Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

 

Date : 20080815

Dossier : IMM‑2682‑08

Référence : 2008 CF 949

Ottawa (Ontario), le 15 août 2008

En présence de monsieur le juge Martineau

 

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

demandeur

et

 

DONG ZHE LI et

DONG HU LI

défendeurs

 

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (le demandeur) conteste la légalité de deux décisions de la Section de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission), plus précisément celle du commissaire Tessler, en date du 11 juin 2008, et celle de la commissaire Shaw Dyck, en date du 19 juin 2008 (décisions collectivement appelées les ordonnances de mise en liberté), qui ordonnaient la mise en liberté de M. Dong Hu Li et de M. Dong Zhe Li (les défendeurs), moyennant certaines conditions, notamment leur placement sous surveillance électronique.

 

I. L’INSTANCE INTRODUITE DEVANT LA COUR

[2]               Le 13 juin 2008, le demandeur a déposé devant la Cour fédérale, sous les nos du greffe IMM‑2682‑08 et IMM‑2683‑08, deux demandes d’autorisation et de contrôle judiciaire à l’encontre d’ordonnances de mise en liberté rendues par le commissaire Tessler. Les défendeurs n’ont pu, avant le contrôle suivant des motifs de leur détention, qui devait avoir lieu le 19 juin 2008, parfaire ou remplir les conditions des ordonnances en question.

 

[3]               Le 23 juin 2008, le demandeur a déposé devant la Cour fédérale, sous les nos du greffe IMM‑2819‑08 et IMM‑2820‑08, deux autres demandes d’autorisation et de contrôle judiciaire à l’encontre d’ordonnances de mise en liberté rendues par la commissaire Shaw Dyck. Le demandeur a déposé une requête en sursis d’exécution de ces ordonnances de mise en liberté jusqu’au premier des événements suivants : une décision définitive portant sur les demandes sous‑jacentes de contrôle judiciaire ou le contrôle suivant des motifs de la détention tel que le requiert la loi.

 

[4]               Le 30 juin 2008, la juge Tremblay‑Lamer a fait droit à la requête du demandeur et suspendu l’exécution des ordonnances de mise en liberté rendues par la commissaire Shaw Dyck jusqu’au contrôle suivant des motifs de la détention des défendeurs. À cette occasion, la juge Tremblay‑Lamer a tenu les propos suivants :

[traduction]

 

Vu le seuil de faible niveau fixé par la Cour suprême du Canada pour la preuve de l’existence d’une question sérieuse aux fins d’une demande de sursis d’exécution, je suis d’avis que la commissaire n’a pas exposé de motifs clairs et convaincants de s’écarter des décisions antérieures portant sur le contrôle des motifs de la détention et que cette omission soulève une question sérieuse.

 

Je suis également d’avis que, puisque les frères Li fuient la justice et qu’ils ont toujours été considérés comme très enclins à s’esquiver, leur mise en liberté à ce stade constituerait un préjudice irréparable.

 

Finalement, je suis d’avis que la prépondérance des inconvénients milite en faveur de la suspension de leur mise en liberté jusqu’au prochain contrôle des motifs de leur détention conformément à la loi.

 

 

[5]               Le 9 juillet 2008, la juge Tremblay‑Lamer a accordé l’autorisation et ordonné que les instances dont les nos du greffe sont IMM‑2682‑08, IMM‑2683‑08, IMM‑2819‑08 et IMM‑2820‑08 soient réunies pour former une instance unique, no du greffe IMM‑2682‑08. Elle a également donné des directives pour que l’affaire puisse être instruite sans délai.

 

[6]               Le 29 juillet 2008, j’ai instruit l’affaire en question.

 

[7]               Les parties s’accordent à dire qu’il ne serait pas utile qu’un autre contrôle des motifs de la détention ait lieu avant l’issue de la présente demande. Les avocats des parties reconnaissent aussi que cette affaire ne soulève pas une question de portée générale. Ils ont cependant prié la Cour de donner des indications dans les présents motifs, à l’intention des commissaires qui pourraient être appelés dans l’avenir à contrôler les motifs de la détention, pour le cas où la Cour déciderait d’annuler les ordonnances de mise en liberté.

 

[8]               Pour les motifs qui suivent, j’ai décidé de faire droit à la présente demande.

 

II. LE CADRE LÉGAL ET RÉGLEMENTAIRE

[9]               L’article 58 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), dispose ainsi :

58. (1) La section prononce la mise en liberté du résident permanent ou de l’étranger, sauf sur preuve, compte tenu des critères réglementaires, de tel des faits suivants :

 

a) le résident permanent ou l’étranger constitue un danger pour la sécurité publique;

 

b) le résident permanent ou l’étranger se soustraira vraisemblablement au contrôle, à l’enquête ou au renvoi, ou à la procédure pouvant mener à la prise par le ministre d’une mesure de renvoi en vertu du paragraphe 44(2);

 

c) le ministre prend les mesures voulues pour enquêter sur les motifs raisonnables de soupçonner que le résident permanent ou l’étranger est interdit de territoire pour raison de sécurité ou pour atteinte aux droits humains ou internationaux;

 

d) dans le cas où le ministre estime que l’identité de l’étranger n’a pas été prouvée mais peut l’être, soit l’étranger n’a pas raisonnablement coopéré en fournissant au ministre des renseignements utiles à cette fin, soit ce dernier fait des efforts valables pour établir l’identité de l’étranger.

 

 

(2) La section peut ordonner la mise en détention du résident permanent ou de l’étranger sur preuve qu’il fait l’objet d’un contrôle, d’une enquête ou d’une mesure de renvoi et soit qu’il constitue un danger pour la sécurité publique, soit qu’il se soustraira vraisemblablement au contrôle, à l’enquête ou au renvoi.

 

 

 

 

 

(3) Lorsqu’elle ordonne la mise en liberté d’un résident permanent ou d’un étranger, la section peut imposer les conditions qu’elle estime nécessaires, notamment la remise d’une garantie d’exécution.

58. (1) The Immigration Division shall order the release of a permanent resident or a foreign national unless it is satisfied, taking into account prescribed factors, that

 

(a) they are a danger to the public;

 

 

(b) they are unlikely to appear for examination, an admissibility hearing, removal from Canada, or at a proceeding that could lead to the making of a removal order by the Minister under subsection 44(2);

 

 

(c) the Minister is taking necessary steps to inquire into a reasonable suspicion that they are inadmissible on grounds of security or for violating human or international rights; or

 

 

 

 

(d) the Minister is of the opinion that the identity of the foreign national has not been, but may be, established and they have not reasonably cooperated with the Minister by providing relevant information for the purpose of establishing their identity or the Minister is making reasonable efforts to establish their identity.

 

(2) The Immigration Division may order the detention of a permanent resident or a foreign national if it is satisfied that the permanent resident or the foreign national is the subject of an examination or an admissibility hearing or is subject to a removal order and that the permanent resident or the foreign national is a danger to the public or is unlikely to appear for examination, an admissibility hearing or removal from Canada.

 

(3) If the Immigration Division orders the release of a permanent resident or a foreign national, it may impose any conditions that it considers necessary, including the payment of a deposit or the posting of a guarantee for compliance with the conditions.

 

[10]           Selon l’article 61, les règlements portent notamment sur a) les conditions, motifs et critères relatifs à la mise en liberté; b) les critères dont l’agent et la section doivent tenir compte; c) les éléments particuliers à prendre en compte pour la détention des mineurs.

 

[11]           Les articles 244, 245 et 248 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 (le Règlement), disposent ainsi :

244. Pour l’application de la section 6 de la partie 1 de la Loi, les critères prévus à la présente partie doivent être pris en compte lors de l’appréciation :

 

a) du risque que l’intéressé se soustraie vraisemblablement au contrôle, à l’enquête, au renvoi ou à une procédure pouvant mener à la prise, par le ministre, d’une mesure de renvoi en vertu du paragraphe 44(2) de la Loi;

 

b) du danger que constitue l’intéressé pour la sécurité publique;

 

c) de la question de savoir si l’intéressé est un étranger dont l’identité n’a pas été prouvée.

 

245. Pour l’application de l’alinéa 244a), les critères sont les suivants :

 

a) la qualité de fugitif à l’égard de la justice d’un pays étranger quant à une infraction qui, si elle était commise au Canada, constituerait une infraction à une loi fédérale;

 

b) le fait de s’être conformé librement à une mesure d’interdiction de séjour;

 

c) le fait de s’être conformé librement à l’obligation de comparaître lors d’une instance en immigration ou d’une instance criminelle;

 

d) le fait de s’être conformé aux conditions imposées à l’égard de son entrée, de sa mise en liberté ou du sursis à son renvoi;

 

e) le fait de s’être dérobé au contrôle ou de s’être évadé d’un lieu de détention, ou toute tentative à cet égard;

 

f) l’implication dans des opérations de passage de clandestins ou de trafic de personnes qui mènerait vraisemblablement l’intéressé à se soustraire aux mesures visées à l’alinéa 244a) ou le rendrait susceptible d’être incité ou forcé de s’y soustraire par une organisation se livrant à de telles opérations;

 

g) l’appartenance réelle à une collectivité au Canada.

[…]

 

248. S’il est constaté qu’il existe des motifs de détention, les critères ci‑après doivent être pris en compte avant qu’une décision ne soit prise quant à la détention ou la mise en liberté :

 

a) le motif de la détention;

 

b) la durée de la détention;

 

 

c) l’existence d’éléments permettant l’évaluation de la durée probable de la détention et, dans l’affirmative, cette période de temps;

 

 

d) les retards inexpliqués ou le manque inexpliqué de diligence de la part du ministère ou de l’intéressé;

 

e) l’existence de solutions de rechange à la détention.

244. For the purposes of Division 6 of Part 1 of the Act, the factors set out in this Part shall be taken into consideration when assessing whether a person

 

(a) is unlikely to appear for examination, an admissibility hearing, removal from Canada, or at a proceeding that could lead to the making of a removal order by the Minister under subsection 44(2) of the Act;

 

(b) is a danger to the public; or

 

 

 

(c) is a foreign national whose identity has not been established.

 

 

245. For the purposes of paragraph 244(a), the factors are the following:

 

(a) being a fugitive from justice in a foreign jurisdiction in relation to an offence that, if committed in Canada, would constitute an offence under an Act of Parliament;

 

(b) voluntary compliance with any previous departure order;

 

(c) voluntary compliance with any previously required appearance at an immigration or criminal proceeding;

 

 

(d) previous compliance with any conditions imposed in respect of entry, release or a stay of removal;

 

(e) any previous avoidance of examination or escape from custody, or any previous attempt to do so;

 

(f) involvement with a people smuggling or trafficking in persons operation that would likely lead the person to not appear for a measure referred to in paragraph 244(a) or to be vulnerable to being influenced or coerced by an organization involved in such an operation to not appear for such a measure; and

 

(g) the existence of strong ties to a community in Canada.

[…]

 

248. If it is determined that there are grounds for detention, the following factors shall be considered before a decision is made on detention or release:

 

 

(a) the reason for detention;

 

(b) the length of time in detention;

 

(c) whether there are any elements that can assist in determining the length of time that detention is likely to continue and, if so, that length of time;

 

(d) any unexplained delays or unexplained lack of diligence caused by the Department or the person concerned; and

 

(e) the existence of alternatives to detention.

 

III. LA NORME DE CONTRÔLE

[12]           Dans la présente instance, le demandeur soutient que les commissaires Tessler et Shaw Dyck ont commis une erreur parce qu’ils n’ont pas donné de motifs clairs et convaincants de s’écarter des décisions antérieures de la Commission où elle avait ordonné le maintien en détention des défendeurs.

 

[13]           L’analyse pragmatique et fonctionnelle propre à une procédure de contrôle judiciaire introduite à propos d’une détention motivée par le fait que l’intéressé constitue un danger pour le public ou manifeste une propension marquée à s’esquiver a été très soigneusement conduite par le juge Gauthier dans la décision Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Thanabalasingham, [2004] 3 R.C.F. 523, 2003 CF 1225 (la décision Thanabalasingham), aux paragraphes 38 à 52. En appel, la Cour d’appel fédérale a trouvé que le juge Gauthier avait appliqué les bonnes normes de contrôle aux conclusions de la Commission : [2004] 3 R.C.F. 572 (l’arrêt Thanabalasingham), au paragraphe 24. Pour résumer la décision rendue par le juge Gauthier, les conclusions de fait allaient être revues selon la norme de la décision manifestement déraisonnable, et les conclusions mixtes de droit et de fait le seraient selon la norme de la décision raisonnable. Les conclusions de droit n’appellent aucune retenue judiciaire : c’est la norme de la décision correcte qui s’applique à elles.

 

[14]           Dans la décision Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Lai, 2007 CF 1252, [2007] A.C.F. n° 1603 (QL) (la décision Lai), au paragraphe 17, le juge Harrington considérait que le point de savoir si un commissaire a commis une erreur parce qu’il n’a pas exposé de motifs clairs et convaincants de s’écarter de la jurisprudence antérieure de la Commission était une question mixte de droit et de fait. Par conséquent, eu égard à la norme de la décision raisonnable, la décision du commissaire commandait, selon lui, la retenue de la Cour.

 

[15]           Compte tenu de l’analyse faite dans la décision Lai, et compte tenu également de l’arrêt de la Cour suprême du Canada, Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9 (l’arrêt Dunsmuir), je suis d’avis que la norme de contrôle qui est applicable aux points soulevés dans la présente demande de contrôle judiciaire est celle de la décision raisonnable.

 

[16]           Cela signifie que je ne pourrai intervenir que si je suis d’avis que les décisions contestées sont déraisonnables, en ce sens qu’elles n’appartiennent pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » : arrêt Dunsmuir, paragraphe 47. Tel est le cas ici, comme je l’explique dans l’analyse ci‑après.

 

IV. ANALYSE

 

[17]           L’examen de la légalité des décisions contestées se justifie ici alors même qu’un contrôle légal des motifs du maintien en détention doit avoir lieu tous les trente jours.

 

[18]           Dans l’arrêt Thanabalasingham, la Cour d’appel fédérale faisait observer au paragraphe 6 que le contrôle des motifs d’une détention n’est pas à proprement parler une nouvelle audience. Au contraire, tous les facteurs existants se rapportant à la détention doivent être pris en compte, y compris les motifs de toute ordonnance antérieure de détention.

 

[19]           Aux paragraphes 10 à 13 de l’arrêt Thanabalasingham, précité, la Cour d’appel fédérale expose plusieurs principes qui sont applicables lorsqu’un commissaire procède au contrôle des motifs d’une détention :

Les décisions rendues à l’égard du contrôle des motifs de la détention sont des décisions fondées essentiellement sur les faits pour lesquelles il est habituellement fait preuve de retenue. Bien que, comme il a été précédemment mentionné, un commissaire ne soit pas lié par les décisions antérieures, je partage l’opinion du ministre selon laquelle il faut, dans les cas où un commissaire décide d’aller à l’encontre des décisions antérieures ordonnant la détention d’une personne, que des motifs clairs et convaincants soient énoncés. Il existe des raisons valables pour exiger de tels motifs clairs et convaincants.

 

La crédibilité de la personne en cause et celle des témoins sont souvent des questions en litige. Dans les cas où un décideur antérieur a eu la possibilité d’entendre les témoins, d’observer leur comportement et d’évaluer leur crédibilité, il est nécessaire que le décideur subséquent explique clairement les raisons pour lesquelles l’évaluation de la preuve faite par le décideur antérieur ne justifie pas le maintien de la détention. Par exemple, l’admission de nouveaux éléments de preuve pertinents constituerait un fondement valable pour aller à l’encontre d’une décision antérieure ordonnant la détention. Subsidiairement, une nouvelle évaluation des éléments de preuve antérieurs fondée sur de nouvelles prétentions peut également être suffisante pour aller à l’encontre d’une décision antérieure.

 

La meilleure façon pour le commissaire de fournir des motifs clairs et convaincants serait d’expliquer précisément ce qui a entraîné la nouvelle conclusion, c’est‑à‑dire expliquer ce que la décision antérieure énonçait et les raisons pour lesquelles il a tiré une conclusion contraire.

 

Cependant, même si le commissaire n’énonce pas explicitement les raisons pour lesquelles il a tiré une conclusion différente de celle tirée par le commissaire antérieur, il peut le faire de façon implicite dans ses motifs de la décision subséquente. Ce qui serait inacceptable serait une décision rendue hâtivement sans qu’il soit fait mention d’une manière significative des motifs antérieurs de la détention.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[20]           Les principes exposés par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Thanabalasingham ont été résumés ainsi par la juge Dawson dans la décision Sittampalam c. Canada (Solliciteur général), 2005 CF 1352, [2005] A.C.F. n° 1734 (QL) :

[…] Premièrement, avec ce genre de contrôle, il ne s’agit pas, à proprement parler, d’une audition de novo. La constitution du dossier de la Commission se fait de manière continue au fil des audiences et celle‑ci est censée prendre en compte les motifs pour lesquels les ordonnances précédentes ont été rendues. Deuxièmement, la Commission doit décider à nouveau, à chaque contrôle, si le maintien de la détention est justifié. Troisièmement, si un commissaire choisit de ne pas suivre les décisions rendues antérieurement par la Commission, il doit invoquer des motifs clairs et convaincants pour ce faire. Quatrièmement, c’est toujours au ministre qu’il incombe d’établir qu’il y a des motifs justifiant la détention ou le maintien en détention. Cependant, lorsque le ministre a présenté une preuve prima facie en faveur du maintien de la détention, l’intéressé doit produire des éléments de preuve en réponse, sinon il risque le maintien de sa détention.

 

 

[21]           Dans la présente affaire, je suis d’avis que les décisions contestées sont déraisonnables. Brièvement, les commissaires Tessler et Shaw Dyck n’ont pas donné de motifs clairs et convaincants de s’écarter des décisions antérieures de la Commission portant sur la question d’une possible longue détention et sur celle des solutions de remplacement, notamment le placement sous surveillance électronique.

 

[22]           Vu la nature complexe de l’affaire dont je suis saisi, il vaut la peine d’exposer, d’une manière assez détaillée, les faits qui ont conduit aux premières décisions de la Commission et autres instances en matière d’immigration, ainsi que les principales conclusions qui furent tirées en l’occurrence.

 

[23]           Les défendeurs, qui sont des frères, sont des Chinois arrivés au Canada le 31 décembre 2004. Ils ont été admis au Canada à la faveur de visas de résident temporaire. Au lieu de quitter le pays à l’expiration de leurs visas, les défendeurs sont restés au Canada illégalement et se sont résolument employés à se soustraire aux autorités canadiennes.

 

[24]           D’après des renseignements communiqués par les autorités chinoises, les défendeurs ont fui la République populaire de Chine (la Chine) quelques semaines avant d’être accusés de conspiration en vue de commettre une fraude portant sur plus de 136 millions $ CAN, par virement de fonds de comptes bancaires d’entreprises victimes vers les comptes bancaires de sociétés contrôlées par l’un ou l’autre des défendeurs. Les autorités chinoises ont recensé 24 suspects : sept ont pris la fuite et six ont été déclarés coupables.

 

[25]           Le 24 janvier 2005, les autorités chinoises ont décerné des mandats d’arrêt à l’encontre des défendeurs. Les mandats ont été délivrés par le Protectorat populaire de la ville de Harbin, province de Heilongjiang, en Chine, en application de l’article 194 du Code pénal chinois. Si elle avait été commise au Canada, cette infraction aurait été celle que prévoit l’alinéa 380(1)a) du Code criminel du Canada, L.R.C. 1985, ch. C‑46, à savoir une fraude de plus de 5 000 $, qui constitue un acte criminel punissable d’un emprisonnement maximal de quatorze ans.

 

[26]           Avant d’en dire davantage sur les décisions rendues dans cette affaire et portant sur l’admissibilité et la détention des défendeurs, il est utile à ce stade de se référer au paragraphe 55(1) de la Loi, qui permet à un agent d’immigration de lancer un mandat pour l’arrestation et la détention d’un résident permanent ou d’un étranger dont il a des motifs raisonnables de croire qu’il est interdit de territoire et qu’il constitue un danger pour la sécurité publique ou se soustraira vraisemblablement au contrôle, à l’enquête ou au renvoi.

 

[27]           La Section de l’immigration doit contrôler les motifs justifiant le maintien en détention d’un résident permanent ou d’un étranger dans les quarante‑huit heures suivant le début de celle‑ci, ou dans les meilleurs délais par la suite, puis à nouveau dans les sept jours qui suivent le premier contrôle, puis au moins tous les 30 jours suivant le contrôle précédent (paragraphes 57(1) et (2) de la Loi).

 

[28]           Le 12 novembre 2006, une agente d’inspection de l’immigration, Cheryl Shapka (l’agente Shapka), a rédigé un rapport selon lequel, à son avis, Dong Zhe Li était interdit de territoire en application de l’alinéa 36(1)c) de la Loi pour crimes graves commis à l’extérieur du Canada. Quelques jours plus tard, elle a rédigé un rapport selon lequel, à son avis, Dong Hu Li était lui aussi interdit de territoire conformément à la même disposition.

 

[29]           Le 16 novembre 2006, l’agente Shapka a établi un rapport d’interdiction de territoire en application du paragraphe 44(1) de la Loi. Le même jour, elle lançait des mandats d’arrêt contre les défendeurs au Canada.

 

[30]           L’agente Shapka a plus tard établi d’autres rapports selon lesquels, à son avis, les défendeurs étaient également interdits de territoire conformément à l’article 41 et au paragraphe 29(2) de la Loi parce qu’ils étaient demeurés au Canada après la fin de la période de séjour autorisée.

 

[31]           Les défendeurs sont entrés dans la clandestinité et ont réussi à échapper aux autorités canadiennes durant quelque temps. Alors que les défendeurs étaient en fuite, l’un de leurs comparses, Gao Shan, ainsi que son épouse, Li Xue, furent arrêtés au Canada.

 

[32]           En février 2007, des agents du Service de police de Vancouver ont découvert que les défendeurs séjournaient au Sheraton Wall Centre Hotel, au centre‑ville de Vancouver. Ils ont frappé le 23 février 2007 à la porte de leur chambre d’hôtel; cependant, les défendeurs ont refusé de leur ouvrir la porte. Recourant au mandat spécial d’entrée qu’ils détenaient, les agents ont pénétré dans la suite des défendeurs. Quand les défendeurs furent arrêtés, ils ont découvert plusieurs morceaux de papier déchiré dans la cuvette des toilettes. Il s’agissait notamment d’un passeport, d’un permis de conduire et d’un livret de conduite, tous portant le nom de Zhou Hua. Au début de 2005, les défendeurs avaient utilisé de fausses pièces d’identité chinoises établies aux noms de Zhou Hua et de Guo Feng.

 

[33]           Les défendeurs ont été immédiatement placés en détention. Ils ont été détenus au détachement de la GRC de Vancouver‑Nord, où lecture leur fut faite de leurs droits. L’agente Shapka a aussi interrogé chacun d’eux séparément et les a informés qu’ils avaient été arrêtés pour interdiction de territoire en conséquence des graves accusations de fraude pesant contre eux en Chine, conformément à l’alinéa 36(1)c) de la Loi. Elle les a aussi informés qu’ils étaient arrêtés et détenus conformément à l’article 55 de la Loi, en raison de leur refus de quitter le Canada ou de demander une prorogation de leurs visas de résident temporaire lorsque les visas avaient expiré.

 

[34]           Les défendeurs se sont vu offrir la possibilité de communiquer avec un avocat, Me Stanley Foo. Me Foo s’est adressé à Me Kompa, un criminaliste connaissant bien le droit de l’immigration, pour qu’il comparaisse en son nom et représente les défendeurs au cours du contrôle de leur admissibilité et du contrôle des motifs de leur détention. Ces contrôles devaient avoir lieu successivement le 26 février 2007.

 

[35]           Lors du contrôle de leur admissibilité, les défendeurs ont été interrogés par le représentant du demandeur, qui a considéré que les allégations figurant dans les rapports, et se rapportant au dépassement de la durée fixée de leurs visas de résident temporaire, étaient fondées. Le lendemain, le représentant du demandeur prononçait des mesures d’exclusion à l’encontre des défendeurs.

 

[36]           En conséquence des mesures d’exclusion, les défendeurs perdaient le droit, en application du paragraphe 99(3) de la Loi, de présenter des demandes d’asile.

 

[37]           Les défendeurs ont déposé des demandes d’autorisation et de contrôle judiciaire devant la Cour fédérale à l’encontre des mesures d’exclusion. Ces demandes ont retardé le traitement de la demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR) présentée par les demandeurs, comme il est expliqué ci‑après.

 

[38]           La Section de l’immigration a procédé au contrôle des motifs de la détention des défendeurs le même jour qu’a eu lieu le contrôle de leur admissibilité. À la requête de l’avocat des défendeurs, la commissaire Shaw Dyck a ajourné l’audience au 2 mars 2007.

 

[39]           Dans l’intervalle, le 27 février 2007, les défendeurs ont reçu avis de leur droit de solliciter un ERAR.

 

[40]           Le 13 mars 2007, les défendeurs ont déposé leur demande d’ERAR. Cependant, ils ont sollicité le report de la décision s’y rapportant jusqu’à ce que la Cour fédérale statue sur leurs demandes de contrôle judiciaire déposées à l’encontre des mesures d’exclusion, ainsi que sur leur droit de demander l’asile. Par décision en date du 21 septembre 2007, mon collègue le juge Noël a rejeté les demandes de contrôle judiciaire : Li c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 941, [2007] A.C.F. n° 1215 (QL).

 

[41]           Le contrôle des motifs de la détention s’est poursuivi devant la commissaire Shaw Dyck le 2 mars 2007. Le demandeur a requis le maintien en détention des défendeurs conformément à l’alinéa 245a) du Règlement, au motif qu’ils se soustrairaient vraisemblablement à leur renvoi. L’avocat des défendeurs a confirmé que les défendeurs ne demandaient pas leur mise en liberté; ils consentaient plutôt à rester en détention.

 

[42]           La commissaire Shaw Dyck a estimé que les défendeurs étaient des « fugitifs à l’égard de la justice », concluant qu’ils se soustrairaient vraisemblablement à leur renvoi. Ces conclusions n’ont jamais été contestées par les défendeurs dans des contrôles ultérieurs des motifs de leur détention. La commissaire Shaw Dyck a ordonné leur maintien en détention.

 

[43]           Le contrôle suivant des motifs de leur détention a eu lieu sept jours plus tard, le 9 mars 2007. Comme les positions des parties demeuraient les mêmes, la commissaire Shaw Dyck a ordonné le maintien en détention jusqu’au contrôle suivant prévu par la loi.

 

[44]           Le 5 avril 2007, comme les positions des parties étaient inchangées, la commissaire Shaw Dyck a de nouveau ordonné le maintien en détention des défendeurs. En outre, lors des contrôles ultérieurs des motifs de la détention, le 23 avril 2007 et le 16 mai 2007, elle a ordonné le maintien en détention des défendeurs parce qu’ils se soustrairaient vraisemblablement à leur renvoi.

 

[45]           La commissaire King s’est chargée des contrôles des motifs de la détention qui ont eu lieu le 28 juin 2007, le 3 juillet 2007 et le 4 juillet 2007. Les défendeurs ont alors demandé à être mis en liberté en proposant un cautionnement selon la somme de 200 000 $CAN, qui serait déposée par un ami travaillant au Royal Winnipeg Ballet. Le demandeur a déposé des documents émanant des autorités chinoises et se rapportant aux accusations de fraude et aux déclarations de témoins. Les défendeurs ont tous deux témoigné oralement au cours de l’instance.

 

[46]           Par décision rendue le 6 juillet 2007, la commissaire King a rejeté la demande de mise en liberté faite par les défendeurs et ordonné leur maintien en détention. Les défendeurs n’ont pas été jugés crédibles. Encore une fois, je voudrais faire observer que les conclusions tirées alors à propos de la crédibilité des défendeurs n’ont pas été sérieusement mises en doute par les défendeurs lors des contrôles ultérieurs des motifs de leur détention.

 

[47]           Cela dit, la commissaire King a admis que les défendeurs risquaient une longue détention : « il faudra probablement beaucoup de temps pour que leurs litiges se règlent au Canada. Néanmoins, à lui seul, ce facteur ne l’emporte pas sur les autres facteurs pertinents dans leur cas ». La commissaire King a jugé que la conduite des défendeurs montrait qu’ils étaient des fuyards en puissance et elle a réaffirmé que, s’ils étaient mis en liberté, ils se soustrairaient vraisemblablement à leur renvoi.

 

[48]           La commissaire King, ordonnant leur maintien en détention, a conclu ce qui suit :

1.      les défendeurs sont résolus à éviter un retour en Chine et il y a donc tout lieu de craindre qu’ils ne prennent la fuite;

2.      les défendeurs et leurs épouses ont commencé, peu après leur arrivée ici, à se départir de tous les actifs et biens inscrits à leurs noms, afin d’éviter d’être démasqués au Canada. Sur ce point, le témoignage de Dong Zhe Li n’a pas été crédible;

3.      les défendeurs ont tenté de se soustraire à leur arrestation par les autorités canadiennes et sont disposés à prendre les moyens nécessaires pour y parvenir. Sur ce point, leurs témoignages étaient contradictoires et peu vraisemblables;

4.      le cautionnement proposé par les défendeurs ne les convaincrait pas pour autant de la nécessité de se présenter en vue de leur renvoi.

 

[49]           Lors du contrôle suivant des motifs de leur détention, c’est‑à‑dire environ un mois plus tard, le commissaire Nupponen, souscrivant à tous les aspects de la décision de la commissaire King, a rejeté les propositions faites par les défendeurs, qui souhaitaient l’intervention d’une caution. Selon lui, les défendeurs allaient vraisemblablement se soustraire à leur renvoi, et il a donc ordonné leur maintien en détention. Le commissaire Nupponen a souligné aussi que les défendeurs risquaient une longue détention. Il ajoutait cependant : [traduction] « Je ne crois pas qu’il s’agisse là d’une période indéfinie. C’est tout simplement une longue période, qui sera nécessaire pour l’accomplissement des procédures. Vu qu’il y a de fortes chances pour que les intéressés se soustraient à leur renvoi, cette possible longue détention n’est pas à mon avis excessive ».

 

[50]           D’autres contrôles des motifs de la détention ont eu lieu le 6 septembre 2007, le 4 octobre 2007, le 30 octobre 2007 et le 27 novembre 2007. Estimant qu’il n’y avait aucune raison de s’écarter des décisions antérieures, le commissaire Nupponen a ordonné le maintien en détention des défendeurs au motif qu’ils se soustrairaient vraisemblablement à leur renvoi.

 

[51]           Plus précisément, le 27 novembre 2007, le commissaire Nupponen écrivait ce qui suit :

[traduction]

 

D’autres commissaires ainsi que moi‑même avons conclu que les frères Li disposeraient de fonds suffisants pour pouvoir se dispenser de se présenter aux fonctionnaires de l’immigration s’ils étaient mis en demeure de se présenter à eux.

 

Des solutions autres que la détention ont été évoquées par le passé et ont été écartées. Les commissaires, y compris moi‑même, ont conclu que les solutions en question ne permettraient pas de neutraliser le risque élevé de voir les frères Li échapper à leur renvoi.

 

[52]           Le contrôle suivant des motifs de la détention a eu lieu les 19 et 20 décembre 2007. Durant le contrôle, les défendeurs ont affirmé que « le processus d’ERAR sera très long, qu’il nécessitera probablement une demande de contrôle judiciaire, quelle que soit l’issue, et que, par conséquent, il faudra probablement de nombreuses années avant que leurs demandes d’immigration se concluent ».

 

[53]           Les défendeurs ont demandé à être mis en liberté en proposant leur placement sous surveillance électronique, une solution qui n’avait pas été auparavant considérée. Au soutien de leur proposition, ils ont invoqué les décisions de la Commission examinées dans l’affaire USA c. Welch and Romero (26 septembre 2006), Vancouver (C.‑B.), 23960 (Cour suprême de la C.‑B.) (la décision Welch and Romero). La Commission avait jugé que ces deux individus allaient vraisemblablement s’esquiver et que de substantiels cautionnements n’allaient pas neutraliser ce risque. Cependant, après une détention de plusieurs mois, la Commission avait estimé que leur mise en liberté, accompagnée d’un placement sous surveillance électronique, s’imposait. L’ordonnance de mise en liberté n’a jamais pris effet cependant, puisque, peu de temps après, des procédures d’extradition furent entreprises.

 

[54]           Dans la présente affaire, le demandeur s’est opposé énergiquement à un placement sous surveillance électronique comme solution pouvant remplacer la détention et a présenté un raisonnement et une argumentation qui distinguaient la présente affaire de l’affaire Welch and Romero et d’autres affaires que les défendeurs avaient invoquées pour justifier une mise en liberté sous condition. Le raisonnement du demandeur fut intégralement approuvé par la commissaire King, qui a refusé d’ordonner la mise en liberté des défendeurs aux conditions alors proposées, conditions qui toutes furent jugées inacceptables.

 

[55]           Dans une décision rendue le 10 janvier 2008, la commissaire King a réaffirmé que les défendeurs disparaîtraient dans la nature si elle ordonnait leur mise en liberté.

 

[56]           S’agissant du temps que les défendeurs avaient passé en détention, la commissaire King s’est exprimée ainsi :

[L]e temps que les Li ont passé en détention ne joue pas en leur faveur lorsqu’il est comparé au poids des autres faits de leur cas. Ils sont détenus par les autorités de l’immigration depuis 10 mois. S’il est vrai que leur processus d’ERAR peut être très long, il est également possible qu’il se conclue relativement rapidement si, dans le cadre d’un contrôle judiciaire, leur demande d’ERAR est rejetée.

 

[57]           S’agissant de l’argument des défendeurs selon lequel leur placement sous surveillance électronique serait à même de réduire le risque qu’ils présentent, la commissaire King a longuement motivé le rejet de cette solution. Elle a notamment récusé toute analogie entre la présente affaire et l’affaire Welch and Romero :

[…] Les Welch et Romero n’étaient pas accusés de crimes financiers dans leur pays d’origine. Avant leur arrestation au Canada, ils n’avaient jamais eu accès à une richesse comparable à celle des Li. Les Welch et Romero n’ont jamais eu ou utilisé de fausses pièces d’identité, n’ont jamais employé de pseudonymes au Canada et n’ont jamais élaboré de plans complexes pour dissimuler leur présence au Canada. Ils ont été repérés par un agent de la GRC au cours des jours qui ont suivi leur arrivée au pays, et ils ont collaboré pleinement avec celui-ci au premier contact. Mais surtout, aucun commissaire du présent tribunal n’a estimé que les Welch et Romero n’étaient pas crédibles.

 

 

[58]           La commissaire King a aussi passé en revue la jurisprudence pertinente ainsi que les décisions de la Commission portant sur le placement sous surveillance électronique. Selon elle, un tel placement ne garantissait pas que l’intéressé se présenterait. Au contraire, tout ce qu’il permet, c’est d’éveiller l’attention de l’entreprise (en l’occurrence Trace Canada) et des autorités compétentes sur la possibilité que l’intéressé se soit esquivé ou ait disparu. Le placement sous surveillance électronique ne permet pas de localiser l’individu ni ne dévoile ses intentions.

 

[59]           Reconnaissant qu’il n’est pas obligatoire que des conditions de mise en liberté aux termes de la Loi assurent au demandeur un substitut parfait assimilable à une détention, la commissaire King fut néanmoins d’avis que le maintien en détention était nécessaire puisque le placement sous surveillance électronique ne limite pas physiquement les déplacements de celui qui porte le dispositif et que ce dispositif ne permet pas de trouver l’intéressé lorsqu’il a réussi à l’enlever ou à le désactiver.

 

[60]           Aux trois contrôles suivants des motifs de la détention, qui ont eu lieu le 6 février 2008, le 5 mars 2008 et le 2 avril 2008, et puisque aucun fait nouveau ne permettait aux commissaires de s’écarter des décisions antérieures, la Commission a ordonné le maintien en détention.

 

[61]           Le 1er mai 2008, le commissaire Tessler a reporté au 7 mai 2008 le contrôle des motifs de la détention, pour que les défendeurs puissent s’y présenter. Le 7 mai 2008 et le 22 mai 2008, lors d’un contrôle des motifs de la détention conduit devant le commissaire Tessler, l’avocat des défendeurs a fait savoir que, à son avis, les circonstances de l’affaire avaient sensiblement évolué.

 

[62]           Essentiellement, les défendeurs affirmaient qu’un fait nouveau survenu dans le traitement de la demande d’ERAR donnait à penser que la détention allait être beaucoup plus longue. Leur avocat a fait valoir qu’un agent d’ERAR avait exprimé l’avis que les défendeurs seraient exposés à un risque après leur retour en Chine et que la demande d’ERAR allait maintenant devoir franchir à Ottawa un long processus d’examen et de délibération (processus communément appelé « exercice de pondération ») avant que ne puisse être rendue une décision définitive.

 

[63]           Au soutien de cette position, les défendeurs ont produit deux affidavits de Lorne Waldman, un avocat se consacrant exclusivement au domaine du droit de l’immigration et qui représentait le coaccusé des défendeurs, Gao Shan. Le témoignage de Me Waldman contenait ce qui suit :

[traduction]

 

D’après mon expérience, lorsqu’une conclusion d’existence d’un risque est communiquée au ministre par l’agent d’ERAR conformément au paragraphe 112(3) [de la Loi] pour un exercice de pondération, le processus prend énormément de temps et se prolonge durant plusieurs années. […]

 

Si j’en crois l’expérience que j’ai acquise dans toutes ces affaires, je suis persuadé que, en dépit de la garantie selon laquelle un dossier bénéficiera d’une priorité élevée, il est improbable qu’une décision soit rendue dans l’année et il est très probable qu’il faille davantage de temps.

 

[64]           Le demandeur a fait valoir quant à lui que les circonstances n’avaient pas sensiblement évolué au point d’autoriser le commissaire Tessler à s’écarter ici des décisions antérieures de la Commission. Au reste, la lettre envoyée par l’agent d’ERAR aux défendeurs, lettre dans laquelle il écrivait qu’il avait terminé l’examen du dossier, avait été envoyée par erreur ainsi que l’indiquait une correspondance ultérieure envoyée à l’avocat des défendeurs. Le demandeur a effectivement produit une lettre du coordonnateur de l’ERAR informant les défendeurs que [traduction] « l’examen des risques avant renvoi n’a pas encore été mené à son terme ».

 

[65]           Contrairement au délai indiqué par Me Waldman, l’avocat du demandeur a affirmé qu’il avait obtenu une estimation en la matière d’une source crédible et digne de foi, à savoir le directeur général de la Direction de la gestion des cas, à Citoyenneté et Immigration Canada, pour qui l’exercice de pondération prévu par l’article 113 de la Loi requiert en général [traduction] « entre trois et cinq mois avant qu’une décision soit rendue ».

 

[66]           Le demandeur a aussi contesté les affidavits de Me Waldman, qu’il a taxé de partialité étant donné qu’il représentait Gao Shan, dont les autorités chinoises affirment qu’il a comploté avec les défendeurs.

 

[67]           Par décision motivée portant la date du 11 juin 2008, le commissaire Tessler a ordonné la mise en liberté des défendeurs sous réserve de conditions, notamment leur placement sous surveillance électronique.

 

[68]           Dans la section intitulée « Changement de circonstances », le commissaire Tessler écrivait ce qui suit :

Compte tenu des éléments de preuve, je suis convaincu que les frères Li seraient exposés à un risque s’ils étaient renvoyés en Chine, conformément à la conclusion de l’agent ayant procédé à l’ERAR. En fait, le ministre a admis ce risque à la troisième séance du contrôle des motifs de détention. L’ERAR en est maintenant à une étape du processus qui pourrait s’avérer longue. Cela constitue un changement important des circonstances.

[Renvoi omis.]

 

 

[69]           Dans une section de la décision intitulée « Principes juridiques concernant les détentions de longue durée », le commissaire Tessler passait en revue les facteurs à prendre en compte pour savoir si une détention est longue et si cela équivaut à une violation du droit à la liberté qui est reconnu par l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés, comme on peut le lire dans le jugement Sahin c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1995] 1 C.F. 214, [1994] A.C.F. n° 1534 (QL), et comme en fait état l’article 248 du Règlement.

 

[70]           Le commissaire Tessler a d’abord estimé que les défendeurs avaient été détenus au motif qu’ils allaient vraisemblablement se soustraire à leur renvoi.

 

[71]           Le commissaire Tessler a ensuite relevé qu’ils avaient été détenus durant 15 mois.

 

[72]           S’agissant du troisième facteur, celui de savoir s’il existait des éléments permettant l’évaluation de la durée probable de la détention et, dans l’affirmative, cette période de temps, le commissaire Tessler écrivait que, selon un agent d’ERAR, les défendeurs seraient exposés à un risque en cas de renvoi en Chine. Par conséquent, avant que les conclusions de l’examen des risques soient communiquées aux défendeurs, le demandeur allait devoir mettre en balance le risque couru par les défendeurs et le risque couru par la société.

 

[73]           Le commissaire a rejeté l’argument du demandeur selon lequel Me Waldman n’était pas impartial, estimant plutôt qu’il communiquait simplement une information empirique sur les délais de traitement, d’autant qu’aucune autre information sur le sujet n’avait été produite. Selon le commissaire Tessler, Me Waldman n’avait « aucun intérêt professionnel ou personnel dans l’issue de la présente audience ».

 

[74]           Le commissaire a alors considéré que, si les défendeurs « demeurent en détention et que toutes les procédures se déroulent rapidement, le ministre ne sera tout de même pas en mesure de les renvoyer avant encore trois ou quatre ans ». Étant donné que plusieurs mesures pouvaient être prises par le demandeur ou par les défendeurs et que les délais propres à chacune d’elles étaient pour l’essentiel inconnus, le commissaire a conclu que la détention s’approchait d’une détention indéterminée, au risque de porter atteinte au droit des défendeurs à la liberté : « Dans la présente affaire, il existe une probabilité de détention pour une période indéterminée, et les personnes en cause ne posent aucun danger pour la santé et la sécurité des Canadiens, ce qui fait que le droit à la liberté des frères Li l’emporte sur l’intérêt public ».

 

[75]           S’agissant de la question de savoir s’il y avait eu ou non des retards inexpliqués, le commissaire a conclu que l’introduction de recours juridiques n’équivalait pas, de la part des défendeurs, à un retard inexpliqué. Aucun retard ni manque de diligence n’était non plus imputable au demandeur.

 

[76]           Finalement, s’agissant des solutions autres que la détention, le commissaire Tessler a souscrit aux conclusions antérieures de ses collègues pour qui les défendeurs étaient des fuyards en puissance. Cependant, puisque la « nouvelle de la décision favorable concernant l’ERAR et la demande d’évaluation des restrictions par le ministre constituent de nouveaux faits importants relativement à la possibilité d’une longue détention », le commissaire a exprimé l’avis que les circonstances avaient sensiblement évolué et que la détention risquait de se poursuivre, ce qui militait en faveur d’une mise en liberté.

 

[77]           Le commissaire Tessler restait d’avis qu’un cautionnement aurait peu d’effet sur le comportement futur des défendeurs : « S’ils sont réellement désespérés, une caution ne les empêchera pas de s’enfuir ». Le commissaire Tessler s’est alors demandé si un placement sous surveillance électronique aurait raison de leur propension à s’esquiver.

 

[78]           Il a d’abord relevé que les défendeurs auraient l’obligation de payer le service, lequel est « très souple et permet divers degrés de restriction des mouvements des personnes surveillées. Le [système de surveillance] américain communiquerait avec l’[Agence des services frontaliers du Canada], par téléphone, par télécopieur ou par courriel ».

 

[79]           Le commissaire Tessler a ensuite considéré l’opposition énergique du demandeur au placement sous surveillance électronique, opposition que le demandeur avait expliquée dans des conclusions écrites soumises à la commissaire King en décembre 2007. Selon le commissaire Tessler, l’une des principales objections du demandeur au placement sous surveillance électronique est que l’ASFC n’avait pas les ressources nécessaires pour recevoir les rapports de surveillance ou pour réagir aux manquements. Il ajoutait néanmoins : « Il me semble que le coût de la détention est considérablement plus élevé que les coûts associés à la réception de rapports de surveillance et à l’intervention en cas de non‑respect des conditions, s’il y a lieu. Quand on veut, on peut ».

 

[80]           Le placement sous surveillance électronique est simplement une autre forme de notification périodique qui ne garantit pas que l’intéressé se présentera pour son renvoi, mais, puisque les circonstances militaient maintenant en faveur d’une mise en liberté, le commissaire s’attendait à ce que « l’ASFC ait recours au système de surveillance électronique […] ». Pour conclure, vu le niveau du risque de voir les défendeurs prendre la fuite, et vu la possibilité d’une détention illimitée, le commissaire Tessler a rendu les ordonnances de mise en liberté, assorties de conditions restrictives, notamment le placement sous surveillance électronique.

 

[81]           Le 19 juin 2008, un contrôle des motifs de la détention a eu lieu devant la commissaire Shaw Dyck, les défendeurs n’ayant pas encore été en mesure de parfaire ou de remplir les conditions des ordonnances de mise en liberté rendues par le commissaire Tessler. Lors de ce contrôle, les défendeurs ont sollicité la modification des conditions imposées par le commissaire Tessler. L’avocat du demandeur a requis le maintien en détention, alléguant d’importantes erreurs commises par le commissaire Tessler dans ses ordonnances de mise en liberté.

 

[82]           C’est alors que le demandeur a déposé une lettre datée du 19 juin 2008 que lui avait envoyée le directeur général de la Direction de la gestion des cas, à Citoyenneté et Immigration Canada, lettre qui indiquait le délai estimatif qui s’écoulerait avant qu’une décision ne soit rendue sur la demande d’ERAR déposée par les défendeurs :

[traduction]

 

CIC procédera à un « examen des restrictions » (exposé de l’affaire), d’après le profil de dangerosité, dans un délai d’environ quatre semaines après avoir reçu les dossiers se rapportant à l’examen des risques et à celui du niveau de dangerosité. Les deux examens (examen des risques et examen du niveau de dangerosité) seront ensuite retournés à l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) pour communication aux clients. Par exemple, si nous devions recevoir les deux dossiers d’ici au 25 juin 2008, et en supposant que tous les documents nécessaires nous ont été remis par l’ASFC, nous devrions pouvoir faire connaître les résultats des deux examens (risque et dangerosité) aux clients d’ici au 30 juillet 2008. Si nous donnons aux clients les 15 jours requis pour faire connaître leur position, et en supposant que les clients ne demandent pas une prorogation, nous devrions recevoir leurs conclusions au plus tard le 29 août 2008, ce qui comprend le délai de transmission des examens de CIC à l’ASFC et le délai de transmission des conclusions des clients de l’ASFC à CIC. Nous pensons que le représentant du ministre rendra une décision d’ici à la mi‑octobre 2008, pour autant que nous ayons reçu de la Chine les garanties requises au regard de l’application de la peine de mort.

 

[83]           Le demandeur continuait aussi d’affirmer que les défendeurs restaient des fuyards en puissance, un risque qui ne pourrait pas être neutralisé par un placement sous surveillance électronique. Il a assigné comme témoin un agent de la GRC qui a déclaré être le chef d’une équipe de surveillance chargée d’enquêter sur les défendeurs. Au cours de l’enquête, la GRC avait constaté que M. Dong Hu Li s’était rendu à Toronto en janvier 2007 pour obtenir de fausses pièces d’identité canadiennes, à savoir un passeport canadien et un acte de naissance canadien, un permis de conduire de l’Ontario et des documents d’assurance santé de l’Ontario.

 

[84]           Dans une décision orale rendue à l’audience, la commissaire Shaw Dyck s’est exprimée ainsi : [traduction] « Je n’ai aucune raison impérieuse ni aucune bonne raison quelle qu’elle soit de m’écarter de la décision rendue par le commissaire Tessler le 11 juin 2008. Je fais donc mienne sa décision dans son intégralité […] ». Estimant que [traduction] « le placement sous surveillance électronique est mieux que rien », la commissaire a ordonné la mise en liberté des défendeurs selon des conditions modifiées par rapport à celles qu’avait auparavant imposées le commissaire Tessler.

 

[85]           Après lecture attentive du dossier certifié du Tribunal dans son intégralité, et après examen des arguments des parties, j’arrive à la conclusion que les décisions contestées ne font pas état de motifs clairs et convaincants de faire abstraction des décisions antérieures de la Commission et qu’elles sont par ailleurs déraisonnables.

 

[86]           Les décisions antérieures de la Commission avaient d’ailleurs expressément pris en compte la durée possible de la détention et la Commission avait finalement laissé de côté ce facteur qui militait en faveur de la mise en liberté des défendeurs, et cela, parce qu’ils allaient très certainement prendre la fuite.

 

[87]           Je ne puis non plus trouver dans les décisions contestées un raisonnement clair autorisant véritablement à ce stade la conclusion selon laquelle la détention des défendeurs peut être qualifiée aujourd’hui de détention « indéfinie » ou « indéterminée ». S’il y a eu effectivement un « changement de circonstances », alors, au mieux, la preuve est contradictoire. Au moment d’évaluer la durée probable de la détention, les commissaires Tessler et Shaw Dyck auraient dû exposer les raisons incontournables qu’ils pouvaient avoir de laisser de côté la preuve directe et pertinente produite par le demandeur.

 

[88]           Au reste, les solutions autres que la détention, notamment le placement sous surveillance électronique, ont toutes par le passé été rejetées par la Commission, pour des motifs très structurés et très convaincants, qui paraissent encore valides aujourd’hui. Les motifs en question semblent avoir été laissés de côté ou écartés, d’une manière arbitraire ou abusive, par les commissaires Tessler et Shaw Dyck dans les décisions contestées.

[89]           Environ un an avant que ne soient rendues les ordonnances de mise en liberté, les défendeurs avaient soulevé pour la première fois la question de la durée de la détention, faisant valoir que leurs recours juridiques risquaient de ne pas être menés à leur terme avant plusieurs années. Ils avaient donc, comme solution de remplacement, proposé une mise en liberté assortie d’un cautionnement. Comme je le disais plus haut, ce raisonnement fut explicitement rejeté par la commissaire King dans sa décision du 6 juillet 2007.

 

[90]           La question de la durée de la détention a resurgi lors du contrôle suivant des motifs de la détention, cette fois devant le commissaire Nupponen. Encore une fois, comme je le disais plus haut, le commissaire n’a pas trouvé que la perspective d’une longue détention en attendant l’issue de la demande d’ERAR équivaudrait à une période indéterminée de détention, et il n’a pas jugé non plus la détention excessive.

 

[91]           En outre, lors d’un contrôle des motifs de la détention tenu à la fin de 2007 ou au début de 2008, les défendeurs ont de nouveau fait valoir que le traitement de leur demande d’ERAR serait long, qu’il nécessiterait sans doute le dépôt d’une demande de contrôle judiciaire quelle que soit son issue et que plusieurs années seraient probablement nécessaires avant que leurs demandes d’immigration ne soient menées à leur terme. Néanmoins, la commissaire King a confirmé les décisions antérieures de la Commission. Plus précisément, elle a estimé que, même si les défendeurs avaient été détenus durant dix (10) mois et même si le traitement de leur demande d’ERAR risquait d’être long, il était également possible qu’il soit mené à son terme assez rapidement en cas de refus d’autorisation d’introduire une procédure de contrôle judiciaire contre la décision s’y rapportant.

 

[92]           Les commissaires Tessler et Shaw Dyck ont rendu les ordonnances de mise en liberté en se fondant, dans une grande mesure, sur un constat de changement de circonstances dans la procédure d’ERAR. Selon le commissaire Tessler, la conclusion d’existence d’un risque pour les défendeurs allait avoir pour effet d’éterniser la procédure. Cette conclusion était confirmée par l’opinion générale figurant dans l’affidavit de Me Waldman, opinion qui, je le souligne, contrastait vivement avec l’information donnée par le demandeur selon laquelle la procédure d’ERAR prendrait normalement de trois (3) à cinq (5) mois avant qu’une décision ne soit rendue sur une demande d’asile faite en application du paragraphe 112(3) de la Loi.

 

[93]           Cependant, lorsqu’ils ont rendu les ordonnances de mise en liberté, ni le commissaire Tessler ni la commissaire Shaw Dyck n’ont évoqué le fait que l’argument d’une possible longue détention avait déjà été examiné, puis rejeté, auparavant par d’autres commissaires. Ni l’un ni l’autre n’ont d’ailleurs exposé de motifs clairs et convaincants de s’écarter des décisions antérieures de la Commission où elle concluait que la durée de la détention ne militait pas en faveur d’une mise en liberté après examen de tous les autres facteurs pertinents. Il s’agit là d’une erreur susceptible de contrôle qui justifie l’intervention de la Cour.

 

[94]           Abstraction faite de ma conclusion selon laquelle les décisions contestées étaient déraisonnables, en ce sens qu’elles ne renfermaient pas de motifs clairs et convaincants de s’écarter des décisions antérieures de la Commission relatives à l’argument d’une longue détention, je suis également d’avis que la question d’une détention indéfinie ou indéterminée a sans doute été soulevée prématurément devant la Commission. Puisque cet aspect n’est pas déterminant pour cette demande de contrôle judiciaire, je ne l’ai pas examiné en détail. Il me suffira de dire que le dossier renferme des éléments montrant clairement que le représentant du ministre doit rendre une décision d’ici à la mi‑octobre 2008 (pour autant que soient reçues d’ici là les garanties de la Chine en ce qui a trait à l’application de la peine de mort). À moins que les éléments en question ne soient jugés peu fiables ou peu crédibles, il serait déraisonnable pour la Commission, à ce stade, de rejeter d’emblée une preuve aussi directe et aussi pertinente émanant du demandeur.

 

[95]           Au surplus, je suis d’avis que les décisions contestées étaient déraisonnables parce qu’elles ne font état d’aucun motif clair et convaincant de laisser de côté les décisions antérieures de la Commission relatives au placement sous surveillance électronique.

 

[96]           Dans sa décision motivée portant la date du 10 janvier 2008, la commissaire King examinait explicitement une mise en liberté assortie d’un placement sous surveillance électronique (comme le proposaient les défendeurs), comme solution pouvant remplacer la détention. Se fondant sur la preuve contenue dans le dossier, elle a estimé que cette solution ne convenait pas.

 

[97]           Je rappelle ici que les défendeurs sont accusés de crimes financiers. On a constaté qu’ils avaient accès à des sommes considérables, qu’ils ont utilisé de fausses pièces d’identité, qu’ils se servaient de noms d’emprunt au Canada, qu’ils avaient pris des dispositions pour passer inaperçus au Canada et qu’ils n’étaient pas crédibles. Les défendeurs étaient, et sont encore, considérés comme des fuyards en puissance. La Commission a clairement dit, dans ses décisions antérieures, que les solutions proposées en remplacement de la détention n’étaient pas satisfaisantes et elle a appuyé sa conclusion de motifs clairs et convaincants. Plus précisément, la commissaire King a clairement rejeté le placement sous surveillance électronique comme solution pouvant se substituer à la détention. La preuve à l’origine de ces décisions antérieures n’a pas été contestée par les défendeurs.

 

[98]           Malgré la conclusion explicite de la commissaire King selon laquelle le placement sous surveillance électronique n’était pas une solution acceptable, le commissaire Tessler a quand même ordonné la mise en liberté des défendeurs, assortie précisément de cette même solution de remplacement que la commissaire King avait explicitement écartée. Le commissaire Tessler s’exprime ainsi dans l’ordonnance de mise en liberté : « Je ne choisis pas d’aller à l’encontre des décisions de mes collègues concernant le caractère approprié des conditions proposées; j’évalue simplement de nouveau les solutions de rechange proposées, à la lumière d’un changement important des circonstances ». Le commissaire Tessler néglige toutefois de dire d’une manière claire et convaincante pourquoi un placement sous surveillance électronique est maintenant justifié. Il n’explique pas non plus en quoi un tel placement aurait pour effet d’atténuer le risque posé par les défendeurs alors que ce risque avait été décelé dans chacune des décisions antérieures de la Commission.

 

[99]           La commissaire Shaw Dyck a commis la même erreur. Dans ses motifs, elle écrit que le placement sous surveillance électronique vaut mieux que rien du tout. Or, encore une fois, elle ne dit pas d’une manière claire et convaincante pourquoi cette solution conviendrait aujourd’hui et en quoi elle pourrait réduire le risque auparavant décelé par tous les commissaires.

 

V. CONCLUSION

[100]       En conclusion, les commissaires Tessler et Shaw Dyck ont commis une erreur parce qu’ils n’ont pas donné de motifs clairs et convaincants de s’écarter des décisions antérieures de la Commission portant sur la question d’une possible longue détention. Outre cette erreur susceptible de contrôle, ils n’ont pas donné de motifs clairs et convaincants de s’écarter des décisions antérieures de la Commission portant sur la question du placement sous surveillance électronique.

 

[101]       Pour ces motifs, les présentes demandes de contrôle judiciaire réunies seront accueillies. Les ordonnances de mise en liberté seront donc annulées. Au prochain contrôle des motifs de la détention, la Commission prendra en compte les motifs de la présente décision, en même temps que les décisions antérieures rendues par la Commission dans la présente affaire, sans oublier la preuve et les observations versées dans le dossier, y compris l’ensemble des nouveaux éléments de preuve et les observations additionnelles des parties, et elle dira alors s’il existe des motifs clairs et convaincants de laisser de côté ces décisions antérieures et si, après examen de tous les facteurs pertinents, les défendeurs devraient bénéficier d’une mise en liberté assortie de conditions.

 


ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE que les présentes demandes de contrôle judiciaire réunies soient accueillies. Les ordonnances de mise en liberté rendues par les commissaires Tessler et Shaw Dyck, en date du 11 juin 2008 et du 19 juin 2008 respectivement, sont donc annulées. Au prochain contrôle des motifs de la détention, la Commission prendra en compte les motifs de la présente décision en même temps que les décisions antérieures rendues par la Commission dans la présente affaire, sans oublier la preuve et les observations versées dans le dossier, y compris l’ensemble des nouveaux éléments de preuve et les observations additionnelles des parties, et elle dira alors s’il existe des motifs clairs et convaincants de laisser de côté ces décisions antérieures et si, après examen de tous les facteurs pertinents, les défendeurs devraient bénéficier d’une mise en liberté assortie de conditions.

 

« Luc Martineau »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Christian Laroche

Juriste-traducteur et traducteur-conseil


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM‑2682‑08

 

INTITULÉ :                                       LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION c. DONG ZHE LI et DONG HU LI

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Vancouver (C.‑B.)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 29 JUILLET 2008

 

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE 

ET ORDONNANCE :                       LE JUGE MARTINEAU

 

DATE DES MOTIFS

ET DE L’ORDONNANCE :             LE 15 AOÛT 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Caroline Christiaens

 

POUR LE DEMANDEUR

Doug Cannon

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

Vancouver (C.‑B.)

 

POUR LE DEMANDEUR

Elgin, Cannon et Associés

Vancouver (C.‑B.)

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.