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Date : 20080725

Dossier : T-1374-07

Référence : 2008 CF 912

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Vancouver (Colombie-Britannique), le 25 juillet 2008

En présence de monsieur le juge Campbell

 

ENTRE :

GWASSLAAM, également appelé

GEORGE PHILLIP DANIELS

agissant en son propre nom et au nom de tous les autres membres de la

maison de Gwasslaam

 

demandeurs

et

 

LE MINISTRE DES PÊCHES ET DES OCÉANS

défendeur

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               La présente requête est un appel interjeté à l’encontre d’une décision du protonotaire Lafrenière, datée du 25 juin 2008, (la décision), qui a rejeté la requête en autorisation de l’appelant visant à déposer un affidavit additionnel relativement à sa demande de contrôle judiciaire (la demande) en vertu de l'article 312(a) des Règles des Cours fédérales (DORS/98-106).

 

[2]               La demande repose sur une revendication d’un droit de pêche ancestral. Le principal argument présenté au protonotaire par l’avocat du demandeur est que l’affidavit additionnel précise l’état de l’histoire orale qui étaye sa demande. Dans les motifs invoqués par le protonotaire pour justifier sa décision, il est évident qu’il n’a pas tenu compte de l’argument de l’histoire orale invoqué à l’appui de l’admission de l’affidavit. Par conséquent, pour les raisons ci-après, je conclus que le protonotaire a exercé son pouvoir en s’appuyant sur le mauvais principe. Je vais donc trancher de novo la preuve contestée (voir les propos du juge MacGuigan dans Canada c. Aqua-Gem Investments Ltd., [1993] 2 CF 425, [1993] ACF no 103 (C.A.) (QL) aux paragraphes 65 et 66).

 

[3]               L’historique des procédures menant aux preuves historiques contestées offre un contexte important pour rendre une décision concernant le présent appel.

 

[4]               La demande contient des allégations à l’effet que certaines mesures prises par le ministre des Pêches et des Océans violent les droits de pêche ancestraux du demandeur. Le demandeur a initialement présenté une requête afin d’obtenir une instruction accélérée et il a déposé ses affidavits dans le cadre de cette requête. Il a par la suite abandonné cette requête; cependant, le 7 avril 2008, on a conclu par voie d’ordonnance que les affidavits à l’appui de la requête avaient été déposés dans la demande. L’un de ces affidavits a été fait sous serment par Gwasslaam et est accompagné de deux recueils : l’un contenant des histoires orales autochtones et l’autre des renseignements de nature archéologique (le recueil de preuves).

 

[5]               Le 13 mai 2008, le défendeur a déposé une requête visant, en partie, la radiation de la demande au motif que celle-ci était dépourvue de toute chance de réussite en raison du manque de preuves de la revendication autochtone sur laquelle elle reposait. Alors que le protonotaire Lafrenière a rejeté la requête en radiation le 22 mai 2008, le principal argument avancé par l’avocat du défendeur a donné lieu à la présentation d’un affidavit additionnel. L’avocat du défendeur soutient que la Cour n’était pas officiellement saisie du recueil de preuves et que, par conséquent, ce recueil ne contenait pas les preuves qui auraient permis d’accueillir la demande de contrôle judiciaire du demandeur. En réponse à cet argument, qui pourrait être avancé au cours de l’audience de la requête, l’avocat du demandeur a demandé l’autorisation de déposer un affidavit additionnel en vertu de l'article 312(a) des Règles :

312. Une partie peut, avec l’autorisation de la Cour :

 

a) déposer des affidavits complémentaires en plus de ceux visés aux règles 306 et 307;

b) effectuer des contre-interrogatoires au sujet des affidavits en plus de ceux visés à la règle 308;

c) déposer un dossier complémentaire.

312. With leave of the Court, a party may

 

(a) file affidavits additional to those provided for in rules 306 and 307;

(b) conduct cross-examinations on affidavits additional to those provided for in rule 308; or

(c) file a supplementary record.

 

[6]               Le protonotaire a rejeté la requête du demandeur le 26 juin 2008 pour les raisons ci-après :

[traduction]
Au moment de décider s’il y a lieu d’autoriser le dépôt d’un autre affidavit, la Cour doit examiner la pertinence de l’affidavit qui est proposé, le risque de préjudice à l’autre partie, l’aide éventuelle que la preuve additionnelle pourrait apporter à la Cour, ainsi que l’intérêt général de la justice. La Cour doit aussi déterminer si l’affidavit additionnel était disponible et aurait pu être déposé à une date antérieure.

 

Le demandeur affirme que c’est la requête du répondant visant à faire rejeter l’instance qui l’a incité à déposer une requête en vue de déposer des preuves additionnelles. L’avocat soutient qu’après réflexion, le demandeur était préoccupé par les lacunes apparentes dans ses éléments de preuve que le défendeur avait fait ressortir. Cependant, le demandeur n’a présenté aucune preuve concernant cette requête pour expliquer pourquoi les éléments de preuve contenus dans le projet d’affidavit de Robert Good n’auraient pas pu être déposés plus tôt, ni pourquoi sa requête en autorisation de déposer d’autres éléments de preuve n’aurait pas pu être présentée plus tôt. Le demandeur avait eu amplement le temps d’examiner sa position. En fait, il avait déjà eu deux occasions de présenter une requête en autorisation à la Cour. Pourtant, le 7 avril 2008, l’avocat du demandeur a déclaré à la Cour, lors de l’audience de la requête en autorisation du demandeur en vue de déposer sa preuve par affidavit en vertu de l'article 306 des Règles, que le demandeur n’avait pas l’intention de déposer un autre affidavit pour appuyer sa demande de contrôle judiciaire. En outre, le 22 mai, à l’audience de la requête du défendeur en vue de faire rejeter la requête du demandeur, celui-ci a maintenu que la preuve par affidavit qu’il avait déposée à l’appui de sa demande de contrôle judiciaire était suffisante.

 

Étant essentiellement d’accord avec les paragraphes 15, 16, 17, 26, 27, 28, 29, 30 et 31 des observations écrites déposées au nom du défendeur, je ne considère pas qu’il est dans l’intérêt de la justice d’octroyer la mesure de redressement sollicitée par le demandeur.

 

(Décision, p. 2)

 

[7]               Selon les paragraphes incorporés par renvoi à partir des observations écrites du défendeur, la requête en dépôt d’un affidavit additionnel présentée par le demandeur ne devrait pas être accueillie parce que : le demandeur n’est pas en mesure d’expliquer de manière satisfaisante le temps écoulé avant le dépôt de l’affidavit; le recueil de preuves était disponible lorsque la preuve par affidavit du demandeur a initialement été admise; et l’affidavit additionnel n’est rien d’autre qu’une version « améliorée » de la preuve par affidavit originale du demandeur.

 

[8]               Le demandeur soutient que la décision faisant l’objet de l’appel est erronée, car le protonotaire n’a pas appliqué le bon principe lorsqu’il examiné le critère applicable en matière d’autorisation en vertu de l'article 312 des Règles. Plus précisément, le demandeur affirme que le protonotaire a commis une erreur en n’examinant pas la nature de la preuve concernant l’histoire orale des Autochtones contenue dans l’affidavit additionnel et qu’il n’a pas tenu compte de considérations pertinentes lorsqu’il a appliqué le critère en vertu de l'article 312 des Règles. Je souscris à ces arguments.

 

[9]               Les parties admettent que le critère approprié en vertu de l'article 312 des Règles est décrit dans Rosenstein c. Atlantic Engraving Ltd., 2002 CAF 503 [2002] A.C.F. no 1782 (C.A.F.) (QL) aux paragraphes 8 et 9 [Atlantic Engraving] :

Exceptionnellement, l'article 312 des Règles prévoit qu’une partie peut, avec l’autorisation de la Cour, déposer des affidavits complémentaires. Aux termes de cette règle, la Cour peut autoriser le dépôt d’affidavits complémentaires lorsque les conditions suivantes sont réunies :

 

i)                Les éléments de preuve vont dans le sens des intérêts de la justice;

ii)               Les éléments de preuve aideront la Cour;

iii)             Les éléments de preuve ne causeront pas de préjudice grave à la partie adverse (voir Eli Lilly & Co. c. Apotex Inc. (1997), 76 C.P.R. 3d) 15 (1re inst.); Robert Mondavi Winery c. Spagnol’s Wine & Beer Making Supplies Ltd. (2001), 10 C.P.R. (4th) 331 (1re inst.)).

 

De plus, lorsqu’il sollicite l’autorisation de déposer des documents complémentaires, le demandeur doit démontrer que les éléments de preuve qu’il cherche à produire n’étaient pas disponibles avant le contre-interrogatoire relatif aux affidavits de la partie adverse. Une partie ne peut se servir de l'article 312 des Règles pour diviser sa cause et elle est tenue de présenter la meilleure preuve le plus tôt possible (voir Salton Appliances (1985) Corp. c. Salton Inc. (2000), 181 F.T.R. 146, 4 C.P.R. (4th) 491 (1re inst.); Inverhuron & District Ratepayers Assn. c. Canada (Ministre de l’Environnement) (2000), 180 F.T.R. 314 (1re inst.)).

 

En l’espèce, le défendeur n’avait pas encore signifié et déposé de réponse à la demande au moment où le demandeur a présenté une demande d’admission d’un affidavit additionnel et, comme le contre-interrogatoire n’avait pas encore eu lieu, le décideur doit déterminer si la preuve contenue dans l’affidavit additionnel était disponible et, le cas échéant, s’il était possible pour le demandeur de la soumettre au moment de présenter ses affidavits originaux (voir par exemple Pfizer Canada Inc. c. Canada (Santé), 2006 CF 984, [2006] A.C.F. no 1243). Cependant, il est important de noter que l’examen de ce facteur a pour objet de veiller à ce que le traitement d’une demande de contrôle judiciaire ne soit pas retardé indûment parce qu’une demande de contrôle judiciaire est une procédure sommaire dont la décision ne devrait pas souffrir de retard injustifié (Mazhero c. Conseil canadien des relations industrielles, 2002 CAF 295, [2002] A.C.F. no 1112 (QL) au paragraphe 5).

 

[10]           Dans ses motifs, le protonotaire ne montre pas qu’il a pris en considération tous les facteurs énoncés dans Atlantic Engraving. En fait, sa décision porte exclusivement sur le fait que le contenu de l’affidavit proposé était disponible au moment du dépôt des affidavits se rapportant à la première demande; le protonotaire n’aborde pas les raisons invoquées par le demandeur pour le dépôt d’un affidavit additionnel, à savoir pour donner suite aux questions de preuve sur l’histoire orale autochtone soulevées par le défendeur dans sa requête en radiation. En outre, rien n’indique que le protonotaire ait pris en considération les facteurs importants ci-après : l’aide que l’affidavit additionnel pourrait apporter au juge qui tranchera la question des éléments de preuve sur l’histoire orale autochtone lors du contrôle judiciaire; l’absence de préjudice que l’admission de l’affidavit additionnel porterait au défendeur; les intérêts généraux de la justice puisque les éléments de preuve contenus dans l’affidavit additionnel portent sur l’histoire orale en lien avec la revendication d’un droit autochtone. En fait, le protonotaire ne se demande pas si l’admission de l’affidavit additionnel provoquera un retard indu. Pour ces motifs, je conclus que le protonotaire a exercé son pouvoir en s’appuyant sur le mauvais principe.

 

[11]           À mon avis, pour déterminer l’admissibilité d’un affidavit additionnel de novo, la prise en compte des facteurs dans Atlantic Engraving fait que l’affidavit additionnel devrait être admis.

 

[12]           En ce qui concerne les facteurs liés au retard et au préjudice pour le défendeur, un facteur milite en faveur d’une conclusion neutre relativement à ces deux facteurs : au moment où le demandeur a présenté l’affidavit additionnel, le défendeur n’avait toujours pas déposé sa réponse à la demande. En conséquence, il n’est pas possible d’affirmer qu’à ce moment, le dépôt d’un affidavit additionnel aurait provoqué un retard parce que l’on venait d’entreprendre la procédure de contrôle judiciaire. Il n’est également pas possible d’affirmer que dépôt d’un affidavit additionnel ferait subir un préjudice au défendeur, parce que cet affidavit a été déposé uniquement en réponse à l’argument du défendeur concernant la requête en sursis et, par conséquent, cet affidavit ne soulève pas de nouvelle question au détriment du défendeur.

 

[13]           Conformément à la souplesse qui prévaut en ce qui concerne les éléments de preuve fondés sur l’histoire orale, comme l’a mentionné la Cour suprême du Canada dans Mitchell c. Canada (Ministère du Revenu national) [2001] 1 RSC 911, à mon avis, il est certainement dans l’intérêt de la justice que la preuve offerte concernant l’état de l’histoire orale à l’appui d’une revendication autochtone au cœur d’une demande soit mise à la disposition du juge pour l’aider à trancher cette demande. Il va de soi que le juge des requêtes est libre de déterminer la pertinence et le poids qu’il convient d’accorder à tous les éléments de preuve qui ont été soumis.


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE CE QUI SUIT :

1)      L’appel est accueilli et l’affidavit additionnel est admis comme preuve concernant la demande.

2)      Les dépens du présent appel suivront l’issue de la cause.

 

 

 

« Douglas R. Campbell »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-1374-07

 

INTITULÉ :                                       GWASSLAAM, aussi connu sous le nom de GEORGE PHILLIP DANIELS, en son nom et au nom de tous les membres de la maison de Gwasslaam c. LE MINISTRE DES PÊCHES ET DES OCÉANS

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Vancouver (Colombie-Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 22 juillet 2008

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       LE JUGE CAMPBELL.

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 25 juillet 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Richard J. Overstall

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Steven C. Postman

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Buri, Overstall

Smithers (Colombie-Britannique)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

John H. Simms, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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