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Date : 20080912

Dossier : T-371-07

Référence : 2008 CF 1032

Ottawa (Ontario), le 12 septembre 2008

En présence de madame la juge Snider

 

ENTRE :

TERRY TREMAINE

demandeur

et

 

Richard Warman et la COMMISSION CANADIENNE

DES DROITS DE LA PERSONNE

défendeurs

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               M. Terry Tremaine, le demandeur, a utilisé un site Internet pour afficher des documents relatifs à divers groupes de personnes. Le 13 octobre 2004, M. Richard Warman, l’un des défendeurs a déposé une plainte à la Commission canadienne des droits de la personne (la Commission), dans laquelle il allègue ce qui suit :

[traduction]

Terry Tremaine s’est livré, contre des personnes, à de la discrimination fondée sur la race, la couleur, l’origine nationale ou ethnique et la religion en communiquant de façon répétée des messages, par l’intermédiaire d’un site Internet, qui étaient susceptibles d’exposer les Noirs, les Asiatiques, les Autochtones, les autres non‑Blancs et les Juifs à la haine ou au mépris, contrevenant ainsi au paragraphe 13(1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

 

[2]               La Commission a renvoyé la plainte au Tribunal canadien des droits de la personne (le Tribunal). Une audience s’est tenue devant un membre instructeur du Tribunal qui a rendu une décision le 2 février 2007. Dans sa décision, le Tribunal a conclu que les articles affichés sur le site Internet par M. Tremaine étaient constitutifs de l’acte discriminatoire prévu au paragraphe 13(1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. 1985, ch. H‑6 (la Loi), et le Tribunal a ainsi conclu que la plainte déposée contre M. Tremaine était fondée. Le Tribunal a ordonné que M. Tremaine cesse l’acte discriminatoire consistant à communiquer « des messages du genre de ceux qui ont ici été déclarés contraires au paragraphe 13(1), ou tout autre message présentant un contenu sensiblement analogue » (l’ordonnance de cesser et de s'abstenir) et quil paye une sanction pécuniaire de 4 000 $.

 

[3]               M. Tremaine demande le contrôle judiciaire de la décision du Tribunal. Subsidiairement, il demande que la Cour sursoie au présent contrôle judiciaire dans l’attente du prononcé de la décision dans l’affaire Richard Warman c. Marc Lemire, Dossier du Tribunal no T1073/5405 (Lemire), dans laquelle la constitutionnalité de l’article 13 de la Loi est contestée.

 

[4]               Lors de l’audition de la présente demande, j’ai entendu les observations orales de la Commission et de M. Tremaine. M Warman n’a pas comparu; il n’a pas non plus déposé d’observations écrites.

 

 

I.          Les questions en litige

 

[5]               Les questions en litige dans la présente demande sont les suivantes :

 

1.                  Le Tribunal a-t-il commis une erreur lorsqu’il a conclu que M. Tremaine a contrevenu à l’article 13 de la Loi?

 

2.                  Lorsqu’il a rendu l’ordonnance de cesser et de s’abstenir en application de l’alinéa 54(1)a) de la Loi, le Tribunal a‑t‑il commis une erreur en tenant compte de facteurs non pertinents dans l’affaire, notamment en se livrant à une « dénonciation publique » dans le but d’« instruire » les autres?

 

3.                  Lorsque le Tribunal a établi la sanction pécuniaire de 4 000 $ en application de l’alinéa 54(1)c) : a) a‑t‑il omis de prendre en compte la situation financière de M. Tremaine? b) a‑t‑il pris en compte un élément non pertinent, notamment le manque de regrets de M. Tremaine?

 

4.                  L’article 13 de la Loi est‑il incompatible avec les alinéas 2a) et 2b) de la Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.‑U.) (la Charte), d’une façon qui ne peut se justifier au regard de l’article premier de la Charte, de sorte qu’il est inopérant?

 

5.                  La Cour devrait‑elle accorder le sursis de l’instance dans l’attente du prononcé de la décision dans l’affaire Lemire?

 

 

II.        Le cadre légal

 

[6]               M. Tremaine a été déclaré coupable de violation du paragraphe 13(1) de la Loi. Ce paragraphe est rédigé comme suit :

13. (1) Constitue un acte discriminatoire le fait, pour une personne ou un groupe de personnes agissant d’un commun accord, d’utiliser ou de faire utiliser un téléphone de façon répétée en recourant ou en faisant recourir aux services d’une entreprise de télécommunication relevant de la compétence du Parlement pour aborder ou faire aborder des questions susceptibles d’exposer à la haine ou au mépris des personnes appartenant à un groupe identifiable sur la base des critères énoncés à l’article 3.

 

13. (1) It is a discriminatory practice for a person or a group of persons acting in concert to communicate telephonically or to cause to be so communicated, repeatedly, in whole or in part by means of the facilities of a telecommunication undertaking within the legislative authority of Parliament, any matter that is likely to expose a person or persons to hatred or contempt by reason of the fact that that person or those persons are identifiable on the basis of a prohibited ground of discrimination.

 

 

[7]               Le paragraphe 13(2) de la Loi est pertinent quant à la cause parce que la méthode de communication est Internet. Ce paragraphe a été ajouté à la Loi en 2001 (L.C. 2001, ch. 41, article 88); il est rédigé comme suit :

(2) Il demeure entendu que le paragraphe (1) s’applique à l’utilisation d’un ordinateur, d’un ensemble d’ordinateurs connectés ou reliés les uns aux autres, notamment d’Internet, ou de tout autre moyen de communication semblable mais qu’il ne s’applique pas dans les cas où les services d’une entreprise de radiodiffusion sont utilisés.

(2) For greater certainty, subsection (1) applies in respect of a matter that is communicated by means of a computer or a group of interconnected or related computers, including the Internet, or any similar means of communication, but does not apply in respect of a matter that is communicated in whole or in part by means of the facilities of a broadcasting undertaking.

 

 

[8]               Lorsque le Tribunal conclut qu’une plainte liée à un acte discriminatoire décrit à l’article 13 est fondée, le Tribunal peut délivrer une ordonnance de cesser et de s’abstenir comme le prévoit l’alinéa 53(2)a), qui est rédigé comme suit :

(2) À l’issue de l’instruction, le membre instructeur qui juge la plainte fondée, peut, sous réserve de l’article 54, ordonner, selon les circonstances, à la personne trouvée coupable d’un acte discriminatoire :

 

a) de mettre fin à l’acte et de prendre, en consultation avec la Commission relativement à leurs objectifs généraux, des mesures de redressement ou des mesures destinées à prévenir des actes semblables, notamment :

 

(i) d’adopter un programme, un plan ou un arrangement visés au paragraphe 16(1),

(ii) de présenter une demande d’approbation et de mettre en œuvre un programme prévus à l’article 17;

 

(2) If at the conclusion of the inquiry the member or panel finds that the complaint is substantiated, the member or panel may, subject to section 54, make an order against the person found to be engaging or to have engaged in the discriminatory practice and include in the order any of the following terms that the member or panel considers appropriate:

 

(a) that the person cease the discriminatory practice and take measures, in consultation with the Commission on the general purposes of the measures, to redress the practice or to prevent the same or a similar practice from occurring in future, including

 

(i) the adoption of a special program, plan or arrangement referred to in subsection 16(1), or

 

(ii) making an application for approval and implementing a plan under section 17;

 

[9]               De plus, le Tribunal peut rendre une ordonnance « imposant une sanction pécuniaire d’au plus 10 000 $ » (alinéa 54(1)c)) à la personne déclarée coupable d’un acte discriminatoire prévu à l’article 13. Lors de l’imposition d’une sanction pécuniaire à une personne, le Tribunal doit appliquer le paragraphe 54(1.1), qui énumère la liste des facteurs qui doivent être pris en compte :

(1.1) Il tient compte, avant d’imposer la sanction pécuniaire visée à l’alinéa (1)c) :

a) de la nature et de la gravité de l’acte discriminatoire ainsi que des circonstances l’entourant;

 

b) de la nature délibérée de l’acte, des antécédents discriminatoires de son auteur et de sa capacité de payer.

 

(1.1) In deciding whether to order the person to pay the penalty, the member or panel shall take into account the following factors:

(a) the nature, circumstances, extent and gravity of the discriminatory practice; and

(b) the wilfulness or intent of the person who engaged in the discriminatory practice, any prior discriminatory practices that the person has engaged in and the person’s ability to pay the penalty.

 

III.       Analyse

 

A.        La norme de contrôle

 

[10]           Je commence par l’examen de la norme de contrôle applicable à la décision du Tribunal. La conclusion sur le fait de savoir si les documents affichés sur Internet par M. Tremaine tombent dans le champ d’application de l’article 13 de la Loi est une question mixte de droit et de fait. Les décisions suivantes du Tribunal : rendre une ordonnance de cesser et de s’abstenir, imposer à M. Tremaine une sanction pécuniaire de 4 000 $, sont l’expression de l’exercice du pouvoir discrétionnaire du Tribunal; ces décisions sont principalement tributaires des faits et elles sont discrétionnaires.

 

[11]           La Cour suprême du Canada a statué dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 57, que les cours peuvent se fier à jurisprudence existante pour décider de la bonne norme de contrôle.

 

[12]           La jurisprudence existante indique que la norme de contrôle appropriée pour les décisions du Tribunal relatives aux questions mixtes de droit et de fait est la raisonnabilité. Voir Chopra c. Canada (Procureur général), 2006 CF 9, 285 F.T.R. 113, au paragraphe 40, confirmée par 2007 CAF 268, [2008] 2 R.C.F. 393, International Longshore & Warehouse Union (Section maritime), section locale 400 c. Oster (1re inst.), 2001 CFPI 1115, [2002] 2 C.F. 430, au paragraphe 22, Goodwin c. Birkett, 2007 CF 428, 312 F.T.R. 71, au paragraphe 15.

 

[13]           La norme de raisonnabilité devrait donc être appliquée aux trois premières questions. Selon cette norme de contrôle, la décision, l’ordonnance de cesser et de s’abstenir et la sanction pécuniaire doivent appartenir « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ». Dunsmuir, précité, au paragraphe 47. La quatrième question, soit celle fondée sur la Charte est nouvelle : elle est soulevée par M. Tremaine pour la première fois dans le présent contrôle judiciaire; il n’y a pas de décision du Tribunal et donc pas de norme de contrôle à appliquer. Enfin, la question de savoir si un sursis est approprié (cinquième question) n’est pas liée à la décision du Tribunal; encore une fois, aucune norme de contrôle n’est applicable.

 

B.         Première question : raisonnabilité de la conclusion sur l’article 13

 

[14]           Comme je l’ai noté, le Tribunal a conclu que la plainte portant sur l’article 13 était fondée. M. Tremaine allègue essentiellement que la décision n’était pas raisonnable.

 

[15]           J’ai lu la décision et les documents dont le Tribunal disposait et j’ai examiné les observations écrites et orales de M. Tremaine. À mon avis, la décision du Tribunal était raisonnable et bien fondée.

 

[16]           Le Tribunal a examiné chaque élément constitutif d’un acte discriminatoire interdit, selon l’article 13 de la Loi, et il a appliqué avec attention le droit aux faits. Comme cela ressort du dossier, il est clair que M. Tremaine communiquait les messages interdits, de façon répétée, par le moyen de télécommunication qu’est Internet. M. Tremaine ne conteste pas que les messages ont été affichés par lui. Le Tribunal a mené une analyse détaillée des sens des termes « haine » et « mépris » et il a examiné avec attention la preuve des nombreux messages affichés par M. Tremaine. Le Tribunal a noté que les messages affichés avaient un caractère extrémiste et violent et il a conclu que ces messages pourraient offrir aux lecteurs des raisons d’être suspicieux envers les minorités et de les haïr. Il faut aussi noter que lorsqu’il a rendu sa décision, le Tribunal a fait attention d’établir un équilibre entre la liberté d’expression de M. Tremaine et le droit à l’égalité de toutes les personnes. Ultimement, le Tribunal a correctement appliqué les facteurs pertinents à la preuve en l’espèce, lorsqu’il a tiré sa conclusion sur la violation de l’article 13. La décision n’était pas déraisonnable.

 

C.        Deuxième question : l’ordonnance de cesser et de s’abstenir

 

[17]           M. Tremaine soutient que le Tribunal a commis une erreur lorsqu’il a rendu une ordonnance de cesser et de s’abstenir dans le but de le dénoncer publiquement. Il affirme que la Loi est réputée apporter une solution de droit et n’accorder aucune approbation morale à une plainte relative aux droits de la personne. M. Tremaine affirme que le Tribunal a commis une erreur lorsqu’il a rendu l’ordonnance de cesser et de s’abstenir dans le but de le dénoncer publiquement et d’instruire les autres Canadiens sur le fait que les messages haineux ne seraient pas tolérés. Je ne partage pas cet avis.

 

[18]           Une fois que le Tribunal a établi que les messages affichés sur Internet par M. Tremaine constituaient un acte discriminatoire prévu à l’article 13 de la Loi, l’alinéa 53(2)a) donnait au Tribunal le pouvoir, à sa discrétion, de rendre une ordonnance de cesser et de s’abstenir. Dans sa décision, le Tribunal a noté qu’une ordonnance de cesser et de s’abstenir peut avoir différents buts, tels que celui d’attirer l’attention de l’accusé sur les effets préjudiciables de ses messages, mais aussi de prévenir et d’éliminer les pratiques discriminatoires. Puisque la communication continue des messages de M. Tremaine pourrait entraîner la haine ou le mépris envers certains groupes, le Tribunal a raisonnablement exercé le pouvoir discrétionnaire dont il dispose en vertu de la Loi. Selon la norme de raisonnabilité, le Tribunal n’a pas commis d’erreur.

 

D.        Troisième question : la sanction pécuniaire de 4 000 $

 

[19]           M. Tremaine soutient que le Tribunal n’a pas pris en compte le fait qu’il n’était pas en mesure de payer la sanction pécuniaire de 4 000 $ et il soutient aussi que le Tribunal a commis une erreur lorsqu’il a fait mention de son manque de remords comme motif pour imposer la sanction pécuniaire. Je ne partage pas cet avis.

 

[20]           Lorsqu’il a fixé le montant de la sanction pécuniaire à 4 000 $, le Tribunal devait examiner tous les facteurs énumérés au paragraphe 54(1.1), y compris la situation financière de M. Tremaine. Aucun des facteurs du paragraphe 54(1.1) n’est décisif. Lorsqu’il décide de la sanction pécuniaire appropriée, le Tribunal doit évaluer tous les éléments de preuve dont il dispose. Dans la présente affaire, le Tribunal a fait exactement ce qu’il devait faire. Aucun élément de preuve n’a été négligé. Le Tribunal a tenu compte du fait que M. Tremaine avait perdu son emploi, qu’il ne possédait ni voiture ni maison, qu’il travaillait à temps partiel et était rémunéré au salaire minimum. Bien que la capacité de payer de M. Tremaine ait clairement été limitée en raison de son salaire mensuel, le Tribunal a correctement évalué ce facteur par rapport au caractère extrêmement malveillant des actes discriminatoires.

 

[21]           Je ne suis pas d’accord avec l’allégation de M. Tremaine selon laquelle le Tribunal a commis une erreur lorsqu’il a pris en compte son manque de remords dans le prononcé de l’ordonnance. Le manque de remords fait clairement partie de l’évaluation de la volonté délibérée du demandeur, un facteur énuméré à l’alinéa 54(1.1)b). Il faut aussi noter que le Tribunal a porté au crédit de M. Tremaine que ce dernier ne s’était pas livré auparavant à des actes discriminatoires.

 

[22]           Après avoir tenu compte de tous les facteurs pertinents quant à l’affaire, le Tribunal a prononcé une sanction pécuniaire de 4 000 $, une somme qui est moins élevée que la moitié de 10 000 $, somme maximale prévue à l’alinéa 54(1)c). En bref, le Tribunal est parvenu à une décision raisonnable relativement à la sanction pécuniaire.

 

E.         Quatrième question : la constitutionnalité du paragraphe 13(1) de la Loi.

 

[23]           Bien que M. Tremaine n’ait pas contesté pas la constitutionnalité du paragraphe 13(1) devant le Tribunal, il a présenté une contestation fondée sur la Charte dans le présent contrôle judiciaire. Plus précisément, M. Tremaine soutient que l’article 13 de la Loi contrevient aux alinéas 2a) et 2b) de la Charte d’une façon qui ne peut se justifier au regard de l’article premier de la Charte, de sorte qu’il est inopérant.

 

[24]           Comme le reconnaît M. Tremaine, la Cour suprême du Canada a examiné la constitutionnalité de cette disposition dans l’arrêt Canada (Commission des droits de la personne) c. Taylor, [1990] 3 R.C.S. 892. À la majorité, les juges y ont conclu à la constitutionnalité du paragraphe 13(1), et que, bien que la disposition contredise l’article 2 de la Charte, elle le fait d’une manière qui se justifie selon l’article premier. L’essentiel de l’argumentation de M. Tremaine semble être que l’arrêt Taylor a été rendu relativement à des communications téléphoniques et avant que la Loi soit modifiée et rende explicite la référence faite à Internet. Par conséquent, le demandeur soutient que la Cour suprême n’a pas jugé de la constitutionnalité des paragraphes 13(1) et 13(2) de la Loi relativement à Internet.

 

[25]           M. Tremaine a raison de dire que la Cour suprême a rendu son arrêt dans l’affaire Taylor avant l’ajout du paragraphe 13(2) dans sa version actuelle. Il pourrait y avoir une question à trancher; je ne me prononce aucunement. Toutefois, l’affirmation selon laquelle le paragraphe 13(1) ne peut pas s’appliquer constitutionnellement aux messages affichés sur Internet n’a pas été avancée devant le Tribunal et, au‑delà d’une simple affirmation, n’a pas été élaborée dans le contexte de la présente demande de contrôle judiciaire. De plus, M. Tremaine n’a pas signifié l’avis de question constitutionnelle comme l’y oblige l’article 57 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F‑7.

 

[26]           En bref, M. Tremaine n’a pas présenté de base sur laquelle la contestation fondée sur la Charte peut être entendue et tranchée par la Cour. Sa demande selon laquelle je devrais déclarer le paragraphe 13(1) inopérant sera rejetée.

 

F.         Cinquième question : le caractère approprié du sursis

 

[27]           Subsidiairement, M. Tremaine demande le sursis du présent contrôle judiciaire jusqu’à ce que la contestation constitutionnelle de l’article 13 de la Loi soit définitivement tranchée dans l’affaire connexe Lemire. Il soutient qu’il n’a pas les moyens de convoquer en justice les témoins et les experts qui ont déjà été convoqués dans l’affaire Lemire. En outre, il avance qu’un sursis fut accordé dans l’affaire Kulbashian c. Canada (Commission des droits de la personne), 2007 CF 354, une autre affaire dans laquelle la constitutionnalité de larticle 13 était contestée.

 

[28]           Je commence par l’allégation de M. Tremaine selon laquelle un sursis devrait être accordé au motif qu’une autre instance est en cours devant le Tribunal relativement à la constitutionnalité de l’article 13. Pour l’essentiel, c’était la raison pour laquelle la juge Heneghan avait accordé l’ordonnance de sursis dans l’affaire Kulbashian, précitée. Dans cette affaire, la juge Heneghan avait examiné les facteurs énoncés dans la décision Wic Premium Television Ltd. c. General Instrument Corp., [1999] A.C.F. no 862 (C.F. 1re inst.) (QL), y compris le risque de conclusions contradictoires, les coûts excessifs et la capacité de la Cour d’accorder une réparation complète. Puisque la constitutionnalité de l’article 13 avait été contestée par le demandeur, la juge Heneghan avait jugé bon de suspendre l’instance dans l’attente de l’issue de l’affaire Lemire.

 

[29]           La présente affaire se distingue de l’affaire Kulbashian en ce sens que la Cour n’est pas régulièrement saisie de la question de la constitutionnalité de l’article 13. Dans la section précédente, j’ai rejeté la contestation du demandeur fondée sur la Charte.

 

[30]           Quoi qu’il en soit, il est de jurisprudence constante qu’une partie qui demande un sursis doit convaincre la Cour de l’existence de trois facteurs (voir par exemple Manitoba (P.G.) c. Metropolitan Stores Ltd., [1987] 1 R.C.S. 110; RJR Macdonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 R.C.S. 311). M. Tremaine doit démontrer qu’il existe : (i) une question sérieuse à trancher dans la demande sous‑jacente de contrôle judiciaire, (ii) un préjudice irréparable auquel il serait soumis si la demande était rejetée, (iii) une prépondérance des inconvénients qui favorise l’octroi du sursis. Tous les trois éléments doivent être réunis avant qu’un sursis soit accordé.

 

[31]           Dans la présente affaire, M. Tremaine échoue sur chacun des trois éléments. Premièrement, même si je suppose que la constitutionnalité de l’article 13 est une question sérieuse, j’ai déjà décidé que ce n’est pas une question qui m’a été régulièrement présentée dans la présente affaire. De plus, M. Tremaine ne m’a pas persuadé qu’il subirait un préjudice irréparable ou que la prépondérance des inconvénients était en sa faveur pour qu’il se voie accorder un sursis. Par conséquent, je rejetterai la demande de sursis du présent contrôle judiciaire.

 

 

IV.       Conclusion

 

[32]           Pour conclure, M. Tremaine ne m’a pas convaincue que la décision du Tribunal devrait être infirmée. De plus, il ne m’a pas convaincue qu’un sursis serait approprié. La demande de contrôle judiciaire sera rejetée; les dépens seront accordés à la Commission.

 

 


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que :

 

1.                  la demande de contrôle judiciaire est rejetée;

 

2.                  les dépens sont adjugés à la défenderesse, la Commission canadienne des droits de la personne.

 

 

« Judith A. Snider »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Laurence Endale, LL.M., M.A.Trad.jur.

 

 

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

avocats inscrits au dossier

 

 

 

DOSSIER :                                               T-371-07

 

INTITULÉ :                                              TERRY TREMAINE c. RICHARD WARMAN et

                                                                   LA COMMISSION CANADIENNE DES DROITS

                                                                   DE LA PERSONNE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                       Regina (Saskatchewan)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                     Le 3 septembre 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                     La juge Snider

 

DATE DES MOTIFS :                             Le 12 septembre 2008

 

COMPARUTIONS :

 

Terry Tremaine

 

POUR LE DEMANDEUR

 (pour son propre compte)

 

Daniel Poulin

 

POUR LA DÉFENDERESSE (LA COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE)

 

Aucune comparution

POUR LE DÉFENDEUR (RICHARD WARMAN)

 

avocats inscrits au dossier :

 

S/O

 

POUR LE DEMANDEUR

Commission canadienne des droits de la personne

Division des services du contentieux

Ottawa (Ontario)

POUR LA DÉFENDERESSE (LA COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE)

 

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