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Cour fédérale

 

Federal Court

 

Date : 20080903

Dossier : IMM-4706-07

Référence : 2008 CF 989

Calgary (Alberta), le 3 septembre 2008

En présence de madame la juge Mactavish

 

 

entre :

AYESHA SIDDIQUI

demanderesse

et

 

le ministre de la citoyenneté

et de l’immigration

défendeur

 

motifs du jugement et jugemenT

 

[1]               Ayesha Siddiqui est une Pakistanaise dont la demande de résidence permanente au Canada basée sur des circonstances d’ordre humanitaire (la demande CH) a été rejetée pour le motif qu’elle ne subirait pas de difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives si elle retournait au Pakistan.

 

[2]               Mme Siddiqui demande le contrôle judiciaire de la décision rendue par l’agent chargé d’évaluer sa demande CH (l’agent CH); elle soutient que l’agent CH a commis une erreur, soit qu’il a appliqué le mauvais critère dans son évaluation du risque qu’elle a affirmé courir au Pakistan. Mme Siddiqui soutient aussi que les motifs que l’agent CH a énoncés, quant au rejet de la demande CH, étaient inadéquats.

 

[3]               Pour les motifs qui suivent, je conclus que l’agent a commis les erreurs alléguées. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie.

 

 

Résumé des faits

 

[4]               Mme Siddiqui a grandi au Pakistan, mais elle a quitté ce pays pour aller aux États‑Unis à la suite de son mariage en 1993. Elle est retournée au Pakistan avec son époux en 1994, lorsque son couple s’est disloqué. Mme Siddiqui affirme que, après son divorce, son oncle a essayé de la tuer car il estimait que son divorce avait infligé le déshonneur à sa famille.

 

[5]               Mme Siddiqui est retournée seule aux États‑Unis en 1995 où elle est demeurée jusqu’en 2003. Elle est ensuite entrée au Canada où elle a rejoint ses parents ainsi que ses frères et sœurs qui étaient venus ici pendant qu’elle vivait aux États‑Unis. Peu après son arrivée au Canada, Mme Siddiqui a déposé une demande d’asile.

 

[6]               À la suite de son audition à la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugiés (la Commission), la demande d’asile de Mme Siddiqui fut rejetée. La Commission n’a pas cru l’allégation de Mme Siddiqui selon laquelle son oncle avait essayé de la tuer. De plus, bien que la Commission ait tenu compte de la situation difficile des femmes seules au Pakistan, la Commission était convaincue qu’en tant que femme très instruite, Mme Siddiqui pouvait vivre en sécurité au Pakistan si elle déménageait dans une grande ville comme Karachi ou Islamabad. Mme Siddiqui a demandé l’autorisation à la Cour de présenter une demande de contrôle judiciaire de la décision de la Commission, mais la Cour a rejeté la demande d’autorisation.

 

[7]               Mme Siddiqui a ensuite déposé sa demande CH; elle a affirmé qu’elle subirait des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives pour de nombreuses raisons, si elle était renvoyée au Pakistan. Sa demande CH était basée en partie sur le risque qu’elle disait courir au Pakistan, soit essentiellement le même risque qui avait été évalué par la Section de la protection des réfugiés.

 

[8]               Mme Siddiqui a aussi affirmé qu’elle s’était bien établie au Canada et qu’elle éprouverait de graves difficultés si elle était renvoyée au Pakistan, en raison des faits suivants : la séparation de sa famille au Canada, elle n’a pas vécu au Pakistan depuis de nombreuses années, son état psychologique actuel et elle n’a aucun parent au Pakistan qui soit en mesure de lui venir en aide.

 

[9]               Mme Siddiqui soutient que la décision était déraisonnable parce que même si l’agent CH a utilisé l’expression « difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives » à plusieurs endroits dans son analyse, une lecture attentive de la décision révèle que ce n’est pas le critère qu’il a effectivement utilisé. Mme Siddiqui allègue que l’agent a en fait appliqué le critère de « menace à la vie » et de « risque pour la sécurité de la personne », lorsqu’il a décidé qu’elle ne subirait pas de difficultés inhabituelles basées sur le risque si elle était renvoyée au Pakistan.

 

[10]           À l’appui de son allégation selon laquelle l’agent a commis une erreur lorsqu’il a centré son analyse sur le risque plutôt que sur les difficultés, Mme Siddiqui indique en particulier l’extrait suivant tiré des motifs de l’agent :

[traduction]

Vu tout ce qui précède, je conclus selon la prépondérance de la preuve que les renseignements dont je dispose relativement aux femmes indiquent qu’il y a des attitudes partiales et des discriminations fondées sur le sexe envers les femmes, mais qu’il n’y a pas suffisamment de preuve qui indiquent que la demanderesse serait soumise à une menace à sa vie en raison d’un crime d’honneur ou qu’elle serait soumise à un risque à la sécurité de sa personne si elle devait retourner au Pakistan. Pour cette raison, je conclus, selon la prépondérance de la preuve que, le fait de quitter le Canada pour demander la résidence permanente de l’extérieur du Canada n’imposerait pas de (i) difficultés : inhabituelles et injustifiées ou (ii) excessives à la demanderesse. [Non souligné dans l’original.]

 

[11]           Selon Mme Siddiqui, l’utilisation de l’expression « pour cette raison » par l’agent dans son analyse indique qu’il a assimilé le critère de difficulté inhabituelle à celui de menace à la vie ou de risque pour la sécurité de la personne. D’après la demanderesse, c’est une erreur puisqu’une preuve qui pourrait ne pas satisfaire au critère de menace à la vie ou de risque pour la sécurité de la personne, pourrait néanmoins établir l’existence de difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives; voir par exemple la décision Thalang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 742.

 

 

Analyse

 

[12]           La Cour doit faire attention et s’abstenir d’examiner une décision comme celle‑ci à la loupe, ou s’abstenir de sortir un mot ou une phrase de son contexte, dans le but de trouver une erreur commise par l’agent. Cela dit, et après avoir examiné la décision dans son ensemble, je suis convaincue que l’agent a commis une erreur lorsqu’il a appliqué le mauvais critère relativement à la partie de la demande CH de Mme Siddiqui basée sur le risque.

 

[13]           Bien que les allégations de Mme Siddiqui sur les difficultés basées sur le risque soient étroitement liées à son allégation d’avoir été victime d’une tentative de crime d’honneur de la part de son oncle, elle a aussi soutenu qu’elle subirait des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives si elle était obligée de retourner au Pakistan, en raison de la situation oppressive dans ce pays, envers les jeunes femmes divorcées et musulmanes.

 

[14]           Il est vrai que la Section de la protection des réfugiés a conclu qu’il n’existait pas de véritables obstacles économiques ou sociaux au déménagement de Mme Siddiqui à Karachi ou à Islamabad. Toutefois, après avoir mené sa propre analyse des renseignements les plus récents sur la situation du pays fournis par Mme Siddiqui en appui à sa demande CH, l’agent CH a conclu qu’il y avait des discriminations importantes envers les femmes au Pakistan et que Mme Siddiqui pourrait en fait faire face à certaines « difficultés », qu’il n’a pas précisées, si elle était renvoyée au Pakistan.

 

[15]           L’agent a ensuite conclu que, selon la prépondérance de la preuve, les difficultés que Mme Siddiqui pourrait éprouver au Pakistan seraient dues à la situation générale du pays, qui n’est pas liée à la question du crime d’honneur. Cela peut être le cas, mais il incombait tout de même à l’agent d’examiner ensuite si ces difficultés pourraient néanmoins se traduire par des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives pour Mme Siddiqui.

 

[16]           Dans la présente affaire, l’agent a simplement ensuite conclu que la discrimination et les difficultés que Mme Siddiqui pourrait devoir affronter au Pakistan ne constituaient pas des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives, sans fournir de raisons pour lesquelles il en était ainsi.

 

[17]           L’enjeu du caractère suffisant des motifs soulève une question d’équité procédurale, laquelle est contrôlée selon la décision correcte; voir la décision Canada (Procureur Général) c. Clegg, [2008] A.C.F. no 853. Selon moi, les motifs de l’agent sont ainsi nettement insuffisants sur ce point.

 

[18]           C’est‑à‑dire que l’examen des facteurs favorables qui militent pour l’octroi de la demande CH, suivi de la conclusion selon laquelle ces facteurs ne constituent pas des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives, sans aucune analyse étayant cette conclusion, n’est pas suffisant puisque le demandeur se trouve ainsi dans une position peu enviable où il ignore pourquoi sa demande a été rejetée; voir par exemple la décision Adu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 565.

 

[19]           En outre, l’agent a ensuite continué dans cette partie de la décision par la déclaration précitée dans les présents motifs. Lue dans son contexte, la déclaration de l’agent donne aussi à penser qu’il a abordé cette partie de la demande de Mme Siddiqui d’un point de vue analytique qui convenait mieux à l’examen d’une demande d’asile ou à un examen des risques avant renvoi plutôt qu’à l’examen d’une demande CH, puisque l’agent semble s’être centré sur la menace à la vie de Mme Siddiqui, plutôt que sur une évaluation de la question des difficultés.

 

[20]           Je suis préoccupée aussi par la manière dont l’agent a traité les rapports des médecins relativement à l’état de santé mentale de Mme Siddiqui et, en particulier, le rapport du médecin de famille de Mme Siddiqui. Selon ce rapport, elle souffre de dépression grave et d’anxiété excessive pour lesquelles elle suit un traitement de psychothérapie et prend des médicaments.

 

[21]           Bien que l’agent CH ait eu pleinement connaissance du rapport du médecin de famille, comme sa décision en fait état, l’agent ne s’est pas penché sur l’état psychologique de Mme Siddiqui en ce qui a trait à son importance relativement à la question des difficultés. L’agent ne s’est pas non plus penché sur les conséquences exprimées dans la conclusion du psychologue, selon qui le fait de séparer Mme Siddiqui de sa famille serait susceptible d’entraîner un traumatisme pour elle, et sur leur lien avec la question des difficultés.

 

[22]           Par conséquent, je conclus que la décision dans son ensemble ne satisfait pas à la norme de raisonnabilité énoncée par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9.

 

[23]           C’est‑à‑dire que la décision n’en possède pas les attributs : la justification, la transparence et l’intelligibilité du processus décisionnel. En outre, étant donné qu’il n’a pas été tenu compte des considérations pertinentes à la demande CH, on ne peut pas conclure à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit; voir l’arrêt Dunsmuir au paragraphe 47.

 

 

Conclusion

 

[24]           Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie.

 

 

Certification

 

[25]           Ni l’une ni l’autre partie n’a présenté de question à certifier et aucune ne se pose ici.

 


 

JUGEMENT

 

      La cour statue que :

            1.         la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est renvoyée à un autre agent pour nouvel examen;

 

            2.         aucune question grave de portée générale n’est certifiée.

 

 

                                                                                                                 « Anne Mactavish »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Laurence Endale, LL.M, M.A.Trad.jur.

 

 

 

 

 


cour fédérale

 

avocats inscrits au dossier

 

 

DOssier :                                               IMM-4706-07

 

 

intitulé :                                             AYESHA SIDDIQUI c. LE MINISTRE DE LA

                                                                   CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

Lieu de l’audience :                     Calgary (Alberta)

 

 

DATE de l’audience :                    Le 2 septembre 2008

 

 

motifs du jugement

et jugement :                                   La juge MACTAVISH

 

 

DATE des motifs :                            Le 3 septembre 2008

 

 

comparutions :

 

 

Patricia Maia

 

pour lA demanderESSE

Rick Garvin

 

pour le défendeur

 

avocats inscrits au dossier :

 

 

Caron & Partners, LLP

Avocats

Calgary (Alberta)

 

pour lA demanderESSE

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

 

pour le défendeur

 

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