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Date : 20080904

Dossier : T-1251-07

Référence : 2008 CF 990

Ottawa (Ontario), le 4 septembre 2008

En présence de monsieur le juge O'Keefe

 

 

ENTRE :

DAVID DUTIAUME

demandeur

 

et

 

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

LE JUGE O’KEEFE

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée par David Dutiaume (le demandeur) en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7, à l’égard d’une décision rendue le 6 juin 2007 par un président indépendant (le président) par laquelle celui‑ci a déclaré le demandeur coupable de l’infraction de s’être livré, d’avoir menacé de se livrer à des voies de fait ou d’avoir pris part à un combat, et ce, en contravention de l’alinéa 40h) de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.C. 1992, ch. 20 (la Loi).

 

[2]               Le demandeur a demandé les redressements suivants à la Cour :

            1.         Une ordonnance de certiorari annulant la décision rendue par le président indépendant;

            2.         Une ordonnance de mandamus obligeant le Service correctionnel du Canada (le Service) à supprimer tous les renseignements concernant les allégations, les accusations et les déclarations de culpabilité connexes qui figurent dans les dossiers établis au nom du demandeur détenus par le Service et par tout autre organisme qui a pu recevoir ces renseignements du Service, notamment la Commission nationale des libérations conditionnelles;

            3.         À titre subsidiaire, une ordonnance de mandamus enjoignant au président indépendant de renvoyer l’affaire à l’établissement afin de déterminer le résultat de la tentative de règlement informel;

            4.         Les dépens de la présente demande.

 

L’historique

 

[3]               Le demandeur est détenu à l’établissement Kent, un établissement à sécurité maximale. Le 8 février 2007, le demandeur était détenu au Centre de traitement régional (région du Pacifique). Alors qu’ils se trouvaient dans la cour, le demandeur et un autre détenu ont été vus, par un agent de surveillance en poste (l’agent Jensen), en train de se conduire de façon agressive envers un troisième détenu (la présumée victime). L’agent Jensen, grâce à un moniteur vidéo, a été témoin de l’incident qui s’est produit dans la cour et il a pu l’enregistrer. L’agent Jensen n’a appelé personne à l’aide parce que l’incident n’a pas dégénéré et qu’il estimait qu’on pourrait s’en occuper plus tard.

 

[4]               À la suite de cet incident, un Rapport de l’infraction d’un détenu et avis de l’accusation (le rapport) a été rédigé. Le rapport mentionnait ce qui suit : [traduction] « Le détenu Dutiaume s’est comporté de manière provocante et agressive envers le détenu Buschkewitz (FPS 817920B) ».

 

[5]               Le 6 mars 2007, le demandeur a été accusé, en vertu de l’alinéa 40h) de la Loi, de s’être livré, d’avoir menacé de se livrer à des voies de fait ou d’avoir pris part à un combat. Une audience disciplinaire a été tenue devant le président le 14 mars, le 2 mai, le 23 mai et le 30 mai 2007. Le demandeur a affirmé dans son témoignage à l’audience disciplinaire qu’une employée du Service, l’agente Campbell, s’est présentée à sa cellule plusieurs heures après l’incident afin d’obtenir sa version des incidents. Il semble y avoir incertitude quant à savoir si l’employée du Service en question était vraiment l’agente Campbell, et, à ce titre, je désignerai la personne par le nom de « CX2 ». Après la visite, le demandeur a été astreint à son unité. La preuve produite à l’audience comprenait le rapport qui mentionnait qu’il y avait eu tentative de règlement informel, mais aucun rapport ni aucun document décrivant la tentative de règlement informel comme telle ou son résultat ne fut présenté à l’audience. L’enregistrement de l’incident sur bande‑vidéo a également été soumis au président. Le demandeur et l’agente Jensen ont témoigné à l’audience.

 

[6]               Dans une décision datée du 6 juin 2007, le président a déclaré le demandeur coupable de l’infraction prévue à l’alinéa 40h) de la Loi.

La décision du président

 

[7]               Le président a d’abord examiné la question des retards dans l’audience et, bien qu’il n’aime pas qu’il y ait eu des retards, il a conclu que ceux‑ci  résultaient autant des demandes faites par le demandeur ou par son avocat que de quoi que ce soit d’autre. À ce titre, le président a rejeté la notion de retard indu.

 

[8]               Le président a ensuite examiné l’argument du demandeur selon lequel le rapport de l’agente Campbell devrait être rejeté car il comprenait des déclarations de « double ouï‑dire » et tous les noms qui y figurent, sauf le sien, ont été noircis. Le président a souscris à l’opinion du demandeur et a rejeté le rapport parce que les renseignements qui y figuraient n’étaient pas assez complets en raison du noircissement des noms.

 

[9]               Le président a rejeté la preuve soumise par le demandeur et son avocat concernant la santé mentale de la présumée victime en déclarant qu’il ne s’agissait que d’une opinion et qu’aucun élément de preuve de fond n’avait été fourni.

 

[10]           Le président s’est ensuite penché sur la question du règlement informel soulevée par le demandeur. Le président a souligné que le rapport mentionnait qu’il y avait eu tentative de règlement informel, mais il a également souligné que, durant son témoignage, l’agent Jensen a été incapable de se souvenir des détails, à l’exception du fait que le demandeur avait eu l’occasion de parler de l’incident à CX2. En outre, le demandeur a souligné qu’aucun rapport concernant la discussion qui avait eu lieu entre lui et CX2 ne figurait au dossier. Le président a cité la Directive du commissaire no 580 (la DC 580) qui porte sur le règlement informel et a souligné que l’alinéa 11b) de cette directive autorise la consignation des tentatives de règlement informel dans le rapport d’observation ou dans le registre des interventions. Le président a conclu que cette preuve [traduction] « est quelque chose que l’établissement devrait produire dans les cas où le formulaire du Rapport de l’infraction d’un détenu et avis de l’accusation mentionne qu’il y a eu tentative de règlement informel ». Le président a conclu qu’il était raisonnable que le demandeur demande ces documents car il s’agit d’une exigence prévue à la DC 580.

 

[11]           Le président a examiné la question de la gravité de l’incident et a conclu que les actions de l’agent Jensen étaient conformes au principe sous‑jacent de la Loi selon lequel on doit recourir à la force le moins souvent possible. Le président a déclaré ce qui suit : [traduction] « Après avoir moi‑même examiné l’enregistrement sur bande‑vidéo, j’aurais estimé que l’intervention par l’utilisation de la force était inopportune ».

 

[12]           Le président a tenu compte du fait que le demandeur et la présumée victime sont restés dans la même unité pendant environ cinq jours après l’incident. Le président a conclu qu’une période d’évaluation comme celle en l’espèce était tout à fait conforme à la procédure régulière utilisée au Centre psychiatrique régional.

 

[13]           En ce qui concerne l’enregistrement de l’incident sur bande‑vidéo, le président a fait les observations suivantes :

  • Le demandeur et un deuxième détenu ont clairement pénétré à plusieurs reprises dans l’espace personnel de la présumée victime;
  • Le demandeur place ses mains sur la présumée victime à plusieurs reprises et ces gestes ne sont pas appréciés par la présumée victime;
  • Les manœuvres du deuxième détenu donnent à penser que celui‑ci appuyait les gestes du demandeur;
  • Le demandeur frappe doucement dans l’estomac de la présumée victime et adopte une position de combat à au moins deux reprises;
  • Le demandeur serre les points et, avec ceux‑ci, frappe lentement la présumée victime sous le menton;
  • La présumée victime est en train de fumer lorsque le demandeur et le deuxième détenu entrent dans la cour et, après un premier contact, le demandeur place un filtre de cigarette dans l’une des narines de la présumée victime et celle‑ci retire le filtre immédiatement;
  • La présumée victime tente de quitter la cour mais le demandeur et le deuxième détenu l’en empêchent;
  • Le demandeur et le deuxième détenu sourient à un certain nombre de reprises pendant la durée de l’enregistrement sur bande‑vidéo, mais la présumée victime, elle, ne sourit jamais et ne semble pas s’amuser.

 

[14]           Le président a souligné que le demandeur a affirmé que la présumée victime lui avait demandé une cigarette lorsqu’ils sont entrés dans la cour. Le président a déclaré que cela n’avait aucun sens parce que la présumée victime était en train de fumer lorsque le demandeur et le deuxième détenu sont entrés dans la cour. Le président a également souligné le témoignage du demandeur selon lequel la présumée victime était un ami et qu’ils ne faisaient que s’adonner à de la « chamaillerie ».

 

[15]           Le président a fait part des conclusions suivantes à la fin de sa décision :

  • La preuve soumise par l’agent Jensen, à savoir son témoignage de vive voix et l’enregistrement sur bande‑vidéo, étaient très crédibles;
  • Le témoignage du demandeur manquait de crédibilité car sa version de l’incident n’était manifestement pas étayée par l’enregistrement sur bande‑vidéo et ses gestes étaient incontestablement agressifs et ils étaient ceux d’un voyou;
  • Il aurait été raisonnable que l’avocat du demandeur demande qu’on lui remette le dossier écrit de la tentative de règlement informel, mais le tribunal n’exige pas que chacune des tentatives de règlement informel soit évaluée et que l’on se prononce sur son acceptabilité;
  • L’établissement a évalué, dans la mesure exigée, l’opportunité d’une tentative de règlement informel.

 

[16]           Compte tenu de l’analyse et des conclusions qui précèdent, le président a déclaré le demandeur coupable de l’infraction prévue à l’alinéa 40h) de la Loi.

 

Les questions en litige

 

[17]           Le demandeur a demandé que l’on analyse les questions suivantes :

            1.         Quelle norme de contrôle faut‑il appliquer en l’espèce aux décisions du président indépendant?

            2.         Le président indépendant a‑t‑il commis une erreur en concluant que l’établissement avait évalué l’opportunité d’une tentative de règlement informel dans la mesure exigée par l’article 41 de la Loi?

            3.         Le président indépendant a‑t‑il commis une erreur en ne tenant pas dûment compte de la défense fondée sur le consentement ou sur la croyance sincère mais erronée au consentement et en déclarant à tort le demandeur coupable de s’être livré à des voies de fait au sens de l’alinéa 40h) de la Loi?

 

[18]           Je reformulerais les questions en litige comme suit :

            1.         Quelle est la norme de contrôle applicable?

            2.         Le président a‑t‑il omis de tenir compte de son obligation de s’assurer que l’établissement a évalué l’opportunité d’une tentative de règlement informel?

            3.         Si ce n’est pas le cas, le président a‑t‑il commis une erreur en concluant que l’établissement a évalué l’opportunité d’une tentative de règlement informel dans la mesure exigée par l’article 41 de la Loi?

            4.         Le président a‑t‑il commis une erreur en concluant que le demandeur n’était pas crédible?

            5.         Le président a‑t‑il commis une erreur en concluant que la présumée victime n’acceptait pas les gestes posés par le demandeur envers elle?

 

Les observations écrites du demandeur

 

[19]           Le demandeur a affirmé que la norme de contrôle applicable aux questions de droit, y compris les questions d’équité procédurale, est la norme de la décision correcte, que la norme applicable aux questions mixtes de fait et de droit est la norme de la décision raisonnable et que la norme applicable aux questions purement factuelles est la norme de la décision manifestement déraisonnable (Sweet c. Canada (Procureur général), [2005] A.C.F. no 216). Il a prétendu que le défaut du président de renvoyer l’affaire à l’établissement afin que celui‑ci donne des précisions quant au règlement informel est un manquement à l’équité procédurale susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte. À titre subsidiaire, la conclusion du président selon laquelle la tentative de règlement informel figurant au dossier était suffisante est une erreur de droit susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte. Le défaut du président de ne pas dûment tenir compte de la défense fondée sur le consentement ou sur la croyance sincère mais erronée au consentement est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable. En outre, les conclusions de fait tirées par le président sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision manifestement déraisonnable.

 

[20]           Le demandeur a souligné que l’article 41 de la Loi prévoit que l’établissement doit d’abord évalué l’opportunité d’une tentative de règlement informel avant qu’une accusation ne soit portée. En outre, la DC 580 souligne l’importance du règlement informel. C’est au Service, par le biais de l’établissement en question, qu’il incombe de tenter d’en arriver à un règlement informel et les détenus, quant à eux, jouissent du droit de demander un règlement informel (Laplante c. Canada (Procureur général), [2003] 4 C.F. 1118). Le président joue un rôle important en s’assurant que le droit d’un détenu à un règlement informel a été respecté et il a le pouvoir discrétionnaire de renvoyer l’affaire à l’établissement (Laplante, susmentionnée, aux paragraphes 12 et 13). Il a prétendu que le président a commis une erreur en concluant que l’établissement s’était acquitté de son obligation prévue à l’article 41 d’évaluer l’opportunité d’une tentative de règlement informel compte tenu de la preuve dont il était saisi. Le demandeur a souligné que bien que la preuve indiquât que CX2 avait parlé au demandeur après l’incident, elle était silencieuse quant au contenu de cette discussion ou quant à d’autres renseignements concernant la tentative de règlement informel.

 

[21]           Le demandeur a également prétendu que le président a mal compris son obligation de s’assurer que le droit du demandeur à un règlement informel avait été respecté. Plus précisément, le demandeur a souligné la conclusion du président selon laquelle il n’était pas tenu d’[traduction] « évaluer chacune des tentatives de règlement informel ». Le demandeur a prétendu que l’alinéa 11c) de la DC 580 exige que les membres du personnel de l’établissement qui sont chargés du contrôle de la qualité s’assurent qu’on évalue l’opportunité d’une tentative de règlement informel et que, si cela est possible, que l'on tente d’en arriver à un règlement informel et que cette tentative soit documentée. Comme aucune preuve au dossier n’indiquait que cela avait été fait, le président aurait dû exercer son pouvoir discrétionnaire et renvoyer l’affaire à l’établissement. Le demandeur a reconnu que, selon Knight c. Canada (Procureur général), [2005] A.C.F. no 909, le pouvoir du président de renvoyer l’affaire à l’établissement est discrétionnaire et non pas obligatoire, mais il a prétendu que lorsque la preuve ne suffit pas pour conclure qu’il y a eu évaluation de l’opportunité de tentative de règlement informel et qu’on a tenté d’en arriver à un règlement informel, le président doit renvoyer l’affaire à l’établissement afin qu’un autre examen soit fait.

 

[22]           Le demandeur a également prétendu que le président n’a pas valablement tenu compte de la défense fondée sur le consentement ou sur la croyance sincère mais erronée au consentement et ce manquement a mené à une condamnation erronée. Le demandeur a prétendu qu’il a affirmé dans son témoignage qu’il était ami avec la présumée victime, qu’il s’amusait à se chamailler et que l’incident en question constituait un exemple de ce comportement. Le demandeur a prétendu que bien que le président eût estimé qu’il n’était pas crédible, il devait néanmoins être convaincu que la culpabilité était la seule conclusion qui pouvait être tirée des faits avérés (McLarty c. Canada, [1997] A.C.F. no 808, au paragraphe 10). Même sans le témoignage du demandeur, l’enregistrement sur bande‑vidéo ne montrait pas de façon non équivoque qu’une agression était en train d’être commise et, à ce titre, le président a commis une erreur en déclarant le demandeur coupable.

 

[23]           Enfin, le demandeur a prétendu que la conclusion du président selon laquelle il n’était pas crédible était manifestement déraisonnable. Le demandeur a prétendu que cette conclusion ne reposait que sur son témoignage selon lequel la présumée victime lui avait demandé une cigarette, lequel témoignage a été rejeté au motif que la présumée victime fumait lorsqu’il est entré dans la cour. Le demandeur a prétendu que si l’on regarde attentivement l’enregistrement sur bande‑vidéo, on peut voir que, en fait, la présumée victime n’était pas en train de fumer lorsqu’il l’a abordée.

 

Les observations écrites du défendeur

 

[24]           Le défendeur a prétendu que la norme de contrôle applicable aux questions de fait et aux questions mixtes de fait et de droit est la norme de la décision raisonnable simpliciter (Forrest c. Canada (Procureur général), [2004] A.C.F. no 713). Les questions d’équité procédurale et l’interprétation correcte de l’article 41 sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision correcte. Le défendeur a prétendu que les audiences disciplinaires dirigées par un président indépendant d'un tribunal disciplinaire n'ont aucun caractère judiciaire ou quasi judiciaire. Elles constituent purement des procédures administratives. La discrétion judiciaire en matière disciplinaire doit être exercée modérément et un redressement ne doit être accordé qu'en cas de sérieuse injustice (Boudreau c. Canada (Procureur général), [2000] A.C.F. 2016 (C.F. 1re inst.), au paragraphe 7).

 

[25]           Le défendeur a prétendu que la conclusion de culpabilité du président n’était pas erronée compte tenu de la preuve dont il était saisi. Il a reconnu que, pour conclure à la culpabilité, le président devait être convaincu hors de tout doute raisonnable que le demandeur avait commis une infraction. Le défendeur a prétendu que, compte tenu des éléments de preuve convaincants figurant dans l’enregistrement sur bande‑vidéo, compte tenu du témoignage crédible de l’agent Jensen et compte tenu du témoignage non crédible du demandeur, la conclusion de culpabilité du président n’était pas manifestement déraisonnable.

 

[26]           En réponse à l’argument du demandeur quant à l’examen par le président de la tentative de règlement informel, le défendeur a prétendu que le président n’a commis aucune erreur susceptible de contrôle. Le défendeur a souligné que bien que le règlement informel soit un facteur important dans le traitement du problème de l’infraction, il n’est pas une mesure obligatoire (Knight, susmentionnée, au paragraphe 16). Comme il y a eu évaluation de l’opportunité d’une tentative de règlement informel en l’espèce, les droits du demandeur ont été respectés. Ni le fait qu’on n’ait pas consigné dans un rapport les motifs pour lesquels il n’y a pas eu tentative de règlement informel, ni le fait qu’on n’ait pas consigné dans un rapport les motifs pour lesquels la tentative de règlement informel a échoué ne constituent un manquement à l’équité procédurale (Knight, susmentionnée, au paragraphe 20). En outre, un tribunal disciplinaire ne perd pas sa compétence d’entendre une affaire parce que le processus informel n’a pas eu lieu (Laplante, susmentionnée, au paragraphe 12). Le président a le pouvoir de renvoyer l’affaire à l’établissement pour qu’on y évalue l’opportunité d’une tentative de règlement informel, mais il s’agit là d’un pouvoir discrétionnaire (Laplante, susmentionnée, au paragraphe 13). Le défendeur a prétendu que rien au dossier ne donne à penser que le président ne se rappelait plus de l’importance des tentatives de règlement informel. En fait, le président s’est penché sur la question du règlement informel, mais il n’a pas été convaincu que l’établissement en avait évalué l’opportunité dans la mesure exigée. Le président n’a commis aucune erreur.

 

L’analyse et la décision

 

[27]           La question en litige no 1

            Quelle est la norme de contrôle applicable?

            Depuis que la présente demande de contrôle judiciaire a été entendue, la Cour suprême du Canada, dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick [2008] A.C.S. no 9, a statué qu’il n’y avait plus maintenant que deux normes de contrôle : la norme de la raisonnabilité et la norme de la décision correcte. Une analyse détaillée visant à déterminer quelle norme on doit appliquer n’est pas exigée si elle a été déterminée dans la jurisprudence antérieure. Les facteurs à prendre en compte dans le cadre d’une analyse de la norme de contrôle sont, d’une part, l’existence d’une clause privative et d’un régime administratif particulier distinct dans lequel le décideur possède une expertise particulière à laquelle s’applique la norme de la décision raisonnable et, d’autre part, la nature de la question de droit. Celle qui revêt une « importance capitale pour le système juridique [et qui est] étrangère au domaine d’expertise du décideur administratif (Toronto (Ville) c. S.C.F.C., section locale 79, [2003] 3 R.C.S. 77) » appelle toujours la norme de la décision correcte (Dunsmuir, susmentionné, au paragraphe 55). Dans bien des cas, il n'est pas nécessaire de tenir compte de tous les facteurs, car certains d'entre eux seront déterminants (Dunsmuir, susmentionné, au paragraphe 64).

 

[28]           Dans la présente cause, il est question d’une décision prise par un président d’un tribunal disciplinaire. Il est bien établi dans la jurisprudence antérieure que les principes et les procédures qui s’appliquent à cette procédure reflètent sa nature administrative qui n’a aucun caractère judiciaire ou quasi judiciaire (Hendrickson c. Tribunal disciplinaire de la Kent Institution (Président indépendant), (1990), 32 F.T.R. 296, citée par le juge Kelen dans Forrest, susmentionnée, au paragraphe 16). Cela ne veut toutefois pas dire que les règles de la justice naturelle et les dispositions légales ou les règlements ayant force de loi et indiquant le contraire ne méritent pas la discrétion judiciaire (Forrest, susmentionnée).

 

[29]           Par conséquent, la question du défaut du président de respecter son obligation de s’assurer que l’on a évalué l’opportunité d’une tentative de règlement informel est susceptible de révision selon la norme de la décision correcte car il s’agit d’une question d’équité procédurale. La conclusion du président selon laquelle l’établissement a évalué l’opportunité d’une tentative de règlement informel dans la mesure exigée par l’article 41 est une question mixte de fait et de droit susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable. Le demandeur prétend que les conclusions sur la crédibilité et les conclusions de fait liées aux gestes qu’il a posés envers la présumée victime tirées par le président sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable.

 

[30]           La question en litige no 2

            Le président a‑t‑il omis de tenir compte de son obligation de s’assurer que l’établissement a évalué l’opportunité d’une tentative de règlement informel?

            Le demandeur a prétendu que le président n’a pas tenu compte de son obligation de s’assurer que l’établissement a évalué l’opportunité d’une tentative de règlement informel. L’obligation du président quant à la question du règlement informel a été examinée par la Cour d’appel fédérale dans Laplante, susmentionnée. Dans cette cause, la Cour a décidé que l’obligation, prévue à l’article 41 de la Loi, d’évaluer s’il est raisonnable, compte tenu des circonstances, de tenter d’en arriver à une tentative de règlement informel, est imposée à l’agent correctionnel. En outre, la Cour a décidé que le détenu jouit du droit correspondant de demander que les agents correctionnels, si les circonstances le permettent, prennent des mesures pour régler l’affaire de façon informelle. La Cour a souligné l’importance de cette obligation et de son droit correspondant. En ce qui concerne la compétence du président, la Cour a conclu que le défaut de la part d’un agent de s’acquitter correctement de son obligation n’équivaut pas à une exclusion de la compétence du président. En d’autres mots, le droit d’un détenu à un règlement informel n’est pas une condition préalable à l’exercice légal de la décision du président (Laplante, susmentionnée, au paragraphe 14). La Cour, au paragraphe 13 de Laplante, susmentionnée, a fait les commentaires suivants concernant le rôle du président dont fait mention l’article 41 :

En pratique, ce pouvoir du Comité de veiller au respect des droits d'un détenu qui fait face à des infractions disciplinaires signifie ceci en cas d'un manquement à l'obligation prévue au paragraphe 41(1). Lorsqu'informé d'une violation du droit d'un détenu conféré par le paragraphe 41(1) et satisfait que l'obligation imposée par ce paragraphe n'a pas été respectée, le président du Comité peut suspendre l'audition de la plainte et retourner l'affaire au directeur du pénitencier pour que ce dernier évalue l'opportunité d'une tentative de règlement informel. Je m'empresse de préciser que le rôle du président du Comité se limite à ce renvoi. Son rôle ne consiste pas à s'immiscer dans la négociation d'un règlement à l'amiable que le législateur a imposée aux Services correctionnels et à qui la responsabilité incombe. De même, il ne lui appartient pas de substituer son opinion à celle du directeur qui, avant de porter une accusation d'infraction disciplinaire, a conclu qu'un règlement informel n'a pu être réalisé ou n'était pas possible dans les circonstances. […]

 

 

[31]           La conclusion du président quant au règlement informel est ainsi libellée :

[traduction]

 

Je crois qu’il aurait été raisonnable que l’avocat demande qu’on lui remette le dossier écrit de la tentative de règlement informel. Par ailleurs, j’estime que le tribunal n’exige pas qu’il évalue chacune des tentatives de règlement informel et de juger si elles sont acceptables. Je suis convaincu que l’établissement a évalué, dans la mesure exigée, l’opportunité d’une tentative de règlement informel.

 

 

[32]           Selon moi, le président n’a pas mal interprété son rôle en ce qui concerne le fait de voir à ce que le droit du détenu à un règlement informel soit respecté. Comme il a été conclu dans Laplante, susmentionnée, le pouvoir discrétionnaire du président de renvoyer l’affaire au responsable de l’établissement n’est déclenché que s’il n’est pas convaincu, compte tenu de la preuve, que l’établissement a évalué dans la mesure exigée l’opportunité d’une tentative de règlement informel. En l’espèce, le président affirme clairement qu’il est convaincu que [traduction] « l’établissement a évalué, dans la mesure exigée, l’opportunité d’une tentative de règlement informel». En outre, la déclaration du président selon laquelle il n’était pas obligé d’[traduction] « évaluer chacune des tentatives de règlement informel et de juger si elles sont acceptables » va à juste titre dans le sens des commentaires de la Cour d’appel fédérale dans Laplante, susmentionnée, selon lesquelles le rôle du président ne consiste pas à s’immiscer dans la gestion faite par l’établissement de la question du règlement informel. Selon moi, le président a correctement interprété son rôle. Je n’accueillerai pas la demande de contrôle judiciaire fondée sur le motif susmentionné.

 

[33]           La question en litige no 3

            Si ce n’est pas le cas, le président a‑t‑il commis une erreur en concluant que l’établissement a évalué l’opportunité d’une tentative de règlement informel dans la mesure exigée par l’article 41 de la Loi?

            Le demandeur a prétendu que la conclusion du président selon laquelle « l’établissement a évalué, dans la mesure exigée, l’opportunité d’une tentative de règlement informel » était déraisonnable compte tenu de la preuve qui lui a été soumise. Le demandeur a de plus allégué que, en raison du manque de preuve étayant cette conclusion, le président aurait dû s’acquitter de son obligation de demander des renseignements supplémentaires à l’établissement.

 

[34]           La preuve soumise au président comprenait un rapport émanant de l’agent Jensen dans lequel la case où il était inscrit « oui » qui figurait sous le titre « Tentative de règlement informel » était cochée. En outre, le demandeur a affirmé dans son témoignage à l’audience que CX2 s’était présentée à sa cellule après l’incident et lui avait demandé de lui faire part de sa version des faits. Cette affirmation était étayée par le témoignage de l’agent Jensen, bien qu’il ne se souvînt d’aucun détail et qu’aucun rapport n’eût été déposé. Je souligne également que le président a conclu que le demandeur n’était pas un témoin crédible et que l’agent Jensen était un témoin crédible.

 

[35]           Compte tenu de la preuve soumise au président et des conclusions de ce dernier quant à la crédibilité, j’estime qu’il n’y a rien de déraisonnable dans sa conclusion selon laquelle l’établissement a évalué, dans la mesure requise, l’opportunité d’une tentative de règlement informel. Je n’accueillerai pas la demande de contrôle judiciaire fondée sur le motif susmentionné.

 

[36]           La question en litige no 4

            Le président a‑t‑il commis une erreur en concluant que le demandeur n’était pas crédible?

            Les conclusions du président en matière de crédibilité doivent faire l’objet d’une très grande retenue judiciaire. Le président a conclu que le demandeur n’était pas un témoin crédible. Le demandeur prétend que le seul motif sous‑jacent étayant la conclusion défavorable en matière de crédibilité était l’invraisemblance de sa prétention selon laquelle la présumée victime lui avait demandé une cigarette lorsqu’ils sont entrés dans la cour. Je ne souscris pas à cette prétention. Le demandeur a prétendu que bien que le président eût déclaré que la présumée victime était déjà en train de fumer lorsqu’il est entré dans la cour et qu’il n’avait donc pas à demander une cigarette, l’enregistrement sur bande‑vidéo montre le contraire. Après avoir examiné l’enregistrement sur bande‑vidéo, j’estime que les conclusions du président en matière de crédibilité ne sont pas déraisonnables. En outre, compte tenu de l’enregistrement sur bande‑vidéo, je souligne l’invraisemblance de la défense fondée sur le consentement du demandeur qui a contribué davantage à la conclusion défavorable du président en matière de crédibilité. Je n’accueillerai pas la demande de contrôle judiciaire fondée sur le motif susmentionné.

 

[37]           La question en litige no 5

            Le président a‑t‑il commis une erreur en concluant que la présumée victime n’approuvait pas les gestes posés par le demandeur envers elle?

            Le demandeur a prétendu que le président a commis une erreur en concluant que la présumée victime n’approuvait pas les gestes qu’il a posés envers elle. Le défendeur a prétendu que la conclusion du président n’était aucunement déraisonnable compte tenu de l’enregistrement sur bande‑vidéo et du témoignage crédible de l’agent Jensen. Les parties pertinentes de la décision du président sont ainsi libellées :

[traduction]

 

[Le demandeur] a de plus déclaré que [la présumée victime] est son ami et qu’il « a tenté de le motiver » et qu’ils se connaissaient depuis « environ 7 mois ». [Le demandeur] a ensuite déclaré qu’ils ne faisaient que se « chamailler » et qu’il n’avait pas l’intention d’agresser [la présumée victime]. Il a empêché [la présumée victime] de rentrer dans l’unité, mais il prétend qu’il ne faisait que tenter de lui parler, de lui rappeler un programme qu’il [la présumée victime] voulait voir.

 

[…]

 

Je conclus que le témoignage [du demandeur] n’est pas crédible. Les gestes recueillis sur bande‑vidéo déplaisent manifestement à [la présumée victime]. En aucun temps [la présumée victime] n’a donné l’impression qu’elle s’amusait avec [le demandeur] (et la troisième personne). L’idée que cette série de gestes unilatéraux pouvait être décrite comme étant de la « chamaillerie » est entièrement rejetée. Je conclus que les gestes posés par [le demandeur] et la troisième personne étaient incontestablement agressifs envers [la présumée victime].

 

 

[38]           Après avoir examiné l’enregistrement de l’incident sur bande‑vidéo et compte tenu des conclusions du président en matière de crédibilité, je suis convaincu que la conclusion du président n’est aucunement déraisonnable. L’enregistrement sur bande‑vidéo démontre amplement que le président pouvait, sans l’ombre d’un doute raisonnable, tirer la conclusion que la présumée victime n’aimait pas les gestes posés par le demandeur. Le demandeur a prétendu que son témoignage suscitait un doute raisonnable et que, par conséquent, le président a tiré une conclusion erronée. Compte tenu de ma conclusion susmentionnée selon laquelle les conclusions du président en matière de crédibilité n’étaient aucunement déraisonnables, je ne peux pas accepter cet argument. Je ne vois aucune raison de modifier la conclusion du président sur cette question.

 

[39]           La demande de contrôle judiciaire est donc rejetée.

 


 

JUGEMENT

 

[40]           LA COUR ORDONNE que la présente demande de contrôle judiciaire soit rejetée.

 

 

« John A. O’Keefe »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.

 

 


ANNEXE

 

Les dispositions législatives pertinentes

 

Les dispositions législatives pertinentes sont énoncées dans la présente section.

 

La Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.C. 1992, ch. 20 :

 

40. Est coupable d’une infraction disciplinaire le détenu qui :

 

[. . .]

 

h) se livre ou menace de se livrer à des voies de fait ou prend part à un combat;

 

41.(1) L’agent qui croit, pour des motifs raisonnables, qu’un détenu commet ou a commis une infraction disciplinaire doit, si les circonstances le permettent, prendre toutes les mesures utiles afin de régler la question de façon informelle.

 

(2) À défaut de règlement informel, le directeur peut porter une accusation d’infraction disciplinaire mineure ou grave, selon la gravité de la faute et l’existence de circonstances atténuantes ou aggravantes.

 

40. An inmate commits a disciplinary offence who

 

[. . .]

 

(h) fights with, assaults or threatens to assault another person;

 

41.(1) Where a staff member believes on reasonable grounds that an inmate has committed or is committing a disciplinary offence, the staff member shall take all reasonable steps to resolve the matter informally, where possible.

 

(2) Where an informal resolution is not achieved, the institutional head may, depending on the seriousness of the alleged conduct and any aggravating or mitigating factors, issue a charge of a minor disciplinary offence or a serious disciplinary offence.

 

           

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T-1251-07

 

INTITULÉ :                                       DAVID DUTIAUME c.

                                                            LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 5 mars 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE O’KEEFE

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 4 septembre 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Anna King

 

POUR LE DEMANDEUR

Michelle Shea

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Anna King

Vancouver (C.‑B.)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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