Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

Date : 20080820

Dossier : T-43-08

Référence : 2008 CF 961

Ottawa (Ontario), le 20 juillet 2008

En présence de monsieur le juge Barnes

 

 

entre :

ULLA MUELLER

demanderesse

et

 

le ministre de la citoyenneté

et de l’immigration

défendeur

 

 

motifs du jugement et jugemenT

 

[1]                Il s’agit d’un appel interjeté par Ulla Mueller en vertu du paragraphe 14(5) de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. 1985, ch. C-29 (la Loi), contre une décision du bureau de la citoyenneté qui l’a déboutée de sa demande de citoyenneté. Le bureau de la citoyenneté a conclu que Mme Mueller n’avait pas été en mesure d’établir sa résidence au Canada comme le requiert l’alinéa 5(1)c) de la Loi. Il n’est pas contesté que Mme Mueller avait un déficit de 783 jours par rapport à l’exigence légale de 1 095 jours de résidence effective dans les quatre ans qui ont précédé la date de sa demande. La question que soulève le présent appel est de savoir si le bureau de la citoyenneté a commis une erreur dans son évaluation de la prétention de la demanderesse d’une résidence par déduction.

 

I.          Résumé des faits

 

[2]               En 1975, Mme Mueller est entrée au Canada comme personne à charge de ses parents. Elle était alors âgée de 9 ans. Après cela, elle a suivi toute sa scolarité au Canada. Elle est devenue résidente permanente en 1989. Son époux est Canadien et il a servi dans la Force aérienne du Canada pendant 28 ans. Dans ses observations écrites au bureau de la citoyenneté, Mme Mueller a décrit ses périodes de résidence au Canada de la façon suivante :

 

[traduction]

Je crois que ma situation doit être examinée avec compassion pour les raisons qui suivent. J’ai vécu au Canada depuis 1975, comme personne à charge inscrite sur le permis de travail de mon père, à partir de 1975 jusqu’à ce que je devienne immigrante permanente en 1989. J’ai effectué ma scolarité primaire et secondaire à Mississauga, j’ai suivi mes études collégiales à Toronto et j’ai travaillé dans la grande région de Toronto. La seule fois où j’ai été à l’extérieur du Canada en 32 ans, depuis que je me suis installée ici, à l’exception des vacances, était lorsque mon époux a occupé un emploi dans les Émirats arabes unis de 1990 à 1993 car le secteur aérien au Canada était particulièrement difficile à l’époque; et encore depuis 1999, aussi en raison de la situation d’emploi de mon époux. Bien que nous ayons vécu au Sri Lanka plus longtemps que prévu, nous avons conservé nos attaches au Canada pendant tout ce temps. Nous ne voulions pas vendre notre maison de Collingwood, nous ne l’avons pas non plus louée pendant que nous étions absents. Mon époux et moi avons fait de longs et fréquents voyages au Canada depuis notre départ pour le Sri Lanka et nous avons conservé une voiture ici depuis 2001. Nous avons acheté une deuxième voiture en décembre 2006 en préparation de notre retour.

 

Au cours des treize mois qui ont suivi le dépôt de ma demande, j’ai passé plus de sept mois à Collingwood. Je retournerai à Colombo à la mi‑octobre, période où mon époux et moi commencerons à emballer nos affaires en préparation de notre retour permanent à Collingwood.

 

Compte tenu des renseignements ci‑dessus et de ma collaboration avec le Haut‑commissariat du Canada au Sri Lanka, je crois que mes attaches avec le Canada, depuis plus de trente ans, sont évidentes et j’espère qu’il va en être tenu compte dans l’évaluation d’ensemble de ma demande.

 

[3]               Mme Mueller et son époux ont vécu principalement au Sri Lanka entre 1999 et mars 2008, mais pendant les quatre ans qui ont précédé la date de sa demande de citoyenneté, elle est fréquemment retournée au Canada; elle était présente ici pendant 311 jours au total. Toujours selon le dossier, Mme Mueller a travaillé pour le Haut‑commissariat du Canada au Sri Lanka pendant de longues périodes entre juillet 2000 et juillet 2007. Tout au long de la période pertinente, elle a aussi payé l’impôt canadien sur le revenu, elle a conservé sa résidence canadienne, ses adhésions à des clubs canadiens et ses contacts sociaux.

 

[4]               Lorsque Mme Mueller a déposé sa demande de citoyenneté, elle savait qu’elle ne satisfaisait pas à l’exigence minimale de présence physique au Canada, mais elle a demandé au bureau de la citoyenneté de prendre en compte le fait que ses absences étaient temporaires par nature et que la constance de son attachement au Canada compensait suffisamment le déficit.

 

 

II.         La décision soumise au contrôle

 

[5]               Les motifs pour lesquels le bureau de la citoyenneté a rejeté la demande de citoyenneté de Mme Mueller sont énoncés ci-après :

[traduction]

Avant d'accueillir une demande de citoyenneté présentée en vertu du paragraphe 5(1) de la Loi, je dois décider si vous satisfaites aux exigences de la Loi et des règlements, notamment les exigences énoncées à l'alinéa 5(1)c) selon lesquelles vous devez avoir résidé au Canada pendant au moins trois ans (1 095 jours) en tout dans les quatre ans (1 460 jours) qui ont précédé la date de votre demande. L'expression « pendant au moins trois ans » n’a pas le sens de moins de temps; elle signifie pas moins de trois ans.

 

Selon une certaine jurisprudence de la Cour fédérale, il n'est pas obligatoire que le demandeur de la citoyenneté ait été physiquement présent au pays pendant la période entière de 1 095 jours lorsqu'il y a des circonstances spéciales ou exceptionnelles. Cependant, je suis d'avis qu’une trop longue absence du Canada, même temporaire, durant la période minimale de résidence prescrite par la Loi, comme c'est le cas en l’espèce, est contraire à l’objet des conditions de résidence de la Loi. En effet, la Loi permet déjà à une personne qui a été légalement admise au Canada à titre de résident permanent de ne pas résider au Canada pendant l’une des quatre années précédant la date à laquelle elle demande la citoyenneté.

 

Dans votre cas, après avoir examiné avec soin la totalité de la documentation que vous avez fournie, j’ai conclu que vous ne répondez pas à la condition que prévoit l’alinéa 5(1)c) de la Loi sur la citoyenneté.

 

J’ai examiné les renseignements contenus dans le dossier et ceux dont vous m’avez fait part lors de l’audience et je n’ai trouvé aucune raison convaincante de lever les exigences de résidence prévues par la Loi.

 

 

III.       Analyse

 

[6]               Il semble que le bureau de la citoyenneté a tenté d’appliquer l’un des critères de résidence par déduction quand il a fait référence aux « circonstances spéciales ou exceptionnelles » et à l’expression « aucune raison convaincante de lever les exigences de résidence ». Parce que cette phraséologie ne correspond pas à celle de la décision Koo (Re), [1993] 1 C.F. 286, 19 Imm. L.R. (2d) 1, ni à celle de la décision Papadogiorgakis (In re), [1978] 2 C.F. 208, 88 D.L.R. (3d) 243, il n’est pas possible d’identifier la norme juridique précise qui fut appliquée.

 

[7]               La présente affaire ressemble beaucoup à Chatoo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] A.C.F. nº 1027, dans laquelle le juge Paul Rouleau a annulé la décision d’une juge de la citoyenneté parce qu’elle n’avait pas adéquatement expliqué comment elle était parvenue à trancher la question de la résidence. Le juge Rouleau a décrit le problème de la façon suivante :

18        Compte tenu des faits de l'espèce, il serait difficile de conclure qu'une présence physique est le facteur déterminant. Bien que le demandeur n'ait pas été physiquement présent pendant la période prescrite de trois ans dans les quatre ans qui ont précédé sa demande, il semble s'être établi et avoir centralisé son mode de vie ordinaire au Canada.

 

19        Bien que le juge de la citoyenneté ait conclu que les absences viciaient la capacité du demandeur d'obtenir la citoyenneté, elle n'a fourni ni motifs, ni explications ni faits sur lesquels elle s'est fondée pour rendre sa décision. Si elle veut aller à contre-courant de la jurisprudence, elle devrait au moins offrir une analyse plus approfondie afin de justifier sa conclusion de fait. La décision ne renferme pas la moindre explication raisonnable permettant de parvenir à la conclusion que les absences du demandeur ne devraient pas compter dans sa période de résidence, d'où la conformité avec les conditions prévues par la Loi.

 

 

Voir aussi la décision Canada (MCI) c. Zhou, 2008 CF 939, pour une analyse approfondie et récente du droit sur ce point.

 

[8]               L’analyse exposée ci-dessus s’applique de la même façon aux circonstances de la présente affaire. Ici, je ne peux dire quel critère de résidence fut appliqué, mais il suffit de dire que le critère ne ressort pas de la phraséologie utilisée par le bureau de la citoyenneté. Si le bureau de la citoyenneté tentait d’appliquer le critère du mode de vie centralisé, il aurait dû le dire. En fait, dans ses motifs, le bureau de la citoyenneté devrait citer la jurisprudence précise qu’il applique pour que toute confusion ou tout doute sur la façon dont il évalue l’exigence de résidence soit évité. S’il applique un autre critère que la stricte norme numérique, il a aussi l’obligation de mentionner les éléments de preuve substantiels dont il dispose, et lorsque la résidence n’est pas établie, il doit expliquer la raison pour laquelle ces éléments de preuve ne sont pas suffisants.

 

[9]               Mme Mueller a soumis un nombre important d’éléments de preuve au bureau de la citoyenneté dans sa tentative d’établir sa résidence par déduction au Canada. Elle était en droit de connaître la raison pour laquelle le bureau de la citoyenneté a conclu que ces éléments de preuve étaient insuffisants. Bien qu’il y ait un grand déficit de jours de présence au Canada, ses attaches avec le Canada depuis l’âge de neuf ans sont aussi grandes. Sans doute que, avec ses périodes de résidence au Canada, le bureau de la citoyenneté aurait pu ne pas avoir de réserves sur sa connaissance du Canada et des valeurs et traditions canadiennes.

 

[10]           Pour les motifs énoncés ci-dessus, j’accueillerai le présent appel et je renverrai l'affaire au bureau de la citoyenneté pour nouvel examen par un autre juge.

 


 

JUGEMENT

LA COUR STATUE que le présent appel est accueilli et que l’affaire est renvoyée pour nouvel examen par un autre juge de la citoyenneté.

 

 

 

« R. L. Barnes »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Laurence Endale, LL.M., M.A.Trad.jur.

 

 

 


 

 

 

 

cour fédérale

 

avocats inscrits au dossier

 

 

 

DOssier :                                               T-43-08

 

intitulé :                                              Mueller c. M.C.I.

 

 

Lieu de l’audience :                        Toronto (Ontario)

 

DATE de l’audience :                      Le 13 août 2008

 

motifs du jugement

et jugement :                                     Le juge Barnes

 

DATE des motifs :                             Le 20 août 2008

 

 

 

comparutions :

 

Constance M. Brown

416-598-3388

 

pour lA demanderESSE

Bernard Assan

416-973-0965

 

pour le défendeur

 

avocats inscrits au dossier :

 

Constance M. Brown

Avocate

Toronto (Ontario)

 

pour lA demanderESSE

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

 

pour le défendeur

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.