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Date : 20080728

Dossier : IMM-5319-07

Référence : 2008 CF 918

Ottawa (Ontario), le 28 juillet 2008

En présence de monsieur le juge Zinn

 

 

ENTRE :

MARLIN MITCHELL

et MAKIDA MITCHELL

(représentée par Marlin Mitchell, sa tutrice à l’instance)

demanderesses

 

et

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeurs

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Mme Mitchell est une citoyenne de la Grenade. Elle est venue au Canada en septembre 2000 à titre de visiteuse et n’est pas partie à l’expiration de son visa six mois plus tard. En novembre 2007, elle a rencontré M. MacDonald Scott, consultant en immigration, qui a évoqué la possibilité pour elle d’une demande d’asile, lorsqu’elle lui a dit avoir quitté la Grenade pour des motifs de violence familiale. Un autre rendez-vous devait être fixé avec le consultant, pour que celui-ci puisse évaluer le bien-fondé de la demande d’asile de Mme Mitchell et lui expliquer le processus. Avant que cette rencontre n’ait lieu, Mme Mitchell et sa jeune fille ont été mis en détention lorsqu’un employé de magasin a surpris Mme Mitchell en train, lui semblait-il, de faire un vol à l’étalage. On a demandé à des policiers de Toronto d’intervenir, mais aucune accusation n’a été portée à quelque moment que ce soit. La police de Toronto a toutefois parlé de Mme Mitchell aux autorités de l’immigration pendant qu’elle était sous leur garde, comme elle semblait ne jouir d’aucun statut au Canada.

 

[2]               Le 4 décembre 2007, les autorités de l’immigration ont arrêté et mis en détention Mme Mitchell  en application de l’article 55 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001. L’agent d’immigration qui a détenu Mme Mitchell a établi un rapport (le rapport fondé sur l’article 44). L’agent a conclu que Mme Mitchell était interdite de territoire au Canada en raison de la prolongation indue de son séjour après l’expiration de son visa de visiteuse. Suivant en cela la procédure prescrite, la déléguée du ministre a passé en revue le rapport fondé sur l’article 44 et fait passer une entrevue à Mme Mitchell, par suite de quoi elle pris une mesure de renvoi.

 

[3]               Selon Mme Mitchell, la déléguée a fait totalement abstraction de son désir exprimé de présenter une demande d’asile lorsqu’elle a pris la mesure de renvoi. Elle prétend subsidiairement que le paragraphe 99(3) de la Loi, qui interdit de faire une demande d’asile après la prise d’une mesure de renvoi, enfreint l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés et est inconstitutionnel.

 

[4]               La version de l’une et l’autre parties diverge considérablement quant à ce qui est survenu et quant à ce que les autorités de l’immigration ont dit à Mme Mitchell pendant sa détention. Des affidavits de Mme Mitchell, de M. Scott, de l’agent et de la déléguée ont été déposés et chacun des déposants a été contre-interrogé par un avocat avec fermeté. Pendant l’audience, chacune des parties a renvoyé à des extraits de contre-interrogatoire et, comme convenu, j’ai lu la transcription en son entier. Étant donné la divergence de vues entre les parties, il est nécessaire d’exposer les faits importants allégués par chacune d’elles.

 

PREUVE DES DEMANDERESSES

[5]               Selon Mme Mitchell, c’est Access Alliance, un organisme lui étant venu en aide, qui lui avait dit de communiquer avec M. Scott. Mme Mitchell a rencontré ce dernier en novembre 2007. Mme Mitchell a dit avoir quitté la Grenade pour des problèmes de violence familiale à M. Scott, qui a alors évoqué la possibilité pour elle d’une demande d’asile. Mme Mitchell a déclaré qu’elle devait avoir un autre rendez-vous avec M. Scott afin qu’il évalue le bien-fondé de sa demande et qu’il lui explique la façon de procéder. Avant qu’elle ne puisse rencontrer M. Scott une seconde fois, cependant, Mme Mitchell a été mise en détention par la police et les autorités de l’immigration.

 

[6]               Dans son affidavit, Mme Mitchell n’a fait valoir aucune prétention relativement à ses échanges avec l’agent. Lors du contre-interrogatoire, elle a dit se rappeler que l’agent lui avait fait état de son droit de communiquer avec le gouvernement de la Grenade, apparemment par allusion à ses droits en vertu de la Convention de Vienne. Mme Mitchell a déclaré que l’agent ne lui avait pas dit qu’elle avait le droit de parler à un avocat ou à un autre représentant, et qu’elle-même n’avait pas dit vouloir parler à un avocat. Mme Mitchell a déclaré dans son témoignage : [traduction] « À ce moment, je ne croyais pas avoir besoin d’un avocat. »

 

[7]               Mme Mitchell a déclaré avoir rencontré la déléguée du ministre le 7 décembre 2007, qui lui aurait demandé d’entrée de jeu si elle avait un avocat. Mme Mitchell  a déclaré que oui, en précisant qu’il s’agissait de M. Scott, puis en ajoutant qu’elle désirait lui parler. La déléguée aurait dit à Mme Mitchell qu’elle allait lui poser seulement des questions élémentaires et qu’elle [traduction] « n’avait pas vraiment besoin d’un avocat ». Mme Mitchell a donné de plus amples détails à ce sujet lors de son contre-interrogatoire, et déclaré que, lorsqu’elle avait dit à la déléguée qu’il ne faudrait que 15 minutes à M. Scott pour se présenter, celle-ci lui avait répondu qu’il serait alors trop tard et qu’elle souhaitait lui poser seulement des questions élémentaires. Mme Mitchell a ensuite dit à la déléguée : [traduction] « J’ai le droit de lui parler », et elle a ajouté qu’elle ne connaissait pas le numéro de téléphone de M. Scott, mais qu’elle pouvait communiquer avec Access Alliance, qui saurait où le joindre. De nouveau, selon Mme Mitchell, la déléguée lui aurait dit qu’elle n’avait pas besoin d’un avocat.

 

[8]               Mme Mitchell a dit se rappeler qu’une fois la rencontre avec la déléguée engagée en bonne et due forme, elle s’était fait demander son nom et sa date de naissance, puis qu’elle [traduction] « avait dit vouloir faire une demande d’asile ». Mme Mitchell aurait alors ajouté qu’elle craignait pour sa vie puisqu’elle avait vécu avec son petit ami une relation de contrôle. Selon Mme Mitchell, la déléguée lui aurait répliqué qu’il était [traduction] « trop tard pour ça », car celle-ci avait déjà commencé à s’occuper des formalités administratives.

 

[9]               Après avoir été interrogée pendant 20 minutes, Mme Mitchell s’est vu remettre le rapport fondé sur l’article 44 et la mesure de renvoi, qu’elle a signée sur demande. On a alors remis à Mme Mitchell un document qui l’informait de son droit de présenter une demande de contrôle judiciaire.

 

[10]           Dans son affidavit, Mme Mitchell a déclaré être allée voir M. Scott immédiatement après sa mise en liberté. Lors de son contre-interrogatoire, toutefois, elle a déclaré qu’après sa mise en liberté elle avait communiqué avec Access Alliance, qui lui aurait dit qu’elle devrait prendre rendez-vous avec M. Scott, ce qu’elle avait ensuite fait en lui téléphonant.

 

[11]           L’affidavit de M. Scott et son témoignage en contre-interrogatoire confirment le fait qu’il avait bien rencontré Mme Mitchell en novembre, après qu’Access Alliance l’eut dirigée vers son bureau pour une consultation gratuite. M. Scott s’est rappelé avoir évoqué la possibilité pour elle de présenter une demande d’asile. Il lui avait demandé d’avoir avec elle certains documents lorsqu’elle viendrait à son prochain rendez-vous. M. Scott a affirmé avoir remis sa carte professionnelle à Mme Mitchell et lui avoir dit qu’elle devrait lui téléphoner si Citoyenneté et Immigration Canada  l’arrêtait. C’est après la mise en liberté de Mme Mitchell par les autorités de l’immigration qu’il a eu de ses nouvelles. Elle était venue à son bureau le lendemain, sans rendez-vous, et l’avait informé de ce qui s’était passé. M. Scott a déclaré avoir demandé à Mme Mitchell si elle avait dit à la personne qui l’avait interrogée qu’elle craignait de retourner à la Grenade, et il a affirmé : [traduction] « La demanderesse m’a déclaré sans équivoque lui avoir dit à la première occasion qu’elle serait exposée à un risque à la Grenade et ne pouvait y retourner. »

 

PREUVE DU DÉFENDEUR

[12]           L’agent affirme que, lorsqu’il a rencontré Mme Mitchell au poste de police, il l’avait informée de ses droits en vertu de la Convention de Vienne et de son droit à l’assistance d’un avocat. La formule que l’agent a signée et qui mentionne la communication de cette information à Mme Mitchell n’a pas été signée par elle, bien qu’une ligne y soit prévue pour la signature de la personne détenue. L’agent a expliqué lors du contre-interrogatoire que c’était probablement par mégarde qu’il n’avait pas obtenu la signature de Mme Mitchell. Lors du contre-interrogatoire, l’agent a également déclaré que selon son habitude il avait demandé à Mme Mitchell si elle souhaitait téléphoner à quelqu’un, s’il y avait une personne qui la représentait et à qui elle voulait donner un coup de fil. L’agent a affirmé que Mme Mitchell n’avait fourni aucun renseignement concernant un quelconque représentant.

 

[13]           La déléguée a affirmé dans son affidavit qu’elle avait demandé comme première question à Mme Mitchell si elle avait besoin des services d’un interprète. Ses questions suivaient le modèle établi dans la formule d’examen des délégués du ministre, et la déléguée a consigné les réponses importantes de Mme Mitchell sur cette formule. La question suivante était : [traduction] « Un avocat est-il présent? ». La déléguée a déclaré avoir informé Mme Mitchell qu’elle avait droit à la présence d’un avocat lors de l’entrevue, qu’elle allait lui poser des questions concernant le rapport fondé sur l’article 44 en vue d’établir sa validité [traduction] « et que la présence d’un avocat n’était pas nécessaire ». Selon le témoignage de la déléguée, Mme Mitchell lui aurait dit qu’elle souhaitait aller de l’avant sans la présence d’un avocat.

 

[14]           Après avoir confirmé l’exactitude des renseignements figurant au rapport fondé sur l’article 44, la déléguée a demandé à Mme Mitchell pourquoi elle n’avait pas quitté le Canada alors qu’elle était censée le faire. Selon la note de la déléguée sur la formule et selon son témoignage, Mme Mitchell aurait déclaré qu’elle s’y plaisait bien maintenant et qu’elle avait décidé de rester. La déléguée a alors demandé à Mme Mitchell si elle avait des questions à poser, et celle-ci lui a dit que non.

 

[15]           La déléguée a alors posé la dernière question figurant sur la formule : [traduction] « Craignez-vous de quitter la Grenade pour un motif quelconque? » Selon le témoignage de la déléguée, Mme Mitchell aurait répondu qu’elle ne craignait pas de retourner à la Grenade; la déléguée a consigné cette réponse sur la formule. Lors de son contre-interrogatoire, la déléguée a nié avoir entendu Mme Mitchell dire, à quelque moment que ce soit, qu’elle craignait pour une raison ou une autre un retour à la Grenade, ou qu’elle souhaitait faire une demande d’asile. La déléguée a établi la mesure de renvoi, qu’elle a demandé à Mme Mitchell de signer.

 

[16]           La déléguée a également déclaré lors de son contre-interrogatoire qu’alors qu’elle quittait la salle d’entrevue, Mme Mitchell avait [traduction] « marmonné quelque chose au sujet d’une demande d’asile », ce à quoi elle avait répondu : [traduction] « Il est trop tard pour cela; vous ne pouvez présenter une demande d’asile maintenant. »

 

QUESTIONS EN LITIGE

[17]           Les demanderesses ont soulevé un certain nombre de questions, que je reformulerai de la manière suivante.

a.       La déléguée a-t-elle commis une erreur en prenant la mesure de renvoi et en rejetant la demande d’asile des demanderesses?

b.      Le paragraphe 99(3) de la Loi enfreint-il l’article 7 de la Charte de sorte qu’il soit inopérant?

 

La déléguée a-t-elle commis une erreur en prenant la mesure de renvoi et en rejetant la demande d’asile des demanderesses?

 

[18]           Le paragraphe 99(3) de la Loi prévoit qu’une personne visée par une mesure de renvoi ne peut faire une demande d’asile :

 

99.(3) Celle de la personne se trouvant au Canada se fait à l’agent et est régie par la présente partie; toutefois la personne visée par une mesure de renvoi n’est pas admise à la faire.

99.(3)  A claim for refugee protection made by a person inside Canada must be made to an officer, may not be made by a person who is subject to a removal order, and is governed by this Part.

 

[19]           La position du défendeur est que Mme Mitchell n’a mentionné vouloir faire une demande d’asile qu’après la prise de la mesure de renvoi par la déléguée. Il était alors trop tard, comme le paragraphe 99(3) de la Loi interdit de faire une demande d’asile après la prise d’une mesure de renvoi. Le défendeur ajoute que Mme Mitchell n’a aucunement donné à croire lors de sa rencontre et de son entrevue avec la déléguée qu’elle craignait le moindrement de retourner à la Grenade, et qu’il n’était donc pas nécessaire d’examiner plus avant si une demande d’asile pouvait ou non être présentée.

 

[20]           Selon le témoignage de Mme Mitchell, par contre, celle-ci aurait dit tant à l’agent qu’à la déléguée qu’elle souhaitait la présence d’un avocat. Mme Mitchell a soutenu que ce droit lui avait été dénié, par la déléguée tout particulièrement. Cette dernière a déclaré que Mme Mitchell avait été informée de son droit à l’assistance d’un avocat, qu’on lui avait dit que cela n’était toutefois pas nécessaire et qu’elle avait accepté qu’on poursuive sans la présence d’un avocat. Dans son témoignage, Mme Mitchell a déclaré avoir dit à la déléguée qu’elle souhaitait demander l’asile avant que ne soit prise la mesure de renvoi, mais qu’on lui avait dénié ce droit. On lui avait dit qu’il était trop tard pour présenter cette demande.

 

[21]           C’est à Mme Mitchell qu’incombe le fardeau d’établir, selon la prépondérance de la preuve, le bien-fondé de sa prétention voulant que la déléguée ait pris la mesure de renvoi malgré la présentation d’une demande d’asile. Ce que Mme Mitchell soutient essentiellement, c’est qu’en refusant de recevoir une demande d’asile, un agent d’immigration a agi en violation de la Loi et des obligations internationales du Canada. Mme Mitchell met en question l’intégrité tant de la déléguée, qui aurait refusé de recevoir sa demande d’asile, que de l’agent, qui aurait dénié son droit à l’assistance d’un avocat. Pour prouver de telles allégations, Mme Mitchell doit établir les faits censés les étayer. À mon avis, toutefois, Mme Mitchell n’a pas réussi à s’acquitter de son fardeau de preuve.

 

[22]           La seule preuve étayant les allégations de Mme Mitchell est son propre témoignage. C’est lors de son contre-interrogatoire qu’elle a pour la première fois prétendu ne pas avoir été informée par l’agent de son droit à un avocat. Elle n’a pas fait une telle allégation dans son affidavit déposé à l’appui de sa demande. L’importance d’une telle allégation et le défaut de la formuler plus tôt alors qu’elle était représentée par une avocate laisse croire qu’il s’agit là d’une fabrication récente visant à étayer sa prétention de violation de ses droits.

 

[23]           En outre, bien que l’agent ait omis de faire signer par Mme Mitchell le rapport fondé sur l’article 44, ce rapport a été établi dans les heures qui ont suivi leur rencontre et avant que Mme Mitchell ne prétende que l’agent avait agi incorrectement. Le rapport fondé sur l’article 44 qu’a établi l’agent étaye son témoignage selon lequel il avait informé Mme Mitchell de ses droits en vertu de la Convention de Vienne et de son droit à l’assistance d’un avocat. Le témoignage même de Mme Mitchell en contre-interrogatoire a étayé le témoignage de l’agent quant au fait qu’il l’avait informée de ses droits au titre de la Convention de Vienne. Il est par ailleurs surprenant d’entendre dire Mme Mitchell dans son témoignage qu’elle croyait ne pas avoir besoin de l’assistance d’un avocat lors de sa détention aux mains des autorités de l’immigration, alors que le consultant venait tout juste de lui conseiller précisément de demander une telle assistance si on la mettait en détention.

 

[24]           Aucune preuve ni aucune observation n’a été présentée, même sous forme de pure hypothèse, quant à la raison pour laquelle l’agent aurait pu faire un faux témoignage ou inventer les faits.

 

[25]           Dans la même veine, la déléguée a pris des notes pendant son entrevue avec Mme Mitchell. Ces notes appuient ses dires lorsqu’elle affirme que Mme Mitchell a déclaré n’avoir aucune crainte de retourner à la Grenade et, par déduction, qu’aucune demande d’asile n’a été présentée avant la prise de la mesure de renvoi. Comme en ce qui concerne le témoignage de l’agent, aucune preuve ni aucune observation n’a été présentée, même sous forme de pure hypothèse, quant à la raison pour laquelle la déléguée aurait pu faire un faux témoignage ou inventer les faits.

 

[26]           Lors de l’audience, les avocats de chacune des parties ont analysé les dépositions des témoins figurant dans leurs affidavits et la transcription des contre-interrogatoires, pour signaler des incohérences du côté adverse et favoriser la position de leur propre client. Or, même si des contradictions mineures entachaient bel et bien la preuve, j’estime cela peu utile pour étayer la position de l’une ou l’autre partie. À mon avis, la contemporanéité du rapport fondé sur l’article 44 et du rapport de la déléguée du ministre, qui étayent le témoignage de l’agent et de la déléguée, suffit pour préférer ce témoignage à celui de Mme Mitchell.

 

[27]           Mme Mitchell n’a donc pas réussi à établir, selon la prépondérance de la preuve, qu’elle avait demandé l’assistance d’un avocat ou fait une demande d’asile avant la prise de la mesure de renvoi. En disant qu’elle n’avait aucune crainte de retourner à la Grenade, d’ailleurs, Mme Mitchell a clairement fait voir qu’elle ne disposait d’aucun fondement pour présenter une demande d’asile.

 


Le paragraphe 99(3) de la Loi enfreint-il l’article 7 de la Charte?

[28]           Les demanderesses soutiennent que la Charte s’applique de deux manières aux faits d’espèce. Elles prétendent, premièrement, que le paragraphe 99(3) de la Loi enfreint la Charte en privant l’intéressé du droit de présenter une demande d’asile après la prise d’une mesure de renvoi. Deuxièmement, elles prétendent qu’en application de l’article 7, un agent doit informer expressément tout intéressé de son droit de demander l’asile ainsi que des conséquences de la présentation ou de la non-présentation d’une demande, et obtenir la renonciation à ce droit par écrit.

 

[29]           Les demanderesses citent l’arrêt Singh c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1985] 1 R.C.S. 177, de la Cour suprême du Canada comme fondement du principe voulant que la demande formulée de faire une demande d’asile déclenche l’application de la Charte. On traitait dans cette affaire de personnes ayant présenté une revendication du statut de réfugié sous le régime de l’ancienne Loi. La Cour suprême a statué que la procédure prévue par l’ancienne Loi pour statuer sur les revendications du statut de réfugié n’était pas compatible avec les exigences de justice fondamentale énoncées à l’article 7 de la Charte en ce qu’elle n’offrait pas à la personne revendiquant le statut de réfugié une possibilité suffisante d’exposer sa cause et de connaître celle du ministre.

 

[30]           Dans l’arrêt Singh, les demandeurs avaient présenté une revendication du statut de réfugié, qu’on avait traitée conformément à la procédure prévue par l’ancienne Loi. En l’espèce, les demanderesses n’ont jamais présenté une demande d’asile sous le régime de la Loi du fait de l’entrée en application du paragraphe 99(3) au moment où leur demande a été faite. Celle-ci, par conséquent, n’a jamais été traitée.

 

[31]            Plus important encore, comme l’avocat du défendeur l’a fait valoir, la Charte n’entre pas en jeu au stade de l’examen de la recevabilité d’une demande d’asile (se reporter à Soe c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) et al., 2007 CF 671 et aux précédents qui y sont cités). Il n’y a pas déni du droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne et on ne porte pas atteinte à ce droit lorsqu’on refuse à l’intéressé le droit de présenter une demande d’asile. Les droits conférés à l’intéressé par l’article 7 de la Charte entrent en jeu lorsqu’il doit y avoir renvoi vers le pays d’origine. À ce stade, un examen des risques avant renvoi sera effectué pour évaluer si le renvoi vers le pays d’origine expose l’intéressé à un risque.  

 

[32]           Je conclus, par conséquent, que le paragraphe 99(3) de la Loi n’enfreint pas l’article 7 de la Charte.

 

[33]           Les demanderesses ont également prétendu que, comme une demande d’asile fait entrer en jeu l’article 7 de la Charte, le demandeur d’asile a droit à la justice fondamentale, qui englobe l’équité procédurale. Or, l’équité procédurale commande, soutiennent les demanderesses, que tout agent envisageant de prendre une mesure de renvoi informe expressément l’intéressé de son droit de présenter une demande d’asile et de la teneur de ce droit, et, advenant qu’il y ait renonciation à ce droit, obtienne une telle renonciation par écrit.

 

[34]           C’est pendant la procédure qui a abouti à la prise de la mesure de renvoi que s’est produite  la renonciation à ce droit. Or, la Cour a statué que les droits garantis par l’article 7 n’entraient pas en jeu à cette étape (Mursal c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 995).  Je conclus donc qu’il n’y a pas eu violation de la Charte en l’espèce.

 

CONCLUSION

[35]           La présente demande est rejetée.

 

QUESTIONS CERTIFIÉES

[36]           Les demanderesses demandent la certification des questions qui suivent.

1.         La défense faite au paragraphe 99(3) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, de présenter une demande d’asile est-elle inconstitutionnelle parce que contraire à l’article 7 de la Charte?

 

2.         L’agent d’immigration qui fait passer une entrevue concernant l’interdiction de territoire (ou le délégué du ministre qui procède à l’examen) a-t-il le pouvoir de prendre une décision visée à l’article 52 de la Loi constitutionnelle de 1982 qui soit applicable uniquement à la ou aux personnes devant lui, l’effet en étant, comme il est reconnu dans les décisions Kaur et Grewal, notamment, de dispenser cette ou ces personnes de l’application du paragraphe 99(3) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, pour des motifs d’ordre constitutionnel?

 

3.      Aux fins du paragraphe 99(3) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, l’agent d’immigration a-t-il l’obligation, au titre de l’article 7 de la Charte, d’obtenir une renonciation éclairée, explicite et expresse, à savoir une renonciation écrite, au droit de faire une demande d’asile?

 

[37]           Le défendeur s’est vu accorder l’occasion de répondre par écrit à la demande de certification de questions des demanderesses. La réponse déposée par le défendeur était longue et détaillée, l’essentiel consistant toutefois en une répétition de la plaidoirie lors de l’audience sur le fond. J’ai concentré mon attention sur la partie de la réponse traitant de la question de savoir si les questions proposées transcendaient les intérêts des parties au litige, soulevaient des questions graves ou de portée générale et permettaient de trancher l’appel. 

 

[38]           Dans la première et la troisième questions proposées, on soulève essentiellement la question de l’application de l’article 7 de la Charte aux mesures de renvoi prises en vertu de la Loi. Or, il a déjà été établi que la prise d’une mesure de renvoi ne fait pas entrer en jeu l’article 7 de la Charte (Rodrigues c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 1055; Berrahma c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1991] A.C.F. no 180, 132 N.R. 202), et les questions proposées ne soulèvent donc pas une question grave ou de portée générale qui permette de trancher l’appel.

 

[39]           Dans l’arrêt Gwala c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 3 C.F. 404, la Cour d’appel fédérale a statué qu’un agent d’immigration n’était pas investi du pouvoir de se prononcer sur une question de droit, ce que devrait faire un agent pour dispenser une personne de l’application du paragraphe 99(3) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés en vertu de l’article 52 de la Loi constitutionnelle de 1982. La deuxième question, par conséquent, ne satisfait pas au critère prévu pour la certification d’une question.

 

[40]           Quoi qu’il en soit, compte tenu des faits d’espèce, aucune des questions proposées ne permettrait de trancher l’appel, comme Mme Mitchell avait déclaré ne pas craindre de retourner à la Grenade avant d’avoir prononcé le mot [traduction] « asile ». Tel que son avocate l’a reconnu à juste titre, l’objet du paragraphe 99(3) est d’empêcher les abus. La situation de Mme Mitchell donnerait lieu à pareil abus, celle-ci ayant déjà fait voir qu’elle ne disposait d’aucun fondement légitime pour faire une demande d’asile.

 

[41]           Aucune question n’est par conséquent certifiée.

 


JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée et qu’aucune question ne soit certifiée.

 

                                                                                                                « Russel W. Zinn »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

David Aubry, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-5319-07

 

INTITULÉ :                                       MARLIN MITCHELL et MAKIDA MITCHELL

                                                            (représentée par Marlin Mitchell, sa tutrice à l’instance)  c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION et LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 9 juillet 2008

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              Le juge Zinn

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       Le 28 juillet 2008

 

 

COMPARUTIONS :

 

Amina Sherazee

 

POUR LES DEMANDERESSES

Asha Gafar

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Amina Sherazee

Avocate

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDERESSES

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

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