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Date : 20080812

Dossier : IMM-1907-07

Référence : 2008 CF 937

Ottawa (Ontario), le 12 août 2008

En présence de monsieur le juge O’Keefe

 

ENTRE :

AGUILAR GUTIERREZ QUINATZIN

demandeur

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

LE JUGE O’KEEFE

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), d’une décision rendue le 24 avril 2007 par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission), dans laquelle la Commission a conclu que le demandeur n’avait ni la qualité de réfugié au sens de la Convention, ni celle de personne à protéger.

 

[2]               Le demandeur voudrait que la décision soit annulée et que l’affaire soit renvoyée à une nouvelle formation de la Commission pour qu’elle statue de nouveau sur elle.

 

Le contexte factuel

 

[3]               Quinatzin Aguilar Gutierrez (le demandeur) est citoyen du Mexique. Il affirme craindre avec raison d’être persécuté parce qu’il appartient à un groupe social particulier, à savoir les victimes de vendetta ou les homosexuels. Il a fait état de sa crainte dans son Formulaire de renseignements personnels (le FRP).

 

[4]               Le demandeur a su qu’il était homosexuel à l’âge de 13 ans, en 1993. Dans son FRP, il a raconté qu’il avait été victime d’agression et d’intimidation lorsqu’il était au primaire et au secondaire, parce que les autres élèves pensaient qu’il était homosexuel. Il a également mentionné qu’il avait été élevé dans une famille mexicaine très religieuse, conservatrice et stricte. En 2000, le demandeur a enfin dit à sa mère qu’il était homosexuel, et elle l’a supplié de ne pas le dire à son père. Le demandeur a écouté sa mère.

 

[5]               En 2005, le demandeur a fait la connaissance d’Angel Gomez Cruz lors d’une fête; peu de temps après, les deux formaient un couple. Selon le demandeur, le 28 avril 2005, le père d’Angel, Luis Gomez, les a vus s’embrasser, et il s’est mis à crier après eux et à les injurier. Le demandeur a affirmé que, pendant que Luis Gomez questionnait son fils sur ce qu’il venait de surprendre, il a réussi à s’enfuir. Luis Gomez est policier au Mexique.

[6]               Selon le demandeur, quelques jours plus tard, il a commencé à recevoir à la maison des appels téléphoniques de personnes qui raccrochaient et des voitures de police se sont mises à se stationner de manière suspecte devant sa maison. Son père a commencé à poser des questions au sujet des appels téléphoniques et des voitures de police. Il est devenu furieux, et la mère du demandeur lui a révélé que le demandeur était homosexuel. Il est entré dans la chambre du demandeur, l’a pris par la gorge et l’a battu. Après l’incident, le demandeur a quitté la maison de ses parents et n’y est jamais retourné.

 

[7]               Le demandeur affirme que le 1er novembre 2005, alors qu’il travaillait dans la ville de Puebla, il a été empoigné par derrière par deux hommes. Il a été battu jusqu’à ce qu’il s’évanouisse, et, lorsqu’il a repris conscience, il se trouvait sur le banquette arrière d’une voiture de police, nu et ligoté. On lui a dit que s’il tentait de se libérer il serait de nouveau violé. Le demandeur affirme que l’agression avait été organisée par Luis Gomez. Avant d’être laissé nu et ligoté dans un fossé, les deux hommes lui ont dit [traduction] « qu’il ne fêterait pas un autre Noël ». Le demandeur a été amené à l’hôpital par un ami, où on l’a traité pour ses blessures, mais il n’a pas signalé l’incident à la police.

 

[8]               Le 5 novembre 2005, le demandeur a commencé à faire des plans pour s’enfuir au Canada. Il a quitté l’aéroport de Mexico le 6 décembre 2005, et il est arrivé au Canada le jour même. Il a appris qu’il pouvait présenter une demande d’asile. Il a donc présenté une demande d’asile le 6 janvier 2006, laquelle a été rejetée dans une décision rendue par la Commission le 24 avril 2007. Il s’agit du contrôle judiciaire de la décision de la Commission.


La décision de la Commission

 

[9]               Dans sa décision, la Commission a estimé que les questions de savoir si la crainte du demandeur était fondée et si le demandeur pouvait se réclamer de la protection de l’État au Mexique constituaient les questions en litige. La Commission a conclu que la crainte du demandeur n’était pas objectivement bien fondée et qu’une preuve documentaire crédible et digne de foi établissait que le Mexique déployait de grands efforts pour protéger ses citoyens.

 

[10]           En ce qui concerne la crainte d’agissements criminels ou d’agressions que le demandeur pourrait subir aux mains du père de son ex‑amant, la Commission a estimé qu’il s’agissait d’une vendetta personnelle. Elle a souligné qu’il n’y avait aucune preuve montrant que Luis Gomez était effectivement un policier. La Commission a affirmé que cela importait peu, car la preuve documentaire établissait que le demandeur pouvait se réclamer de la protection de l’État au Mexique. Elle a reconnu que la criminalité et de la corruption étaient répandues au Mexique, mais elle a noté que le gouvernement déployait des efforts substantiels, judicieux et souvent fructueux pour les enrayer. Elle a souligné que, étant donné que le Mexique était une démocratie pleinement fonctionnelle, la présomption de protection de l’État s’appliquait. Elle a conclu que le demandeur n’avait pas réfuté cette présomption et a noté que l’absence occasionnelle de services de police efficaces n’équivalait pas à une absence de protection de l’État. La Commission a reconnu que la corruption au sein des services de police était un problème généralisé au Mexique, mais elle a par la suite souligné que ce pays déployait d’importants efforts pour régler ce problème. Sur le fondement de la preuve documentaire, la Commission a conclu que le demandeur pouvait bénéficier d’une protection de l’État adéquate. Elle a estimé qu’il n’était pas raisonnable que le demandeur n’ait fait aucun effort pour obtenir la protection de la police ou d’autres autorités de l’État. La Commission était d’avis que le demandeur aurait dû montrer qu’il avait pris tous les moyens raisonnables dans les circonstances avant de tenter de se réclamer de la protection internationale du Canada.

 

[11]           En ce qui concerne l’homosexualité du demandeur, la Commission a mentionné à la page 5 de sa décision « que les comportements homophobes marqués perdurent et que, en dépit de la législation, il y a parfois de la discrimination, du harcèlement et même des arrestations ». Cependant, elle a lu attentivement la preuve documentaire et conclu que le Mexique traite convenablement la question de l’orientation sexuelle et des droits universels des groupes vulnérables tels les homosexuels. La Commission a conclu que « les droits du demandeur d’asile, en tant que personne gaie, sont protégés, et qu’il n’est pas suffisant que le demandeur d’asile affirme qu’aucune protection ne lui serait offerte s’il ne s’est pas réclamé de cette protection. Il incombe au demandeur d’asile de faire les démarches nécessaires auprès de l’État pour obtenir sa protection. »

 

[12]           Enfin, la Commission a conclu que le demandeur n’avait ni la qualité de réfugié au sens de la Convention, ni celle de personne à protéger. La demande d’asile du demandeur a donc été rejetée.

 

Les questions en litige

 

[13]           Le demandeur a demandé à la Cour de trancher la question suivante :

            1.         La Commission a-t-elle tenu compte de l’ensemble de la preuve lorsqu’elle a conclu que le demandeur aurait dû tenter d’obtenir la protection de la police et que le gouvernement du Mexique prenait des mesures adéquates de protection contre la persécution?

 

[14]           Je reformule la question de la façon suivante :

            1.         Quelle est la norme de contrôle applicable?

            2.         La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que le demandeur aurait dû se réclamer de la protection de l’État?

            3.         La Commission a-t-elle commis une erreur en ne tenant pas compte de l’ensemble de la preuve documentaire sur la protection de l’État?

            4.         La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que le demandeur aurait pu bénéficier d’une protection de l’État adéquate au Mexique?

 

Les observations du demandeur

 

[15]           Le demandeur soutient que, étant donné que la Commission n’a tiré aucune conclusion défavorable relative à sa crédibilité, la Commission a implicitement accepté que la police l’avait agressé. Il était donc déraisonnable que la Commission conclue que le demandeur aurait dû tenter d’obtenir la protection de la police.

 

[16]           Le demandeur affirme également que la Commission n’a pas tenu compte de certains documents faisant partie de la preuve documentaire, lesquels étayaient la conclusion selon laquelle la protection de l’État est inadéquate. Le demandeur a mentionné en particulier les documents suivants :

·        le rapport du Département d’État de 2003;

·        un article de la United Press International publié le 9 janvier 2005;

·        un article tiré de OneWorld.net publié le 25 juin 2005;

·        un rapport intitulé « Lost in Translation » publié par le Human Rights Watch en 2006;

·        un article intitulé « Mexico Cap » publié par Amnistie Internationale le 27 janvier 2006;

·        un rapport publié par le Washington Office on Latin America le 6 avril 2006;

·        un document produit le 12 mai 2006 par le comité exécutif de la Commission des droits de l’homme et de la justice pénale de l’Université Harvard; 

·        le rapport de 2006 sur le Mexique publié par Amnistie Internationale.

 

[17]           Le demandeur soutient que dans la décision Tong c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. no 1376, la décision de la Commission a été infirmée parce que la Commission avait rejeté la preuve documentaire de façon cavalière sans qu’aucune explication ne soit donnée dans ses motifs. En outre, dans la décision Mahanandan c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1994] A.C.F. no 1228, la décision de la Commission a été infirmée au motif que la Commission ne s’était contentée que de mentionner l’existence de la preuve documentaire sans réellement en tenir compte. L’omission de la Commission d’apprécier la preuve documentaire contradictoire constitue une erreur susceptible de contrôle (Magham c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), (2001) 13 Imm. L.R. (3d) 120). La Commission a le droit d’accorder davantage de force probante à la preuve documentaire, mais elle doit dans ce cas énoncer clairement les motifs qui justifient qu’elle la privilégie au témoignage du demandeur (Levtchenko c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), (1998) 152 F.T.R. 100).

 

Les observations du défendeur

 

[18]           Le défendeur soutient que la présomption de protection de l’État s’appliquait et que, par conséquent, le demandeur devait fournir une « preuve claire et convaincante » pour la réfuter (Canada (P.G.) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689). Il affirme que le demandeur devait faire davantage que de simplement montrer que le gouvernement du Mexique n’avait pas toujours réussi à protéger les personnes qui se trouvaient dans une situation semblable à la sienne. « [L]orsqu’un État a le contrôle efficient de son territoire, qu’il possède des autorités militaires et civiles et une force policière établies, et qu’il fait de sérieux efforts pour protéger ses citoyens contre I es activités terroristes, le seul fait qu’il n’y réussit pas toujours ne suffit pas à justifier la prétention que les victimes du terrorisme ne peuvent pas se réclamer de sa protection » (Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c. Villafranca, [1992] A.C.F. n° 1189 (C.A.) (QL)).

 

[19]           Le défendeur note que les conclusions tirées par la Commission relativement à la protection de l’État étaient fondées sur la preuve documentaire. Il soutient que le fait de ne pas toujours fournir des services de police efficaces n’équivalait pas à une absence de protection de l’État (Syed c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. no 1556; Szorenyi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2003] A.C.F. no 1761; Chorny c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2003] A.C.F. no 1263; Orban c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2004] A.C.F. no 681). Le défendeur affirme que le fait que le demandeur craignait le père de son ex‑partenaire en raison de son appartenance à la police locale ne constituait pas une raison justifiant le demandeur de ne pas tenter de se réclamer de la protection de l’État du Mexique et de ses nombreuses institutions judiciaires et organisations chargées de l’application de la loi. La preuve dont disposait la Commission révélait que l’État avait la volonté de protéger les personnes, tel le demandeur, qui avaient été ciblées par des fonctionnaires qui abusaient de leur pouvoir. En outre, la protection de l’État peut être fournie non seulement par la police, mais également par des organisations administrées ou financées par l’État (Pal c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2003] A.C.F. no 894; Nagy c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] A.C.F. no 370; Zsuzsanna c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] A.C.F. no 1642; Szucs c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. no 1614).

 

[20]           Le défendeur soutient également que la Commission a tenu compte de l’ensemble de la preuve pertinente et qu’elle n’a négligé aucun élément de preuve. Il est présumé que la Commission a tenu compte de l’ensemble de la preuve, et ce, même si elle n’en a pas fait expressément mention dans ses motifs (Florea c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. no 598 (C.A.)). Le défendeur note que la Commission a reconnu que la criminalité et la corruption étaient très répandues au Mexique et qu’il y avait encore de la discrimination envers les homosexuels. L’allégation du demandeur selon laquelle la Commission n’a pas pris en considération la preuve à ce sujet est donc injustifiée. Le défendeur soutient que la Commission a tenu compte de l’ensemble de la preuve documentaire et que, en définitive, elle a conclu à l’existence de la protection de l’État.

La réponse

 

[21]           Le demandeur soutient que l’agression subie aux mains de deux agents de police constitue une « preuve claire et convaincante » de l’incapacité de l’État à assurer sa protection. En ce qui concerne l’omission de la Commission d’apprécier certains documents faisant partie de la preuve documentaire lors de son analyse de la protection de l’État, le demandeur soutient que, étant donné que cette partie de la preuve contredisait directement des conclusions de la Commission, la Commission avait l’obligation de l’apprécier expressément (Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] A.C.F. no 1425 (C.F. 1re inst.), paragraphes 15 à 17).

 

Analyse et décision

 

[22]      La première question en litige

            Quelle est la norme de contrôle applicable?

            La conclusion générale de la Commission portant sur le caractère adéquat de la protection de l’État constitue une question mixte de droit et de fait; la norme de contrôle applicable est la décision raisonnable (Machedon c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2004] A.C.F. no 1331; Chaves c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] A.C.F. no 232).

 

[23]      La présente demande de contrôle judiciaire a été instruite avant que la Cour suprême du Canada rende l’arrêt de principe Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, [2008] A.C.S. no 9, dans lequel la Cour suprême a aboli deux normes, à savoir la décision raisonnable simpliciter et la décision manifestement déraisonnable, au profit d’une seule, plus simple, la raisonnabilité. Cependant, la jurisprudence avait déjà établi que la norme applicable au caractère adéquat de la protection de l’État, question mixte de droit et de fait, était la décision raisonnable (Hinzman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2007] A.C.F. no 584).  Par suite de l’arrêt Dunsmuir, précité, la juge Dawson a conclu dans la décision Eler c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2008] A.C.F. no 418, que la raisonnabilité constitue désormais la norme de contrôle applicable suivant l’analyse effectuée au paragraphe 47 de l’arrêt Dunsmuir, précité :

La norme déférente du caractère raisonnable procède du principe à l’origine des deux normes antérieures de raisonnabilité : certaines questions soumises aux tribunaux administratifs n’appellent pas une seule solution précise, mais peuvent plutôt donner lieu à un certain nombre de conclusions raisonnables.  Il est loisible au tribunal administratif d’opter pour l’une ou l’autre des différentes solutions rationnelles acceptables.  La cour de révision se demande dès lors si la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité.  Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à  l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

 

[24]      La deuxième question en litige

            La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que le demandeur aurait dû se réclamer de la protection de l’État?

            Le demandeur affirme qu’il était manifestement déraisonnable que la Commission conclue qu’il aurait dû tenter d’obtenir la protection de l’État alors que les agents de persécution étaient eux‑mêmes membres des services de police.

 

[25]      La juge Simpson a examiné une situation semblable présentée à la Cour dans l’affaire Nagy, précitée. Dans cette affaire, le demandeur avait également allégué que des membres de la police étaient les agents de persécution, et la Commission avait conclu qu’il aurait dû tenter de saisir d’autres mécanismes de protection de l’État raisonnablement accessibles, en particulier, la commission parlementaire chargée de protéger les droits des minorités nationales et ethniques. La juge Simpson a tenu compte d’éléments de preuve tels que les plaintes précédentes qui avaient été déposées devant cette commission parlementaire par des personnes se trouvant dans une situation semblable à celle du demandeur. En définitive, la juge Simpson a estimé que la conclusion de la Commission au sujet de la protection de l’État, conclusion tirée sur le fondement de la preuve dont disposait la Commission, était raisonnable.

 

[26]      En l’espèce, la Commission a conclu qu’il était déraisonnable que le demandeur n’ait même pas essayé de se réclamer de la protection de l’État :

En l’espèce, le demandeur d’asile n’a pas pris toutes les mesures raisonnables. À vrai dire, il n’a pris aucune mesure. Le tribunal est d’avis que le demandeur d’asile devrait avoir fait la preuve qu’il avait pris toutes les mesures raisonnables dans les circonstances avant de se réclamer de la protection internationale du Canada.

 

 

[27]      Juste avant de tirer cette conclusion, la Commission a examiné les mécanismes de protection dont pouvaient se réclamer les personnes qui étaient prises pour cible par des agents de police corrompus au Mexique. La Commission a affirmé ce qui suit :

Les victimes de la corruption et du crime organisé peuvent signaler les infractions directement au bureau du ministère public le plus proche s’il est possible que la police municipale soit impliquée. Lorsque les victimes sont ignorées ou que leurs plaintes ne sont pas traitées, elles peuvent signaler l’infraction directement au contrôleur interne du PGR.

 

 

[28]      À mon avis, il était raisonnable que la Commission conclue que le demandeur aurait pu se réclamer d’autres mécanismes de protection de l’État raisonnablement accessibles. Dans les affaires où les agents de persécution prétendus sont des membres de la police, il est crucial que la Commission s’interroge à savoir s’il est raisonnable de demander au demandeur de s’adresser au même service de police pour obtenir de la protection. À mon avis, la Commission dans la présente affaire s’est interrogée à ce sujet et a adéquatement évalué le caractère raisonnable des autres mécanismes de protection de l’État. Je crois que la Commission n’a commis aucune erreur en concluant que le demandeur aurait dû faire un effort pour se réclamer de la protection de l’État avant de tenter d’obtenir une protection internationale, et ce, même si les agents de persécution étaient eux-mêmes des policiers. Je n’accueillerai pas le contrôle judiciaire sur cet argument du demandeur.

 

[29]      La troisième question en litige

            La Commission a-t-elle commis une erreur en ne tenant pas compte de l’ensemble de la preuve documentaire sur la protection de l’État?

            Le demandeur soutient que la Commission a commis une erreur en omettant de mentionner expressément la preuve documentaire qui contredisait sa conclusion relative au caractère adéquat de la protection de l’État.  L’argument du demandeur est fondé sur la décision Cepeda-Gutierrez, précitée. Dans la décision Shen c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2007] A.C.F. no 1301, le juge Pinard a conclu que l’obligation qu’a la Commission de mentionner expressément une preuve qui contredit ses conclusions principales, comme l’a établi la décision Cepeda-Gutierrez, précitée, ne s’applique pas lorsque la preuve en question se révèle être une preuve documentaire de nature générale. Je suis convaincu que l’affaire Cepeda-Gutierrez, précitée, peut être également considérée inapplicable en l’espèce. Alors que dans cette affaire la preuve en question concernait particulièrement et personnellement le demandeur, en l’espèce, la preuve documentaire est de nature générale.

 

[30]      De toute façon, même si le principe établi dans la décision Cepeda-Gutierrez, précitée, s’appliquait effectivement dans la présente affaire, je ne suis pas convaincu que la Commission ait omis de tenir compte de la preuve en question. La Commission a clairement admis qu’il y avait encore des problèmes de corruption et de criminalité au sein de la police au Mexique et de la discrimination contre les homosexuels. Ces considérations et la déclaration de la Commission selon laquelle elle avait tenu compte de l’ensemble de la preuve documentaire dont elle disposait me convainquent qu’aucune erreur n’a été commise par la Commission dans son appréciation de la preuve documentaire relative à la protection de l’État. Je n’accueillerai pas le contrôle judiciaire sur cet argument du demandeur.

 

[31]      La quatrième question en litige

            La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que le demandeur aurait pu bénéficier d’une protection de l’État adéquate au Mexique?

            Le demandeur soutient que la conclusion générale de la Commission, selon laquelle le demandeur aurait pu bénéficier d’une protection de l’État adéquate, était manifestement déraisonnable. Comme je l’ai déjà mentionné, la norme de contrôle applicable à la conclusion générale relative à la protection de l’État tirée par la Commission est la raisonnabilité. Par suite d’un examen minutieux des motifs de la Commission, je suis convaincu que la conclusion de la Commission, selon laquelle le demandeur aurait pu bénéficier de la protection de l’État au Mexique, était raisonnable.

 

[32]      Dans sa décision, la Commission a minutieusement examiné la protection de l’État dont pouvaient bénéficier tant les homosexuels que les personnes ciblées par les policiers corrompus. La Commission n’a pas seulement tenu compte des initiatives du gouvernement telles que les réformes législatives et les nouveaux programmes, mais a également considéré leur efficacité. La Commission a effectué un examen très minutieux de la protection de l’État au Mexique, et je ne vois aucune raison d’intervenir à l’égard de la décision. Je n’accueillerai pas le contrôle judiciaire sur ce moyen.

 

[33]      La demande de contrôle judiciaire sera donc rejetée.

 

[34]      Les parties n’ont pas exprimé le désir de me proposer une question grave de portée générale aux fins de certification.

 


 

JUGEMENT

 

[22]           LA COUR ORDONNE : la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

 

 

« John A. O’Keefe »

Juge

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Jean-François Martin, LL.B, M.A.Trad.jur.


ANNEXE

 

Dispositions légales pertinentes

 

Les dispositions légales pertinentes sont citées dans la présente annexe.

 

La Loi sur l’immigration et le statut de réfugié, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR) :

 

 96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

97.(1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

 96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

97.(1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

 

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    IMM-1907-07

 

INTITULÉ :                                                   AGUILAR GUTIERREZ QUINATZIN

 

                                                                        c.        

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 13 FÉVRIER 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          LE JUGE O’KEEFE

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 12 AOÛT 2008

 

 

COMPARUTIONS :

 

M. Max Chaudhary

 

POUR LE DEMANDEUR

Ricky Tang

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

M. Max Chaudhary

North York (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

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