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Date : 20080815

Dossier : T-575-08

Référence : 2008 CF 950

Ottawa (Ontario), le 15 août 2008

En présence de monsieur le juge Zinn

 

ENTRE :

PFIZER CANADA INC., PFIZER LIMITED et

PFIZER RESEARCH AND DEVELOPMENT COMPANY, NV/SA

 

demandeurs

 

et

 

PHARMASCIENCE INC. et

LE MINISTRE DE LA SANTÉ

défendeurs

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Il s’agit d’un appel interjeté par les demandeurs, en application de l’article 51 des Règles des Cours fédérales, de l’ordonnance du protonotaire Aalto rendue le 27 juin 2008, par laquelle il rejetait la requête des demandeurs en production de documents additionnels.

 

Contexte

[2]               Le 6 février 2008, Pharmascience a déposé auprès du ministre une présentation en vue d’obtenir un avis de conformité en ce qui concerne les comprimés de 5 et de 10 mg de mésylate d’amlodipine (le produit de Pharmascience). Pharmascience, dans sa présentation, compare en partie son produit au produit de Pfizer, soit les comprimés de 5 mg et de 10 mg de Norvasc, qui contiennent du bésylate d’amlodipine.

 

[3]               Pharmascience qualifie sa présentation de Présentation de drogue nouvelle (PDN). Cependant, dans l’attestation donnée par le ministre de la date du dépôt de la présentation, il est déclaré que Pharmascience a soumis une présentation abrégée de drogue nouvelle (PADN) et non une PDN. Pharmascience affirme que le certificat du ministre est inexact quant à la qualification de sa présentation.

 

[4]               Le paragraphe 5(1) du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) (le Règlement) exige qu’un avis d’allégation soit signifié lorsque la « présentation, directement ou indirectement, compare celle-ci à une autre drogue commercialisée sur le marché canadien aux termes d’un avis de conformité délivré à la première personne et à l’égard de laquelle une liste de brevets a été présentée ». Le 22 février 2008, Pharmascience a signifié un avis d’allégation à Pfizer concernant les brevets canadiens portant les numéros 1,321,393 (le brevet 393) et 2,170,278 (le brevet 278) qui figurent au registre des brevets.

 

[5]               Le 10 avril 2008, Pfizer a déposé une demande devant la Cour en vertu de l’alinéa 55.2(4) de la Loi sur les brevets et du Règlement en vue d’obtenir une ordonnance interdisant au ministre de la Santé d’émettre un avis de conformité à Pharmascience concernant le produit de cette entreprise avant l’expiration des brevets 393 et 278.

 

[6]               Le 22 avril 2008, Pharmascience a déposé un avis de requête en vue de faire rejeter la demande de Pfizer déposée en application des alinéas 6(5)a) et b) du Règlement parce que le produit de Pharmascience ne contrefait ni le brevet 393 pour le sel de bésylate ni le brevet 278, et que le brevet 278 n’est pas admissible à l’inscription au registre des brevets en ce qui concerne les comprimés de bésylate d’amlodipine.

 

[7]               Dans des lettres en date du 5 mai 2008 et du 29 mai 2008, Pfizer a demandé la production de nombreux documents ayant trait à la présentation de drogue de Pharmascience. Certains de ces documents ont été fournis. Cependant, Pfizer soutient que les renseignements fournis par Pharmascience ne permettent pas de régler tous les points soulevés dans son avis de demande et, par avis de requête daté du 18 juin 2008, Pfizer a sollicité une ordonnance enjoignant à Pharmascience de produire ce qui suit :

a)      toute la correspondance (y compris les courriels) entre Santé Canada et Pharmascience qui ont trait à sa présentation pour les comprimés proposés de mésylate d’amlodipine;

b)      l’étiquette d’emballage proposée;

c)      le Sommaire global de la qualité complète et les articles pertinents du module 3, notamment les suivants :

(i)         3.2.P.2 Le développement pharmaceutique, y compris tous les tests et les profils de dissolution générés, pour comparer le produit de Pharmascience avec le produit Norvasc® de Pfizer;

(ii)                3.2.P.5.1 Spécifications du produit;

(iii)               3.2.P.5.4 Analyses des lots (certificats d’analyses signés et datés) de tous les lots fabriqués, y compris tous les lots utilisés lors des tests d’équivalence pharmaceutique (tant pour les produits testés que pour les produits de référence);

d)      tous les rapports d’études cliniques : bioéquivalence et études comparatives de biodisponibilité ainsi que les synthèses globales correspondantes – modèles de bioéquivalence (modèle de la SG:BE);

e)      rapports d’études cliniques : autres études pertinentes, y compris les études sur l’innocuité et l’efficacité effectuées sur des patients (volontaires qui n’étaient pas en santé) et la recension de la documentation;

f)        toutes les données de toxicologie générées à l’appui de l’ingrédient pharmaceutique actif, de la poudre formulée et du produit de Pharmascience;

g)      le formulaire V que Pharmascience a présenté dans le module 1;

h)      la monographie du produit annotée pour le mésylate d’amlodipine, qui est comprise dans le module 1;

i)        le formulaire SC/HC 3011 intitulé « formulaire de présentation de médicaments », compris dans le module 1.

 

[8]               Pfizer fait valoir que les renseignements demandés sont pertinents, nécessaires et importants afin de préciser le type de présentation de drogue que Pharmascience a fait et d’établir la portée à laquelle le ministre a peut-être fait erreur lorsqu’il a permis à Pharmascience de présenter une PADN alors que le produit de Pharmascience ne contient aucun ingrédient médicinal identique au produit Norvasc, produit que Pharmascience utilise comme comparaison, ou lorsqu’il a permis à Pharmascience de présenter une PDN qui ne comprend pas les renseignements requis. Pfizer soutient que ces questions découlent de son avis de demande. Les parties pertinentes de cet avis sont les suivantes :

4.                  Dans sa lettre, Pharmascience soutient qu’elle a déposé une présentation de drogue nouvelle (PDN) au sujet de son produit. Cette allégation est fausse.

 

5.                  Le certificat du ministre qui est joint à l’Annexe « A » de la lettre de Pharmascience indique que Pharmascience a déposé une présentation abrégée de drogue nouvelle (PADN) et non une PDN. De toute façon, Pharmascience tente d’obtenir un avis de conformité en comparant son produit avec le NORVASC® pour en démontrer la bioéquivalence avec le NORVASC®. [Non souligné dans l’original.]

 

6.                  Le ministre n’a pas le droit de permettre à Pharmascience de comparer son produit au NORVASC®. À la lumière du Règlement sur les aliments et drogues et compte tenu de la politique de Santé Canada intitulée Interprétation de l’expression « ingrédient médicinal identique », les comprimés proposés par Pharmascience ne sont pas bioéquivalents au NORVASC® et ne contiennent pas d’ingrédient médicinal identique.

 

 

[9]               Le protonotaire Aalto a rejeté la requête en production avec dépens de Pfizer au motif que les renseignements demandés n’étaient pas pertinents, nécessaires et importants quant à la demande de Pfizer ou à sa réponse à la requête en rejet.

 

[10]           Le protonotaire était d’avis que l’objectif de l’argument de Pfizer était de tenter d’examiner les actions du ministre. Il a conclu que les questions à trancher étaient celles énoncées dans l’avis d’allégation. Ces questions portent sur la contrefaçon et la validité. Comme les documents demandés ne portaient pas sur ces questions, le protonotaire était d’avis qu’ils n’étaient pas pertinents, nécessaires ou importants et la requête a été rejetée.

 

Les questions en litige

[11]           Pfizer soutient que la Cour, dans le présent appel, devrait examiner la requête en production à nouveau parce que la question de la production des documents demandés a une influence déterminante sur l’issue du principal ou, subsidiairement, parce qu’il est clair que le protonotaire a commis une erreur en concluant que c’est l’avis d’allégation qui définissait les questions à trancher, conformément au Règlement, alors que, selon Pfizer, c’est l’avis de demande, l’acte de procédure original, qui établit les questions à trancher.

 

Analyse

Les documents demandés ont-ils une influence déterminante sur l’issue du principal?

[12]           Dans l’arrêt Merck & Co., Inc. c. Apotex Inc., [2004] 2 R.C.F. 459 (C.A.), la Cour d’appel fédérale a établi la norme de contrôle pour une ordonnance discrétionnaire rendue par un protonotaire. Elle a déterminé que la première question à trancher était celle de savoir si la question avait une influence déterminante sur l’issue du principal.

 

[...] [L]e juge doit logiquement d’abord trancher la question de savoir si les questions sont déterminantes pour l’issue de l’affaire. Ce n’est que quand elles ne le sont pas que le juge a effectivement besoin de se demander si les ordonnances sont clairement erronées. J’énoncerais le critère comme suit : « Le juge saisi de l’appel contre l’ordonnance discrétionnaire d’un protonotaire ne doit pas intervenir sauf dans les deux cas suivants : a) l’ordonnance porte sur des questions ayant une influence déterminante sur l’issue du principal, b) l’ordonnance est entachée d’erreur flagrante, en ce sens que le protonotaire a exercé son pouvoir discrétionnaire en vertu d’un mauvais principe ou d’une mauvaise appréciation des faits ».

 

Dans l’arrêt Canada c. Aqua-Gem Investments Ltd., [1993] 2 C.F. 425 (C.A.), au paragraphe 97, le juge MacGuigan a décrit les questions qui ont une influence déterminante sur l’issue du principal comme étant les « questions ayant une influence déterminante sur l’issue de la cause principale, c’est-à-dire sa solution ».

 

[13]           Pfizer fait valoir que la question de savoir si ces documents doivent être produits a une influence déterminante sur l’issue de la cause principale. Elle soutient qu’en réalité, le protonotaire a déterminé que Pfizer n’avait pas qualité pour soulever la question de la nature correcte de la présentation de Pharmascience qui est énoncée dans l’avis de demande de Pfizer et que, par conséquent, le protonotaire a tranché une question qui avait une influence déterminante sur l’issue du principal.

 

[14]           L’un des faits que Pfizer allègue dans son acte de procédure est que Pharmascience soutient avoir déposé une PDN, alors que le ministre l’a décrite comme étant une PADN. Il convient peut‑être de noter que ces faits ne semblent pas être contestés. Cependant, comme il ressort clairement de l’acte de procédure de Pfizer, en particulier au paragraphe 5 de sa demande, reproduit ci-dessus, la nature correcte de la présentation de Pharmascience n’a pas une influence déterminante sur l’issue de la cause principale de Pfizer. En fait, la nature correcte de la présentation de Pharmascience est une question de fait qui, au mieux, porte sur un point que soulève Pfizer au sujet de la question de savoir si la présentation de Pharmascience peut correctement comparer le produit de Pharmascience au Norvasc. Cette question ne dépend pas de l’issue à savoir si la présentation est une PDN ou une PADN. Pfizer n’a pas soutenu que les documents demandés étaient essentiels à l’issue de la question de savoir si le produit de Pharmascience pouvait être comparé au Norvasc.

 

[15]           Par conséquent, comme la question que le protonotaire a tranchée n’avait pas d’influence sur l’issue du principal, un nouvel examen ne serait justifié que si l’ordonnance du protonotaire était clairement erronée, c’est-à-dire qu’elle était fondée sur un mauvais principe ou sur une mauvaise interprétation des faits.

 

L’exercice du pouvoir discrétionnaire du protonotaire était-il fondé sur un mauvais principe?

[16]           Pfizer soutient que l’ordonnance du protonotaire était fondée sur un mauvais principe parce qu’il a commis une erreur de droit lorsqu’il a conclu que « [l]’avis d’allégation décrit les questions à trancher dans les instances introduites sous le régime du Règlement ». Pfizer fait valoir que c’est son avis de demande qui définit les questions à trancher. Elle soutient aussi que cette erreur du protonotaire a entraîné deux autres erreurs : premièrement, les questions à trancher dans la requête en rejet ne sont que celles soulevées par Pharmascience dans son avis de requête alors qu’en fait, Pharmascience cherche à faire radier la procédure en entier, et deuxièmement, le protonotaire aurait commis une erreur en déterminant que la nature des documents demandés visait l’innocuité et l’efficacité du produit de Pharmascience.

 

[17]           À mon avis, le protonotaire n’a pas commis une telle erreur de droit. Dans l’arrêt G.D. Searle & Co. c. Novopharm Ltd., [2008] 1 R.C.F. 529, 2007 CAF 173, au paragraphe 33, la Cour d’appel fédérale a conclu que « [l]’avis d’allégation énonce les questions à trancher dans l’instance engagée en vertu du Règlement ». La Cour d’appel a déjà fait remarquer, dans l’arrêt Mayne Pharma (Canada) Inc. c. Aventis Pharma Inc., 2005 CAF 50, aux paragraphes 20 et 21, qu’il en est ainsi en raison du plan établi par le Règlement :

Le plan établi par le Règlement est inhabituel. Le paragraphe 6(2) du Règlement prévoit que la Cour « rend une ordonnance […] à l’égard du brevet visé par une ou plusieurs allégations si elle conclut qu’aucune des allégations n’est fondée ». Les allégations sont formulées par l’intimée (la seconde personne) mais la demande d’interdiction est présentée par la première, le titulaire du brevet. En conséquence, ce dernier doit formuler sa demande de façon à démontrer qu’aucune des allégations faites par la seconde n’est justifiée. Il se peut qu’il y ait d’autres motifs pour soutenir que la vente du médicament visé constituerait une contrefaçon du brevet ou des brevets, mais la première personne doit s’en tenir aux allégations faites dans l’énoncé détaillé.

 

Si le titulaire du brevet, qui est le requérant, doit plaider en fonction des motifs précisés dans l’énoncé détaillé, même s’il peut exister d’autres motifs propres à démontrer la contrefaçon, il est manifestement injuste de permettre à l’intimée de soulever des motifs différents ayant trait à la contrefaçon dans ses éléments de preuve en réponse à la demande d’interdiction. L’intimée, la seconde personne, établit les paramètres du différend dans son énoncé détaillé. Elle ne peut alors modifier ses paramètres une fois que la personne qui demande l’interdiction, la première personne, a formulé sa demande en fonction des questions soulevées dans l’énoncé détaillé.

 

[18]           Par conséquent, le protonotaire a correctement conclu que l’avis d’allégation définissait les questions à trancher dans l’instance. Il s’agit de questions de validité et de contrefaçon et Pfizer n’a pas donné à penser que les documents qu’elle demandait étaient pertinents, nécessaires et importants pour ces questions.

 

[19]           À mon avis, il s’ensuit que les observations du protonotaire au sujet de la pertinence des renseignements demandés pour la requête et ses commentaires au sujet de l’innocuité et de l’efficacité (qui étaient fondés sur des réponses de l’auteur de l’affidavit de Pfizer présentées au cours du contre-interrogatoire) ne sont pas erronées.

 

[20]           Pour les motifs précédents, je conclus que les questions tranchées par le protonotaire n’avaient pas d’influence sur l’issue du principal et que son ordonnance n’était pas entachée d’erreur flagrante. Par conséquent, l’ordonnance du protonotaire ne doit pas être modifiée et la requête est rejetée.


ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE :

  1. La requête est rejetée.

 

  1. Les demandeurs verseront au défendeur, Pharmascience Inc., des dépens de 2 000 $, y compris la TPS.

   « Russel W. Zinn »

Juge

 

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-575-08

 

 

INTITULÉ :                                       PFIZER CANADA INC. ET AL. c.

                                                            PHARMASCIENCE INC. ET AL.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 21 juillet 2008

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       Le juge ZINN

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 15 août 2008

 

 

COMPARUTIONS :

 

Kamleh Nicola                                                                         POUR LES DEMANDEURS

Asma Faizi

 

Carol Hitchman                                                                        POUR LES DÉFENDEURS

Greg Beach

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

TORYS, s.r.l.                                                                           POUR LES DEMANDEURS

Toronto (Ontario)

 

HITCHMAN & SPRIGINGS                                                  POUR LES DÉFENDEURS

Toronto (Ontario)

 

JOHN H. SIMS, c.r.                                                               

Sous-procureur général du Canada

 

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