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Date : 20080826

Dossier : T-1655-06

Référence : 2008 CF 967

Ottawa (Ontario), le 26 août 2008

En présence de monsieur le juge Shore

 

 

ENTRE :

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

demandeur

et

 

MERHIRET BERHE

défenderesse

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.  Survol

[1]               [traduction] Lorsqu’un décideur exerce son pouvoir discrétionnaire, on ne peut déterminé à l’avance s’il entend faire une distinction. Lorsqu’une loi accorde à un fonctionnaire un pouvoir discrétionnaire, c’est comme si elle lui disait : Choisissez l’option qui, selon VOUS, est la meilleure des options parmi celles offertes. Ces options peuvent aller du pouvoir extrêmement large, lorsque le pouvoir conféré par la loi est entièrement discrétionnaire et que le législateur laisse presque tous les aspects du qui, quoi, quand, où, comment au décideur, jusqu’au pouvoir très restreint où le législateur n’offre que des options limitées.

 

(Robert W. Macaulay & James L.H. Sprague, Practice and Procedure Before Administrative Tribunals, rev. éd. (Toronto, 2008), p. 5B-2 (Macaulay, Practice and Procedure).

 

[2]               Il me semble toutefois qu’en étudiant une demande comme celle-ci, on doit tout d’abord se demander si, dans les circonstances mises en preuve, la prorogation du délai est nécessaire pour que justice soit faite entre les parties.

 

(Grewal c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1985] 2 C.F. 263, 36 A.C.W.S. (2D) 451); on cite également R. c. Toronto Magistrates, Ex p. Tank Truck Transport Ltd., [1960] O.W.N. 549 (C.A.), aux pages 549 et 550)

 

[3]               Dans un arrêt récent rendu par la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Canada (Ministre du Développement des ressources humaines) c. Hogervorst, 2007 CAF 41, 154 A.C.W.S. (3d) 1238, le juge Gilles Létourneau cite la décision Grewal, précitée, comme une décision à caractère souple qu’il faut appliquer de manière à ce que justice soit rendue entre les parties.

 

II.  Introduction

[4]               La présente demande de contrôle judiciaire porte sur une décision du Bureau du Commissaire des tribunaux de révision (le BCTR), constitué en vertu de l’article 82 du Régime de pensions du Canada, L.R.C. 1985, ch. C-8 (RPC), rendue le 8 août 2006, par laquelle le commissaire a accueilli la demande d’appel interjetée par la défenderesse à l’encontre de la décision du ministre du Développement social, datée du 26 octobre 2004.

 

III.  Les faits

[5]               La défenderesse, Mme Merhiret Berhe, a émigré au Canada depuis l’Éthiopie où elle a obtenu un niveau de scolarité de 7e année. Du 25 août 1993 au 7 août 2002, la défenderesse a travaillé comme aide domestique.

 

[6]               Le 12 mars 2004, Mme Berhe a présenté une demande de prestations d’invalidité du RPC. (Dossier de la demanderesse, pp. 11-22.)

 

[7]               Mme Berhe a été avisée par lettre datée du 15 juillet 2004 que le ministre avait refusé sa demande de prestations d’invalidité. (Dossier de la demanderesse, pp. 30-32.)

 

[8]               Le 8 août 2004, Mme Berhe a demandé au ministre de réviser sa décision. (Dossier de la demanderesse, p. 33.)

 

[9]               Le 26 octobre 2004, Mme Berhe a une fois de plus été avisée que sa demande de prestations d’invalidité du RPC avait été refusée. (Dossier de la demanderesse, pp. 36-38.)

 

[10]           À la date du refus de la demande de Mme Berhe, le 26 octobre 2004, aucun renseignement médical supplémentaire n’était disponible pour appuyer l’appel de sa demande.

 

[11]           Le 7 mars 2006, presque un an et demi plus tard, l’avocat de Mme Berhe a écrit au BCTR et indiqué que la défenderesse l’avait consulté pour obtenir de l’aide dans son appel, et que c’est ce qu’elle souhaite maintenant faire à l’égard de la décision du ministre datée du 26 octobre 2004. Est jointe à la lettre une copie du rapport médical du Dr Nasif Yasin, daté du 16 février 2006. (Dossier de la demanderesse, p. 40.)

 

[12]           Le 13 avril 2006, le BCTR a avisé l’avocat de Mme Berhe qu’il avait reçu la demande d’appel de la décision du ministre 413 jours après l’expiration de la période de 90 jours prévue pour interjeter appel. Le BCTR a demandé des explications détaillées sur les raisons du retard de la demande avant que le commissaire n’envisage d’exercer son pouvoir discrétionnaire d’accorder une prorogation du délai d’appel de 90 jours. (Dossier de la demanderesse, p. 48.)

 

[13]           Le BCTR a récrit à l’avocat de Mme Berhe le 2 juin 2006, demandant des explications sur les raisons du retard de l’appel. Le BCTR a indiqué que le dossier de Mme Berhe serait clos dans un délai de 30 jours suivant la date de la lettre si aucune explication n’était fournie. (Dossier de la demanderesse, p. 49.)

 

[14]           L’avocat de Mme Berhe a écrit au BCTR le 15 juin 2006, et il a expliqué que la demande d’appel avait été présentée en retard pour deux raisons. D’abord, en raison de la barrière de la langue, Mme Berhe [traduction] « n’avait pas clairement compris le délai dont elle disposait pour interjeter appel de la décision relative au RPC ». Ensuite, Mme Berhe ne disposait d’[traduction] « aucune preuve médicale supplémentaire pouvant être fournie au RPC à l’appui de l’appel de sa demande » à l’époque du refus initial en 2004. En effet, aucune preuve médicale supplémentaire n’a été obtenue avant la remise du rapport médical du Dr Yasin le 16 février 2006. (Dossier de la demanderesse, p. 50.)

 

[15]           Le 20 juillet 2006, le BCTR a écrit à l’avocat de Mme Berhe pour confirmer que, selon ses cotisations au RPC, il [traduction] « faudrait qu’elle soit déclarée invalide au plus tard le 24 décembre 2004 pour être admissible à des prestations d’invalidité ». Le BCTR a aussi demandé des renseignements supplémentaires sur les raisons du retard de l’appel et sur les motifs de l’appel. (Dossier de la demanderesse, p. 51.)

 

[16]           L’avocat de Mme Berhe a expliqué dans une lettre adressée au BCTR, datée du 21 juillet 2006, qu’il ne représentait pas Mme Berhe à l’époque où elle a présenté sa demande de prestations d’invalidité du RPC, mais qu’il a accepté d’examiner le refus de la demande le 2 mars 2006. Il a réaffirmé que c’est parce que Mme Berhe [traduction] « comprenait difficilement l’anglais » et « le fonctionnement de la procédure d’appel » qu’elle a mis du temps à présenter son appel. (Dossier de la demanderesse, p. 52.)

 

[17]           Le commissaire du BCTR a informé l’avocat de Mme Berhe par lettre, datée du 8 août 2006, qu’il avait exercé son pouvoir discrétionnaire de manière à proroger le délai prescrit pour interjeter appel et qu’il acceptait l’appel de Mme Berhe. Le commissaire a ajouté qu’il avait exercé son pouvoir discrétionnaire en se fondant sur les explications contenues dans la lettre de l’avocat de Mme Berhe et plus particulièrement sur l’affirmation selon laquelle Mme Berhe [traduction] « comprenait difficilement l’anglais et le fonctionnement de la procédure d’appel ». (Dossier de la demanderesse, p. 53.)

 

[18]           Le 13 septembre 2006, le demandeur a déposé la présente demande de contrôle judiciaire à l’encontre de la décision du commissaire de proroger le délai prescrit pour interjeter appel.

 

IV.  Question en litige

[19]           Le commissaire a-t-il commis une erreur en exerçant son pouvoir discrétionnaire de proroger le délai prescrit pour interjeter appel de la décision du ministre?

 

V.  Analyse

            (i)  Norme de contrôle

[20]           Le juge François J. Lemieux a récemment examiné la norme de contrôle qu’un tribunal de révision devrait appliquer dans de telles circonstances. Il précise, dans Canada (Procureur général) c. Pentney, 2008 CF 96, 164 A.C.W.S. (3d) 8 :

[26]      Les questions qui sont en litige dans le présent contrôle judiciaire s’articulent autour de points de droit, et non de points de fait. Comme je l’ai indiqué plus tôt, il s’agit de savoir : 1) si le commissaire a tenu compte des facteurs appropriés dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire de proroger le délai prescrit pour interjeter appel auprès du tribunal de révision, 2) si – et dans quelle mesure – le commissaire est tenu de fournir des motifs écrits en vue de proroger le délai prescrit pour interjeter appel auprès du tribunal de révision, et 3) si la décision du commissaire représente une contestation incidente du refus, par le ministre, de la seconde demande de prestations d’invalidité de M. Pentney.

 

[27]      Ce sont là des points de droit pour lesquels la Cour n’a pas à faire montre de déférence à l’endroit du commissaire; l’expertise de ce dernier n’est pas en cause. La Cour ne traite pas du bien-fondé de sa décision, mais du fait de savoir s’il a exercé son pouvoir discrétionnaire en tenant compte de facteurs pertinents. L’analyse fonctionnelle et pragmatique indique que la norme de contrôle applicable est la décision correcte. C’est ce que soutient le ministre, et le commissaire n’est pas en désaccord avec lui. Je suis du même avis. Le commissaire a certainement raison.

 

 

[21]           Par conséquent, la Cour conclut, comme l’a écrit le juge Lemieux, que la question de savoir si un commissaire a tenu compte des facteurs appropriés dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire de proroger le délai prescrit pour interjeter appel auprès du tribunal de révision constitue une question de droit, et qu’elle devrait donc être assujettie à la norme de la décision correcte. (Spears c. Canada, 2004 CAF 193, 131 A.C.W.S. (3d) 200, aux paragraphes 9 et 10; Canada (Ministre du Développement des ressources humaines) c. Scott, 2003 CAF 34, 120 A.C.W.S. (3d) 310, au paragraphe 7.)

 

(ii)  Dispositions législatives pertinentes

[22]           Le paragraphe 82(1) du RPC autorise la personne qui se croit lésée par une décision du ministre à interjeter appel :

Appel au tribunal de révision

 

82.      (1) La personne qui se croit lésée par une décision du ministre rendue en application de l’article 81 ou du paragraphe 84(2) ou celle qui se croit lésée par une décision du ministre rendue en application du paragraphe 27.1(2) de la Loi sur la sécurité de la vieillesse ou, sous réserve des règlements, quiconque de sa part, peut interjeter appel par écrit auprès d’un tribunal de révision de la décision du ministre soit dans les quatre-vingt-dix jours suivant le jour où la première personne est, de la manière prescrite, avisée de cette décision, ou, selon le cas, suivant le jour où le ministre notifie à la deuxième personne sa décision et ses motifs, soit dans le délai plus long autorisé par le commissaire des tribunaux de révision avant ou après l’expiration des quatre‑vingt‑dix jours.

 

[…]

 

Pouvoirs du tribunal de révision

 

(11) Un tribunal de révision peut confirmer ou modifier une décision du ministre prise en vertu de l’article 81 ou du paragraphe 84(2) ou en vertu du paragraphe 27.1(2) de la Loi sur la sécurité de la vieillesse et il peut, à cet égard, prendre toute mesure que le ministre aurait pu prendre en application de ces dispositions; le commissaire des tribunaux de révision doit aussitôt donner un avis écrit de la décision du tribunal et des motifs la justifiant au ministre ainsi qu’aux parties à l’appel.

 

[Non souligné dans l’original.]

Appeal to Review Tribunal

 

82.      (1) A party who is dissatisfied with a decision of the Minister made under section 81 or subsection 84(2), or a person who is dissatisfied with a decision of the Minister made under subsection 27.1(2) of the Old Age Security Act, or, subject to the regulations, any person on their behalf, may appeal the decision to a Review Tribunal in writing within 90 days, or any longer period that the Commissioner of Review Tribunals may, either before or after the expiration of those 90 days, allow, after the day on which the party was notified in the prescribed manner of the decision or the person was notified in writing of the Minister’s decision and of the reasons for it.

 

 

 

 

 

 

 

Powers of Review Tribunal

 

 

(11) A Review Tribunal may confirm or vary a decision of the Minister made under section 81 or subsection 84(2) or under subsection 27.1(2) of the Old Age Security Act and may take any action in relation to any of those decisions that might have been taken by the Minister under that section or either of those subsections, and the Commissioner of Review Tribunals shall thereupon notify the Minister and the other parties to the appeal of the Review Tribunal’s decision and of the reasons for its decision.

 

(Emphasis added)

 

(iii) Question préliminaire

[23]           Dans le cadre d’un contrôle judiciaire, une cour peut uniquement tenir compte de la preuve qui était à la disposition du décideur administratif de la décision qu’elle examine. Elle ne peut donc pas tenir compte de nouveaux éléments de preuve.

 

[24]           Le demandeur signale que les rapports médicaux et cliniques du Dr E.G. Caines, du Dr Wou, du DMiki et du Dr Parhar, joints en tant que pièces « E », « G », « H »,« I » et « J » à l’affidavit de Shannon Siak, déposé par Mme Berhe, n’étaient pas à la disposition du commissaire au moment où il a rendu la décision contestée. De plus, ces rapports portent sur le bien-fondé de la demande de prestations de Mme Berhe plutôt que sur la décision du commissaire qui fait l’objet du présent contrôle judiciaire. (Wood c. Canada (Procureur général), [2001] 199 F.T.R. 133, 102 A.C.W.S. (3d) 1091; Ezerzer c. Canada (Ministre du Développement des ressources humaines), 2006 CF 812, 295 F.T.R. 213.)

 

[25]           Par conséquent, la Cour doit se demander s’il convient d’accorder du poids aux éléments de preuves contenus dans les pièces énumérées ci-dessus, compte tenu des facteurs décrits.

 

Le commissaire a-t-il commis une erreur en acceptant de proroger le délai prescrit pour interjeter appel de la décision du ministre?

 

[26]           [traduction] Lorsqu’un décideur exerce son pouvoir discrétionnaire, on ne peut déterminé à l’avance s’il entend faire une distinction. Lorsqu’une loi accorde à un fonctionnaire un pouvoir discrétionnaire, c’est comme si elle lui disait : Choisissez l’option qui, selon VOUS, est la meilleure des options parmi celles offertes. Ces options peuvent aller du pouvoir extrêmement large, lorsque le pouvoir conféré par la loi est entièrement discrétionnaire et que le législateur laisse presque tous les aspects du qui, quoi, quand, où, comment au décideur, jusqu’au pouvoir très restreint où le législateur n’offre que des options limitées.

 

(Macaulay, Practice and Procedure.)

 

[27]           Le demandeur fonde son argument sur le « critère conjonctif » initialement énoncé dans Grewal, précitée, et résumé dans Canada (Procureur général) c. Hennelly, [1999] 244 N.R. 399, 89 A.C.W.S. (3d) 376 :

[3]        Le critère approprié est de savoir si le demandeur a démontré :

 

1.  une intention constante de poursuivre sa demande;

 

2.  que la demande est bien fondée;

 

3.  que le défendeur ne subit pas de préjudice en raison du délai; et

 

4.  qu’il existe une explication raisonnable justifiant le délai.

 

(On cite également Clayton c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1409, 143 A.C.W.S. (3d) 1075.)

 

[28]           Il me semble toutefois qu’en étudiant une demande comme celle-ci, on doit tout d’abord se demander si, dans les circonstances mises en preuve, la prorogation du délai est nécessaire pour que justice soit faite entre les parties […]

 

La partie désirant interjeter appel doit notamment, pour obtenir cette permission, prouver qu’elle avait réellement l'intention d'interjeter appel dans le délai prescrit; Smith v. Hunt (1902), 5 O.L.R. 97, Can. Wool Co. v. Brampton Knitting Mills, [1954] O.W.N. 867, Re Blair & Weston, [1959] O.W.N. 368. Cette règle a été qualifiée de règle fondamentale en matière de demandes de prorogation de délai. Toutefois, comme, à la fois dans l’affaire Smith et dans l’affaire Blair, la Cour s’est également fondée sur d’autres motifs, il serait possible de dire que la question de l’intention réelle, bien qu’importante, n’était qu’un des éléments devant être étudiés et qu’en fait les jugements cités n’entraient pas en conflit avec l’affirmation faite dans d’autres décisions suivant laquelle le critère le plus important doit toujours être que justice soit faite : Sinclair v. Ridout, [1955] O.W.N. 635, Can. Heating & Vent. Co. v. T. Eaton Co. (1916), 41 O.L.R. 150, Re Irvine (1928), 61 O.L.R. 642, Kettle v. Jack [1947] O.W.N. 267. Bien que ces dernières décisions aient démontré qu’il était impossible d’établir des règles établissant de façon précise les circonstances nécessitant l'exercice de la discrétion de la Cour, le principe qui s’en dégage est celui suivant lequel une prorogation du délai d’appel devrait être accordée lorsque la justice l’exige.

 

(Grewal, précitée; on cite également R. c. Toronto Magistrates, précité, aux pages 549 et 550.)

 

[29]           Dans la décision Grewal, précitée, le juge Louis Marceau, tout en souscrivant aux motifs du juge en chef Arthur L. Thurlow, a fait observer ce qui suit :

L’autorisation d’interjeter appel après expiration du délai applicable ne sera accordée que si, considérant les circonstances d’une affaire, la recherche ultime de la justice semble transcender la nécessité de mettre fin à l’incertitude relative aux droits des parties. D’où l’obligation d’étudier les différents facteurs en cause. Il est essentiel de balancer ces différents facteurs afin d’apprécier la situation comme il se doit et de tirer une conclusion valide. Par exemple, une explication parfaitement convaincante justifiant le retard peut contrebalancer la faiblesse des arguments présentés à l’encontre du jugement, et une très bonne cause peut contrebalancer une justification moins convaincante pour le retard. [Non souligné dans l’original.]

 

 

[30]           Dans le récent arrêt Hogervorst, précité, rendu par la Cour d’appel fédérale, le juge Létourneau cite la décision Grewal, précitée, comme une décision à caractère souple qu’il faut appliquer de manière à ce que justice soit rendue entre les parties.

 

[31]           Le juge Lemieux de la Cour fédérale fait état de ce qui suit en ce qui concerne la souplesse énoncée dans Grewal, précitée :

[35]      Cette souplesse comprend le fait d’attribuer un poids approprié à chacun des facteurs, suivant les circonstances de l’octroi de l’autorisation, et ce, même si l’un des quatre critères ordinaires n’est pas présent et s’il est nécessaire de satisfaire à un cinquième facteur, celui des faits de l’espèce. Dans l’arrêt Grewal, précité, le juge en chef Thurlow a prévenu qu’il serait erroné d’établir des règles qui auraient pour effet de restreindre un pouvoir discrétionnaire que le législateur n’a pas jugé bon de restreindre.

 

[…]

 

[40]      […] il ressort de la jurisprudence de la Cour d’appel fédérale que le critère en quatre volets habituel n’est pas exclusif. Le décideur saisi d’une demande de prorogation de délai doit prendre en considération tous les autres facteurs qui s’appliquent à un cas particulier et attribuer à chacun le poids qui convient. Cela dénote une approche contextualisée à l’égard d’une telle demande. Par ailleurs, comme je l’ai indiqué plus tôt, le poids à accorder à chaque facteur variera suivant les circonstances […]

 

(Pentney, précitée.)

 

[32]           En l’espèce, la « recherche ultime de la justice » porte sur la question de savoir si Mme Berhe est atteinte d’une invalidité qui l’empêche d’effectuer quelque type de travail régulier que ce soit.

 

[33]           Selon le raisonnement du juge Marceau, « […] une très bonne cause peut contrebalancer une justification moins convaincante pour le retard ». (Grewal, précitée.)

 

[34]           Dans la présente affaire, l’opinion du Dr Yasin, spécialiste en médicine physique et réadaptation, qui, d’après le dossier, serait la seule opinion médicale présentée au tribunal de révision sur l’état de santé de Mme Berhe, faisait état de ce qui suit :

OPINION

 

Mme Feshaye souffre d’une douleur chronique au bas du dos résultant d’une hernie discale au niveau L4-L5 et d’une dysfonction de l’articulation sacro-iliaque droite.

 

PRONOSTIC

 

Mme Feshaye souffre d’une douleur chronique au bas du dos; elle a essayé différentes modalités de traitement, notamment les injections épidurales, qui n’ont guère aidé à calmer sa douleur.

 

Le pronostic de rétablissement est défavorable. Mme Feshaye ne pourra exercer aucune activité de travail qui lui demande de rester assise et debout trop longtemps ou de lever des charges.

 

J’estime qu’elle est totalement incapable d’effectuer quelque type de travail que ce soit.

 

(Dossier de la demanderesse, vol. I, aux pages 43 et 44.)

 

 

[35]           Comme il est indiqué dans une lettre du BCTR, datée du 21 juillet 2006, les symptômes médicaux de Mme Berhe, notamment l’hernie discale et la discopathie dégénérative (qui ont mené le Dr Yasin à poser un diagnostic d’invalidité totale) étaient présents à l’époque de la demande initiale relative au RPC; il existe donc un solide argument selon lequel Mme Berhe était invalide au sens du RPC au moment de la demande initiale. (Dossier de la demanderesse, vol. I, page 52.)

 

[36]           Dans ses conclusions manuscrites, le commissaire a précisé ce qui suit :

1-8-06 Je recommande d’accepter la demande pour les motifs suivants :

 

a.       Des explications ont été fournies dans les deux lettres, celle du 15 juin et celle du 21 juillet 2006 (c.-à-d. le problème de langue, la preuve médicale reçue qu’en février 2006).

b.      Elle a des chances sérieuses de se voir déclarée invalide avant l’expiration de sa PMA en décembre 2004.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[37]           Le rapport du Dr Yasin, daté du 16 février 2006, a été demandé pour faire avancer la demande d’assurance-invalidité privée de Mme Berhe auprès de la Life ξ Casualty Company de la C.-B. Mme Berhe n’a pas consulté de conseiller juridique au sujet de l’appel relatif au RPC avant le 2 mars 2006. Dans les circonstances, il est raisonnable de conclure que Mme Berhe n’aurait pas consulté un avocat au sujet de l’appel relatif au RPC après avoir reçu le rapport du DYasin sauf si elle avait l’intention constante de poursuivre l’appel. (Dossier de la demanderesse, vol. I.)

 

[38]           Reconnaissant que le pouvoir discrétionnaire doit, entre autres principes fondamentaux, être exercé de bonne foi et selon la preuve soumise dans chaque cas, il convient de prendre en considération tous les facteurs pertinents et d’observer les principes de justice naturelle et d’équité. La Cour conclut que, dans son appréciation de la preuve, le commissaire a tenu compte des facteurs appropriés dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire de proroger le délai prescrit pour interjeter appel auprès du tribunal de révision et qu’il a à bon droit adopté l’approche contextualisée et souple énoncée par la Cour d’appel fédérale.

 

VI.  Conclusion

[39]           La Cour conclut que le commissaire pouvait dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire tenir compte de tous les faits dont il disposait, y compris les éléments pertinents de la demande de Mme Berhe sur la question fondamentale concernant l’invalidité totale fondée sur l’opinion médicale d’un expert.

 

[40]           Compte tenu de ce qui précède, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée;

 

 

« Michel M.J. Shore »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Caroline Tardif, LL.B., B.A. Trad.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T-1655-06

 

INTITULÉ :                                       LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                            c. MERHIRET BERHE

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Vancouver (Colombie-Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 14 août 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 26 août 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Tania Nolet

 

POUR LE DEMANDEUR

Kirk H. Wirsig

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

JOHN H. SIMS, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DEMANDEUR

HANSON WIRSIG MATHEOS

Avocats plaidants

Surrey (Colombie-Britannique)

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

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