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Cour fédérale

 

Federal Court

 

Date : 20080829

Dossier : IMM-1018-08

Référence : 2008 CF 982

Ottawa (Ontario), le 29 août 2008

En présence de madame la juge Mactavish

 

 

Entre :

EMANUELLA BASTIEN

demanderesse

et

 

le ministre de la citoyenneté

et de l’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Emanuella Bastien est une Haïtienne dont la demande d’asile a été rejetée par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission), pour le motif qu’elle n’était pas crédible lorsqu’elle a allégué qu’elle avait été persécutée en Haïti en raison de ses opinions politiques.

 

[2]               Mme Bastien demande maintenant le contrôle judiciaire de la décision de la Commission; elle soutient que les conclusions de la Commission quant à la crédibilité et à la vraisemblance étaient entachées d’erreurs. Selon Mme Bastien, la Commission a aussi commis des erreurs en ne tenant pas dûment compte de son allégation selon laquelle elle court des risques en Haïti en raison du fait qu’elle est une femme et en raison du fait qu’elle est une Haïtienne qui revient de l’étranger.

 

[3]               Pour les motifs qui suivent, je suis convaincue que la conclusion de la Commission selon laquelle Mme Bastien n'était pas crédible était raisonnable vu le dossier dont elle disposait. Toutefois, je conclus aussi que la Commission a commis une erreur dans son analyse de la demande de Mme Bastien pour la partie qui était basée sur son profil. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie.

 

 

La conclusion sur la crédibilité

 

[4]               Mme Bastien a identifié l’origine de ses difficultés en Haïti comme étant ses activités politiques qui remontaient au début des années 90 et les activités politiques de son « conjoint » ou partenaire à l’époque. Non seulement son témoignage était incohérent relativement à son engagement au sein du parti Lavalas, encore plus déroutantes étaient son apparente incapacité à se rappeler du nom de son partenaire et, une fois qu’elle a été en mesure de s’en rappeler, les incohérences dans son témoignage sur le vrai nom de son partenaire.

 

[5]               Les autres sujets de doute de la Commission étaient : les incohérences dans les éléments de preuve de Mme Bastien quant à savoir quand on avait tiré sur son partenaire et qu’il avait été tué, le lieu où les agressions sexuelles qu’elle aurait subies se seraient déroulées et les emplois qu’elle avait occupés pendant les périodes pertinentes.

 

[6]               Il est vrai que Mme Bastien a fourni des explications relativement à ces incohérences dans son récit. Toutefois, ces explications ont été examinées par la Commission et celle‑ci a donné les raisons pour lesquelles elle n’admettait pas ces explications.

 

[7]               Peu importe si j’applique la norme de contrôle prescrite à l’alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur les Cours fédérales ou celle de la raisonnabilité énoncée au paragraphe 47 de l’arrêt de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, [2008] A.C.S no 9, Mme Bastien ne m’a pas convaincue que la Commission a commis une erreur lorsqu’elle a tiré ses conclusions défavorables sur la crédibilité.

 

[8]               Le fait que la Commission n’ait pas cru le récit de Mme Bastien ne met cependant pas fin à l’affaire, puisque Mme Bastien déclare aussi courir des risques en Haïti parce qu’elle est une femme. En outre, dans son Formulaire de renseignements personnels, Mme Bastien a aussi déclaré qu’elle courrait des risques en Haïti parce qu’elle reviendrait de l’étranger et qu’elle serait ainsi la cible de bandits armés. Ce dernier aspect de sa demande a aussi été rejeté par la Commission. J’examine ci‑dessous si la Commission a commis une erreur à cet égard.

 

 

L’argument relatif au profil

 

[9]               La Commission a rendu les motifs suivants pour justifier le rejet de la partie de la demande de Mme Bastien fondée sur son profil de femme et d’Haïtienne qui reviendrait de l’étranger :

Ainsi, la demandeure n’a pas fait la preuve d’une possibilité sérieuse d’être persécutée en vertu d’un des motifs de la Convention en cas de retour dans son pays.  Elle n’a pas non plus réussi à démontrer qu’advenant son retour, il existe une possibilité sérieuse qu’elle soit torturée ou exposée à une menace à sa vie ou à des traitements et peines cruels et inusités en Haïti, parce qu’elle n’a pas été trouvée crédible sur les points fondamentaux de sa demande d’asile. [Non souligné dans l'original.]

 

 

[10]           La demande subsidiaire de Mme Bastien était basée sur sa condition de femme haïtienne et sur le fait qu’elle était une Haïtienne qui reviendrait de l’étranger. Le fait que la Commission ait conclu qu’elle n’était pas crédible relativement aux faits qui sous‑tendent la partie de sa demande fondée sur ses activités politiques et celles de son partenaire n’était pas pertinent quant à cet aspect de sa demande.

 

[11]           Étant donné que les faits suivants ne sont pas contestés : Mme Bastien est en fait une Haïtienne, si elle retournait en Haïti elle reviendrait de l’étranger; ici, la question que la Commission devait se poser dans son analyse n’était pas de savoir si le récit de Mme Bastien sur sa persécution passée était crédible.

 

[12]           Les questions que la Commission aurait dû plutôt se poser relativement à cet aspect de la demande de Mme Bastien étaient de savoir s’il existait une preuve documentaire ou d’autres types de preuve dont la Commission pouvait prendre connaissance sur l’existence d’une persécution généralisée en Haïti envers les femmes. De plus, la Commission aurait dû examiner si, en général, les femmes en Haïti de même que celles qui reviennent en Haïti de l’étranger constituent des groupes sociaux particuliers.

 

[13]           En outre, la Commission aurait dû aussi examiner si les renseignements objectifs sur la situation du pays démontraient que Mme Bastien courrait personnellement un risque en Haïti, ou si les risques qu’elle pourrait courir dans ce pays seraient la conséquence d’une criminalité généralisée.

 

[14]           La Commission disposait de certains éléments de preuve relativement à la situation déplorable en Haïti, y compris des cas de violence sexuelle envers les femmes. Toutefois, il n’appartient pas à la Cour à l’étape du contrôle judiciaire de mener sa propre analyse de la preuve sur la situation du pays et de décider elle‑même si cet aspect de la demande de Mme Bastien devrait aboutir. C’est le travail de la Section de la protection des réfugiées.

 

 

Conclusion

 

[15]           Pour les motifs exposés ci‑dessus, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie.

Certification

 

[16]           Ni l’une ni l’autre partie n’a demandé la certification d’une question, et aucune ne se pose ici.

 


 

JUGEMENT

 

           

            LA COUR STATUE que :

 

            1.         la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie, et l’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué pour qu’il statue à nouveau sur l’affaire;

 

            2.         aucune question grave de portée générale n’est certifiée.

 

 

 

« Anne Mactavish »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Laurence Endale, LL.M., Trad.jur.

 

 

 

 

 

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

avocats inscrits au dossier

 

 

Dossier :                                                IMM-1018-08

 

 

INTITULÉ :                                               EMANUELLA BASTIEN c. LE MINISTRE DE

                                                                    LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                         Toronto (Ontario)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :                       Le 27 août 2008

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                      La juge MACTAVISH

 

 

DATE des motifs :                              Le 29 août 2008

 

 

comparutions :

 

Anthony Kako

 

POUR LA DEMANDERESSE

Jennifer Dagsvik

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

avocats inscrits au dossier :

 

Anthony Kako

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

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