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Date : 20080909

Dossier : IMM-3197-08

Référence : 2008 CF 1007

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 9 septembre 2008

                        En présence de monsieur le juge Harrington

 

ENTRE :

ALAN HINTON ET

IRINA HINTON

 

Demandeurs

 

et

 

 

 

LA MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

Défenderesse

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Baz Singh Momi, Alan et Irina Hinton et d’autres en sont à leur troisième tentative visant à faire autoriser une action en recours collectif. Ils cherchent à recouvrir une partie des frais facturés en lien avec plus de 40 types de visas d’immigration prévus en vertu de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR) et de sa prédécesseure, la Loi sur l’immigration. Ils appuient leur démarche sur le paragraphe 19(2) de la Loi sur la gestion des finances publiques lequel prévoit qu’aucun profit ne peut être réalisé sur les frais imposés aux usagers. Le fondement factuel est un soupçon tiré des rapports annuels déposés par Citoyenneté et Immigration Canada au Parlement et d’autres documents obtenus à la suite de demandes d’accès à l’information démontrant qu’un profit a été réalisé sur chaque visa, année après année.

 

[2]               Le processus a débuté avec le dossier IMM-1669-05, Momi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration). Il s’agissait, comme l’espèce, d’une action visant à recouvrer plus de 700 millions de $ en lien avec l’émission de quelque 10 millions de visas à une catégorie de détenteurs de visa représentant probablement plus de 2 millions de personnes.

 

[3]               Comme publié dans Momi, 2006 CF 738, [2007] 2 F.C.R. 291, je suis convaincu que le dossier réuni tous les critères d’une action en recours collectifs. Néanmoins, j’ai refusé d’autoriser l’action à la lumière de la décision de la Cour d’appel fédérale dans Canada c. Grenier, 2005 CAF 348, [2006] 2 F.C.R. 287. Étant donné qu’il s’agissait en somme de contester des dispositions réglementaires, j’étais de l’avis que les intimés devaient d’abord entreprendre une procédure de contrôle judiciaire devant notre Cour. J’ai suspendu cette action et elle l’est toujours à ce jour.

 

[4]               Les intimés ont suivi mes directives et entrepris une procédure de contrôle judiciaire en 2006 en vertu de la LIPR et figurant au dossier IMM-5015-06. Les demandeurs étaient Alan et Irina Hinton. Ils cherché à obtenir le contrôle judiciaire d’une décision rendue en mai 2003 par la ministre leur imposant des frais de 75 $ pour l’examen d’une demande de parrainage de son épouse. Monsieur Hinton s’est acquitté de ces frais. L’article 304 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés exige le paiement de ces frais de service pour une demande de parrainage. En vertu de la LIPR, un demandeur souhaitant obtenir le contrôle judiciaire d’une décision doit d’abord obtenir l’autorisation, puis déposer sa demande dans les 15 à 60 jours de la décision, selon son lieu de résidence. Bien que la demande eut été déposée à l’extérieur du délai prévu, j’ai autorisé une prorogation et autorisé son dépôt.

[5]               Il fallait ensuite convertir la demande de contrôle judiciaire en action, puis l’autoriser à titre d’action en recours collectif. C’est ce que j’ai ordonné. J’ai identifié les particuliers au recours comme étant toute personne ayant payé des frais de service en vertu de plus de 40 dispositions réglementaires en vertu de la LIPR ou de sa prédécesseure, la Loi sur l’Immigration (Hinton c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 7, 67 Imm. L.R. (3d) 61).

 

[6]               Le ministre a interjeté appel de cette décision. Dans un jugement rendu en juin dernier dans Hinton c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 215, [2008] F.C.J. No. 1004 (QL), la Cour d’appel a accueilli « [...] l’appel en partie dans la mesure où le recours collectif, tel qu’il est actuellement autorisé, est modifié afin qu’il se limite aux personnes visées par la demande d’autorisation ».

 

[7]               Il s’agissait d’un des trois points soulevés par la ministre en appel. Les deux autres points, n’ayant pas eu gain de cause, étaient qu’une demande en dommages-intérêts ne pouvait être entreprise avant le jugement définitif quant à la demande de contrôle judiciaire et que le recours collectif n’était pas le meilleur moyen de régler le dossier.

 

[8]               Ayant réduit la taille du groupe, le juge Sexton a suggéré une méthode pour rétablir les autres dispositions réglementaires sur les frais. Il a affirmé :

[58]      En l’espèce, sans vouloir imposer au juge des requêtes (en tant que juge chargé de la gestion de l’instance), ou aux intimés, la façon de corriger la situation, j’estime qu’il suffirait que les intimés présentent simultanément une demande d’autorisation fondée sur l’article 72 de la LIPR qui viserait les autres membres du groupe, et qu’ils demandent à ce que ces membres puissent faire partie du groupe, tel que modifié par les présents motifs.

 

[...]

 

[63]      Pour les motifs susmentionnés, j’accueillerais l’appel en partie dans la mesure où le recours collectif, tel qu’il est actuellement autorisé, est modifié afin qu’il se limite aux personnes visées par la demande d’autorisation. Cependant, cette décision ne porte pas atteinte au droit de M. Hinton ou de toute autre personne de présenter, au nom des personnes touchées par les autres dispositions réglementaires contestées, une demande d’autorisation, conformément à l’article 72 de la LIPR, et une demande en vue de faire partie du groupe visé par le recours déjà autorisé.

 

C’est exactement ce que les Hintons et les autres ont fait.

 

[9]               Dans l’espèce, les Hintons cherchent à obtenir le contrôle judiciaire d’une décision rendue par la ministre en mai 2003 visant à obtenir les frais en lien avec une demande de résidence permanente (sous-alinéa 295(1) (a)(i)) et une demande parrainage (paragraphe 304(1)). Cependant, contrairement à leur première demande de contrôle judiciaire, ils présentent également leur demande au nom des personnes touchées par toutes les dispositions réglementaires dans l’objectif déclaré de faire convertir la celle-ci, si elle est accordée, en action en recours collectif, puis de la faire autoriser puis ajoutée au recours collectif déjà entrepris.

 

[10]           Le ministre s’oppose à la demande d’autorisation pour les motifs suivants : a) la Cour ne devrait pas accorder une prorogation du délai pour entreprendre un contrôle judiciaire; b) les Hintons n’ont pas la qualité d’agir pour contester les dispositions réglementaires en vertu desquelles ils n’ont pas personnellement payé de frais; c) la demande de contrôle judiciaire devrait seulement porter sur une décision ou une ordonnance; et d) il est évident et manifeste du dossier que Sa Majesté n’a pas généré de profits.

 

LE PROCESSUS D’AUTORISATION EN VERTU DE LA LIPR

[11]           Les demandes de contrôle judiciaire sur des questions d’immigration ne sont non seulement régies par l’article 18 et suivants de la Loi sur les Cours fédérales, mais également et particulièrement par l’article 72 et suivants de la LIPR.

[12]           Il d’abord obtenir une autorisation pour déposer une demande de contrôle judiciaire. La demande d’autorisation doit être déposée dans les 15 ou 60 jours de la mesure contestée, selon si celle-ci est survenue au Canada ou à l’étranger. Les délais des dossiers devant moi étaient expirés depuis longtemps, mais l’alinéa 72(2)(c) prévoit les suivantes :

(2) Les dispositions suivantes s’appliquent à la demande d’autorisation :

 

[...]

 

c) le délai peut toutefois être prorogé, pour motifs valables, par un juge de la Cour;

(2) The following provisions govern an application under subsection (1):

 

[...]

 

(c) a judge of the Court may, for special reasons, allow an extended time for filing and serving the application or notice;

 

 

[13]           Les alinéas (d) et (e) se lisent ainsi :

[...]

 

d) il est statué sur la demande à bref délai et selon la procédure sommaire et, sauf autorisation d’un juge de la Cour, sans comparution en personne;

 

e) le jugement sur la demande et toute décision interlocutoire ne sont pas susceptibles d’appel.

 

 

[...]

 

(d) a judge of the Court shall dispose of the application without delay and in a summary way and, unless a judge of the Court directs otherwise, without personal appearance; and

 

 

(e) no appeal lies from the decision of the Court with respect to the application or with respect to an interlocutory judgment.

 

[14]           Les demandes d’autorisation sont presque invariablement tranchées sans qu’il n’y ait d’argumentaire verbal ou de motifs. Cependant, étant donné la complexité du dossier dans son ensemble, j’ai décidé autrement et également informé les parties que j’émettrais des motifs.

LA NORME APPLICABLE

[15]           Le paragraphe 72(1) de la LIPR prévoit simplement que les demandes de contrôle judiciaire sont « [...] subordonné [es] au dépôt d’une demande d’autorisation ». Les paramètres devant influencer la discrétion d’un juge ne sont pas énoncés. La jurisprudence est très ténue sur le sujet, ce qui n’est pas étonnant étant donné que les motifs ne sont habituellement pas communiqués et qu’il s’agit d’une décision définitive et sans appel.

 

[16]           Toutefois, et heureusement, la Cour d’appel fédéral a statué que la norme applicable nécessitait la divulgation d’une « cause défendable » dans le cadre d’un dossier de contestation continuelle du processus de demande d’autorisation en vertu de l’ancienne Loi sur l’Immigration (Bains c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1990), 109 N.R. 239, [1990] A.C.F. no 457 (QL)). La Cour d’appel ne s’est pas prononcée sur cette question depuis, hormis dans Krishnapillai c. Canada, 2001 CAF 378, [2002] 3 C.F. 74, alors que le juge Décary a favorablement cité Bains.

 

[17]           Qu’est donc une « cause défendable »? Le juge Mahoney a tenu les propos suivants à ce sujet dans Bains :

[traduction]

Gardant à l’esprit que la seule exigence est à savoir si une cause défendable a été exposée; alors le critère d’autorisation est l’antithèse de la compétence traditionnelle permettant de mettre fin sommaire à des procédures qui ne comportent aucune cause raisonnablement défendable.

 

[18]           Les cours supérieures ont compétence inhérente sur leur propre processus. Elles peuvent rejeter les litiges qu’elles estiment frivoles ou vexatoires ou dépourvus de cause d’action valable. À l’époque de la décision Bains, cette compétence était codifiée à même l’article 419, désormais l’article 221 des Règles des Cours fédérales. La cause type à ce titre était l’arrêt Operation Dismantle c. La Reine, [1985] 1 R.C.S. 441, [1985] J.C.S. No. 22 (QL), bien que la Cour suprême se soit étendue sur le sujet quelques mois après Bains dans Hunt c. Carey Canada Inc., [1990] 2 R.C.S. 959, [1990] J.C.S. no 93 (QL)). Les deux causes s’inscrivent dans une longue lignée de principes jurisprudentiels britanniques et canadiens voulant qu’une procédure ne doive pas être radiée à moins qu’il soit « évident et manifeste » que, présumant les faits énoncés véridiques, les prétentions juridiques qui y figurent soient vouées à l’échec.

 

[19]           Dans Operation Dismantle, le juge Dickson a tenu les propos suivants aux pages 449-450 :

   On trouve l’énoncé le plus récent faisant autorité du principe applicable pour déterminer si une déclaration peut être radiée dans les motifs du juge Estey dans l’arrêt Procureur général du Canada c. Inuit Tapirisat of Canada, [1980] 2 R.C.S. 735, à la p. 740 :

 

Comme je l’ai dit, il faut tenir tous les faits allégués dans la déclaration pour avérés. Sur une requête comme celle‑ci, un tribunal doit rejeter l’action ou radier une déclaration du demandeur seulement dans les cas évidents et lorsqu’il est convaincu qu’il s’agit d’un cas « au‑delà de tout doute » : Ross c. Scottish Union and National Insurance Co. (1920), 47 O.L.R. 308 (Div. App.)

 

   Dans les motifs qu’elle a rédigés en l’espèce, madame la juge Wilson résume ainsi les principes pertinents [à la p. 486] :

 

Le droit donc paraît clair. Les faits articulés doivent être considérés comme démontrés. Alors, la question est de savoir s’ils révèlent une cause raisonnable d’action, c.‑à‑d. une cause d’action « qui a quelques chances de succès » (Drummond‑Jackson c. British Medical Association, [1970] 1 All E.R. 1094) ou, comme dit le juge Le Dain dans l’arrêt Dowson c. Gouvernement du Canada (1981), 37 N.R. 127 (C.A.F.), à la p. 138, est‑il « évident et manifeste que l’action ne saurait aboutir »?

 

[20]           Toutefois, il y a une différence importante entre une requête en radiation de procédure pour défaut de divulguer une cause raisonnable d’action et une demande de contrôle judiciaire d’une décision en vertu de la LIPR. Les faits sont en cause dans une telle demande d’autorisation. La plupart des demandes sont formulées par des gens qui n’ont pas pu convaincre la Commission de l’immigration et du statut de réfugié de leur accorder le statut de réfugié ou dont les examens des risques avant renvoi subséquents auraient dû être favorables (LIPR, articles 96, 97 et 113). En l’occurrence, la demande d’autorisation repose sur la prétention que les conclusions de fait du décideur n’étaient pas raisonnables.

 

[21]           L’espèce est particulière au sens que le décideur, soit le gouverneur en conseil qui a édicté la disposition ou la personne chargée de recouvrer les frais, ne disposait d’aucun dossier à proprement parler : il n’avait que la Loi et le Règlement. Or, les parties se sont éloignées de la prétention voulant que le dossier à l’origine d’une demande d’autorisation doive être limité au dossier à la disposition du décideur. J’ai joint à leurs affidavits les rapports annuels déposés au Parlement ainsi qu’une importante quantité de renseignements obtenus par la voie de l’accès à l’information. J’estime qu’il est approprié de procéder ainsi, car, comme je l’ai déjà mentionné dans Momi, les faits, s’ils sont tenus pour avérés, divulguent une cause défendable.

 

[22]           Mettant le critère « évident et manifeste » en perspective, il importe de souligner que dansBains, précitée, la Cour d’appel fédérale n’a pas fait référence à la règle de la Cour fédérale traitant des demandes d’autorisation. En outre, en vertu de l’article 307, il fallait demander l’autorisation à la Cour avant de signifier une déclaration à l’extérieur de la juridiction. Entre autres, la règle exigeait explicitement que le demandeur avance une « bonne cause défendable ». Dans American Cyanamid Co. et al. c. Ethicon Inc. et al., 22 C.P.R. 75, [1975] A.C.F. no 1123 (QL), le juge Addy a assimilé la notion d’une « bonne cause défendable » à celle de la preuve prima facie. Cette décision a été citée et approuvée par la Cour d’appel dans Price & Pierce International Inc. c. Finland Steamship Co. Ltd. (1982), 46 N.R. 372, [1982] A.C.F. no 1013 (QL)). La preuve prima facie est celle qui, faute d’être réfutée, donne naissance à la réparation demandée. En outre, les affidavits de demandes interlocutoires peuvent reposer sur des renseignements et des croyances. Une cause défendable est donc bien étoffée qu’une bonne cause défendable.

 

[23]           Revenant à l’espèce, les documents des Hinton comprennent le dossier produit dans leur première cause. Pour sa part, la ministre a déposé les affidavits de Marlene Patrick, directrice de la gestion des coûts au sein de la Direction générale des finances du ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration, et de Mark Giralt, agent de service étranger, agissant présentement à titre d’analyste principal au sein du même ministère. Monsieur Giralt a agi en qualité d’agent des visas dans différents ambassades, hauts commissariats et consulats canadiens pendant de nombreuses années. La clé de voûte est un graphique préparé par Mme Patrick lequel illustre les revenus tirés des frais de service par rapport aux coûts encourus, présumément fondés sur les mêmes documents que ceux avancés par les Hintons, non seulement pour Citoyenneté et Immigration, mais également pour quelques autres ministères, plus particulièrement le ministère des Affaires étrangères et de Commerce international (MAECI). Selon le graphique, sous la rubrique du programme connu sous le nom Maximisation les avantages de la migration internationale, les coûts dépassent les revenus tous les ans. En outre, ce dépassement de coût se chiffre à seulement 15 millions de $ pour l’une d’elles, puis à 200 millions de $ pour une autre. Il n’y a aucune ventilation pour chacun des 43 visas en cause. Ceci, en soit, soulève une question sérieuse. La démarche adoptée par les Hintons, que je crois être la bonne, est qu’on doit déterminer toutes les dépenses attribuables au programme dans son ensemble, puis les ventiler par visa, à l’instar de la démarche de la ministre en regard des revenus.

 

[24]           Les arguments ont été axés sur la prétention de la ministre voulant qu’il fût démontré que Sa Majesté avait assuré la prestation de tous les services visés à perte. Le cas échéant, je suis d’accord que l’autorisation ne devrait pas être accordée. Subsidiairement, et s’inspirant de la décision Westbank First Nation c. British Columbia Hydro and Power Authority, [1999] 3 R.C.S. 134, [1999] J.C.S. No. 38 (QL), 620 Connaught Ltd. c. Canada (Procureur général), 2008 CSC 7, [2008] 1 R.C.S. 131 et Canadian Association of Broadcasters c. Canada, 2008 CAF 157, 292 D.L.R. (4e) 246, la ministre soutient que s’il était démontré que Sa Majesté avait occasionnellement et accidentellement engrangé des profits d’un ou de plusieurs visas, ledit profit n’enfreindrait pas la Loi sur la gestion des finances publiques. Je suis également d’accord avec cette prétention. Les prévisions de revenus ne peuvent pas être exactes à cent pour cent. En outre, une augmentation inattendue du nombre de demandes d’un type de visa une année donnée pourrait générer un profit à court terme.

 

[25]           Une préoccupation a été soulevée durant les plaidoiries sur le fait que l’affidavit de Mme Patrick se concentrait simplement sur les volets potentiellement plus avantageux de la défense du ministre. Par exemple, aucune mention n’est faite de la proposition avancée dans la première demande des Hintons, IMM-5015-06, voulant que plus de la moitié des salaires des juges de la Cour fédérale et de la Cour d’appel fédérale d’appel doive être imputée à titre de dépenses en regard des frais recueillis en vertu de la disposition en cause. Cette proposition, comme je l’ai mentionné, commande la communication de documents et la tenue d’un interrogatoire préalable.

 

[26]           La première demande des Hintons ayant été autorisée, en regard d’un dossier sensiblement identique, on pourrait avancer qu’il s’agit d’un abus de procédure de la part du ministre que de présenter ce qu’elle considère désormais comme une meilleure preuve dans le cadre d’une procédure interlocutoire (Sanofi-Aventis Canada Inc. c. Novopharm Ltd., 2007 CAF 163, [2008] 1 F.C.R. 174). Cependant, à la lumière de ma décision, il n’est pas nécessaire de s’attarder davantage sur cette proposition.

 

[27]           Un juge ne devrait pas être appelé à dénicher les faits saillants d’un dossier, comme l’a sermonné le juge Létourneau dans Remo Imports Ltd. c. Jaguar Cars Ltd. et al., 2007 CAF 258, 367 N.R. 177. En l’occurrence, le dossier comprend plus de 1 500 pages de faits et de nombres. Je suis cependant convaincu, en regard des faits, que les Hintons ont une cause défendable et que la ministre a une défense défendable. Les deux parties se montrent quelque peu sélectives des documents qu’elles mettent de l’avant.

 

[28]           En outre, les rapports annuels déposés par Citoyenneté et Immigration au Parlement font certainement mention des dépenses encourues par d’autres ministères en lien avec le programme des visas. Les coûts indirects comprennent visiblement les frais généraux du MAECI, les frais généraux ministériels de Citoyenneté et Immigration, les frais de services ou de locaux fournis par Travaux publics, les services juridiques fournis par le ministère de la Justice, les vérifications de sécurité du SCRS et, bien entendu, les juges de la Cour fédérale. Le Guide pour l’établissement des coûts des extrants au Gouvernement du Canada, émis par le Bureau du contrôleur général en février 1989 et non respecté selon les demandeurs, souligne les suivantes à la page 10 : « Sur le plan de la comptabilité analytique, les frais généraux constituent souvent une question complexe [...] Une organisation donnée pourrait considérer une dépense comme faisant partie de ses frais généraux, tandis qu’une autre l’imputerait à ses coûts directs [...] » Les plaideurs le savent bien. Ceci se termine habituellement en un débat entre comptables.

 

[29]           Plus particulièrement, en examinant la preuve de Mme Patrick et la preuve antérieure de Mme Connor, toutes deux produite pour le compte de la ministre, on remarque que les ébauches d’examen des coûts varient grandement au fil des ans. Par exemple, l’examen de septembre 2001 semble indiquer que le coût unitaire d’un visa de visiteur pour séjours multiples était de 50 $, alors que les frais facturés étaient de 150 $. Le même rapport indique qu’un visa de visiteur pour séjour unique coûtait 20 $; or les frais facturés étaient de 75 $. Ce recouvrement des coûts, dans le cas des visas, s’inscrivait dans le cadre du programme Maximisation les avantages de la migration internationale. En plus des frais sur les visas, il y a également les droits d’établissement. Toutefois, ces derniers ne sont pas des frais de service; ils ne sont pas soumis aux restrictions de la Loi sur la gestion des finances publiqueset ne sont pas visés dans l’espèce. Néanmoins, on remarque que les dépenses sont toutes imputées aux visas, et non aux droits d’établissement. Aurait-on dû les répartir proportionnellement?

 

[30]           En résumé : on me demande de refuser sommairement d’autoriser l’espèce au motif qu’il est évident et manifeste que Sa Majesté n’a aucunement engrangé de profit de son programme de visas. On me demande de rendre cette décision sans l’appui de la preuve des comptables ou d’autres témoins experts qui pourraient être appelés à éclairer la Cour. Au surplus, ma décision serait définitive, car elle ne comporte aucun droit d’appel.

 

[31]           J’en arrive donc à la décision de la Cour d’appel britannique dans Drummond-Jackson c. British Medical Association, [1970] 1 All E.R. 1094, décision citée dans Operation Dismantle et dans Hunt c. Carey, précités. Il s’agissait d’une requête en radiation d’une déclaration en lien avec une allégation de diffamation. Comme l’a mentionné Lord Pearson à la page 1101 [traduction] : « je ne peux paraphraser avec exactitude, mais je crois que l’expression cause raisonnable d’action signifie une cause d’action qui a quelques chances de succès [...] ». Il poursuit, à la page 1102 :

[traduction]

[...] l’intimé ne devrait pas être « privé de jugement » aussi tôt dans le processus à moins qu’il soit manifeste que sa cause d’action soit dépourvue de chance de succès. La quatrième raison est que la procédure, (si l’action est devant la Queen’s Bench Division), laquelle est doit être autorisée par le maître, avec appel devant le juge en chambre, sans autre droit d’appel à la Cour d’appel, n’est pas appropriée aux causes autres que celles qui soient évidentes et manifestes. Dans Dyson c. A-G [[1911] 1 KB 410 à la page 419], le juge Fletcher Moulton s’exprimait ainsi :

 

« Les divergences quant au droit, tout comme les divergences quant aux faits, doivent normalement faire l’objet d’une décision au procès à la suite d’une audience devant le tribunal et non se voir priver d’une audition devant le tribunal par une ordonnance d’un juge en chambre. La preuve on ne peut plus claire de l’objet de la règle est que le demandeur ne peut interjeter appel de plein droit de la décision du juge en chambre dans le cas d’une telle ordonnance. En ce qui concerne ces règles, cette procédure permet de mettre fin à une action sans même que soit soumise à un tribunal la question de son bien‑fondé. »

 

[32]           Cette poursuite découlait d’un article publié dans le British Medical Journal. Sir Gordon Willmer, dans les motifs concourants, a ajouté les propos suivants à la page 1106 [traduction] : « il s’agit d’un article hautement technique, à peine intelligible pour le profane non initié, à moins d’obtenir maintes explications et interprétations ». Il serait donc pervers et capricieux de ma part de priver les demandeurs d’un jugement et statuer qu’il est évident et manifeste qu’il n’y a qu’une seule issue raisonnablement possible. Les demandeurs ont des chances de succès. Le dossier, à l’heure actuelle, ne me permet pas de différencier les profits des pertes en regard des différents types de visas en cause.

 

[33]           Quant aux autres motifs soulevés par la ministre, je tiendrai les propos suivants : comment est-il possible que trois juges de la Cour d’appel fédérale eussent suggéré la procédure que suivent les Hintons s’ils n’avaient pas une cause défendable?

 

[34]           Comme l’a statué la Cour suprême dans Bisallion c. Concordia University, 2006 CSC 19, [2006] 1 R.C.S. 666, le recours collectif a une dimension sociale. En outre, il a pour objectif de faciliter l’accès la justice pour les gens qui partagent des problèmes communs. La lacune dans la première demande des Hintons, laquelle a été comblée, était que leur demande d’autorisation faisait seulement référence à une disposition. La Cour d’appel a statué qu’il serait ultra petita d’élargir le groupe aux personnes touchées par les autres dispositions, quoique découlant de la même Loi.

 

[35]           Que les Hintons n’eussent pas été personnellement touchés par toutes les 40 dispositions réglementaires visées n’est visiblement pas en cause. En effet, la ministre reconnaît que l’avocat des Hintons n’aurait probablement aucune difficulté à rassembler un nombre suffisant de personnes nécessaires en regard de chaque disposition contestée. De plus, dans le dossier IMM-3195-08, les Hintons avaient déposé une demande d’autorisation en lien avec une autre disposition en vertu de laquelle ils avaient payé des frais, puis un autre visa a été contesté dans Potapova c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), IMM-3196-08. Quel serait l’objectif poursuivi d’avoir plus de 40 demandes, pour ensuite les rassembler?

 

[36]           Quant à la règle normale voulant qu’une seule décision puisse être soumise à un contrôle judiciaire à la fois; elle comporte une exception : le contrôle judiciaire d’un recours, ce qui désormais le cas de l’espèce. Au surplus, l’article 302 des Règles des Cours fédérales, lequel limite la demande à une seule ordonnance, mentionne également « sauf ordonnance contraire de la Cour ».

 

[37]           J’estime que l’alinéa 72(2)(c) de la LIPR et le paragraphe 18.1(2) de la Loi sur les Cours fédérales prévoient l’existence de « raisons spéciales » justifiant la prorogation des délais. Avant la décision de la Cour d’appel fédérale dans Grenier, précitée, on croyait largement qu’une action en dommages-intérêts en regard d’une décision d’une commission ou d’un tribunal fédéral ne devait pas être précédée d’une demande de contrôle judiciaire. Le délai de prescription prévu au paragraphe 39(2) de la Loi sur les Cours fédérales est de six ans. J’ai invoqué cette disposition pour restreindre le groupe dans le premier dossier Hinton.

 

[38]           La seule différence entre la présente demande et la première demande Hinton, dans laquelle j’ai accordé une prorogation, est que l’espèce fait référence à toutes les dispositions en cause, et non plus uniquement à celle en vertu de laquelle les Hintons ont dû s’acquitter de frais. Comme l’a dit le juge en chef Thurlow dans Grewal c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1985] 2 F.C. 263, [1985] A.C.F. No. 144, à la page 272 : « [i]I me semble toutefois qu’en étudiant une demande comme celle-ci, on doit tout d’abord se demander si, dans les circonstances mises en preuve, la prorogation du délai est nécessaire pour que justice soit faite entre les parties. » Justice doit être faite. Le délai est prorogé.

 

[39]           Pour tous ces motifs, la demande d’autorisation est accueillie. Aucuns dépens ne seront ordonnés.


ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE :

1.                  Le délai pour signifier et déposer une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire est prorogé.

2.                  La demande d’autorisation est accueillie.

3.                  Les procédures sont suspendues afin qu’une conférence de gestion de l’instance puisse être organisée afin de prévoir un échéancier conformément à l’intention déclarée des demandeurs de faire convertir la demande de contrôle judiciaire en action, afin qu’elle puisse être autorisée à titre de recours collectif, puis jointe au dossier Hinton, IMM-5015-06.

 

 

 

« Sean Harrington »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-3197-08

 

INTITULÉ :                                       ALAN HINTON ET IRINA HINTON v.

                                                            LA MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 26 août 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              JUGE HARRINGTON

 

DATE DU JUGEMENT :                 Le 9 septembre 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Lorne Waldman

 

POUR LES DEMANDEURS

Marie-Louise Wcislo

Lorne McCleneghan

 

POUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Lorne Waldman & Associates

Barristers & Solicitors

 

POUR LES DEMANDEURS

John H. Sims, Q.C.

Sous-procureur général du Canada

POUR LA DÉFENDERESSE

 

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