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Date : 20080618

Dossier : T-614-07

Référence : 2008 CF 764

ENTRE :

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

demandeur

et

 

WALTER SCHNEIDER

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE HUGHES

 

            Il s’agit d’une demande présentée par le procureur général pour le compte du ministre des Ressources humaines et du Développement des compétences en vue de faire annuler la décision rendue le 12 mars 2007 dans laquelle le Commissaire des tribunaux de révision a accordé une prorogation de délai au défendeur, Walter Schneider, en vertu des dispositions de l’article 82 du Régime de pensions du Canada, L.R.C. 1985, ch. C-8, pour qu’il puisse interjeter appel de la décision lui ayant été communiquée par lettre datée du 16 juin 2004, dans laquelle le ministre a refusé de lui accorder des prestations du Régime de pensions du Canada. Je rejette la demande sans frais.

 

            Le texte de la décision dans laquelle le Commissaire a prorogé le délai d’appel indique :

[traduction] Je vous remercie de votre lettre du 12 décembre 2006 dans laquelle vous avez expliqué les raisons justifiant le retard dans le dépôt de votre appel par écrit. Compte tenu des explications figurant dans votre lettre, je suis convaincu que les circonstances justifient l’exercice du pouvoir discrétionnaire qui m’est conféré par l’article 82 du Régime de pensions du Canada, et je proroge donc le délai d’appel.

 

Plus précisément, je fonde ma décision sur les renseignements contenus dans votre lettre, selon lesquels vous avez eu, en juin 2004, une conversation téléphonique avec un employé de Développement des ressources humaines Canada, conversation qui vous avait donné à penser que votre appel avait été inscrit puisque vous aviez indiqué verbalement à cet employé que vous désiriez interjeter appel. Il se peut qu’il y ait eu un malentendu, mais je suis prêt à accepter que vous croyiez légitimement, à ce moment, que nous n’aviez à prendre aucune autre mesure en vue de mettre votre appel en état.

 

 

L’appel sera mis au rôle pour audition sous peu. Vous pouvez vous attendre à recevoir un avis d’audience ce printemps.

 

            Le ministre soutient que la décision d’accorder la prorogation devrait être annulée pour les trois motifs suivants :

 

1.                  Le Commissaire n’a pas tenu compte des critères pour la prorogation de délai énoncés dans la jurisprudence, par exemple l’arrêt Tarsem Singh Grewal c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1985] 2 C.F. 263, soit :

 

a.       une intention continue de poursuivre l’affaire;

b.      une explication raisonnable justifiant le retard;

c.       l’existence d’une cause défendable; et

d.      aucun préjudice ne sera causé à l’autre partie.

 

2.                  Si de tels critères avaient été appliqués, la prorogation n’aurait pas été accordée; et

 

3.                  Le caractère insuffisant des motifs.

 

 

NORME DE CONTRÔLE

 

            Depuis l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, rendu par la Cour suprême du Canada, la question de la norme de contrôle a été examinée d’un nouveau point de vue. Il existe deux normes de contrôle : la décision raisonnable s’applique aux décisions qui portent sur des questions de fait ou sur des questions de fait et de droit qui ne peuvent être facilement séparées, et la décision correcte s’applique aux décisions qui portent sur des questions telles que les questions de droit et de compétence. En ce qui concerne la décision raisonnable, la Cour ne peut pas substituer sa propre conclusion à celle tirée; elle doit plutôt se demander si la décision a été prise compte tenu des faits pertinents et si la conclusion tirée est justifiée au regard de ces faits.

            En l’espèce, la Cour traite de la décision du Commissaire qui est habilité par le paragraphe 82(1) du Régime de pensions du Canada à autoriser un délai plus long que les 90 jours prévus pour interjeter appel d’une décision prise par le ministre à l’égard de certaines prestations de pension. Une telle décision est de nature largement administrative et, bien qu’il doive tenir compte de critères tels que ceux énoncés dans l’arrêt Grewal, précité, le Commissaire doit se pencher sur la situation de fait de chaque affaire pour rendre une décision qui, en soi, repose sur des questions de fait et de droit. La décision est de nature administrative. La Cour devrait donc la contrôler suivant la norme de la décision raisonnable, tout en faisant preuve d’une grande retenue envers celle-ci.

            Je suis au fait de la décision Canada (Procureur général) c. Pentney, 2008 CF 96, rendue par mon collègue le juge Lemieux et, plus particulièrement, des paragraphes 26 et 27 de cette décision. Je ne crois pas que notre point de vue soit différent. En droit, il faut tenir compte de critères tels que ceux énoncés dans l’arrêt Grewal, mais en prenant soin de se rappeler, de façon générale, que l’objectif principal est de veiller à ce que justice soit faite, comme il sera expliqué ci‑dessous, que des motifs doivent être fournis. Cependant, la prise en compte des faits et le caractère suffisant des motifs ne sont pas des questions de droit, mais plutôt des questions de fait ou des questions de fait et de droit, auxquelles il faut appliquer la norme de la décision raisonnable. Comme la juge Snider l’a affirmé dans la décision Canada (Ministre du Développement des ressources humaines) c. Gattellaro, 2005 CF 883, au paragraphe 4, la décision de proroger un délai est hautement discrétionnaire. La juge Snider devait décider entre l’application de la norme de la décision manifestement déraisonnable et celle de la décision raisonnable simpliciter. Depuis l’arrêt Dunsmuir, il n’est plus nécessaire de différencier les deux normes.

            Comme l’a indiqué le juge en chef Thurlow à la page 272, lorsqu’il a rendu la décision au nom de la Cour dans Grewal, précité, en étudiant une telle demande, on doit tout d’abord se demander si la prorogation du délai est nécessaire pour que justice soit faite entre les parties.

 

ANALYSE

            La décision rendue par un tribunal qui est habilité par la loi à accorder une prorogation de délai est, comme il a été mentionné, hautement discrétionnaire et elle vise à rendre justice entre les parties.

            En l’espèce, il est clair de la décision en cause que le Commissaire disposait de la correspondance envoyée par M. Schneider et des recommandations de son personnel. Le mémoire déposé par le demandeur dans la présente affaire tend à indiquer que le ministre aurait dû se voir accorder l’occasion d’examiner les documents et de présenter des observations; cependant, on reconnaît dans le mémoire, et l’avocate du ministre est d’accord, que le Commissaire peut procéder ex parte et qu’il n’est pas obligé de faire intervenir le ministre.

            Il est évident de la décision que le Commissaire n’a pas fait mention des quatre critères suivis dans l’arrêt Grewal et que les motifs fournis ne sont pas longs. Un fardeau déraisonnable serait imposé au Commissaire s’il devait fournir des motifs détaillés, énoncer clairement la jurisprudence et les critères issus de la jurisprudence, et procéder à un examen approfondi de l’application de l’ensemble des faits à chaque critère. Il pourrait en être autrement dans des affaires contestées ou dans une situation où la personne la plus susceptible de subir un préjudice ne reçoit aucun conseil juridique et n’est pas bien informée en droit. En l’espèce, toutefois, le ministre n’est pas partie à une affaire contestée à l’heure actuelle et il est bien conseillé et bien informé en droit.

            Même si on devait restreindre les critères énoncés dans l’arrêt Grewal à quatre, ce qui ne devrait pas être fait selon le raisonnement du juge en chef Thurlow puisque l’objectif est de veiller à ce que justice soit faite et non pas de créer une liste de contrôle, et si on appliquait ces critères aux faits en l’espèce, il n’est pas possible de soutenir que la décision d’accorder une prorogation était déraisonnable. Le retard d’environ deux ans, même s’il est assez long, a été expliqué en raison de problèmes de santé et de communication. L’intention d’interjeter appel est évidente. Le ministre n’a présenté aucune preuve de préjudice réel et n’a présenté que des arguments juridiques. Suivant une conversation avec l’avocate du demandeur à l’audience, il semblerait que le défendeur, M. Schneider, aurait peut-être une chance de succès, même si je ne me prononce pas sur la question de savoir s’il s’agit d’une bonne chance ou d’une certaine chance, relativement à la période précédant décembre 1997, si cette période est applicable. M. Schneider est avisé qu’il devra présenter les observations et les éléments de preuve requis à cet égard au moment et à l’endroit opportuns.

 

La décision d’accorder une prorogation de délai pour permettre qu’un appel soit interjeté était donc raisonnable et ne devrait donc pas être annulée. M. Schneider a agi pour son propre compte, avec l’aide de son épouse, et il affirme n’avoir engagé aucune dépense relativement à la présente demande. Par conséquent, aucuns dépens ne seront adjugés.

 

 

« Roger T. Hughes »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Isabelle D’Souza, LL.B., M.A.Trad.jur.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T-614-07

 

INTITULÉ :                                       LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA c. WALTER SCHNEIDER

 

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 WINNIPEG (MANITOBA)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 18 JUIN 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            LE JUGE HUGHES

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 18 JUIN 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Patricia Harewood

 

POUR LE DEMANDEUR

Walter Schneider

 

POUR SON PROPRE COMPTE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Ministère de la Justice

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Walter Schneider

 

POUR SON PROPRE COMPTE

 

 

 

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