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Date : 20080827

Dossier : T‑2208‑07

Référence : 2008 CF 972

Ottawa (Ontario), le 27 août 2008

En présence de monsieur le juge Orville Frenette

 

ENTRE :

SA MAJESTÉ LA REINE

 

demanderesse

et

 

LA BANQUE AMEX DU CANADA

défenderesse

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

I. La réparation demandée

 

[1]               La demanderesse voudrait que soit rendue une ordonnance obligeant la défenderesse, la Banque Amex du Canada (Amex, ou la défenderesse), à lui communiquer les renseignements et documents décrits dans la demande péremptoire datée du 8 mai 2007 (la demande péremptoire) et signifiée à la défenderesse conformément au paragraphe 289.1(1) de la Loi sur la taxe d’accise, L.R.C. 1985, ch. E‑15 (la LTA, ou la Loi). Plus précisément, la demanderesse voudrait que lui soient communiqués les renseignements et documents suivants se rapportant au numéro de carte de crédit 3733‑202207‑31 d’American Express (la carte) :

a.       le nom du titulaire de la carte principale à laquelle se rapporte la carte supplémentaire numéro 3733‑202207‑31013 qui est détenue par Mohamad Nizam;

b.      le nom de l’entreprise associée au titulaire de la carte principale;

c.       l’adresse postale du titulaire de la carte principale;

d.      une copie de la demande initiale d’adhésion et de tout document portant sur des demandes de cartes supplémentaires;

e.       les noms de tous les titulaires de cartes supplémentaires liées à la carte principale.

 

[2]               Parmi ces renseignements et documents, seul apparaît le nom de Mohamad Nizam. Le titulaire de la carte principale, l’entreprise associée au titulaire de la carte principale et les titulaires possibles de cartes supplémentaires ne sont pas indiqués.

 

II. Le contexte

 

[3]               L’origine de la présente affaire est l’affirmation de la demanderesse selon laquelle la production des documents et renseignements demandés est nécessaire pour établir les obligations de la société 893134 Ontario Limited, qui exerce ses activités sous le nom de Mega Distributors (Mega), aux termes de la Loi, ainsi que le montant de tout dégrèvement ou remboursement auquel cette société pourrait avoir droit.

 

[4]               Il ne faut pas oublier ici que la défenderesse dans la présente affaire est Amex, une banque de l’annexe II selon la Loi sur les banques, L.C. 1991, ch. 46 (la Loi sur les banques), qui n’est l’objet d’aucune enquête dans la présente affaire. Amex est, dans la présente demande, le tiers aux fins de la disposition applicable de la LTA.

 

A.         Les événements qui ont conduit à l’établissement de la TPS due par Mega

[5]               L’Agence du revenu du Canada (ARC) prétend que Mega n’a pas perçu la TPS applicable à des cigarettes censément vendues depuis son entrepôt de Windsor (Ontario) et censément livrées à Zelda McNaughton, une Indienne inscrite exerçant ses activités sous le nom de Zee’s Restaurant, dans la réserve des Six Nations, à Grand River, près de Brantford.

 

[6]               L’essentiel des allégations de l’ARC est que Mega a acheté des cigarettes à un grossiste, les a vendues à prix réduit à des détaillants de la région de Windsor et n’a pas perçu la TPS. L’entreprise Mega aurait alors déclaré avoir vendu les cigarettes hors taxes à Mme McNaughton, elle a produit des déclarations de TPS faisant état de crédits de taxe sur les intrants pour la TPS payée à son grossiste, puis elle a réclamé un remboursement de taxe nette.

 

[7]               Mega a été l’objet d’une enquête en 2000 et, à l’issue de l’enquête, un audit de TPS a été entrepris. L’ARC a finalement conclu que les prétendues ventes et livraisons à Mme McNaughton n’avaient pas pu avoir lieu. Après la fin de l’audit, au cours de février 2001, l’entreprise Mega fut informée qu’il lui faudrait payer la TPS non perçue sur toutes les ventes de produits du tabac faites durant la période visée par l’audit et que certains crédits de taxe sur les intrants réclamés par l’entreprise lui seraient refusés.

 

[8]               Pour que des produits, telles les cigarettes, soient exemptés à la TPS, le fournisseur doit apporter la preuve qu’ils ont été vendus à un Indien inscrit habitant une réserve (c’est‑à‑dire qu’ils ont été livrés dans une réserve par le fournisseur ou par son mandataire), et cela en produisant une copie de la facture ou du contrat de vente qui indique le numéro de la bande et le numéro de famille de l’acheteur, outre une copie du certificat attestant la qualité d’Indien de l’acheteur.

 

[9]               En l’espèce, Mohamad Nizam était censément l’un des employés de Mega qui avait livré les cigarettes.

 

B.         L’appel de Mega devant la Cour canadienne de l’impôt

[10]           Mega a déposé le 13 mars 2003 un avis d’appel devant la Cour canadienne de l’impôt à l’encontre de la nouvelle cotisation de TPS.

 

[11]           Mega a finalement entrepris de produire les copies de relevés American Express pour des achats effectués chez Costco entre 1999 et 2001. Par la suite, elle a déposé un recueil supplémentaire de documents renfermant quelques‑uns, mais non la totalité, des relevés American Express se rapportant à des cartes Amex détenues par le propriétaire de Mega, Francois Francis, et par d’autres employés de Mega, cartes qui avaient été utilisées pour des achats faits chez Costco durant la période visée par l’audit (Mega achetait, semble‑t‑il, les cigarettes chez Costco).

 

[12]           Mega a prétendu que ce n’est qu’au cours de l’enquête préalable qu’elle a eu connaissance de la base de la nouvelle cotisation de TPS, pour se rendre compte ensuite qu’elle était victime d’une fraude de la part d’au moins un, ou peut‑être deux, de ses employés, dont les actes expliquaient largement la nouvelle cotisation de TPS. Mega a alors déposé un avis d’appel modifié en date du 30 juin 2006, où elle affirmait que Mohamad Nizam et son frère s’étaient livrés à des achats et ventes de cigarettes qui n’étaient pas autorisés par Mega.

 

[13]           Par lettre datée du 23 novembre 2006, l’avocat du ministère de la Justice a contesté le caractère exhaustif du recueil supplémentaire de documents de Mega renfermant les relevés American Express, en s’interrogeant sur l’existence d’une carte American Express détenue par Mega pour M. Nizam. M. Nizam avait, semble‑t‑il, prétendu avoir eu une telle carte et Costco avait aussi, semble‑t‑il, remis une facture à l’ARC montrant que M. Nizam avait utilisé une carte American Express pour payer une commande de cigarettes passée par Mega.

 

[14]           Le caractère exhaustif du recueil supplémentaire de documents est demeuré un point litigieux et, à la fin de décembre 2006, l’avocat de Mega a produit d’autres relevés American Express. L’avocat du ministère de la Justice les a passés en revue et a envoyé à Mega une autre demande, en date du 5 janvier 2007, pour obtenir les relevés American Express se rapportant à des achats de cigarettes faits par Mohamad Nizam.

 

[15]           Une fois persuadée qu’elle ne recevrait pas d’autres relevés, la demanderesse a alors envoyé à Amex, le 30 janvier 2007, 17 demandes péremptoires de produire les renseignements et documents concernant les cartes de crédit American Express détenues par Mega, notamment une carte en la possession de M. Nizam, dont le numéro était 3722‑202207‑31013.

 

[16]           Des discussions ont eu lieu entre Amex et l’ARC, et l’ARC a envoyé à Amex, le 5 février 2007, une autre lettre où étaient énumérés dans une annexe les noms des personnes en possession de la carte principale et des cartes supplémentaires mentionnées dans les demandes péremptoires. L’exception était le titulaire de la carte principale dont il est question dans la présente affaire. La carte est, semble‑t‑il, la seule carte au regard de laquelle une personne faisant l’objet d’une enquête était le titulaire d’une carte supplémentaire, tandis que le titulaire principal de la carte n’était pas, lui, l’objet d’une enquête.

 

[17]           Le 1er mars 2007, Amex a répondu à la demande de documents en envoyant à l’agente de l’ARC, Pamela Howick, des relevés et pièces se rapportant aux parties soumises à enquête. Cependant, Amex a produit plusieurs relevés de la Lasalle Petroleum qui indiquaient des achats faits chez Costco.

 

C.        La demande péremptoire qui est en cause

[18]           La demande péremptoire datée du 8 mai 2007, faite par Mme Howick, priait Amex de communiquer des renseignements et documents se rapportant à la carte. Elle s’ajoutait aux demandes péremptoires qui avaient été envoyées auparavant. La demande péremptoire portait sur tous les renseignements dont il est question dans la présente demande.

 

[19]           Selon l’affidavit de Pamela Howick, l’ARC a été en mesure de faire remonter plusieurs des paiements indiqués sur les relevés American Express de Lasalle Petroleum à des documents de Costco attestant des achats de cigarettes par Mega, ainsi qu’à des crédits de taxe sur les intrants réclamés par Mega pour tels achats.

 

[20]           Par lettre datée du 9 mai 2007, Amex, refusant de donner suite à la demande péremptoire, faisait savoir que, selon elle, la demande concernait des documents et renseignements se rapportant à des personnes non désignées nommément et qu’une autorisation judiciaire en application des paragraphes 289(2) et (3) de la LTA était nécessaire avant qu’elle produise de tels renseignements et documents. La personne non désignée en l’occurrence est le titulaire de la carte principale dont la carte de M. Nizam est la carte supplémentaire. C’est cette personne qui n’est pas désignée nommément, et c’est son identité – de même que les renseignements et documents concernant la carte principale et concernant l’entreprise de cette personne – qui est demandée. M. Nizam n’est pas une personne non désignée nommément et une bonne partie des renseignements demandés ici ne semblent pas le concerner (si ce n’est peut‑être la demande initiale de la carte et les demandes de cartes supplémentaires). Aucune mention n’est faite d’autres titulaires non désignés nommément de cartes supplémentaires liées à la carte principale.

 

D.        Les relevés de titulaires de cartes supplémentaires

[21]           Par l’affidavit de Pamela Howick, la demanderesse affirme comprendre la manière dont les titulaires de cartes supplémentaires reçoivent leurs relevés. Plus précisément, d’après des discussions alléguées avec des employés d’AMEX, les titulaires de cartes supplémentaires ne reçoivent pas de relevés distincts de ceux du titulaire de la carte principale; les opérations faites par le titulaire de la carte supplémentaire figurent séparément sur le relevé du titulaire de la carte principale.

 

[22]           La demanderesse s’appuie aussi sur l’affirmation de Mme Howick, dans son affidavit, selon laquelle ces renseignements concernant la carte de crédit sont nécessaires pour l’appel formé par Mega devant la Cour canadienne de l’impôt à l’encontre de la cotisation de TPS. Je dois admettre que je n’ai pu trouver dans l’affidavit ou dans les conclusions de la demanderesse aucune explication précise des raisons pour lesquelles les renseignements demandés étaient requis. On a tout simplement prétendu qu’ils étaient nécessaires.

 

II. La question en litige

 

[23]           L’unique question en litige est celle de savoir si la demanderesse a droit à une ordonnance aux termes de l’article 289.1 de la LTA forçant Amex à communiquer à l’ARC des renseignements et documents concernant le titulaire principal de la carte, en application des alinéas 289(1)a) et b) de la LTA, ou si l’ARC doit d’abord obtenir une autorisation judiciaire avant d’obtenir communication de tels renseignements et documents, conformément aux paragraphes 289(2) et (3) de la LTA.

 

III. Les dispositions applicables

 

[24]           Les dispositions applicables de la LTA sont les suivantes :

Présentation de documents ou de renseignements

 

289. (1) Malgré les autres dispositions de la présente partie, le ministre peut, sous réserve du paragraphe (2) et, pour l’application ou l’exécution d’un accord international désigné ou de la présente partie, notamment la perception d’un montant à payer ou à verser par une personne en vertu de la présente partie, par avis signifié à personne ou envoyé par courrier recommandé ou certifié, exiger d’une personne, dans le délai raisonnable que précise l’avis :

a) qu’elle lui livre tout renseignement ou tout renseignement supplémentaire, y compris une déclaration selon la présente partie;

b) qu’elle lui livre des documents.

 

Personnes non désignées nommément

 

(2) Le ministre ne peut exiger de quiconque — appelé « tiers » au présent article — la livraison de renseignements ou de documents prévue au paragraphe (1) concernant une ou plusieurs personnes non désignées nommément, sans y être au préalable autorisé par un juge en vertu du paragraphe (3).

 

Autorisation judiciaire

 

(3) Sur requête ex parte du ministre, un juge peut, aux conditions qu’il estime indiquées, autoriser le ministre à exiger d’un tiers la livraison de renseignements ou de documents prévue au paragraphe (1) concernant une personne non désignée nommément ou plus d’une personne non désignée nommément — appelée « groupe » au présent article — , s’il est convaincu, sur dénonciation sous serment, de ce qui suit :

a) cette personne ou ce groupe est identifiable;

b) la livraison est exigée pour vérifier si cette personne ou les personnes de ce groupe ont respecté quelque devoir ou obligation prévu par la présente partie.

 

Signification ou envoi de l’autorisation

 

(4) L’autorisation accordée en application du paragraphe (3) doit être jointe à l’avis visé au paragraphe (1).

 

Révision de l’autorisation

 

(5) Le tiers à qui un avis est signifié ou envoyé conformément au paragraphe (1) peut, dans les 15 jours suivant la date de signification ou d’envoi, demander au juge qui a accordé l’autorisation prévue au paragraphe (3), ou, en cas d’incapacité de ce juge, à un autre juge du même tribunal de réviser l’autorisation.

 

 

Pouvoir de révision

 

(6) À l’audition de la requête prévue au paragraphe (5), le juge peut annuler l’autorisation accordée antérieurement s’il n’est pas convaincu de l’existence des conditions prévues aux alinéas (3)a) et b). Il peut la confirmer ou la modifier s’il est convaincu de leur existence.

 

 

 

Ordonnance

 

289.1 (1) Sur demande sommaire du ministre, un juge peut, malgré le paragraphe 326(2), ordonner à une personne de fournir l’accès, l’aide, les renseignements ou les documents que le ministre cherche à obtenir en vertu des articles 288 ou 289 s’il est convaincu de ce qui suit :

a) la personne n’a pas fourni l’accès, l’aide, les renseignements ou les documents bien qu’elle en soit tenue par les articles 288 ou 289;

b) s’agissant de renseignements ou de documents, le privilège des communications entre client et avocat, au sens du paragraphe 293(1), ne peut être invoqué à leur égard.

 

Avis

 

(2) La demande n’est entendue qu’une fois écoulés cinq jours francs après signification d’un avis de la demande à la personne à l’égard de laquelle l’ordonnance est demandée.

 

Conditions

 

(3) Le juge peut imposer, à l’égard de l’ordonnance, les conditions qu’il estime indiquées.

 

 

 

Outrage

 

(4) Quiconque refuse ou fait défaut de se conformer à l’ordonnance peut être reconnu coupable d’outrage au tribunal; il est alors sujet aux procédures et sanctions du tribunal l’ayant ainsi reconnu coupable.

 

 

 

 

Appel

 

(5) L’ordonnance visée au paragraphe (1) est susceptible d’appel devant le tribunal ayant compétence pour entendre les appels des décisions du tribunal ayant rendu l’ordonnance. Toutefois, l’appel n’a pas pour effet de suspendre l’exécution de l’ordonnance, sauf ordonnance contraire d’un juge du tribunal saisi de l’appel.

Requirement to provide documents or information

 

289. (1) Despite any other provision of this Part, the Minister may, subject to subsection (2), for any purpose related to the administration or enforcement of a listed international agreement or this Part, including the collection of any amount payable or remittable under this Part by any person, by notice served personally or by registered or certified mail, require that any person provide the Minister, within any reasonable time that is stipulated in the notice, with

(a) any information or additional information, including a return under this Part; or

(b) any document.

 

 

Unnamed persons

 

(2) The Minister shall not impose on any person (in this section referred to as a “third party”) a requirement under subsection (1) to provide information or any document relating to one or more unnamed persons unless the Minister first obtains the authorization of a judge under subsection (3).

 

Judicial authorization

 

(3) On ex parte application by the Minister, a judge may, subject to such conditions as the judge considers appropriate, authorize the Minister to impose on a third party a requirement under subsection (1) relating to an unnamed person or more than one unnamed person (in this section referred to as the “group”) where the judge is satisfied by information on oath that

(a) the person or group is ascertainable; and

(b) the requirement is made to verify compliance by the person or persons in the group with any duty or obligation under this Part.

 

 

 

Service of authorization

 

(4) Where an authorization is granted under subsection (3), the authorization shall be served together with the notice referred to in subsection (1).

 

Review of authorization

 

(5) Where an authorization is granted under subsection (3), a third party on whom a notice is served under subsection (1) may, within fifteen days after the service of the notice, apply to the judge who granted the authorization or, where that judge is unable to act, to another judge of the same court for a review of the authorization.

 

Powers on review

 

(6) On hearing an application under subsection (5), a judge may

(a) cancel the authorization previously granted if the judge is not then satisfied that the conditions in paragraphs (3)(a) and (b) have been met; or

(b) confirm or vary the authorization if the judge is satisfied that those conditions have been met.

 

Compliance order

 

289.1 (1) On summary application by the Minister, a judge may, despite subsection 326(2), order a person to provide any access, assistance, information or document sought by the Minister under section 288 or 289 if the judge is satisfied that

(a) the person was required under section 288 or 289 to provide the access, assistance, information or document and did not do so; and

(b) in the case of information or a document, the information or document is not protected from disclosure by solicitor‑client privilege (within the meaning of subsection 293(1)).

 

 

Notice required

 

(2) An application under subsection (1) must not be heard before the end of five clear days from the day the notice of application is served on the person against whom the order is sought.

 

Judge may impose conditions

(3) The judge making an order under subsection (1) may impose any conditions in respect of the order that the judge considers appropriate.

 

Contempt of court

 

(4) If a person fails or refuses to comply with an order, a judge may find the person in contempt of court and the person is subject to the processes and the punishments of the court to which the judge is appointed.

 

 

 

Appeal

 

(5) An order by a judge under subsection (1) may be appealed to a court having appellate jurisdiction over decisions of the court to which the judge is appointed. An appeal does not suspend the execution of the order unless it is so ordered by a judge of the court to which the appeal is made.

 

 

[25]           Les dispositions applicables de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985 (5e suppl.), ch. 1 (la LIR), sont les suivantes:

Présentation de documents ou de renseignements

 

231.2 (1) Malgré les autres dispositions de la présente partie, le ministre peut, sous réserve du paragraphe (2) et, pour l’application ou l’exécution d’un accord international désigné ou de la présente partie, notamment la perception d’un montant à payer ou à verser par une personne en vertu de la présente partie, par avis signifié à personne ou envoyé par courrier recommandé ou certifié, exiger d’une personne, dans le délai raisonnable que précise l’avis :

a) qu’elle lui livre tout renseignement ou tout renseignement supplémentaire, y compris une déclaration selon la présente partie;

b) qu’elle lui livre des documents.

 

 

 

Personnes non désignées nommément

 

(2) Le ministre ne peut exiger de quiconque — appelé « tiers » au présent article — la livraison de renseignements ou de documents prévue au paragraphe (1) concernant une ou plusieurs personnes non désignées nommément, sans y être au préalable autorisé par un juge en vertu du paragraphe (3).

 

Autorisation judiciaire

 

(3) Sur requête ex parte du ministre, un juge peut, aux conditions qu’il estime indiquées, autoriser le ministre à exiger d’un tiers la livraison de renseignements ou de documents prévue au paragraphe (1) concernant une personne non désignée nommément ou plus d’une personne non désignée nommément — appelée « groupe » au présent article — , s’il est convaincu, sur dénonciation sous serment, de ce qui suit :

a) cette personne ou ce groupe est identifiable;

b) la livraison est exigée pour vérifier si cette personne ou les personnes de ce groupe ont respecté quelque devoir ou obligation prévu par la présente partie.

c) et d) [Abrogés, 1996, ch. 21, art. 58(1)]

 

Signification ou envoi de l’autorisation

 

(4) L’autorisation accordée en application du paragraphe (3) doit être jointe à l’avis visé au paragraphe (1).

Révision de l’autorisation

 

(5) Le tiers à qui un avis est signifié ou envoyé conformément au paragraphe (1) peut, dans les 15 jours suivant la date de signification ou d’envoi, demander au juge qui a accordé l’autorisation prévue au paragraphe (3), ou, en cas d’incapacité de ce juge, à un autre juge du même tribunal de réviser l’autorisation.

 

 

Pouvoir de révision

 

(6) À l’audition de la requête prévue au paragraphe (5), le juge peut annuler l’autorisation accordée antérieurement s’il n’est pas convaincu de l’existence des conditions prévues aux alinéas (3)a) et b). Il peut la confirmer ou la modifier s’il est convaincu de leur existence.

 

 

 

Ordonnance

 

231.7 (1) Sur demande sommaire du ministre, un juge peut, malgré le paragraphe 326(2), ordonner à une personne de fournir l’accès, l’aide, les renseignements ou les documents que le ministre cherche à obtenir en vertu des articles 288 ou 289 s’il est convaincu de ce qui suit :

a) la personne n’a pas fourni l’accès, l’aide, les renseignements ou les documents bien qu’elle en soit tenue par les articles 288 ou 289;

b) s’agissant de renseignements ou de documents, le privilège des communications entre client et avocat, au sens du paragraphe 293(1), ne peut être invoqué à leur égard.

 

 

 

Avis

 

(2) La demande n’est entendue qu’une fois écoulés cinq jours francs après signification d’un avis de la demande à la personne à l’égard de laquelle l’ordonnance est demandée.

 

 

Conditions

 

(3) Le juge peut imposer, à l’égard de l’ordonnance, les conditions qu’il estime indiquées.

 

 

 

Outrage

 

(4) Quiconque refuse ou fait défaut de se conformer à l’ordonnance peut être reconnu coupable d’outrage au tribunal; il est alors sujet aux procédures et sanctions du tribunal l’ayant ainsi reconnu coupable.

 

 

Appel

 

(5) L’ordonnance visée au paragraphe (1) est susceptible d’appel devant le tribunal ayant compétence pour entendre les appels des décisions du tribunal ayant rendu l’ordonnance. Toutefois, l’appel n’a pas pour effet de suspendre l’exécution de l’ordonnance, sauf ordonnance contraire d’un juge du tribunal saisi de l’appel.

Requirement to provide documents or information

 

231.2 (1) Notwithstanding any other provision of this Act, the Minister may, subject to subsection (2), for any purpose related to the administration or enforcement of this Act (including the collection of any amount payable under this Act by any person), of a comprehensive tax information exchange agreement between Canada and another country or jurisdiction that is in force and has effect or, for greater certainty, of a tax treaty with another country, by notice served personally or by registered or certified mail, require that any person provide, within such reasonable time as stipulated in the notice,

(a) any information or additional information, including a return of income or a supplementary return; or

(b) any document.

Unnamed persons

 

(2) The Minister shall not impose on any person (in this section referred to as a “third party”) a requirement under subsection 231.2(1) to provide information or any document relating to one or more unnamed persons unless the Minister first obtains the authorization of a judge under subsection 231.2(3).

 

Judicial authorization

 

(3) On ex parte application by the Minister, a judge may, subject to such conditions as the judge considers appropriate, authorize the Minister to impose on a third party a requirement under subsection 231.2(1) relating to an unnamed person or more than one unnamed person (in this section referred to as the “group”) where the judge is satisfied by information on oath that

(a) the person or group is ascertainable; and

(b) the requirement is made to verify compliance by the person or persons in the group with any duty or obligation under this Act.

(c) and (d) [Repealed, 1996, c. 21, s. 58(1)]

 

 

 

Service of authorization

 

(4) Where an authorization is granted under subsection 231.2(3), it shall be served together with the notice referred to in subsection 231.2(1).

Review of authorization

 

(5) Where an authorization is granted under subsection 231.2(3), a third party on whom a notice is served under subsection 231.2(1) may, within 15 days after the service of the notice, apply to the judge who granted the authorization or, where the judge is unable to act, to another judge of the same court for a review of the authorization.

 

Powers on review

 

(6) On hearing an application under subsection 231.2(5), a judge may cancel the authorization previously granted if the judge is not then satisfied that the conditions in paragraphs 231.2(3)(a) and 231.2(3)(b) have been met and the judge may confirm or vary the authorization if the judge is satisfied that those conditions have been met.

 

Compliance

 

231.7 (1) On summary application by the Minister, a judge may, notwithstanding subsection 238(2), order a person to provide any access, assistance, information or document sought by the Minister under section 231.1 or 231.2 if the judge is satisfied that

(a) the person was required under section 231.1 or 231.2 to provide the access, assistance, information or document and did not do so; and

(b) in the case of information or a document, the information or document is not protected from disclosure by solicitor‑client privilege (within the meaning of subsection 232(1)).

 

Notice required

 

(2) An application under subsection (1) must not be heard before the end of five clear days from the day the notice of application is served on the person against whom the order is sought.

 

Judge may impose conditions

 

(3) A judge making an order under subsection (1) may impose any conditions in respect of the order that the judge considers appropriate.

 

Contempt of court

 

(4) If a person fails or refuses to comply with an order, a judge may find the person in contempt of court and the person is subject to the processes and the punishments of the court to which the judge is appointed.

 

Appeal

 

(5) An order by a judge under subsection (1) may be appealed to a court having appellate jurisdiction over decisions of the court to which the judge is appointed. An appeal does not suspend the execution of the order unless it is so ordered by a judge of the court to which the appeal is made.

IV. Les arguments

 

A.         Les arguments de la demanderesse

[26]           La demanderesse a exprimé l’avis qu’un juge de la Cour peut ordonner la communication des renseignements et documents voulus par le ministre, en vertu des articles 288 ou 289 de la LTA, si le juge est d’avis que : a) l’intéressé était tenu de communiquer les renseignements aux termes des articles 288 ou 289 et ne l’a pas fait; b) les documents ne sont pas soustraits à la divulgation en raison du privilège des communications entre client et avocat, selon la définition apparaissant dans le paragraphe 293(1) de la LTA.

 

[27]           La demanderesse affirme avec force que, en application du paragraphe 289(1) de la LTA, quiconque reçoit par courrier recommandé un avis le priant de communiquer au ministre certains renseignements ou documents doit s’exécuter s’il apparaît que le ministre agissait dans un dessein lié à l’application ou à l’exécution de la Loi et si l’intéressé a bénéficié d’un délai raisonnable pour produire les renseignements ou documents (Canada (Ministre du Revenu national) c. Marshall, [2006] 3 C.T.C. 25, au paragraphe 16, un précédent qui concerne l’article 231 de la LIR). La demanderesse soutient que, pour l’interprétation de dispositions [traduction] « presque identiques » de la LIR, il a été jugé que le ministre requiert des pouvoirs aussi étendus afin de préserver l’intégrité du régime canadien d’impôt sur le revenu, un régime d’autocotisation (R. c. McKinlay Transport Ltd., [1990] 1 R.C.S. 627, 68 D.L.R. (4th) 568, aux paragraphes 18 et 35 à 38; Fondation Redeemer c. Canada (Ministre du Revenu national ‑ M.R.N.), 2006 CAF 325, [2007] 3 R.C.F. 40, aux paragraphes 38 et 39).

 

[28]           La demanderesse relève que le pouvoir conféré par le paragraphe 289(1) s’étend aux tiers, et elle affirme que la seule chose que dit la LTA, c’est que la demande péremptoire doit avoir pour objet « l’application ou l’exécution de la présente partie, notamment la perception d’un montant à payer ou à verser par une personne en vertu de la présente partie » (Canada (Ministre du Revenu national) c. Cornfield, 2007 CF 436, 2007 C.T.C. 1482, au paragraphe 11).

 

[29]           Sur ce point, la demanderesse dit qu’Amex a reçu personnellement signification de la demande péremptoire, qu’elle avait 30 jours pour communiquer les renseignements et que la demande péremptoire a été faite aux fins de l’application de la LTA.

 

[30]           L’ARC affirme avoir besoin, de la part d’Amex, de renseignements et de documents portant sur la carte de crédit, et cela, aux fins de l’appel formé par Mega devant la Cour canadienne de l’impôt.

 

[31]           Selon la demanderesse, aucune autorisation judiciaire préalable au titre des paragraphes 289(2) ou (3) n’est nécessaire pour forcer Amex à s’exécuter. À l’appui de cette position, elle dit que, interprétant l’article 231.7 de la LIR, la Cour d’appel fédérale a conclu que, lorsque des personnes non désignées nommément ne sont pas elles‑mêmes visées par une enquête – mais lorsque les noms de personnes non désignées nommément sont nécessaires pour l’enquête visant une partie connue – alors le tiers à qui est signifié une demande péremptoire doit communiquer les renseignements demandés (y compris le nom de la personne non désignée nommément (Artistic Ideas Inc. c. Canada (Agence des douanes et du revenu), 2005 CAF 68, [2005] 2 C.T.C. 25, au paragraphe 21; Canada (Ministre du Revenu national) c. Morton, 2007 CF 503, [2007] 4 C.T.C. 108, aux paragraphes 9 à 12 (C.F.); AGT Ltd. c. Canada (Procureur général), [1997] 2 C.F. 878, [1997] 2 C.T.C. 275, au paragraphe 27 (C.A.F.); dans le sens contraire, voir l’arrêt Canada (Ministre du Revenu national) c. Banque Toronto Dominion, 2004 CAF 359, [2005] 2 C.T.C. 37, aux paragraphes 7 et 8 (C.A.F.)).

 

[32]           La demanderesse a aussi prétendu que les renseignements et documents ne sont pas protégés par le privilège des communications entre client et avocat. Amex a soutenu qu’elle n’avait pas exprimé l’avis que c’était là une question en litige et n’avait pas prétendu que les renseignements et documents étaient ainsi protégés.

 

B.         Les arguments de la défenderesse

[33]           La défenderesse affirme que l’ARC est en quête de renseignements concernant le titulaire principal de la carte et que l’ARC n’a donné à Amex aucune indication sur l’identité de cet individu. Par conséquent, cette personne est une personne non désignée nommément et, insiste Amex, l’ARC ne saurait imposer à un tiers tel qu’Amex, sans une autorisation judiciaire préalable, l’obligation de communiquer des renseignements ou documents se rapportant à cette personne non désignée nommément.

 

[34]           Amex insiste également pour dire qu’elle a l’obligation légale de ne pas divulguer les documents à moins qu’une loi ne l’y oblige, et elle signale à l’appui de cette position l’alinéa 244d) de la Loi sur les banques et le paragraphe 7(3) de la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques, L.C. 2000, ch. 5 (la LPRPDE). En outre, Amex craint une possible responsabilité au titre de la LPRPDE si elle ne prend pas les mesures requises pour s’assurer de la validité d’un [traduction] « pouvoir discutable » (Commissariat à la vie privée du Canada, sommaire LPRPDE n° 62, page 2).

 

[35]           Amex est d’avis que l’arrêt Toronto Dominion de la Cour d’appel fédérale intéresse tout à fait la présente affaire. Il s’agissait d’un contribuable qui était l’objet d’une enquête et qui avait déposé un chèque dans un compte de la Banque Toronto Dominion (la TD) détenu par une personne qui n’était pas visée par l’enquête. En formulant sa demande péremptoire, l’ARC entendait se fonder sur le paragraphe 231.2(1) de la LIR, une disposition qui prévoit également, dans certains de ses paragraphes, l’obligation pour elle d’obtenir une autorisation judiciaire préalable. La Cour fédérale, Section de première instance, a rejeté la demande de l’ARC et la Cour d’appel fédérale a rejeté l’appel de l’ARC. Amex relève que, rejetant l’appel, la Cour d’appel fédérale expliquait que l’objet du paragraphe 231.2(2) était d’offrir une protection à la fois au tiers détenant les renseignements et à la personne non désignée nommément à propos de laquelle les renseignements étaient demandés. Plus précisément, la Cour écrivait, au paragraphe 8 :

[…] Les paragraphes 231.2(2) et (3) existent précisément pour protéger les personnes non identifiées qui ne sont pas sous enquête tout en permettant, avec un contrôle judiciaire, que, dans l’intérêt de la justice, la collecte de renseignements puisse se faire à l’égard de celles qui sont, de fait, sous enquête.

 

[36]           Amex affirme que l’article 231.2 de la LIR est pour l’essentiel identique à l’article 289 de la LTA. Elle soutient aussi qu’elle se trouve dans la même position que la TD, tandis que le titulaire de la carte principale se trouve dans la même position que celle du titulaire du compte. La position d’Amex est donc que l’ARC est tenue d’obtenir une autorisation judiciaire pour les demandes péremptoires de produire des renseignements concernant des tiers non désignés nommément.

 

[37]           Amex dit aussi que la demanderesse a mal interprété l’arrêt Artistic Ideas et affirme que ce précédent doit [traduction] « manifestement » être distingué de l’arrêt Toronto Dominion. Dans l’affaire Artistic Ideas, l’ARC avait procédé à l’audit d’une société – Artistic Ideas – qui s’occupait de la vente d’œuvres d’art à des contribuables, lesquels faisaient don ensuite de telles œuvres à des organismes de bienfaisance. Les donateurs obtenaient des déductions fiscales pour les dons d’après l’expertise faite pour l’œuvre en question. L’expertise dépassait cependant la somme payée et les donateurs obtenaient donc un avantage financier net. L’ARC avait demandé communication de renseignements et documents conformément au paragraphe 231.2(1) de la LIR, mais Artistic Ideas refusait de communiquer les noms des donateurs ou des organismes de bienfaisance concernés et avait porté l’affaire devant la Section de première instance de la Cour fédérale. La Section de première instance avait jugé que l’ARC avait le droit d’obtenir les noms des organismes de bienfaisance, mais non ceux des donateurs. L’ARC a interjeté appel devant la Cour d’appel fédérale et l’appel a été rejeté.

 

[38]           Amex fait observer que, selon la Cour d’appel, la preuve présentée dans l’affaire en question montrait que les donateurs devaient faire l’objet d’une enquête de la part de l’ARC et qu’ils étaient donc le genre de personnes qui étaient visées par les paragraphes 231.2 (2) et (3), et une autorisation judiciaire était par conséquent nécessaire. La raison de cela, c’était que le régime de l’article 231.2 permet au ministre d’obliger des tiers à produire des renseignements et documents se rapportant à leur niveau de conformité, mais empêche le ministre d’imposer à un tiers l’obligation de produire des renseignements ou documents se rapportant à des personnes non désignées nommément qu’il entend soumettre à une enquête, à moins d’obtenir d’abord l’autorisation d’un juge.

 

[39]           Simultanément, Amex fait observer que, si la Cour d’appel est arrivée à une conclusion autre en ce qui a trait aux organismes de bienfaisance, c’est parce que les paragraphes 231.2(2) et (3) ne s’appliquent pas lorsque les parties non désignées nommément ne sont pas elles‑mêmes soumises à enquête et qu’il n’est pas établi que le ministre souhaite avoir leurs noms pour vérifier leur niveau de conformité.

 

[40]           Vu ce qui précède, Amex a fait une distinction entre l’arrêt Toronto Dominion et l’arrêt Artistic Ideas, en ce sens qu’Amex n’est pas soumise à une enquête de l’ARC comme l’était Artistic Ideas, et Amex laisse entendre que l’observation de la Cour d’appel selon laquelle « les paragraphes 231.2(2) et (3) ne s’appliquent pas si les personnes non désignées nommément ne font pas elles‑mêmes l’objet d’une enquête » se rapportait au cas où l’ARC enquête sur le tiers lui‑même. Selon Amex, la Cour d’appel a nuancé son observation en affirmant que « leur nom est alors nécessaire seulement pour l’enquête effectuée par le ministre sur le tiers ».

 

[41]           Selon Amex, le raisonnement de la Cour d’appel semble être le suivant : si des personnes non désignées nommément ne sont pas soumises elles‑mêmes à enquête, les renseignements qui les concernent étaient, par déduction, nécessaires pour l’enquête sur le tiers lui‑même (une conclusion tirée dans l’affaire Artistic Ideas par la Section de première instance concernant les organismes de bienfaisance). Ainsi, dans un cas assimilable à l’espèce Artistic Ideas, la vie privée de la personne non désignée nommément est licitement mise en péril en tant qu’élément incident d’une enquête autorisée, tandis que, dans une situation assimilable à l’affaire Toronto Dominion, il serait porté atteinte à la vie privée d’une personne non désignée nommément, sans que cette atteinte soit explicitement rattachée à une enquête.

 

[42]           Amex relève que l’arrêt Artistic Ideas ne fait aucune mention de l’arrêt Toronto Dominion.

 

[43]           Finalement, Amex dit que le résumé de la position adoptée par l’ARC dans le jugement Capital Vision, Inc. c. Canada (Ministre du Revenu national ‑ M.R.N.), 2002 CFPI 1317, 226 F.T.R. 159, aux paragraphes 46 et 47, confirme sa manière de voir, en ce sens qu’il donne à penser que le ministre a déjà interprété la disposition comme une disposition destinée à empêcher une « recherche à l’aveuglette » lorsque aucune des parties auxquelles la demande péremptoire a été signifiée, non plus qu’aucune personne concernée par cette demande péremptoire, ne sont l’objet d’une enquête.

 

V. Analyse

 

[44]           J’admets que l’article 289 de la LTA ressemble à l’article 231.2 de la LIR. L’issue de la présente affaire dépendra donc de l’applicabilité des arrêts Toronto Dominion et Artistic Ideas.

 

[45]           Après examen de ces deux précédents, je suis d’avis que la présente affaire est assimilable à l’affaire Toronto Dominion.

 

[46]           Comme c’était le cas dans l’affaire Toronto Dominion, la présente affaire fait intervenir un tiers indépendant qui n’est pas l’objet d’une enquête et à qui il est demandé de communiquer des renseignements à propos d’une personne non désignée nommément qui est l’objet d’une enquête. Par ailleurs, dans l’affaire Toronto Dominion, il était demandé à une banque tierce de communiquer des renseignements, à l’égard desquels elle risquait d’être tenue pour responsable en cas de communication fautive. Dans l’affaire Artistic Ideas, ainsi que dans l’affaire Morton, où le juge suppléant Strayer disait préférer l’approche adoptée dans l’arrêt Artistic Ideas, le « tiers » était la partie visée par l’enquête. Dans ces précédents, les parties non désignées nommément dont il fut jugé que les renseignements n’étaient pas visés par les paragraphes 231.2(2) et (3) étaient des parties qui n’étaient pas soumises à enquête et dont les renseignements étaient nécessaires pour l’enquête sur le « tiers ».

 

[47]           Comme je le disais plus haut, le juge suppléant Strayer affirmait, dans la décision Morton, préférer l’approche adoptée dans l’arrêt Artistic Ideas à propos du paragraphe 231.2(2). Selon lui, cette approche correspondait mieux à l’esprit du paragraphe 231.2(2). L’approche adoptée dans l’arrêt Artistic Ideas est en effet intéressante.

 

[48]           L’idée selon laquelle l’objet du paragraphe 231.2(2) est d’empêcher une « recherche à l’aveuglette » de la part du ministre – sans autorisation judiciaire préalable – dans le seul dessein d’obtenir des renseignements sur des personnes qui seront l’objet d’une enquête, est reflétée dans les exigences du paragraphe 231.2(3). Selon ce paragraphe, comme selon la disposition en cause dans la présente affaire, le ministre doit, pour obtenir une autorisation judiciaire, convaincre le juge que la demande péremptoire est faite aux fins de vérifier si la personne ou les personnes du groupe ont respecté quelque devoir ou obligation prévu par la Loi.

 

[49]           Si on lit le paragraphe 231.2(3) en même temps que le paragraphe 231.2(2), il est facile de voir que l’on pourrait arriver à la conclusion que la personne non désignée nommément dont il s’agit ou le groupe de personnes non désignées nommément dont il s’agit doit être l’objet d’une enquête. L’autre approche, celle selon laquelle le paragraphe 231.2(2) est interprété de manière à englober toutes les personnes non désignées nommément ou tous les groupes de personnes non désignées nommément, signifierait que le ministre ne pourrait jamais recevoir de renseignements sur des personnes non désignées nommément lorsque tels renseignements constituent un élément incident d’une enquête, et cela, parce que le ministre ne pourrait pas respecter les exigences du paragraphe 231.2 (3). S’agissant de l’affaire Artistic Ideas, je puis en effet voir pourquoi la Cour d’appel a suivi le raisonnement qu’elle a suivi. Un tiers visé par une enquête aurait pu alors bénéficier de la protection accordée à d’autres qui n’étaient pas l’objet d’une telle enquête – et qui ne pouvaient donc être astreints à s’exécuter selon le paragraphe 231.2(3) – mais dont les renseignements étaient nécessaires pour l’enquête visant le tiers.

 

[50]           Cependant, dans l’arrêt Toronto Dominion, ce genre de difficulté était presque explicitement envisagé. Au paragraphe 6, la Cour d’appel écrivait ce qui suit :

[…] Comme il ne connaît pas le titulaire du compte, le ministre ne saurait se dire convaincu, sous serment, que la fourniture de renseignements est exigée pour vérifier si cette personne a respecté quelque devoir ou obligation prévu par la Loi, et il serait dans l’impossibilité, s’il se présentait devant un juge, de satisfaire aux exigences de l’alinéa 231.2(3)b). Dès lors, ainsi que je comprends l’argument, le paragraphe 231.2(2) ne saurait être invoqué par le ministre […]

 

[51]           Puis la Cour d’appel rejette l’argument selon lequel le paragraphe 231.2(1) pourrait être invoqué pour agir sans autorisation judiciaire au motif qu’il invaliderait les paragraphes 231.2(2) et (3) et la protection que ces paragraphes offrent aux tiers (par exemple les banques) qui veulent être sûrs d’avoir l’obligation légale de communiquer des renseignements et aux personnes qui ont fourni les renseignements et qui veulent être sûres que leurs renseignements personnels sont protégés. Le respect de ces objectifs par l’obligation d’obtenir une autorisation judiciaire préalable était, selon la Cour d’appel, l’objet de telles dispositions. Comme l’écrivait en effet la Cour d’appel, au paragraphe 8 :

[…] Les paragraphes 231.2(2) et (3) existent précisément pour protéger les personnes non identifiées qui ne sont pas sous enquête tout en permettant, avec un contrôle judiciaire, que, dans l’intérêt de la justice, la collecte de renseignements puisse se faire à l’égard de celles qui sont, de fait, sous enquête.

 

 

 

[52]           Il faut donc se demander quel genre de « recherche à l’aveuglette » visaient l’article 231.2 de la LIR et l’article 289 de la LTA. Comme je le disais plus haut, les arrêts Toronto Dominion et Artistic Ideas donnent à cette question des réponses totalement opposées, et il est difficile de concilier ces précédents quant à l’applicabilité de l’article 231.2.

 

[53]           En résumé, les deux réponses données dans les arrêts Toronto Dominion et Artistic Ideas sont persuasives, et toutes deux reconnaissent le pouvoir étendu du ministre d’obtenir les renseignements requis pour appliquer les dispositions des deux lois.

 

[54]           Je crois, comme mes collègues, que l’arrêt Artistic Ideas régit la question soulevée dans la présente affaire (Morton, précitée; Canada (Ministre du Revenu national ‑ M.R.N.) c. Advantage Credit Union, 2008 CF 853, [2008] A.C.F. n° 1095 (QL), le juge Mandamin). Le principe de la courtoisie judiciaire devrait ici s’appliquer; voir Pfizer Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), 2007 CF 446, [2008] 1 R.C.F. 672, à la page 511.

 

[55]           Par ailleurs, l’arrêt récent de la Cour suprême du Canada, Fondation Redeemer c. Canada (ministre du Revenu national), 2008 CSC 46, 2008 D.T.C. 6474, confirme que le pouvoir étendu du ministre d’inspecter, de vérifier et d’examiner les dossiers de contribuables l’habilite, sans qu’il doive obtenir une autorisation judiciaire en application de l’article 231.2 de la LIR, à recueillir des renseignements sur les donateurs non identifiés d’un organisme de bienfaisance enregistré. Je crois que cela renforce les positions que mes collègues et moi‑même avons adoptées en la matière.

 

[56]           La demande doit donc être accueillie.

 

 


ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE :

1.                  La demande est accueillie;

2.                  La défenderesse doit, dans un délai de trente (30) jours après signification de la présente ordonnance, se conformer à la demande péremptoire de renseignements faite conformément à l’article 289.1 de la Loi sur la taxe d’accise, L.R.C. 1985, ch. E‑15, renseignements que la demanderesse a, le 20 janvier 2007, prié la défenderesse de lui communiquer, en particulier le nom de la personne qui est titulaire de la carte principale afférente à la carte supplémentaire numéro 3733‑202207‑31013 (Mohamad Nizam).

 

 

« Orville Frenette »

Juge suppléant

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Christian Laroche, juriste-traducteur


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T‑2208‑07

 

INTITULÉ :                                       LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

                                                            c.

                                                            LA BANQUE AMEX DU CANADA

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 9 JUILLET 2008

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE 

ET ORDONNANCE :                       LE JUGE SUPPLÉANT FRENETTE

 

DATE DES MOTIFS

ET DE L’ORDONNANCE :             LE 27 AOÛT 2008

 

 

COMPARUTIONS :

 

Ronald MacPhee

POUR LA DEMANDERESSE

 

 

Graham Reynolds

POUR LA DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

John H. Sims,

Sous‑procureur général du Canada

 

POUR LA DEMANDERESSE

OSLER, HOSKIN & HARCOURT LLP

Casier 50, 1 First Canadian Place

Toronto (Ontario)  M5X 1B8

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

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