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Date: 20080905

Dossier: T-270-08

Référence: 2008 CF 992

Ottawa (Ontario), le 5 septembre 2008

En présence de Monsieur le juge Simon Noël 

 

ENTRE :

PIERRE-PAUL POULIN

Demandeur

et

 

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

Défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le demandeur, (M. Poulin), se représentant lui-même, demande le contrôle judiciaire d’une décision au troisième palier de la procédure de grief du Commissaire adjoint du Service correctionnel du Canada (le « SCC »).  Dans cette décision, en date du 21 janvier 2008, ledit grief est maintenu en partie de la façon suivante :

 

-                     le personnel de l’Établissement  Mission  (« l’Établissement »), endroit où est incarcéré le demandeur pour une peine d’emprisonnement à vie pour quatre chefs de meurtre au premier degré, n’aurait pas dû retenir l’ordinateur du détenu avant de l’avoir enregistré sur le relevé des effets personnels du détenu;

 

-                     la demande d’octroyer une garantie additionnelle et de payer une dépréciation pour la période pendant laquelle l’ordinateur fut retenue est refusée mais la valeur de l’ordinateur demeurera celle du coût d’acquisition sur le relevé des effets personnels du détenu selon la politique du SCC;

-                     la demande de rembourser les mensualités de l’acquisition de l’ordinateur pendant la période de retenue de l’ordinateur est refusée;

-                     de plus, le SCC ne paiera pas pour installer sur l’ordinateur du détenu le Intel Duo 2 Extreme X6800 et la carte vidéo;

 

[2]               Contrairement à la politique du SCC qui ne permet pas l’utilisation des ordinateurs par les détenus, exceptionnellement le SCC a permis l’utilisation d’un ordinateur par le demandeur étant donné sa déficience visuelle, en autant que celui-ci rencontre les normes de sécurité de l’établissement.  La permission fut accordée avant que le demandeur l’achète.

 

[3]               Le présent dossier soulève en grande partie que des questions de faits, et remet en question la discrétion exercée par le Commissaire adjoint du SCC lors de sa prise de décision le 21 janvier 2008.  Dans une telle situation, la norme de contrôle est celle de la raisonnabilité (voir Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick 2008 CSC 9, aux paragraphes 51 et 53).

 

 

 

 

 

[4]               En plus, le demandeur soulève aussi un manque à une obligation d’équité procédurale.  Selon sa version des faits, le directeur de l’établissement est en conflit d’intérêt car, en s’impliquant au premier palier dans la procédure de grief, il se prononce sur les circonstances de sa propre décision: soit celle de retenir l’ordinateur lors de la livraison à l’établissement.  Il ajoute qu’il aurait dû avoir une audition dans le cadre de l’étude du grief.  Sur le premier point, le dossier révèle que le directeur de l’établissement n’a pas été impliqué lors de la prise de décision de retenir l’ordinateur suite à sa livraison.  Quant au deuxième point, le droit à une audition n’est pas une exigence pour les fins de la procédure de grief et de la prise de décision du 21 janvier 2008, car les faits du dossier ne justifient pas une telle obligation.  Il ne s’agit pas d’une question de crédibilité nécessitant un témoignage, mais plutôt de l’application d’une directive du SCC et de l’exercice du pouvoir discrétionnaire du Commissaire adjoint (voir Canada (Procureur général) c. Flynn, 2007 CAF 356,  au paragraphe 15).

 

[5]               Lors de ses représentations, le demandeur informa la Cour qu’il retirait son argument de Charte sur la base de l’article 15.

 

[6]               La seule question en litige pour les fins de solutionner le présent litige est: « la décision du Commissaire adjoint en date du 21 janvier 2008 est-elle raisonnable tenant compte des faits du présent dossier » ?

 

 

[7]               Le SCC a retenu l’ordinateur lors de sa livraison malgré le fait que certains officiers du SCC avaient autorisé son acquisition.  Le demandeur déposa un premier grief et il eut gain de cause dans une décision au troisième palier en date du 27 juillet 2007.  En conséquence, le SCC reconnut que l’ordinateur n’aurait pas dû être retenu, mais que des adaptations devraient être faites à l’ordinateur de façon à le rendre sécuritaire pour les fins de l’établissement.  Le SCC assumerait les coûts de ces adaptations.  Cette décision ne fût pas soumise à une demande de contrôle judiciaire.

 

[8]               La période de retenue de l’ordinateur fut de 9 mois.  En conséquence, le demandeur déposa un deuxième grief dans lequel il demanda à être dédommagé pour la période de retenue de l’ordinateur (remboursement de la dépréciation, prolongation de la garantie, remboursement des mensualités d’acquisition de l’ordinateur, etc…).  Dans la décision du Commissaire adjoint au troisième palier en date du 21 janvier 2008, les demandes furent refusées en très grande partie (voir paragraphe 1 de la présente décision).

 

[9]               Dans cette décision, le Commissaire adjoint, de façon plus que succincte, refuse la demande de prolongation de garantie sur la base qu’une telle demande ne fait pas partie de la procédure de grief.  Aucune explication à ce sujet n’est donnée.  Le dossier de la cour démontre bien que le demandeur demandait simplement que le SCC assume les réparations pour une période de garantie additionnelle débutant lors de la prise de possession (voir le formulaire de présentation de grief au troisième palier dans le dossier du demandeur, onglet N page 246, ainsi que l’addendum a ce même grief à onglet O, page 255).  Il demeurait 3 mois à la garantie du manufacturier.

[10]           Le SCC a reconnu avoir retenu par erreur l’ordinateur du demandeur (CSC mistakenly withheld your computer from you and has acknowledged its mistake … voir décision du 21 janvier 2008, page 1 au 3ième paragraphe).  L’avocate du défendeur plaide que le demandeur n’a pas démontré de préjudice.  Toutefois, la Cour note que le demandeur n’a pas utilisé l’ordinateur pendant 9 mois de la période de garantie, et n’a pas pu jouir de son utilisation pendant cette période, ni des bénéfices de la garantie du manufacturier si besoin il y avait.

 

[11]           À ce sujet, la Cour ne peut pas lire dans la décision l’explication du refus d’une telle demande étant donné les motifs succincts.  Ceci n’est pas raisonnable en tenant compte des faits et des admissions à la base du présent dossier.  La Cour suprême du Canada dans l’affaire Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick note au paragraphe 47 : «[l]a cour de révision se demande dès lors si la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité.  Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel ».

 

[12]           Il y a peut être une justification valable pour ce refus, mais la Cour ne peut pas l’apprécier sans prendre connaissance des motifs du SCC.  Selon la Cour d’appel fédérale dans la cause VIA Rail Canada Inc. c. Office national des transports et Jean Lemonde, [2001] 2 C.F. 25 aux paragraphes 17-19 :

L'obligation de produire des motifs est salutaire. Les motifs visent plusieurs fins utiles, dont celle de concentrer l'attention du décideur sur les facteurs et les éléments de preuve pertinents…

Les motifs garantissent aussi aux parties que leurs observations ont été prises en considération.

De plus, les motifs permettent aux parties de faire valoir tout droit d'appel ou de contrôle judiciaire à leur disposition. Ils servent de point de départ à une évaluation des moyens d'appel ou de contrôle possibles. Ils permettent à l'organisme d'appel ou de révision d'établir si le décideur a commis une erreur et si cette erreur le rend justiciable devant cet organisme […] 

 

[13]           Quant aux refus des autres demandes (demande de dépréciation, remboursement des paiements d’acquisition de l’ordinateur etc …), ils sont motivés, et le Commissaire a utilisé sa discrétion.  Bien que la Cour puisse avoir une différente opinion, elle ne doit pas intervenir sur cette simple base.  Il faut que la détermination ne soit pas raisonnable pour justifier une telle intervention.

 

[14]           Le dossier sera donc retourné au Commissaire adjoint afin qu’il réévalue sa décision de rejeter la demande de prolongation de la garantie, tout en tenant compte de la procédure de grief, de l’admission que l’ordinateur n’aurait pas dû être retenu, et que le demandeur n’a pas utilisé l’ordinateur pendant 9 mois de la période garantie d’un an du manufacturier.

 

[15]           Le demandeur, se représentant lui-même, se verra octroyer les dépens limités à un montant de $300.00 couvrant ainsi les coûts de papeterie et d’administration du dossier.

 

 

 

 

 

 

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE CE QUI SUIT :

 

-                     La demande de contrôle judiciaire est accordée en partie.

-                     La décision du Commissaire adjoint est annulée seulement pour la partie traitant de la demande de prolongation de garantie.

-                     Le dossier est retourné au Commissaire adjoint afin qu’il analyse à nouveau la demande de prolongation de garantie selon les commentaires de la présente décision.

-                     Les dépens au montant de $300.00 sont accordés au demandeur.

 

« Simon Noël »

Juge

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER:                 T-270-08

 

INTITULÉ:    PIERRE-PAUL POULIN c.  PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE:                  Vancouver

 

DATE DE L’AUDIENCE:                Le 26 août 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT:                               LE JUGE SIMON NOËL

 

DATE DES MOTIFS:                       Le 5 septembre 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

M. Pierre-Paul Poulin

 

POUR LE DEMANDEUR

Me Lilianne Bantourakis

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

M. Pierre-Paul Poulin

 

POUR LE DEMANDEUR

Me Lilianne Bantourakis

Ministère de la Justice

(604) 666-9152

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

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