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Date : 20080820

Dossier : T-2252-07

Référence : 2008 CF 959

Ottawa (Ontario), le 20 août 2008

En présence de monsieur le juge Beaudry

 

 

ENTRE :

GRAPHA-HOLDING AG

demanderesse

 

et

 

ILLINOIS TOOL WORKS INC.

défenderesse

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s'agit d'un appel interjeté par Grapha-Holding AG en vertu de l'article 56 de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. 1985, ch. T-13 (la Loi) à l'encontre de la décision rendue par P.H. Sprung, membre de la Commission des oppositions des marques de commerce agissant au nom de la registraire des marques de commerce (la registraire), par laquelle il a maintenu l'inscription de la marque de commerce de la défenderesse, MULLER (la marque), en liaison avec ce qui suit : « machines pour l'emballage et le conditionnement », « machines de palletisation et convoyage » et « machines d'étirage et pré-étirage ».

 

L'HISTORIQUE

[2]               La demanderesse, Grapha-Holding AG, est une société suisse qui a une place d'affaires en Suisse.

 

[3]               La défenderesse, Illinois Tool Works Inc, utilise la marque de commerce MULLER en liaison avec les nombreuses marchandises qu'elle fabrique. ITW Canada, une filiale en propriété exclusive de Illinois Tool Works, est titulaire d'une licence à l'égard des diverses marques de commerce de la défenderesse et elle n'a pas comparu dans la présente instance.

 

[4]               Le 30 octobre 2003, à la demande de la demanderesse, la registraire a envoyé à la défenderesse l'avis prévu à l'article 45 de la Loi. L'avis exigeait de la défenderesse, à titre de propriétaire inscrit de la marque, qu'elle produise un affidavit ou une déclaration solennelle mentionnant qu'elle avait employé la marque au Canada à un moment quelconque au cours des trois ans précédant la date de l'avis.

 

[5]               À défaut du propriétaire de prouver que la marque de commerce a été employée au cours de la période de trois ans qui a immédiatement précédé l'avis, « l'enregistrement de cette marque de commerce est susceptible de radiation ou de modification en conséquence ».

 

[6]               La défenderesse a produit l'affidavit de Faruk Turfan, établi sous serment le 26 avril 2004. M. Turfan a affirmé être le vice-président actuel de ITW Canada Holdings Company.

 

[7]               M. Turfan a affirmé sous serment que les brochures jointes à son affidavit concernent les marchandises qui sont vendues au Canada en liaison avec la marque de commerce en question. Il affirme que, au moment de la vente, la marque de commerce MULLER est apposée sur la machine comme en témoignent les brochures. Il affirme que l'une des brochures est actuellement employée et que l'emploi de celle‑ci remonte à environ 2002 et que les autres brochures sont actuellement employées ou employées dans la pratique normale du commerce des marchandises.

 

[8]               M. Turfan affirme également que les ventes des marchandises réalisées au Canada en liaison avec la marque de commerce visée au cours de la période pertinente ont été importantes et constantes. Il souligne que ces ventes se sont chiffrées à plus de 10 000 000 de dollars en 2000, 2001, 2002 et 2003.

 

[9]               Selon la demanderesse, aucun élément de preuve n'appuie la conclusion que les marchandises qui ont été vendues portaient la marque en cause. La demanderesse prétend que rien n'indique que les brochures mentionnées dans l'affidavit de la défenderesse étaient jointes aux marchandises vendues au cours de la période pertinente.

 

[10]           Le 1er novembre 2007, la registraire a décidé de maintenir l'enregistrement de la marque en liaison avec les marchandises « machines pour l'emballage et le conditionnement », « machines de palletisation et convoyage » et « machines d'étirage et pré-étirage » et de radier l'enregistrement de la marque en liaison avec les « machines de manutention ».

 

[11]           Selon la registraire, il ressort des éléments de preuve soumis dans l'affidavit de M. Turfan, notamment des brochures de vente et des chiffres des ventes relatifs à la période pertinente, que des ventes de marchandises ont effectivement été réalisées durant la période pertinente. De plus, la registraire a déclaré que les brochures, bien qu'elles n’étaient pas utiles, étayaient l'affidavit établi sous serment de M. Turfan.

 

LES QUESTIONS EN LITIGE

[12]           La demanderesse soumet les questions suivantes à la Cour :

            a)         Quelle est la norme de contrôle applicable à la décision de la registraire?

b)         Quel type d'éléments de preuve est exigé à l'égard des procédures engagées en vertu de l'article 45?

c)         La preuve déposée devant la registraire satisfait‑elle aux exigences de la Loi?

 

L'ANALYSE

La norme de contrôle

[13]           La norme de contrôle applicable à ce type de décision du registraire varie selon que de nouveaux éléments de preuve ont été déposés ou non. En l'espèce, comme aucun nouvel élément de preuve n'a été déposé, la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable (Mattel, Inc. c. 3894207 Canada Inc., 2006 CSC 22, [2006] 1 R.C.S. 772; Spirits International N.V. c. Canada (Registraire des marques de commerce), 2006 CF 520, 291 F.T.R. 172). Le rôle de la Cour n'est pas d'apprécier à nouveau la preuve produite, mais plutôt d'examiner si la conclusion fondée sur la preuve est déraisonnable.

 

[14]           Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l'intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu'à l'appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, 291 D.L.R. (4th) 577).

 

Le type de preuve exigée

[15]           L'article 45 prévoit une procédure simple, sommaire et expéditive pour radier du registre des marques de commerce les marques qui ne sont plus employées. Il n’a pas été conçu pour résoudre des questions litigieuses concernant des intérêts commerciaux concurrents.

 

[16]           Il suffit que les affidavits déposés en réponse à un avis donné par le registraire en vertu de l'article 45 établissent des faits à partir desquels, tout compte fait, une conclusion d'emploi peut logiquement être inférée (Osler, Hoskin & Harcourt c. United States Tobacco Co., 139 F.T.R. 64, 77 C.P.R. (3d) 475 (C.F. 1re inst.)).

 

[17]           De plus, le paragraphe 4(1) de la Loi énonce l'exigence qui doit être satisfaite pour qu'une marque de commerce soit réputée employée en liaison avec des marchandises :

4. (1) Une marque de commerce est réputée employée en liaison avec des marchandises si, lors du transfert de la propriété ou de la possession de ces marchandises, dans la pratique normale du commerce, elle est apposée sur les marchandises mêmes ou sur les colis dans lesquels ces marchandises sont distribuées, ou si elle est, de toute autre manière, liée aux marchandises à tel point qu’avis de liaison est alors donné à la personne à qui la propriété ou possession est transférée.

4. (1) A trade-mark is deemed to be used in association with wares if, at the time of the transfer of the property in or possession of the wares, in the normal course of trade, it is marked on the wares themselves or on the packages in which they are distributed or it is in any other manner so associated with the wares that notice of the association is then given to the person to whom the property or possession is transferred.

 

[18]           La preuve doit également convaincre le registraire que la marque de commerce a été employée au cours de la période pertinente, c'est‑à‑dire, au cours des trois ans précédant immédiatement la date de l'avis prévu à l'article 45 (Boutique Limité c. Limco Investments, Inc., 232 N.R. 190, (1998), 84 C.P.R. (3d) 164, (C.A.F.)).

 

[19]           Dans BMW Canada Inc. c. Nissan Canada Inc., 2007 CAF 255, 60 C.P.R. (4th) 181, au paragraphe 25, la Cour d'appel fédérale a souligné que, afin de démontrer l'emploi en liaison avec des brochures, il faut que les brochures aient été données lors du transfert de la propriété ou de la possession des marchandises.

 

La preuve satisfait‑elle aux exigences de la Loi?

[20]           La preuve soumise par l'affidavit doit décrire l'emploi de la marque au sens de l'article 4 de la Loi et ne doit pas simplement faire état de l'emploi de la marque. La registraire a déduit que les ventes des marchandises ont eu lieu et elle a déclaré que les factures concernant les ventes des machines n'étaient pas nécessaires parce que la preuve, dans son ensemble, démontrait qu'il y avait eu emploi de la marque. Selon moi, la preuve soumise à la registraire n'était pas suffisante pour démontrer qu'il y avait eu emploi de la marque.

 

[21]           Dans Boutique Limité Inc., la Cour d'appel fédérale a confirmé la décision du registraire de radier une marque de commerce, même si la preuve établissait que la marque avait été employée. La Cour a souligné qu’il y avait « un manque constant de précision en ce qui [avait] trait aux dates auxquelles chaque marchandise aurait été vendue ». Le propriétaire enregistré doit prouver clairement au registraire que la marque de commerce était « employée ».

 

[22]           De plus, la mention de l'emploi à des dates qui sont comprises à la fois à l'intérieur et à l'extérieur de la période pertinente ne constitue pas une preuve claire parce qu'on ne peut pas déterminer s'il y a eu emploi au cours de la période pertinente. Le juge Pinard a souligné ce point dans 88766 Canada Inc. c. Monte Carlo Restaurant Ltd., 2007 CF 1174, 63 C.P.R. (4th) 391, au paragraphe 9 :

La demanderesse prétend que l'affidavit de monsieur Galli n'établit pas l'emploi de la marque pour la période pertinente, et ce, en regard tant des services que des marchandises concernées. Je suis du même avis. La seule période établie par l'affidavit, à cet égard, est l'affirmation de monsieur Galli voulant que les circulaires aient été distribuées dans les derniers cinq ans. Or, la période pertinente est celle des derniers trois ans. Il n'y a aucune preuve qui démontre que les circulaires ont été distribuées durant cette dernière période. […]

 

[23]           Les brochures figurant dans l'affidavit montrent où la marque est apposée sur les divers types de marchandises vendues par la défenderesse. Mais, la preuve ne démontre pas que ces brochures ont été remises au moment du transfert de la propriété ou de la possession de ces marchandises. La période pertinente se situe entre le 30 octobre 2000 et le 30 octobre 2003. La Cour d'appel fédérale a mentionné cette exigence dans BMW Canada Inc. c. Nissan Canada Inc. (2007), 60 C.P.R. (4th) 181 (C.A.F.).

 

[24]           Dans l'affidavit de M. Turfan les mots

                        [traduction]

·                    « vendues actuellement au Canada […] employées actuellement et sont employées depuis environ 2002 […] ». (paragraphe 4);

·                    « […] employées actuellement » (paragraphe 6);

·                    « […] actuellement vendues au Canada […] actuellement apposées sur […] employées actuellement au Canada » (paragraphe 6);

·                    « [...] des brochures semblables sont régulièrement jointes aux marchandises vendues dans la pratique normale du commerce […] » (paragraphe 10);

ne satisfont pas au critère établi dans la jurisprudence. Les circonstances particulières mentionnées à l'article 45 créent à l'égard du registraire l'obligation de s'assurer que la preuve soumise est solide et fiable (88766 Canada Inc. c. Monte Carlo Restaurant Ltd., susmentionnée, citant, au paragraphe 8, un extrait de Boutique Limité Inc., susmentionnée). Ce n'est pas le cas en l'espèce. Les allégations mentionnées dans l'affidavit ne sont pas assez précises.

 

[25]           La Cour n'est pas convaincue que la preuve étayait les conclusions de la registraire selon lesquelles la marque de commerce a été employée au cours de la période pertinente.

 

[26]           Par conséquent, le présent appel doit être accueilli.

 

 


JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE que l'appel soit accueilli.

1.         La décision rendue par la registraire des marques de commerce le 1er novembre 2007 est annulée;

2.         L'enregistrement LMC 356,039 concernant la marque de commerce MULLER est complètement radié du registre et il est ordonné à la registraire de modifier le registre en conséquence.

3.         Aucuns dépens ne sont adjugés.

 

 

« Michel Beaudry »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-2252-07

 

INTITULÉ :                                       GRAPHA-HOLDING AG

c.

ILLINOIS TOOLWORKS INC.

                                                           

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L'AUDIENCE :               Le 13 août 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE BEAUDRY

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 20 août 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Barry Gamache                                                                        POUR LA DEMANDERESSE

                                                                                               

 

Personne n’a comparu                                                              POUR LA DÉFENDERESSE

                                                                                               

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Léger Robic Richard s.e.n.c.r.l.                                                 POUR LA DEMANDERESSE

Montréal (Québec)

 

Lang Michener LLP                                                                  POUR LA DÉFENDERESSE

Toronto (Ontario)

 

 

 

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