avocats de Riva au sujet de la demande de celle-ci concernant le ramipril. Le ministre y disait notamment :

[traduction] En outre, nous souhaitons faire observer que, du fait que la présentation de Riva fait renvoi à une autre présentation, l’avis de conformité ne sera pas délivré à Riva avant que l’avis de conformité soit délivré pour la présentation concernant le pms-ramipril visée par le renvoi, conformément à la politique de Santé Canada intitulée « Dépôt des présentations supplémentaires de drogues nouvelles, suppléments à une présentation abrégée de drogue nouvelle, des modifications à déclaration obligatoire et des présentations de drogues nouvelles de renvoi ».

 

Il s’est ensuivi des discussions entre les avocats. Riva a présenté une demande à la Cour tendant à l’annulation de cette décision (dossier T-896-07).

 

7)      Le 28 mai 2007, le juge Harrington a rendu sa décision sur les demandes de Sanofi-Aventis dans les dossiers T-1384-04 et T-1888-04. Les motifs sont publiés sous le numéro de référence 2007 CF 532. Le juge Harrington a rejeté les deux demandes. Sanofi-Aventis a interjeté appel, mais la Cour d’appel fédérale a rejeté les appels en raison de leur caractère théorique le 19 juin 2008 (A-288-07 et A-289-07). Nous nous référerons à la décision du juge Harrington plus loin dans les présents motifs, mais il a notamment jugé que, même s’il était arrivé à une conclusion différente, Sanofi-Aventis ne pourrait se prévaloir du brevet 206 en raison de la conclusion d’invalidité dans la décision antérieure relative à Apotex.

 

8)      Le 21 juin 2007, les avocats du ministre ont écrit aux avocats de Riva pour les informer que le ministre était revenu sur sa position sur le point de savoir si Riva devait attendre l’issue de la procédure de Pharmascience relative au Règlement sur les MBAC. La lettre disait notamment :

[traduction] En particulier, Santé Canada n’est plus d’avis que Riva ne peut recevoir un avis de conformité qu’une fois que la présentation de Pharmascience à laquelle le produit de Riva renvoie est elle-même approuvée. Par conséquent, si Riva devait avoir gain de cause dans la demande d’interdiction en cours dans le dossier T-127-07 et satisfaire pour le reste à toutes les obligations que lui impose le Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), elle sera admissible à recevoir un avis de conformité, peu importe si la présentation de Pharmascience a été pleinement conforme au Règlement sur les avis de conformité et reçu un avis de conformité. Je vous informe également que Santé Canada enverra bientôt à Riva une lettre confirmant le tout.

 

 

9)      Le 6 juillet 2007, le fonctionnaire du ministère a envoyé une lettre aux avocats de Riva confirmant la position prise dans la lettre du 21 juin 2007, disant notamment :

[traduction] Suite à la lettre du 24 avril 2007, je tiens à vous informer que la Direction des produits thérapeutiques (DPT) a eu récemment l’occasion de revenir sur la pratique à l’égard des présentations de renvoi, à la suite d’un certain nombre de questions qui se sont posées jusqu’à maintenant. La politique susmentionnée a été citée en particulier au soutien de la position de la DPT selon laquelle une présentation de renvoi n’est pas admissible à recevoir un avis de conformité à moins que l’avis de conformité soit délivré pour la présentation originale visée par le renvoi pour garantir qu’il soit satisfait aux exigences d’innocuité et d’efficacité sous le régime du Règlement sur les aliments et drogues.

 

Toutefois, une présentation de renvoi faisant l’objet d’une suspension liée au brevet a satisfait aux exigences du Règlement sur les aliments et drogues du fait du renvoi et il est considéré que l’avis de conformité peut être délivré, sous réserve de la conformité au Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité). La DPT est donc maintenant d’avis qu’un avis de conformité ne devrait pas être retenu dans des circonstances où une seconde personne, dont la présentation abrégée de drogue nouvelle de renvoi fait l’objet d’une suspension liée au brevet, a satisfait à toutes les exigences dans le cadre du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité).

 

En effet, la lettre du 6 juillet confirme la lettre du 21 juin.

 

10)  Dans l’intervalle, Pharmascience a présenté un nouvel avis d’allégation à Sanofi-Aventis dans lequel elle contestait à nouveau la validité du brevet 206. Cette fois, Pharmascience faisait valoir les motifs d’invalidité pour lesquels Apotex avait eu gain de cause dans sa procédure relative à l’avis de conformité. Sanofi-Aventis a présenté une demande à la Cour, alléguant notamment que Pharmascience avait déjà perdu dans sa contestation de la validité du brevet 206 et ne pouvait lancer une seconde attaque de la validité.

            Le 12 octobre 2007, la juge Mactavish, de la Cour, a rendu sa décision, répertoriée sous la référence 2007 CF 1057. Elle a jugé que Pharmascience ne pouvait signifier un second avis d’allégation contestant la validité du brevet, quels que soient les nouveaux motifs d’invalidité soulevés, alors qu’elle n’avait pas réussi à démontrer l’invalidité la première fois. Elle a dit au paragraphe 74 :

74 Pharmascience a perdu son pari. Elle doit en assumer les conséquences.

 

Cette décision a été confirmée par la Cour d’appel fédérale le 12 juin 2008, dans un arrêt répertorié sous la référence 2008 CAF 213.

            La décision de la juge Mactavish (et l’arrêt de la Cour d’appel fédérale) a été rendue après le dépôt de la présente demande.

 

11)   Dans le dossier T-127-07, le juge Martineau a rendu sa décision le 4 mars 2008, répertoriée sous la référence 2008 CF 291; il a rejeté la demande de Sanofi-Aventis contre Riva à l’égard de deux autres brevets.

 

12)  Étant donné les décisions des juges Harrington et Martineau, toutes deux en faveur de Riva, il n’y avait plus de procédure relative au Règlement sur les MBAC en cours contre Riva.

            Le 14 mars 2008 (soit plusieurs mois après le dépôt de la demande examinée), le ministre a délivré un avis de conformité à Riva, lui permettant de vendre le ramipril au Canada. Certains (numéros) DIN ont été attribués à Riva relativement au produit.

 

13)  Le 11 avril 2008, Sanofi-Aventis a déposé une demande de contrôle judiciaire auprès de la Cour dans le dossier T-584-08 en vue d’annuler l’avis de conformité accordé à Riva. Le protonotaire Aalto, par ordonnance datée du 26 mai 2008, a suspendu cette procédure jusqu’au prononcé de la décision dans la présente affaire.

 

14)  En août 2008, Sanofi-Aventis a remarqué que Pharmascience offrait en vente au Canada un produit de ramipril portant les (numéros) DIN attribués à Riva.

 

15)  Le 1er août 2008, Sanofi-Aventis a intenté une action en contrefaçon de brevet de type ordinaire contre Riva en faisant valoir le brevet 206. Aucune défense n’a été déposée jusqu’à maintenant. L’action fait l’objet de gestion d’instance.

 

16)  La Cour a été informée qu’il y a deux autres actions ordinaires fondées sur un brevet qui ont été intentées par Sanofi-Aventis dans lesquelles elle se prévaut du brevet 206. L’une est contre Apotex, l’autre contre un autre fabricant de produits génériques, Novopharm. Il semble que l’instruction de ces actions doit commencer en janvier 2009.

 

REDRESSEMENT DEMANDÉ – CARACTÈRE THÉORIQUE

[14]      La présente demande, déposée le 23 juillet 2007, vise à obtenir, en plus des dépens et [traduction] « autres réparations », les réparations suivantes :

[traduction]

a)         une ordonnance annulant la décision;

 

b)         une ordonnance obligeant le ministre à informer Riva qu’un avis de conformité ne sera pas délivré à Riva à l’égard de sa PADN pour les capsules de ramipril de 2,5, 5 et 10 mg jusqu’à ce qu’il soit satisfait aux exigences du Règlement et que Pharmascience reçoive un avis de conformité à l’égard de sa PADN pour les capsules de ramipril de 2,5, 5 et 5 mg;

 

c)         une ordonnance interdisant au ministre de délivrer un avis de conformité à Riva relativement à sa PADN pour les capsules de ramipril de  2,5, 5 et 10 mg, et/ou annulant tout avis de conformité de cette nature délivré à Riva dans l’attente du prononcé de la décision sur la présente demande, jusqu’à ce qu’il soit satisfait aux exigences du Règlement et que Pharmascience reçoive un avis de conformité à l’égard de sa PADN pour les capsules de ramipril de 2,5, 5 et 5 mg;

 

d)         une ordonnance provisoire, prononcée en vertu de l’article 18.2 de la Loi sur les cours fédérales, notamment suspendant l’effet de la décision et interdisant la délivrance d’un avis de conformité à Riva pour ses capsules de ramipril, jusqu’à ce qu’une décision définitive soit rendue relativement à la présente demande;

 

[15]      Ainsi qu’il a été indiqué dans le rappel des faits ci-dessus, un avis de conformité a été délivré à Riva le 14 mars 2007. J’ai invité les parties à présenter des observations sur le point de savoir si la présente demande était devenue théorique compte tenu de la délivrance de l’avis de conformité et de l’autre procédure intentée par Sanofi-Aventis (T-584-08) pour contester la délivrance de cet avis de conformité.

 

[16]      Riva adopte la position que la présente demande a un caractère théorique. L’avocat du ministre a transmis une lettre à la Cour, datée du 12 septembre 2008, dans laquelle il dit notamment :

[traduction]

La Couronne soutient, sans reconnaître que la demande a quelque fondement, que la nouvelle preuve ne la rend pas théorique. En d’autres termes, dans la mesure où la demande a quelque fondement, le fait qu’un avis de conformité a maintenant été délivré ne semble pas donner lieu à une contestation fondée sur le caractère théorique.

 

Fondamentalement, une procédure sera rejetée en raison de son caractère théorique si les circonstances sont telles ou sont devenues telles que le tribunal ne peut prononcer une ordonnance ayant un effet pratique. En l’espèce, il semblerait que l’instruction de la demande pourrait avoir un effet pratique.

 

D’abord, la demanderesse a demandé, à titre subsidiaire, une ordonnance annulant tout avis de conformité délivré entre-temps. (On notera que la demande est fondée sur l’article 18 de la Loi sur les Cours fédérales, plutôt que sur le Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité).) Il reste à débattre si le tribunal devrait accorder cette réparation pour les motifs allégués, mais s’il le faisait, l’ordonnance aurait un effet pratique.

 

Ensuite (ou à titre subsidiaire), si le tribunal devait conclure qu’en droit, Riva n’avait pas droit à la délivrance d’un avis de conformité avant que Pharmascience en reçoive un (comme le soutient la demanderesse), le ministre considérerait que l’avis de conformité a été délivré à Riva de manière invalide et le révoquerait. La procédure aurait un effet pratique.

 

Enfin, d’un autre côté, si le tribunal juge les motifs de la demanderesse infondés, dans la mesure où ces motifs sont également invoqués dans la demande ultérieure de la demanderesse dans le dossier T-584-08, cette demande pourrait être rejetée en raison de son caractère théorique ou à titre d’abus de procédure. La procédure aurait donc, là encore, un  effet pratique.

 

[17]      Dans sa plaidoirie, l’avocat de Sanofi-Aventis a convenu que la réparation visant à interdire la délivrance d’un avis de conformité ne pouvait plus être recherchée, mais a soutenu que les réparations demandées à l’alinéa a) de sa demande de réparations :

[traduction] a) une ordonnance annulant la décision (du 21 juin 2007, confirmée le 6 juillet 2007)

 

et dans une partie de l’alinéa c):

[traduction] c) … annulant tout avis de conformité de cette nature délivré à Riva…

 

pouvaient encore être recherchées. L’avocat s’est engagé, au nom de Sanofi-Aventis, à retirer la demande T-584-08 si elle ne recevait pas la réparation demandée à l’alinéa a) ou dans une partie de l’alinéa c) ainsi qu’il est exposé ci-dessus.

 

[18]      L’arrêt de principe sur la question du caractère théorique est l’arrêt de la Cour suprême du Canada Borowski c. Canada (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 342. La Cour est revenue sur cet arrêt dans Doucet-Boudreau c. Nova Scotia (Minister of Education), [2003] 3 R.C.S. 3, dans lequel elle a résumé les trois facteurs qu’un tribunal doit prendre en compte pour décider s’il doit exercer son pouvoir discrétionnaire d’instruire une affaire malgré son caractère théorique (au paragraphe 18) :

18      Les remarques dans Borowski, précité, nous incitent cependant à entendre le pourvoi malgré son caractère théorique.  Le juge Sopinka a énuméré, au nom de la Cour, les critères régissant l’exercice du pouvoir discrétionnaire des tribunaux d’entendre des affaires théoriques (aux p. 358‑363) :

 

(1) l’existence d’un débat contradictoire;

 

(2)  le souci d’économie des ressources judiciaires;

 

(3)  la nécessité pour les tribunaux d’être conscients de leur fonction juridictionnelle dans notre structure politique.

 

[19]      Ces facteurs ne doivent pas être appliqués de manière machinale (Borowski, précité, paragraphe 42).

 

[20]      Dans la présente demande, il existe encore un débat contradictoire dans lequel l’affaire survient et les questions ont été plaidées de sorte qu’il est possible de statuer sur les questions pertinentes.

 

[21]      Par souci d’économie des ressources judiciaires, compte tenu des engagements du ministre exposés dans la lettre citée ci-dessus et des engagements pris par Sanofi-Aventis au cours des plaidoiries, je trancherai les questions qui sont encore en jeu, exposées à l’alinéa a) ci‑dessus et dans une partie de l’alinéa c) ci-dessus.

 

LA QUALITÉ POUR AGIR

[22]      Un argument préliminaire a été soulevé dans les observations écrites du ministre et de Riva relativement à la qualité de Sanofi-Aventis pour demander les réparations recherchées visant soit à annuler la décision du 21 juin 2007 (6 juillet 2007) de laisser se poursuivre le traitement de la demande de Riva en vue d’obtenir un avis de conformité, sans égard à la demande de Pharmascience visée par le renvoi, soit à annuler l’avis de conformité ultimement accordé à Riva. Cet argument a été soulevé en bonne partie parce que les observations écrites de Sanofi-Aventis portaient en partie sur les décisions prises par le ministre en vertu de la Loi sur les aliments et drogues et de son règlement d’application.

 

[23]      Les parties sont maintenant toutes convenues que Sanofi-Aventis n’a pas la qualité pour contester les décisions du ministre dans la mesure où elles sont prises en vertu de la Loi sur les aliments et drogues et de son règlement d’application.

 

[24]      S’agissant de la décision du ministre exposée dans la lettre du 21 juin 2007 et confirmée dans la lettre du 6 juillet 2007, elle a consisté pour le ministre à revenir sur une position antérieure et à permettre à la demande de Riva d’être contestée sous le régime du Règlement sur les MBAC, que ce soit par Sanofi-Aventis ou par toute autre personne pouvant avoir les brevets pertinents énumérés dans une liste, abstraction faite du sort de la demande de Pharmascience visée par le renvoi. Le ministre prenait donc une mesure définitive dans le cadre de la Loi sur les aliments et drogues et de son règlement d’application, et non une mesure dans le cadre du Règlement sur les MBAC. Le Règlement sur les MBAC était sur le point d’entrer en jeu, mais il ne l’était pas encore. Sanofi-Aventis n’a pas la qualité pour contester cette décision. Sanofi-Aventis a fait valoir, mais pas de façon très sérieuse, qu’elle avait la qualité pour agir dans l’intérêt public en contestant cette décision. Elle n’a pas insisté et je n’insisterai pas non plus. La réparation demandée à l’alinéa a) de la demande de réparations sera refusée.

 

[25]      La réparation demandée à l’alinéa c), confirmée par les engagements du ministre et de Sanofi-Aventis, consiste à annuler l’avis de conformité délivré postérieurement. Cela concerne manifestement le Règlement sur les MBAC à l’égard du ramipril. Sanofi-Aventis a manifestement la qualité pour rechercher une décision sur cette question (Ferring Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), 2007 CAF 276, au paragraphe 5).

 

L’ANNULATION DE L’AVIS DE CONFORMITÉ (RÉPARATION C))

[26]      Après avoir décidé d’exercer mon pouvoir discrétionnaire quant au caractère théorique et que Sanofi-Aventis a la qualité pour contester la délivrance d’un avis de conformité à Riva, je passe maintenant à l’examen de cette question.

 

[27]      En résumé, la position de Sanofi-Aventis est qu’il serait absurde d’accorder un avis de conformité à Riva alors qu’elle n’a fait que renvoyer à la demande de Pharmascience et que Pharmascience a été empêchée d’obtenir un avis de conformité. Sanofi-Aventis caractérise la situation comme un « contournement » de la réglementation et indique que la preuve démontre que le résultat pratique de l’octroi d’un avis de conformité à Riva est que Pharmascience est maintenant sur le marché avec une version générique de ramipril. Elle fait valoir que c’est quelque chose que l’ordonnance de la juge Snider a interdit et que la juge Mactavish a confirmé.

 

[28]      Riva, de son côté, dit qu’il est tout à fait approprié de considérer sa demande d’avis de conformité indépendamment de celle de Pharmascience et que Sanofi-Aventis a eu la possibilité devant le juge Harrington, en particulier, ainsi que devant le juge Martineau de présenter des arguments au sujet de la préclusion à raison de Pharmascience. Riva dit que le juge Harrington a effectivement examiné ces arguments et tranché en sa faveur. De plus, fait valoir Riva, la préclusion à l’encontre de Pharmascience est le résultat de circonstances uniques faisant qu’elle ne pouvait attaquer de nouveau la validité du brevet 206. D’autres, comme Apotex, ont persuadé la Cour de cette invalidité et commercialisent un ramipril générique au Canada. Sanofi-Aventis, selon l’argumentation de Riva, cherche à se prévaloir d’un brevet invalide contre Riva simplement du fait de la préclusion unique à l’encontre de Pharmascience.

 

[29]      Le ministre soutient qu’il était tout à fait approprié d’accorder un avis de conformité à Riva une fois que les juges Harrington et Martineau avaient rendu leurs décisions et que la préclusion à l’encontre de Pharmascience doit être limitée à cette seule société.

 

[30]      Pour analyser la situation, il faut commencer par reconnaître qu’aucune disposition du Règlement sur les MBAC ou d’une loi ou d’un autre règlement ne vise les circonstances particulières de la présente affaire qui tiennent au renvoi et au fait que le brevet 206 a été jugé invalide dans une procédure relative à un avis de conformité, mais non dans une autre.

 

[31]      La présente affaire doit être considérée à la lumière des arrêts de la Cour d’appel fédérale et des décisions de la Cour, notamment la décision de la juge Mactavish déjà citée, concernant l’autorité de la chose jugée, l’abus de procédure et la préclusion découlant d’une question déjà tranchée. Les tribunaux sont préoccupés de la prolifération des procédures relatives à un avis de conformité, particulièrement lorsqu’elles portent sur les mêmes brevets et opposent les mêmes parties, et de la question de savoir si les procédures répétées constituent un abus ou s’il faudrait pour quelque autre raison les empêcher de se poursuivre.

 

[32]      Les tribunaux ont approché la situation en considérant la préclusion découlant d’une question déjà tranchée et en examinant si les trois conditions d’application ont été établies :

1. La même question a-t-elle été décidée dans la procédure antérieure?

2. La décision antérieure est-elle définitive?

3. Les parties dans la décision antérieure et dans la présente décision sont-elles les mêmes ou ont-elles un lien de droit avec ces parties?

 

[33]      Ces critères ne doivent pas être appliqués machinalement. Je répète ce que le juge Sexton de la Cour d’appel fédérale a dit au nom de la Cour dans l’arrêt Abbott Laboratories c. Canada (Ministre de la Santé), 2007 CAF 140, aux paragraphes 26 à 29 :

26     À diverses reprises, la Cour suprême du Canada a eu l’occasion d’expliquer la doctrine de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée. Dans Toronto (Ville) c. S.C.F.P., section locale 79, [2003] 3 R.C.S. 77, paragraphe 23, la juge Arbour a décrit la préclusion découlant d’une question déjà tranchée comme étant « un volet du principe de l’autorité de la chose jugée (l’autre étant la préclusion fondée sur la cause d’action), qui interdit de soumettre à nouveau aux tribunaux des questions déjà tranchées dans une décision antérieure ».

 

27     Dans Danyluk c. Ainsworth Technologies Inc., [2001] 2 R.C.S. 460, paragraphe 33,  (Danyluk), le juge Binnie a expliqué que la préclusion découlant d’une question déjà tranchée devait faire l’objet d’une analyse à deux volets :

 

Il s’agit, au cours de la première étape, de déterminer si le requérant (en l’occurrence l’intimée) a établi l’existence des conditions d’application de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée énoncées par le juge Dickson dans l’arrêt Angle, précité. Dans l’affirmative, la cour doit ensuite se demander, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, si cette forme de préclusion devrait être appliquée.

 

28     Les conditions d’application de la préclusion d’une question déjà tranchée évoquées dans Danyluk sont celles énoncées dans les motifs de lord Guest dans l’arrêt Carl Zeiss Stiftung c. Rayner & Keeler Ltd. (N° 2), [1967] 1 A.C. 853, cités de manière favorable par les juges majoritaires dans l’arrêt de la Cour suprême du Canada Angle c. Canada (Ministre du Revenu national), [1975] 2 R.C.S. 248, à la page 254 (Angle) :

 

[traduction]

[…] (1) que la même question ait été décidée; (2) que la décision judiciaire invoquée comme créant la fin de non‑recevoir soit finale; et, (3) que les parties dans la décision judiciaire invoquée, ou leurs ayants droit, soient les mêmes que les parties engagées dans l’affaire où la fin de non-recevoir est soulevée, ou leurs ayants droit […]...

 

29     Dans Danyluk, au paragraphe 33, le juge Binnie a insisté pour dire qu’il ne fallait pas appliquer machinalement ce critère :

 

Les règles régissant la préclusion découlant d’une question déjà tranchée ne doivent pas être appliquées machinalement. L’objectif fondamental est d’établir l’équilibre entre l’intérêt public qui consiste à assurer le caractère définitif des litiges et l’autre intérêt public qui est d’assurer que, dans une affaire donnée, justice soit rendue. (Il existe des intérêts privés correspondants.)

 

[34]      Ainsi qu’il a été indiqué dans l’arrêt Danyluk et par le juge Sexton dans Abbott, précité, au paragraphe 51, le pouvoir judiciaire discrétionnaire qui peut être exercé doit être très limité. Dans Abbott, la Cour d’appel fédérale a expressément rejeté l’argument qu’un fabricant de produits génériques pouvait signifier des avis d’allégation multiples soulevant des motifs d’invalidité d’un brevet différents de ceux qu’il avait invoqués dans un avis d’allégation antérieur et qui avaient été rejetés dans une procédure devant la Cour. La question prédominante concerne la validité, non les motifs. Si une partie succombe une fois, la question est réglée. Le juge Sexton a dit au paragraphe 41 :

41     Ce que le Règlement oblige notamment la seconde personne à établir, c’est que le brevet est invalide ou qu’il ne serait pas contrefait. En d’autres mots, la « question » à trancher est celle de l’invalidité ou de l’absence de contrefaçon. Les motifs particuliers au moyen desquels la seconde personne souhaite démontrer l’invalidité, que ce soit l’évidence, l’antériorité, la portée excessive ou encore l’absence de prédiction valable ne constituent pas des questions distinctes aux fins de la préclusion fondée sur une question déjà tranchée, ne constituant plutôt simplement que des façons différentes pour la seconde personne d’aborder la question de l’invalidité. On n’autorisera donc habituellement pas qu’un même fabricant de génériques présente de multiples avis d’allégation relativement à un médicament particulier en alléguant l’invalidité d’un brevet particulier, même si chaque avis porte sur des motifs différents d’invalidité. Il peut toutefois y avoir exception à cette règle, comme les juges majoritaires l’ont mentionné dans P&G (paragraphe 22), dans les cas où la partie intéressée n’a pu découvrir des faits pertinents liés à la question, même en faisant preuve de diligence raisonnable, lors du premier litige. Il ne s’agit pas d’une pareille exception en l’espèce. Pharmascience ne conteste pas qu’elle aurait pu soulever des motifs d’invalidité additionnels dans le premier avis d’allégation, mais soutient uniquement qu’il lui est permis de scinder ses prétentions en vertu du régime établi par règlement.

 

[35]      Dans un arrêt rendu quelques semaines plus tard, Sanofi-Aventis Canada Inc. c. Novopharm Ltd., 2007 CAF 163, le juge Sexton est revenu sur la question pour la Cour d’appel fédérale. Dans cette affaire, la question était de savoir si un innovateur, Sanofi-Aventis, pouvait se prévaloir contre un fabricant de produits génériques d’un brevet qui, dans une procédure antérieure relative à un avis de conformité intéressant un autre fabricant de produits génériques, avait été jugé invalide. La Cour d’appel a statué que ce serait un abus de procédure pour Sanofi‑Aventis de se prévaloir du brevet, même si l’affaire intéressait un autre fabricant de produits génériques. Le brevet en cause, on ne s’en étonnera pas, était précisément le brevet 206 qui est en cause ici et la décision concluant à l’invalidité était la décision ayant trait à Apotex, déjà mentionnée. Le juge Sexton a dit au paragraphe 50 :

Enfin, Sanofi‑Aventis et Schering soutiennent qu’en l’espèce, une conclusion d’abus de procédure serait source d’iniquité. Elles affirment que, bien qu’il soit interdit aux premières personnes de se défendre contre les allégations que font des fabricants ultérieurs après que l’on a conclu que l’allégation identique faite par un fabricant antérieur est justifiée, les fabricants ultérieurs sont autorisés à répéter les allégations déjà faites antérieurement par d’autres fabricants, et ce, même s’il a été conclu que les allégations antérieures étaient injustifiées. Cependant, il n’y aucune iniquité dans ce scénario. Toutes les parties sont tenues de respecter la même norme : chacune est tenue de présenter tous ses arguments, ainsi que tous les éléments de preuve pertinents, en première instance. Cela empêche l’innovateur de débattre à nouveau une question déjà tranchée dans une instance à laquelle il était partie, en s’appuyant sur des éléments de preuve additionnels qu’il avait décidé de ne pas produire à l’instance antérieure. De la même façon, les fabricants de produits génériques doivent faire valoir à la première occasion la totalité de leurs arguments. Les avis d’allégations multiples délivrés par le même fabricant en rapport avec un médicament particulier et alléguant l’invalidité d’un brevet particulier sont généralement interdits, même si l’on invoque des motifs d’invalidité différents dans chaque cas. Cependant, dans le cas où un fabricant particulier a formulé une allégation mais a omis de présenter les arguments requis pour montrer que l’allégation en question était justifiée, il serait injuste d’empêcher un fabricant ultérieur, disposant de meilleurs éléments de preuve ou d’un argument juridique plus valable, de l’introduire. Cette situation peut donner lieu à un résultat contradictoire, mais cette préoccupation cède le pas au risque de faire preuve d’iniquité à l’endroit du fabricant à qui l’on interdit de faire valoir ses arguments juste parce que la démarche d’un autre fabricant était inadéquate. Il est nécessaire dans chaque cas de mettre en équilibre l’effet d’une instance sur l’administration de la justice et l’iniquité que l’on cause à une partie en l’empêchant de faire valoir ses arguments.

 

[36]      Dans sa décision déjà citée, Sanofi-Aventis Inc. c. Pharmascience Inc., 2007 CF 1057, conf. par 2006 CAF 229, la juge Mactavish a dû considérer si Pharmascience, ayant auparavant succombé dans sa contestation de la validité du brevet 206, pouvait lancer une contestation nouvelle en invoquant des motifs d’invalidité à l’égard desquels un autre fabricant de produits génériques avait eu gain de cause. Pharmascience avait reconnu que la première procédure portait sur la validité du brevet 206 et  opposait les mêmes parties. Au paragraphe 36, la juge Mactavish a dit :

36     Pharmascience reconnaît que, dans la présente instance, les parties sont les mêmes que celles qui se sont présentées devant la juge Snider dans Aventis Pharma, ou leurs ayants droit, et elle reconnaît également que par suite du refus, par la Cour suprême du Canada, d’accorder l’autorisation d’interjeter appel dans cette affaire, la décision de la juge Snider est maintenant définitive. Pharmascience reconnaît également que son avis d’allégation en l’espèce soulève la même question, savoir la validité du brevet 206, que celle dont était saisie la juge Snider.

 

 

[37]      Pharmascience a fait valoir que la décision Apotex, précitée, jointe à d’autres décisions, créait une règle de droit nouvelle et que, dans l’exercice du pouvoir judiciaire discrétionnaire, on devrait lui permettre de faire valoir ces arguments. Elle a aussi plaidé qu’il serait injuste qu’elle soit le seul fabricant de produits génériques à ne pouvoir bénéficier de ces décisions. La juge Mactavish a rejeté ces arguments et dit aux paragraphes 69 à 74 :

69     Je ne suis pas convaincue que le résultat soit injuste, compte tenu des circonstances.

 

70     Pharmascience a décidé, sur le plan stratégique, de prendre rapidement certaines mesures, afin d’être le premier fabricant de produits génériques à s’attaquer au brevet 206 en s’appuyant sur le Règlement. La société a pris également une décision tactique de ne pas « tout mettre en œuvre » pour ce faire, mais d’alléguer l’invalidité uniquement pour cause de double brevet dans son premier avis d’allégation.

 

71     Pharmascience reconnaît que rien ne l’empêchait d’alléger que le brevet 206 était invalide pour cause d’absence de prédiction valable quand elle a signifié son premier avis d’allégation.

 

72     Par conséquent, je ne retiens pas l’argument de Pharmascience selon laquelle la décision que j’ai rendue dans Apotex était en fait [traduction] « un fait nouveau pertinent » qu’elle n’aurait pu connaître en faisant preuve de diligence raisonnable.

 

73     En outre, comme la Cour d’appel fédérale l’a dit clairement dans Abbott (au paragraphe 60), il n’y a pas eu de passage en droit d’une situation où il était permis de présenter de multiples avis alléguant l’invalidité à une autre où agir ainsi donne lieu à l’application de la préclusion. Par conséquent, lorsqu’elle a signifié son premier avis d’allégation, Pharmascience savait ou aurait dû savoir que si elle n’obtenait pas gain de cause relativement à l’allégation de double brevet, elle ne pourrait pas plaider l’invalidité du brevet 206 plus tard par application du principe de la préclusion. Pour une raison quelconque, elle a choisi de mettre tous ses œufs dans le même panier.

 

74     Pharmascience a perdu son pari. Elle doit en assumer les conséquences.

 

[38]      Dans la présente affaire, il faut examiner si Riva a de quelque façon un « lien de droit » avec Pharmascience. Il n’y a pas la moindre preuve au dossier de la présente procédure indiquant qu’elle en ait un. La preuve indique seulement que Riva a renvoyé à la demande de Pharmascience, ce qui suppose que Pharmascience a donné son consentement au renvoi. La preuve indique encore que, depuis que Riva a obtenu son avis de conformité, comprenant certains (numéros) DIN, Pharmascience offre un produit ramipril en vente au Canada avec des (numéros) DIN identiques. Cela suppose qu’un accord commercial quelconque est intervenu entre Riva et Pharmascience.

 

[39]      Dans sa décision déjà citée, le juge Harrington a dû considérer la relation entre Riva et Pharmascience. Dans la présente affaire, Riva a déposé des extraits des observations écrites présentées au juge Harrington par Sanofi-Aventis, dans lesquels elle décrit cette question « préliminaire ». Le juge Harrington a considéré la question en fonction de la preuve dont il était saisi. Aux paragraphes 21 à 27 de sa décision, 2007 CF 532, il a dit :

21     Le concept des parties ayant des liens de droit, l’une avec l’autre, est une ramification du principe de la chose jugée. Les précédents, à ce moment précis, ont été examinés par le juge Richard, lorsqu’il siégeait encore dans l’arrêt Hoffman-La Roche Ltd. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social), [1997] 2 C.F. 681, 72 C.P.R. (3d) 362. Le juge Richard, appelé à décider dans le contexte du Règlement MB (AC) renvoie au jugement rendu par le juge Dickson, alors juge puiné, dans l’arrêt Angle c. Ministre du Revenu national, [1975] 2 R.C.S. 248, 47 D.L.R. (3d) 544, une affaire fiscale, où le juge Dickson a dit que « cette forme de fin de non-recevoir est de deux genres. Le premier, soit la préclusion résultant de l’identité des causes d’action, empêche une personne d'intenter une action contre une autre lorsque la même cause d'action a déjà été décidée.  La seconde, préclusion découlant d’une question déjà tranchée, s’applique, même si la cause d’action est différente, lorsque le même point ou la même question de fait a déjà été tranché.

 

22     Trois éléments doivent être présents pour l’application du principe de la chose jugée : l’objet, l’action et les parties. La notion d’ayant droit s’attache à l’identité des parties. La question est de savoir si deux personnes juridiquement distinctes devraient être considérées comme une seule personne. Que l’une soit désignée l’alter ego ou le « prête-nom » de l’autre ou qu’il s’agisse de lever le voile corporatif, pour que les deux sociétés soient considérées comme une seule personne, il doit y avoir une communauté ou une connexité d’intérêts significative entre elles.

 

23     Riva a déposé sa présentation abrégée de drogue nouvelle (PADN) auprès de Santé Canada au printemps 2004. Elle renvoie sa présentation réglementaire à une autre qui avait été antérieurement présentée par Pharmascience, laquelle, ni à ce moment, ni même maintenant, n’a reçu d’AC (voir la décision de la juge Snider dans Aventis, précitée). Comme Pharmascience n’avait pas reçu d’AC, il s’ensuit que sa version du Ramipril et la monographie du produit n’étaient pas accessibles au public. En d’autres termes, tel qu’il a été admis lors du contre-interrogatoire, Riva et Pharmascience avaient des relations commerciales.

 

24     Mostafa Akbarieh, vice-président Recherche, Développement et Affaires réglementaires de Riva a admis que sa PADN portant sur le Ramipril n’était pas la première présentation déposée qui renvoyait aux présentations de Pharmascience. Riva fait référence aux renseignements contenus dans la présentation de Pharmascience et sa monographie de produit était et devait être identique.

 

25     Même si Riva a de toute évidence dû obtenir l’autorisation de Pharmascience, M. Akbarieh n’était pas partie aux négociations. Il ignorait si la référence faisait l’objet d’une entente écrite. Même s’il savait que les deux sociétés n’avaient pas d’employés communs, il n’était pas au courant s’il y avait possession commune d’actions ou s’il y avait un autre fait pouvant mener à la conclusion que les sociétés étaient liées. Le procureur de Riva a refusé de s’engager à communiquer les renseignements.

 

26     Il est clair qu’eu égard aux présentes demandes, si la défenderesse était Pharmascience, la préclusion découlant d’une question déjà tranchée l’empêcherait de se fonder sur les allégations de son avis d’allégation. En réalité, Pharmascience a sollicité sans succès une ordonnance soutenant qu’il y aurait abus de procédure de la part de Sanofi-Aventis si elle continuait à prétendre que le brevet 206 était valide eu égard à la décision de la juge Mactavish dans Apotex, précitée. Dans Pharmascience Inc. c. Sanofi-Aventis Canada Inc., 2006 CAF 210, [2006] A.C.F. no 933 (QL), la juge Sharlow n’a pas tardé à rejeter cet argument. Elle a fait remarquer que tout ce que la juge Mactavish avait fait était de rejeter la demande visant une ordonnance d’interdiction présentée par Sanofi-Aventis. Cela ne constituait pas un jugement définitif sur la validité du brevet 206. Pharmascience n’a pas formulé d’allégation d’invalidité fondée sur l’absence de prédiction valable et Sanofi-Aventis pouvait donc difficilement être blâmée de ne pas avoir répondu à une allégation qui n’avait pas été formulée. Voir également le jugement récent de la Cour d’appel fédérale dans Abbott Laboratories c. Canada (Ministre de la Santé), [2007] A.C.F. n° 506, 2007 CAF 140.

 

27     Je ne suis toutefois pas convaincu que les faits précités et le fait que l’expert de Riva, M.  Christensen, d’abord contacté par Pharmascience, démontrent que les deux parties avaient des ayants droit. Il a uniquement été établi qu’elles ont des relations commerciales et c’est insuffisant (Hoffman-La Roche, précité).

 

[40]      Au paragraphe 30, le juge Harrington a traité la question du renvoi. Il ne l’a pas tranchée, indiquant qu’un contrôle judiciaire distinct serait plus approprié :

30     Sanofi-Aventis fait aussi valoir que ces procédures sont abusives en ce que la politique du ministre de ne pas délivrer d’AC lorsqu’une présentation renvoie à une présentation antérieure, à moins que celle-ci n’ait été accueillie ou jusqu’à ce qu’elle le soit. La demande présentée par Pharmascience a été rejetée. Néanmoins, je ne suis pas préoccupé par la politique du ministre. Je suis saisi d’allégations d’invalidité et de non-contrefaçon, ni plus ni moins. Si le ministre décide de ne pas délivrer d’AC pour d’autres motifs, la décision pourrait alors faire l’objet d’un contrôle judiciaire distinct.

 

 

[41]      La Cour se retrouve avec une preuve très mince dans la présente procédure au sujet de la relation entre Riva et Pharmascience. En outre, la Cour dispose de la conclusion du juge Harrington, en fonction de la preuve dont il était saisi, exposée en résumé au paragraphe 27 de sa décision, portant qu’il n’y a pas de preuve satisfaisante que les parties Riva et Pharmascience ont des liens de droit et qu’elles ont au plus une sorte quelconque de relations commerciales.

 

[42]      Par conséquent, il reste à trancher la question de savoir si le simple fait qu’une personne a renvoyé à une demande relative à un médicament d’une autre personne sous le régime de la Loi sur les aliments et drogues et de son règlement d’application suffit pour imposer à la personne qui effectue le renvoi (Riva) la préclusion de contester la validité d’un brevet prononcée par les tribunaux à l’encontre de l’autre personne (Pharmascience). Je juge qu’il n’est pas suffisant d’invoquer simplement le fait du renvoi, sans plus, pour faire jouer la préclusion. Il doit y avoir une preuve plus étoffée que celle qui a été présentée en l’espèce, établissant qu’une personne a un lien de droit avec l’autre ou qu’il existe quelque autre situation exigeant que la Cour intervienne pour prévenir un abus. 

 

[43]      Je conclus que la demande de Sanofi-Aventis visant à l’annulation de l’avis de conformité accordé à Riva pour le ramipril doit être rejetée.

 

DÉPENS

[44]      Les dépens sont adjugés aux défendeurs au niveau habituel, selon le milieu de la fourchette prévue à la colonne III.

 

 


JUGEMENT

 

Pour les motifs exposés ci-dessus,

LA COUR ORDONNE :

1.      La présente demande est rejetée.

2.      Les défendeurs ont droit aux dépens, taxés selon le milieu de la fourchette prévue à la colonne III.

 

 

 

« Roger T. Hughes »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

DOSSIER :                                                    T-1351-07

 

INTITULÉ :                                                   Sanofi-Aventis Canada Inc. c.

                                                                        Le ministre de la Santé et al.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 16 septembre 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          Le juge HUGHES

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 22 septembre 2008

 

 

COMPARUTIONS :

 

Gunars A. Gaikis

Nancy P. Pei

 

POUR LA DEMANDERESSE

F.B. Woyiwada

 

POUR LES DÉFENDEURS

 LE MINISTRE DE LA SANTÉ et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

Arthur B. Renaud

POUR LA DÉFENDERESSE
LABORATOIRE RIVA INC.

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Smart & Biggar

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Ministère de la Justice

Ottawa (Ontario)

 

POUR LES DÉFENDEURS

LE MINISTRE DE LA SANTÉ et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

Bennett, Jones

Toronto (Ontario)

POUR LA DÉFENDERESSE LABORATOIRE RIVA INC.

 

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