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Cour fédérale

 

Federal Court

 

Date : 20080718

Dossier : IMM-1235-07

Référence : 2008 CF 885

Ottawa (Ontario), le 18 juillet 2008

En présence de monsieur le juge Mandamin

 

 

ENTRE :

NICHOLAS ROSMAN WARNAKULASURIYA

demandeur

 

- et -

 

le ministre de la citoyenneté

 ET DE L'IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Nicholas Rosman Warnakulasuriya est un pêcheur.  Il a 36 ans, est citoyen du Sri Lanka et est de descendance tamoule-cingalaise. Il a commencé à travailler comme pêcheur alors qu'il avait 18 ans.  En 1992, il s'est rendu en Arabie saoudite pour travailler sur un bateau.  En 1995, il est revenu chez lui et a repris son travail de pêcheur.  En 1996, il a travaillé comme marin sur un navire grec.  À son retour, il a de nouveau repris son travail de pêcheur.  En 1999, il a quitté une fois de plus pour prendre la mer.  En août 2003, il est retourné au Sri Lanka comme pêcheur.  En septembre, M. Warnakulasuriya a acheté un petit bateau usagé et d'autres engins de pêche.  Avec l'aide d'un assistant, M. Warnakulasuriya a commencé à pêcher à titre de petit pêcheur indépendant.  De cette façon, il subvenait aux besoins financiers de ses deux enfants et de sa femme qui était enceinte.  Comme il n'arrivait pas à attraper de poisson près de Negombo, il s'est déplacé à un autre endroit à une heure et demie de la petite île de Bathalangunduwa.  D'après M. Warnakulasuriya, l'île était [traduction] « entourée d'un côté par la mer, et de l'autre par une lagune » et d'un côté de la lagune se trouvait une jungle touffue.  Le pêcheur et son assistant se rendaient de l'autre côté de la lagune, souvent la nuit, pour attraper des poissons : une sorte de grand brochet, du seela ula, mais principalement du kumbalau.   

 

[2]               Le 18 septembre 2004, alors qu'ils pêchaient la nuit, M. Warnakulasuriya et son assistant ont été accostés par une vedette rapide. Cinq personnes y prenaient place, armées de couteaux et de fusils.  Ils ont forcé M. Warnakukasuriya et son assistant à transporter quatre boîtes à un endroit désigné dans la jungle à proximité, où des associés attendaient.  M. Warnakulasuriya croyait que les hommes armés étaient des membres des Tigres de libération de l'Eelam tamoul (les TLET) qui ne pouvaient pas entrer dans la lagune en raison des patrouilles de la marine srilankaise.  Comme il avait peur, il a averti son assistant de ne jamais mentionner l'incident.

 

[3]               Trois jours plus tard, M. Warnakulasuriya s'est rendu en bateau à Kalpitiya pour acheter du ravitaillement.  Il a amarré son bateau et s'est rendu en ville. Alors qu'il était en ville, il a appris que la marine le cherchait et que son assistant avait été arrêté.  M. Warnakulasuriya croit que son assistant avait bu et qu'il avait parlé de l'incident et que, par conséquent, les autorités srilankaise le cherchaient afin de l'arrêter parce qu'il avait aidé les TLET.  Nimal, son informateur, lui a dit que son bateau avait probablement été saisi.

 

[4]               Comme il craignait d'être arrêté pour avoir aidé les TLET, M. Warnakulasuriya s'est enfui.  Il a téléphoné à sa femme, qui lui a dit que l'armée était passée à la maison et avait demandé à le voir.  Il s'est immédiatement rendu à Weyongoda où il s'est caché chez des proches de sa femme.  Il a suivi un cours de matelotage pour lequel il a rapidement obtenu un certificat, qui lui a permi de trouver du travail sur un navire en partance.  Lorsque son navire est arrivé à Vancouver, il a déserté le bateau et, plus tard, il a demandé l'asile.

 

[5]               Le Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu que M. Warnakulasuriya n'était pas crédible.  La Commission a jugé que M. Warnakulasuriya n'avait pas réussi à établir que sa crainte de persécution était fondée.  M. Warnakulasuriya demande le contrôle judiciaire de la décision de la Commission.

 

La Commission a-t-elle commis une erreur dans ses conclusions relatives à la crédibilité?

[6]               La conclusion de la Commission au sujet de la crédibilité est fondée sur de nombreuses conclusions de fait.  De telles conclusions doivent être examinées soit en fonction de la norme légale, à savoir si la décision a été prise de manière abusive et arbitraire sans égard à la preuve (Loi sur les cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7, alinéa 18.1(4)d)), soit en fonction de la norme de la décision raisonnable telle qu'elle a été précisée par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9.  L'analyse relative à la crédibilité de la Commission appelle un niveau élevé de retenue de la part du tribunal de révision.  La décision de la Commission sera maintenue, sauf si ses conclusions relatives à la crédibilité dépassent l'appartenance aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir, paragraphe 47).

 

[7]               La Commission est un tribunal spécialisé qui peut tirer une conclusion défavorable relativement à la crédibilité du demandeur au motif qu'il existe des contradictions et des incohérences dans le récit du demandeur. Cependant, la retenue que commande la Commission n'est pas sans limite.  Dans la décision Jamil c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2006 CF 792, au paragraphe 24, la Cour a déclaré :

Il y a lieu de signaler une série de décisions bien connues de la Cour d'appel fédérale et de notre Cour que le juge Martineau a fort utilement résumées dans le jugement R.K.L c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration),  [2003] A.C.F. no 162,, en rappelant que la Commission devrait se garder de conclure trop hâtivement que le demandeur n'est pas crédible et qu'elle « ne devrait pas manifester une vigilance excessive en examinant à la loupe les dépositions de personnes qui [...] témoignent par l'intermédiaire d'un interprète et rapportent des horreurs dont il existe des raisons de croire qu'elles ont une réalité objective ». Voir les arrêts rendus par la Cour d'appel fédérale dans les affaires Attakora c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration)(1989) 99 N.R. 168,, Owusu-Ansah c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration),(1989) 98 N.R. 312 Frimpong c. (Canada Ministre de l'Emploi et de l'Immigration),  (1989) 99 N.R. 168.

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[8]               Le récit principal de M. Warnakulasuriya était que, lorsqu’il était à la maison au Sri Lanka, il travaillait comme pêcheur et que lorsqu’il n’était pas à la maison, il travaillait comme matelot. Il s’agit du mode de vie qu’il suit depuis qu’il a commencé à gagner sa vie.

 

[9]               La rencontre avec les TLET en septembre 2004 s’est produite pendant qu’il pêchait.  La Commission n’a pas cru que M. Warnakulasuriya était un pêcheur ou que la rencontre avec les TLET avait réellement eu lieu. Dans sa décision, la Commission a contesté pratiquement toutes les preuves de M. Warnakulasuriya et a conclu qu’il n’était pas crédible au sujet de nombreuses questions distinctes.

 

[10]           Je suis d’avis que la Commission a effectué une analyse microscopique qui peut avoir entraîné des erreurs. En effet, des erreurs ont été commises dans trois catégories. Premièrement, la Commission a commis des erreurs de fait. Deuxièmement, elle a commis des erreurs portant sur l’importance des contradictions. Troisièmement, et de façon plus importante, elle a commis des erreurs dans son analyse. Un exemple de chaque type d’erreur suit.

 

Erreur de fait

[11]           La Commission a conclu que M. Warnakulasuriya n’était pas crédible parce que, bien qu’il ait déclaré que les TLET étaient armés, dans son formulaire de renseignements personnels (FRP) et plus tard dans ses réponses aux questions de la Commission à l’audience, il ne l’avait pas fait lorsqu’il a raconté les événements de septembre 2004 la première fois. La Commission a déclaré :

Appelé à préciser si, durant l’incident susmentionné, les cinq personnes (Tigres) étaient armées, le demandeur d’asile a répondu par l’affirmative. Tenu d’expliquer pourquoi il n’avait pas précisé ces détails au cours de son témoignage, au moment de décrire l’incident, il a dit qu’il n’y avait pas de raison, qu’il avait simplement expliqué ce qui lui était arrivé, en ajoutant que les Tigres l’avaient menacé et obligé de livrer les paquets (boîtes), et qu’il n’avait donné aucun détail. Il rectifiait son témoignage. Son FRP indique que les personnes étaient armées. Cela n’améliore en rien sa crédibilité. (Dossier du tribunal à la page 8.)

 

 

[12]             Cependant, la transcription de l’audience révèle que M. Warnakulasuriya avait bien dit que les TLET étaient armés lorsqu’il avait décrit l’incident. Lorsque la Commission lui a demandé de quelles personnes il avait peur, M. Waranakulasuriya a déclaré qu’il craignait les forces du gouvernement. Il a ensuite décrit les événements du 18 septembre 2004. Lorsqu’il a décrit la façon dont son bateau a été abordé, il a déclaré [traduction] « [et les personnes qui ont abordé le bateau] avaient des épées et d’autres armes […] » [Non souligné dans l’original.] (Dossier du tribunal à la page 389; voir aussi Dossier du tribunal à la page 393.)

 

[13]           La conclusion de la Commission relative à la crédibilité est abusive puisqu’elle est fondée sur une erreur de fait.

 

Erreur portant sur l’importance des contradictions

[14]           La Commission a décidé qu’elle ne croyait pas que M. Warnakulasuriya était un pêcheur en septembre 2004 parce que, comme elle l’a déclaré :

Quand il a été fait allusion au fait que le document d’achat de son bateau indique qu’il s’agit d’un bateau de 18,5 pieds de long, c'est-à-dire plus long que ce qu’il avait déclaré pendant son témoignage, il s’est dit d’accord avec cette attestation. Le tribunal s’attendait à ce qu'il connaisse bien ces renseignements puisqu’il prétendait être propriétaire du bateau en tant que pêcheur. Cependant, le tribunal ne le croit pas.

 

 

[15]              M. Warnakulasuriya a témoigné que le bateau avait une longueur d’environ [traduction] « 18 pieds de long » (dossier du tribunal aux pages 403 et 415). Le fait d’accorder une grande importance à une différence de six pouces dans la description que M. Warnakulasuriya a faite du bateau constitue une analyse microscopique qui démontre un excès de zèle dans la recherche d’une erreur. En d’autres mots, la réponse de M. Warnakulasuriya résout en général la contradiction.

 

Erreur dans l’analyse

[16]           Bien qu’il existe d’autres erreurs et incohérences, l’erreur la plus importante de la Commission porte sur sa méthode d’analyse. Après un examen attentif des motifs et de la transcription, je conclus que la Commission a effectué une analyse fragmentaire. Pour de nombreuses questions de preuve, la Commission a décidé de ne pas accepter le fait ou la preuve en question et a poursuivi avec l’examen d’une autre question. Elle a utilisé les preuves qu’elle n’avait pas crues pour trancher les autres questions de preuve.

 

[17]           Par exemple, la Commission a décidé qu’une lettre de la Vicksopamatha Fishing Society, datée du 25 septembre 2006, n’avait aucune valeur probante. En particulier, la Commission doutait de l’authenticité de la lettre et, par conséquent, elle a conclu que le contenu ne pouvait pas être utilisé pour corroborer le témoignage du demandeur au sujet du fait qu’il n’avait pas de permis de pêcheur ni de désignation à titre de pêcheur. La lettre en question expliquait que M. Warnakulasuriya n’avait pas besoin de permis ni de désignation pour pêcher en 2004 (dossier du tribunal à la page 12). Plus tard, la Commission a mentionné cette lettre et s’est fondée sur le contenu pour supposer que la carte d’identité générale émise par le gouvernement suffisait pour qu’une personne soit désignée comme étant un pêcheur (dossier du tribunal à la page 15). Elle a tiré cette conclusion parce que la carte d’identité générale comprend une description de la profession du détenteur. La Commission a ensuite conclu que, comme la carte d’identité nationale de M. Wanakulasuriya ne mentionnait pas qu’il était pêcheur et qu’il ne possédait pas d’autre carte d’identité qui prouvait qu’il était pêcheur, elle ne croyait pas qu’il en était un.

 

[18]           On ne peut pas utiliser une preuve qu’on ne croit pas pour fonder une conclusion selon laquelle une autre preuve n’est pas crédible. En agissant ainsi, la Commission ne tire aucune conclusion. Son approche envers les conclusions portant sur la crédibilité constitue une erreur.

 

[19]           Je conclus que la Commission a effectué une analyse erronée du témoignage de M. Warnakulasuriya. Bien que certaines des erreurs de la Commission ne sont pas nécessairement susceptibles de révision, compte tenu du nombre cumulatif d’erreurs, la décision est déraisonnable.

 

[20]           La demande de contrôle judiciaire est accueillie. L’affaire sera renvoyée à un tribunal différemment constitué pour nouvel examen.

 

[21]           Aucune question de portée générale n’a été proposée et aucune ne sera certifiée.

 


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE :  

1.                  La demande de contrôle judiciaire est accueillie. L’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué de la Commission pour nouvel examen.

2.                  Aucune question de portée générale n’est certifiée.

 

 

 

 

« Leonard S. Mandamin »

Juge

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-1235-07

 

 

INTITULÉ :                                       NICHOLAS ROSMAN WARNAKULASURIYA

                                                            c. MCI

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 23 janvier 2008

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              Le juge Mandamin

 

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 18 juillet 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Ronald Shacter

 

POUR LE DEMANDEUR

Modupe Oluyomi

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

RONALD SHACTER

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

JOHN H. SIMS, c.r.

Sous-procureur général du  Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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