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Date :  20080728

Dossier :  IMM-2639-08

Référence :  2008 CF 916

Ottawa (Ontario), le 28 juillet 2008    

En présence de monsieur le juge Blanchard 

 

ENTRE :

John Doe

Demandeur

et

 

Ministre de la Justice

Défendeur

 

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Le demandeur a déposé une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire à l’encontre de :

Les décisions intérimaires des 22 février et 4 mars 2008 et la décision finale du Ministre de la Justice rendue le ou vers le 23 mai 2008 nommant 28 avocats à titre d’avocats spéciaux en vertu de la LIPR et rejetant la candidature du demandeur.

 

[2]               La demande de contrôle judiciaire est fondée sur les motifs suivants :

Il y a eu délégation illégale de pouvoirs.

 

La décision est illégale.

 

Aucun règlement établissant les critères de sélection des avocats spéciaux n’a été adopté.

 

Le décideur a commis une erreur de droit en ne tenant pas compte des critères édictés par la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés et décrits dans l’appel de candidatures.

 

Le décideur a utilisé des critères de sélection arbitraires.

 

Le décideur a ignoré les principes élémentaires de dotation applicables.

 

La primauté du droit doit prévaloir.

 

L’annulation des décisions ne causera aucun préjudice, entre autre, du fait que d’autres options sont disponibles dans les causes pendantes ou à naître requérant la présence d’avocat spécial.

 

Subsidiairement, certaines nominations sont empreintes de favoritisme relevant de l’arbitraire et sont illégales.

 

L’ordonnance de confidentialité est fondée sur :

 

Le demandeur s’est engagé de bonne foi dans un processus de sélection, sur la base de la confidentialité de sa participation. Sa participation a illégalement à au moins 43 candidats ce qui lui cause humiliation, atteinte à sa réputation, troubles et inconvénients.

 

Il craint que sa réputation soit irrémédiablement entachée s’il est révélé dans ces procédures que sa candidature a été rejetée et que ce rejet est associé à l’enquête de sécurité, tel que le laisse entendre le défendeur par son courriel aux 44 candidats du 31-1-2008, tel qu’il sera plus amplement détaillé dans le dossier de requête à suivre. Les décisions attaquées le font passer pour un avocat non qualifié.

 

Il ne pourra tout simplement plus gagner sa vie de ses activités professionnelles.

 

[3]               Dans le cas ou l’autorisation est accordée, le demandeur recherche les redressements suivants par voie de contrôle judiciaire :

Annuler les décisions nommant les avocats spéciaux et rejetant la candidature du demandeur.

 

Rendre une ordonnance de confidentialité relative à l’identité du demandeur et des autres victimes du défendeur et de toutes informations pouvant permettre de les identifier. Un dossier de requête suivra au même effet.

 

Dans l’éventualité ou la requête est refusée, accorder une prorogation de délai afin de signifier et produire une demande d’autorisation et de contrôle judicaire amendée.

 

Accorder une prorogation de délai en cour d’instance si les documents requis du défendeur ne sont pas transmis en temps utile.

 

Accorder au besoin une prorogation de délai pour signifier et produire la présente procédure.

 

[4]               Par la présente requête écrite, en vertu de la règle 369 des Règles des Cours fédérales (Règles), le demandeur vise à :

Obtenir l’autorisation d’être dispensé de l’obligation de divulguer son nom dans le titre de toutes procédures en le remplaçant par John Doe (art. 66 des Règles des Cours fédérales, art. 5 des Règles des Cours fédérales en matière d’immigration et de protection des réfugiés).

 

Obtenir l’autorisation d’être dispensé de l’obligation de divulguer son nom dans tout affidavit ou serment (art. 80 des Règles des Courts fédérales) et de signer John Doe. Alternativement, obtenir l’autorisation de produire, signifier et déposer un/des affidavits de son avocate (art. 82 des Règles des cours fédérales).

 

Obtenir une ordonnance de confidentialité en lui accordant l’autorisation de présenter la demande d’autorisation et contrôle judiciaire et le présent dossier de requête sous le nom de John Doe ; que le/les affidavits, serments du demandeur soient faits sous le nom de John Doe, de cacher dans tous documents soumis à la Cour, toute information permettant de l’identifier ; à titre d’exemple mais de façon non limitative : son adresse résidentielle ou de courriel, date de naissance, lieu de pratique, curriculum vitae, les adresses telles : madame, monsieur, confrère, consœur. Alternativement, ordonner la mise sous scellés de toutes les procédures et pièces.

 

Obtenir une ordonnance afin que les informations permettant d’identifier les autres victimes du défendeur, non sélectionnées à titre d’avocat spécial, puissent être cachées, dans tous documents. Alternativement, ordonner la mise sous scellés des documents contenant des informations permettant de les identifier.

 

Obtenir une ordonnance à l’effet que toute décision, tout registre de la Cour – où le nom du demandeur doit apparaître – identifieront ce dernier par le nom John Doe.

 

Obtenir une ordonnance ordonnant la mise sous scellés de la présente requête, de l’affidavit au soutien de la présente requête et des pièces.

 

 

I.   La preuve

[5]               Au soutien de sa requête en dispense et confidentialité, le demandeur dépose son affidavit de 74 paragraphes. Dans les paragraphes qui suivent, je résume les éléments pertinents de cette preuve qui portent sur la requête devant la Cour.

 

[6]               Le défendeur fait publier, en décembre 2007, une demande d’expression d’intérêt sollicitant la candidature d’avocats du secteur privé intéressés à être nommés avocat spécial  aux termes des nouvelles dispositions de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, 2001, ch. 27 (la LIPR/la Loi).

 

[7]               Le demandeur a soumis sa candidature à cet égard en décembre 2007. Le Ministre de la Justice a inscrit le nom de 28 avocats sur la liste des avocats spéciaux établie en vertu de l’article 85 de la Loi, mais n’a pas inscrit le nom du demandeur.

 

[8]               Dans le cadre du traitement de sa candidature, le demandeur prétend, ce qui n’est pas nié, qu’une employée du ministère ait fait circuler son nom par courriel le 31 janvier 2008, sans son consentement, auprès de 43 candidats, révélant ainsi sa participation confidentielle au processus de sélection d’avocats spéciaux. Le ministère s’était engagé à garder confidentielle la participation des candidats au processus de sélection.

 

[9]               Le demandeur prétend que sa réputation a été atteinte en raison de gestes posés par le défendeur dans le cadre du processus de sélection. Et ce, en raison du fait que les autres candidats ont pu savoir que le demandeur n’avait pas été retenu, ce qui laisse planer de sérieux doutes sur sa réputation et sa respectabilité.

 

[10]           Le demandeur prétend essentiellement que l’émission par le Ministre des communiqués annonçant la liste des candidats « qualifiés » laisse entendre que les candidats non sélectionnés n’étaient pas qualifiés.

 

[11]           Selon le demandeur, la présente requête est déposée afin d’éviter d’être soumis à plus ample humiliation et atteinte à sa réputation. L’objectif visé est de préserver la vie privée, l’identité du demandeur et des candidats non-sélectionnés par le défendeur à titre d’avocats spéciaux.

 

II.   La loi

[12]           L’intérêt du public dans la publicité et à l’accès des débats judiciaires est d’une importance capitale dans le système de justice canadien. La règle de la publicité des procédures judiciaires s’apparente étroitement avec la liberté d’expression, un droit protégé dans la Charte canadienne des droits et libertés, partie 1 de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U), 1982, c. 11.

 

[13]           Avant de rendre une ordonnance discrétionnaire en application du paragraphe 151(1) des Règles, la Cour doit être convaincue de la nécessité de considérer les documents ou éléments matériels comme confidentiels. La Cour suprême dans l’arrêt Sierra Club du Canada c. Canada (Ministre des Finances), 2002 CSC 41, [2002] 2 R.C.S. 522 au paragraphe 53 a statué le test suivant afin de déterminer si une ordonnance de confidentialité devrait être rendue :

53.    [ … ]

Une ordonnance de confidentialité en vertu de la règle 151 ne doit être rendue que si :

 a) elle est nécessaire pour écarter un risque sérieux pour un intérêt important, y compris un intérêt commercial, dans le contexte d'un litige, en l'absence d'autres options raisonnables pour écarter ce risque;

b) ses effets bénéfiques, y compris ses effets sur le droit des justiciables civils à un procès équitable, l'emportent sur ses effets préjudiciables, y compris ses effets sur la liberté d'expression qui, dans ce contexte, comprend l'intérêt du public dans la publicité des débats judiciaires.

 

 

[14]           Le demandeur doit donc démontrer que les effets bénéfiques de protéger son identité dans sa demande d’autorisation et de contrôle judiciaire, l’emporte sur l’intérêt du public dans la publicité des débats judiciaires.

 

III.    Analyse

[15]           En l’espèce, le demandeur affirme que sa réputation sera d’avantage entachée par la divulgation de son identité comme partie aux présentes procédures et à la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire. Il prétend que la source de ses dossiers est de bouche en oreille, et que les personnes ressources cesseraient de lui référer des dossiers s’ils apprennent que sa candidature a été rejetée. De plus, le demandeur affirme que la divulgation de sa candidature aux 43 autres candidats lui cause des dommages reliés à son humiliation, atteinte à la réputation, et troubles et inconvénients.

 

[16]           Après avoir considéré l’affidavit du demandeur, dans son ensemble, déposé au soutien de la requête pour justifier la nécessité de l’ordonnance de confidentialité, je suis d’avis que cette preuve ne justifie pas que la Cour rende l’ordonnance recherchée. La preuve ne me satisfait pas qu’il existe un risque sérieux à la réputation et au droit à la vie privé du demandeur. Les effets préjudiciables, prétendues par le demandeur, ne sont pas appuyés par la preuve. Les affirmations par le demandeur sont spéculatives, et sont insuffisantes pour mettre de coté la règle de la publicité des procédures judiciaires. Dans les circonstances, les effets bénifiques au demandeur, que pourraient résulter de l’émission de l’ordonnance recherchée, ne l’emportent pas sur ses effets préjudiciables, notamment l’intérêt du public dans la publicité des débats judicaires.

 

[17]           Par ailleurs, bien que le demandeur cherche à faire annuler les décisions nommant les avocats spéciaux et rejetant sa candidature, ses prétentions en ce qui concerne une prétendue atteinte à sa réputation et à sa vie privé ne sont pas pertinentes à la demande de contrôle judiciaire sous tendant cette requête. La demande attaque plutôt le processus de sélection des avocats spéciaux, tel que stipulé dans l’avis de demande. Sur ce point, je suis essentiellement en accord avec les prétentions du défendeur.  

 

IV.   Conclusion

[18]           Pour ces motifs la requête sera rejetée avec dépens.

 

[19]           Le demandeur sera accordée une prorogation de délai de quinze jours de la date de cette ordonnance afin de lui permettre de faire émettre, signifier et produire un avis de demande d’autorisation et contrôle judiciaire amendé qui mentionnera le nom réel du demandeur dans le titre de la procédure.


 

ORDONNANCE

 

            LA COUR ORDONNE que

 

1.                  La requête soit rejetée avec dépens.

 

2.                  Le demandeur soit accordée une prorogation de délai de quinze jours de la date de cette ordonnance afin de lui permettre de faire émettre, signifier et produire un avis de demande d’autorisation et contrôle judiciaire amendé qui mentionnera le nom réel du demandeur dans le titre de la procédure.

 

 

 

« Edmond P. Blanchard »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-2639-08

 

INTITULÉ :                                       John Doe c. Ministre de la Justice

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Ottawa (Ontario)

 

DATE : REQUÊTE SANS

COMPARUTION :                           Le 13 juin 2008

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       Le juge Blanchard

 

DATE DES MOTIFS :                      le 28 juillet 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Elaine Doyon

Brossard (Québec)

 

POUR LE DEMANDEUR

Me Bernard Letarte

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Cabinet Doyon

514-944-0559

 

POUR LE DEMANDEUR

John Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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